Je me dévoue (pour dire du mal de Jean-Luc Mélenchon)

Les plus fidèles lecteurs de Planète sans visa reconnaîtront, je l’espère, que je n’ai pas aboyé  contre Mélenchon depuis un petit moment. Évidemment, cela ne pouvait pas durer. Je viens de voir un échange entre lui et le journaliste Jean-Jacques Bourdin. Peu m’importe, en la circonstance, que le Líder Máximo du Parti de Gauche dise n’importe quoi – c’est le cas – sur les temps de parole accordés d’une part au Front National, et d’autre part au Front de Gauche. Oui, je m’en moque.

En revanche, pas question de laisser passer ses propos sur la mer, qui ne lui appartient pas encore. Ce grand « écologiste » autoproclamé rêve d’une vaste « exploitation » océanique. Pas un mot bien sûr sur le désastre biblique des pollutions marines et de la surpêche, car un tel homme est au-dessus de ces menues questions. Mais son œil de tribun s’allume quand il s’agit d’hydroliennes, d’éoliennes, d’aquaculture (ici, à partir de la minute 15).

En avant vers l’industrialisation des océans ! Sans évidemment s’en rendre compte, il donne la main aux relances productivistes qui sont au centre de toutes les stratégies des transnationales. Sous couvert de « développement durable » et de capitalisme vert, elles ne songent qu’à une chose : détruire le peu qui reste. Suez annonce ces jours-ci la mise en service d’une ferme éolienne colossale dans le nord du Brésil ET termine du même mouvement l’immonde barrage de Jirau, en Amazonie du Brésil.

Nul n’est obligé d’être d’accord avec moi, mais la flamme imbécile de Mélenchon, qui me rappelle, mutatis mutandis, les envolées staliniennes à la gloire des hauts-fourneaux, le rend complice de ce qui se prépare sur nos côtes déjà si éprouvées. Savez-vous qu’il existe des projets d’hydroliennes dans le raz Blanchard, à l’ouest de Cherbourg ? Que les fermes d’éoliennes off-shore d’Areva ou Alstom, champions du nucléaire et des turbines, poussent comme autant de bubons de la peste, jusque en baie de Seine ? Mélenchon y voit l’avenir. Pauvre monsieur, si ignorant des réalités élémentaires qu’il ose, face à Bourdin, parler d’un millier de kilomètres de côtes en France métropolitaine, alors qu’on en compte en vérité plusieurs milliers. Je ne donne pas de chiffre précis, car tout dépend du mode de calcul. En tout cas, 1 000 kilomètres, cela ne veut rien dire du tout.Peut-être aura-t-il pris un double-décimètre ? Peut-être n’est-il jamais allé à la mer ?

Franchement, vous qui croyez en l’écologie et en Mélenchon, ne voyez-vous pas comme un problème ?

Je me dévoue (pour dire du mal de Jean-Louis Borloo)

 J’enrage tout seul dans mon coin, car je vois défiler des articles imbéciles à la gloire de Jean-Louis Borloo, qui vient de se retirer de la vie politique française. Il est malade, affaibli. Bien entendu, je lui souhaite d’aller mieux, et ce n’est pas formel. Je le lui souhaite. Mais entendre un Placé dire qu’il a intéressé les Français à l’écologie ! Pour moi, il n’est pas question d’oublier ce que Borloo a été, ce qu’il a fait, ce qu’il a couvert. À commencer par cette farce tragi-comique appelée le Grenelle de l’Environnement, à laquelle presque tous les acteurs écolos ma non troppo ont participé.

Je vous laisse sur le sujet un extrait de mon livre paru en 2011, Qui a tué l’écologie ? (LLL), qui m’a conduit à rompre avec certains faux-amis. Bonne lecture, sans rire.

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Extrait de Qui a tué l’écologie ? Nous sommes après l’élection de Sarkozy, juste avant l’été 2007, et notre président cherche un ministre de l’Écologie après la défaite d’Alain Juppé aux législatives, qui le contraint à lâcher son poste.

Tout bien considéré, il ne reste guère que Jean-Louis Borloo. Quoi, ce type mal peigné, mal rasé, qui semble toujours sortir de son lit ? Oui. À cet instant de l’histoire, Borloo est l’archétype du garçon authentique, créatif, imaginatif. Et puis – défense de rire, ce n’est pas le moment –, n’est-il pas l’un des cofondateurs de Génération Écologie en 1990, invention politicienne destinée à empêcher l’émergence des Verts ? Qui oserait voir son autre face, celle du bateleur de foire impénitent ? Qui oserait dire qu’il a fait ses classes avec des pros nommés Michel Coencas et Bernard Tapie ? Il va bien falloir descendre dans les catacombes.

Au tournant des années 1980, Borloo a 30 ans. Jeune avocat, il a la singularité, dans ce milieu, de fort bien connaître le droit des affaires. Nul ne le sait encore, mais la crise économique commence, qui va marquer plusieurs générations. Droite comme gauche cherchent toutes les solutions possibles pour montrer qu’elles agissent. Cela sera la chance de Borloo. Les faillites commencent, et l’avocat aide les patrons à sauver ce qui peut l’être, s’appuyant strictement sur la loi. Rien à dire. Mais en 1982 – les socialistes viennent d’arriver au pouvoir –, Borloo noue un lien décisif avec une banque. Et pas n’importe laquelle. Elle s’appelle SdBO, ou Société de banque occidentale, une filiale du Crédit lyonnais. Créée en 1981 – grâce à la vague rose socialiste –, la SdBO a le magnifique projet de « réindustrialiser » les entreprises en difficulté.

Son directeur général, Pierre Despessailles, a été avant cela président de chambre au tribunal de commerce de Paris. Il a eu à connaître, de très près, la situation d’entreprises en grande difficulté, ce qui va se révéler fort utile. En outre, cet excellent homme est l’excellent copain d’un certain Bernard Tapie. Pas d’anachronisme : en 1982, Tapie n’est guère qu’un chanteur raté, qui s’est reconverti dans le rachat, pour le franc symbolique, de sociétés à bout de souffle.

Récapitulons : Despessailles, dont on ne sait pas encore qu’il sera poursuivi par la justice, copine avec Tapie, et le présente à Borloo, avocat plein de promesses. On peut parler d’un coup de foudre, lequel, aux dernières nouvelles, dure toujours. Près de trente ans d’amitié entre Borloo et Tapie, cela réchauffe le coeur.

La banque banque, Borloo encaisse
Alors commence une période d’euphorie. La banque banque – prêts, facilités de toutes sortes – et le duo Tapie-Borloo rachète à tout-va, devant les tribunaux de commerce que connaît si bien Despessailles, des ruines industrielles dont certaines se révéleront de purs joyaux. Il serait malhonnête d’oublier un autre personnage, Michel Coencas. Ce ferrailleur de haut vol – il dirigera, au sommet de sa gloire, 59 filiales et 13 000 salariés – se mêle au duo, ce qui en fait, sauf erreur, un trio. L’argent rentre à flots, et transforme les philanthropes en hommes riches. Le magazine américain Forbes classe Borloo parmi les avocats d’affaires les mieux payés au monde, Tapie et Coencas deviennent milliardaires.

Sautons un ou deux épisodes, pourtant édifiants, et précipitons-nous à Valenciennes pour cinq minutes d’arrêt. À la fin des années 1980, cette ville du Nord, de vieille industrie, est sinistrée. La sidérurgie et le textile ont disparu de concert, entraînant la cité dans un terrible déclin. Borloo, qui semble avoir épuisé les charmes sulfureux d’achats industriels pour le franc symbolique, se lance en politique. Il a vaguement été maoïste dans sa jeunesse, et il est parvenu à saluer le président Mao en personne, au même moment qu’une flopée d’autres maolâtres. En 1989, il n’est plus de gauche, il n’est pas de droite, quoique. Valenciennes est à prendre, et Borloo en devient le maire cette année-là, probablement pour des motifs dont il n’y a pas de raison de douter.

Tout indique que sa face lumineuse a trouvé là l’occasion d’exprimer une réelle compassion pour ceux qui souffrent et serrent les dents. On ne peut d’ailleurs exclure une sorte de tentative de rachat moral après tant d’années passées à la barre des tribunaux de commerce.

Valenciennes. Borloo va y retrouver comme par miracle ses deux compagnons de travail, Tapie et Coencas. Peut-être vous souvenez-vous du match truqué qui oppose le club de Valenciennes VA et celui de Marseille, le 20 mai 1993 ? Par sécurité, rappelons les faits. L’OM, le club marseillais, prépare une finale de coupe européenne contre Milan AC, huit jours plus tard, et ne souhaite pas fatiguer inutilement ses joueurs. Marseille, c’est l’Olympe, sans jeu de mots, et VA un pauvre club de province qu’il doit être possible d’acheter avec des cacahuètes. Ce qui se produit bel et bien. Sur ordre, les joueurs de VA laissent gagner l’OM. Le résultat est acquis, mais la funeste moralité du joueur valenciennois Jacques Glassmann conduit droit à une enquête judiciaire qui prouvera l’achat de joueurs par Marseille.

C’est le moment de se souvenir. Qui est le patron de l’OM ? Bernard Tapie, finalement condamné à deux ans de prison, dont un ferme. Mais qui préside le club VA au même moment ? Michel Coencas, que Borloo a fait venir à Valenciennes, probablement en souvenir du bon vieux temps. Attention, et ce n’est pas pure forme : dans cette affaire, seul Tapie a été mis en accusation. Rien ne permet de penser que Coencas ou Borloo étaient au courant de quoi que ce soit. Il reste que ce match d’anthologie, par un curieux hasard, rassemble dans une seule main le maire de la ville et les deux responsables des clubs concernés.

Est-ce bien tout ? Non. Certes, et j’y insiste, Borloo n’a été mis en cause dans aucune affaire judiciaire, ce qui en fait, et il n’y a pas d’arrière-pensée, un innocent.

Coupables, mais pleins aux as
Mais on peut, mais on doit écrire que Tapie, Coencas, et ce si brave directeur de la banque SdBO ont tous été lourdement condamnés pour différents délits graves. Tapie de nombreuses fois, pour tentative de corruption, fraude fiscale, faux, usage et recel de faux, abus de confiance, abus de biens sociaux. Coencas ira trois fois en prison entre 1995 et 2006, poursuivi notamment pour escroquerie et abus de biens sociaux. Quant à Pierre Despessailles, le directeur de la SdBO, il est mort avant de connaître les foudres de la justice. Je cite une dépêche AFP du 15 octobre 2009 : « En première instance, le tribunal correctionnel de Paris avait jugé treize administrateurs et mandataires judiciaires dans cette affaire où le corrupteur présumé, l’ancien directeur général de la SdBO, Pierre Despessailles, est mort et l’action publique à son encontre est éteinte.

> Ce banquier était soupçonné d’avoir conçu un “pacte de corruption” afin d’inciter les prévenus à placer à la SdBO les fonds des sociétés en difficulté ou en liquidation dont ils s’occupaient, ainsi que leurs revenus professionnels. En échange, ces auxiliaires de justice installés en région parisienne auraient obtenu entre 1982 et 1996 des prêts, dont certains de plusieurs millions de francs, à des taux préférentiels pour l’époque (de 0 à 6 %). »

Remarquons ensemble combien la justice peut prendre son temps quand cela lui convient. Une condamnation définitive en 2009, quand les faits remontent, pour les premiers, à 1982, vingt-sept ans avant. Mais quelle prévenance ! Et ajoutons pour faire le compte que la SdBO a commencé ses magouilles dès 1982. L’année où son directeur Despessailles met en contact Tapie et Borloo. Encore une fois, ne rusons pas avec la loi. Rien n’indique, chez Borloo, le moindre délit. Mais tout montre qu’il a fréquenté des gens habitués à toutes les acrobaties et trucages financiers. Sans que cela le gêne plus que cela, puisqu’il fréquente toujours et Tapie et Coencas.

Peut-être vaut-il mieux connaître ces menus détails avant de continuer le chemin. Question : Jean-Louis Borloo n’aura-t-il pas été marqué, bien malgré lui, par une décennie de fréquentations constantes avec des escrocs ? L’hypothèse n’est pas folle, comme on va en juger de suite. Et pour l’occasion, on se contentera d’un exemple presque anodin, celui des maisons magiques à 100 000 euros.

Mais où sont donc passées les maisons à 100 000 euros ?
Commençons par un arrêt qui n’a rien de symbolique, à l’extrême fin de 2001. Borloo est « déçu » par la politique. Il est, confie-t-il aux gazettes (L’Expansion du 20 décembre 2001), ruiné par Valenciennes, ville dans laquelle il aurait investi et perdu beaucoup d’argent personnel. Il laissera d’ailleurs tomber son poste de maire en 2002.

Dans le même temps, il est tout de même le porte-parole d’un certain François Bayrou, candidat aux élections présidentielles prévues au printemps 2002. On a connu plus ferme appui, car Borloo ne cache pas qu’il soutient Bayrou un peu comme la corde soutient le pendu. Pour parler comme Nanar Tapie, son vieux pote, Borloo taille costard sur costard à Bayrou, qui n’en peut mais. Il a 50 ans, et jure qu’il va recommencer le grand tour des tribunaux de commerce, et enfiler de nouveau la cape noire d’avocat d’affaires. Ne vient-il pas de tourner autour du dossier de reprise de Moulinex, qui a déposé son bilan en septembre 2001 ?

Que penser de tout cela ? Au moins que la fréquentation assidue de Tapie et Coencas, moeurs incluses, ne l’a pas dégoûté des affaires. Et c’est heureux, n’est-ce pas ? Mais le coup de blues ne dure qu’un mois. Après avoir lâché en rase campagne ce pauvre Bayrou, Borloo remonte sur son cheval, et devient ministre de la Ville en 2002, puis de l’Emploi, puis du Logement. Arrêtons-nous une seconde : nous sommes en 2005, et notre bon garçon annonce le 25 octobre vouloir construire 20 000 à 30 000 « maisons à 100 000 euros » par an.

Voilà une intention sociale indiscutable. Aidées par l’État, des dizaines, des centaines de milliers de « vraies gens », modestes en diable, vont pouvoir devenir propriétaires. Comme on respire déjà mieux ! Le dispositif, auquel « tous les maires » doivent donner la main, permettra d’offrir « aux ménages les plus modestes » des maisons « respectant des normes strictes en matière de développement durable », assurant au passage « des économies d’énergie ». Ce n’est pas encore le Grenelle, mais on s’en approche gentiment. Une telle initiative mérite, cela va sans dire, les journaux télévisés du soir, la grande presse, de longs entretiens. S’il est une chose qu’on ne contestera pas à Borloo, c’est son (grand) art de la mise en scène médiatique. Je ne sais combien d’articles cette opération de bluff aura suscités, mais je dirais avec retenue : beaucoup.

Le mot bluff est-il ici déplacé ? Abritons-nous sous l’ombre vertueuse du Figaro, assez peu suspect de nuire aux droites gouvernementales. Édition du 29 janvier 2008, et citation : « Fin 2005, Jean-Louis Borloo lançait à grand renfort de communication la maison à 100 000 euros. Entre 20 000 et 30 000 de ces habitations devaient sortir de terre chaque année en faveur du logement social. De quoi satisfaire les 87 % de Français déclarant que l’accès à la propriété est une priorité. Plus de deux ans après ces déclarations, le bilan est catastrophique. “Actuellement, quatre maisons ont vu le jour”, déclare l’Association française pour l’accession à la propriété (Afap), baptisée un temps “Association des maisons à 100 000 euros”. »

La si belle opération de Génération Écologie
L’on sait depuis Mitterrand qu’il faut savoir « laisser du temps au temps ». Voyons donc le bilan à l’extrême fin de l’année 2010. Y est-on ? Les pauvres sont-ils enfin logés ? Le quotidien La Croix du 7 décembre 2010 : « Environ six cents nouveaux propriétaires ont été séduits par le dispositif lancé par Jean-Louis Borloo en 2005 (…) et la plupart des familles modestes qui ont opté pour l’achat d’une des maisons à 100 000 euros le regrettent déjà. En effet, le programme qui proposait prêt à taux zéro et mensualités ne dépassant pas le prix d’un loyer a fait sortir de terre des logements dont la qualité laisse à désirer, pour des prix au final de 30 à 50 % plus élevés que prévu. Murs lézardés, fenêtres qui ne ferment pas… » Trois cents maisons sur 150 000 prévues en cinq ans. Les gens qui se sont fait piéger par cette noble opération crient tous au scandale et craignent que leur malheureux toit ne leur tombe sur la tête.

Mais qui s’intéresse aujourd’hui à de tels détails ? En décembre 2007, Borloo, devenu ministre de l’Écologie dans les conditions que l’on va découvrir, se baigne à Bali (Indonésie), toujours sous l’objectif des caméras. Il n’est plus question de maisonnettes pour les pauvres, car on considère désormais, d’un vaste regard circulaire, les si lourdes affaires de la planète. Si Jean-Louis Borloo plonge dans l’océan le 13 décembre 2007, en marge de négociations internationales sur la question climatique, c’est pour réimplanter un morceau de corail sur un massif malmené. En tout point charmant.

Borloo prétendra que l’opération n’était pas prévue au programme – télés, radios, journaux étaient bien entendu présents – et pour preuve, prétendra ne pas disposer de maillot de bain ad hoc. On verra donc le ministre, qui pilote le Grenelle de l’environnement – nous y sommes – depuis septembre, sauter à l’eau en caleçon bleu. Bleu comme la mer.

Au fait, Borloo est-il écologiste ? Il faut bien dire deux mots de la création croquignolette de Génération Écologie, en 1990. L’année précédente, aux élections européennes du 10 juin 1989, les Verts, conduits par Antoine Waechter, ont obtenu 10,59 % des voix. Il est de bon ton, dans les journaux, de moquer Waechter au profit du flamboyant Cohn-Bendit. Le premier serait un nain, le second un grand politique. La réalité est un peu différente, même si la mémoire est totalement absente des « analyses » politiques habituelles. Le fait est, pourtant, que Cohn-Bendit, dix ans plus tard – le 13 juin 1999 – n’aura fait, lui, que 9,72 %. Mais il passe si bien à la télé.

En 1989, l’étonnante percée électorale des Verts fait résonner une vilaine musique aux oreilles du président, qui s’appelle alors François Mitterrand. Ce manoeuvrier hors pair est parvenu au pouvoir grâce à l’affaiblissement du parti communiste, dont il aura toute sa vie préparé la disparition. Ses réflexes politiques, jusqu’à la fin de sa vie, l’auront toujours conduit à flairer, à redouter la concurrence. Les Verts étaient-ils un nouveau signal ? Le temps du Parti socialiste, sa chose, approchait-il de son terme ? Mitterrand était trop fin pour croire que l’on pouvait arrêter un mouvement historique par la ruse. Au reste, comment distinguer, à distance, l’écume et la vague ? Dans le doute, on pouvait toujours espérer retarder les échéances. Et c’est ce qu’il fit.

De la même façon qu’il manipula le mouvement des jeunes immigrés au début des années 1980, propulsant le duo Harlem Désir-Julien Dray, « créateurs » de SOS-Racisme, il poussa Brice Lalonde à créer Génération Écologie. Un mot sur Lalonde, membre du PSU – alors parti soixante-huitard – au début des années 1970 : écolo pendant une décennie, il évolua ensuite de plus en plus vite vers la droite, devenant ces dernières années un proche de l’ultralibéral Alain Madelin.

On reviendra sur son cas, qui ne manque pas d’un certain intérêt. En 1990, donc, Génération Écologie. Lalonde a été nommé sous-ministre à l’Environnement en 1988, puis ministre délégué en 1990. Il n’est pas lieu ici de raconter comment ce parti fictionnel fut installé sur la scène médiatique. Le fait est qu’aux régionales de 1992, il fit à peu près jeu égal avec les Verts, les deux mouvements approchant 14 %, quand les socialistes ne dépassaient guère 18 %. Mitterrand avait vu juste : il y avait bien le feu au lac.

Ajoutons un ultime détail, qui ne manque pas de fraîcheur rétrospective : parmi les fondateurs de Génération Écologie, tout proche alors de Lalonde, un certain Jean-Louis Borloo. Ce n’est pas que rigolo, car ce lointain engagement politicien permet encore à ce dernier d’exciper d’une profonde préoccupation pour la planète. Bien entendu – mais qui sera surpris ? –, Borloo ne s’est jamais souvenu, en vingt ans, qu’il avait aidé Lalonde dans un énième « coup », cette fois au service de Mitterrand qui venait d’être réélu pour sept ans, bouchant l’avenir politique à droite.

Je gage donc que Jean-Louis Borloo se moque du sort des écosystèmes. Et il n’est pas besoin de courir bien loin pour le prouver. Lorsque Sarkozy est élu président de la République le 6 mai 2007, Borloo se retrouve au gouvernement. Pour y défendre les rivières, les sols, les forêts, les ours, les baleines, pour y pourfendre les industriels irresponsables qui préfèrent leurs profits au maintien des équilibres essentiels ? Borloo est nommé le 18 mai ministre de l’Économie. Un poste décisif, un marchepied pour parvenir au poste de Premier ministre, qui fascine et obsède le grand écologiste. Tout est bien. La place est belle, elle est superbe, mais elle ne sera octroyée que quelques courtes semaines. Car, comme je l’ai raconté plus haut, Juppé a été balayé aux législatives par les électeurs de Bordeaux, et doit quitter le gouvernement avant d’avoir pu déballer ses affaires.

Quand Sarkozy décide finalement de proposer le poste de ministre de l’Écologie à Borloo, celui-ci se cabre. Il aurait même, dans un premier temps, refusé ! Je ne suis pas, pas encore, une petite souris, et ne peux garantir ce dernier point. Mais une personne proche du dossier, comme disent les gens sérieux, m’en a fait la confidence. Baste ! ce n’est pas essentiel. golden goose donna golden goose donna

Avec tant de retard (sur le Loup et les plantes)

La procrastination est un mal commun. Le mot désigne cette faculté largement – mais inégalement – répartie de remettre au lendemain la tâche qui nous attend sur l’immense étagère que vous savez. Je suis donc en retard d’au moins une quinzaine de livres, mais je vais commencer par deux revues qui méritent un coup de chapeau.

D’abord un spécial Loup du Courrier de la Nature, la revue de la Société nationale de protection de la nature (SNPN). En 76 pages, d’excellents naturalistes passent en revue quelques-unes des grandes questions posées par le retour de Canis lupus, notre cher Grand Méchant Loup, chez nous. Je signale d’emblée l’article signé François Moutou, longtemps épidémiologiste à l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Anses), que je connais assez pour le saluer au passage. Moutou nous livre un aperçu très riche des origines du Loup, de son écologie, de son comportement, de ses capacités de reproduction. Comme il est agréable de lire un homme savant qui sait écrire pour tous ! J’ai appris différentes choses, mais la plus considérable est qu’il existe des loups en Afrique, passés totalement inaperçus des observateurs, qui les confondaient avec les chacals dorés ! Combien ? Moutou parle de 80 000 femelles, ce qui est gigantesque. Pour mémoire, il y aurait environ 35 000 loups dans tout le Canada, et autour de 10 000 en Alaska.

Les autres articles sont de belle qualité. Le Suisse Jean-Marc Landry nous offre une histoire du Loup en France, s’appuyant à la fois sur les travaux de François de Beaufort et sur ceux de l’historien Jean-Marc Moriceau, malmené par de nombreux naturalistes pour avoir rapporté plusieurs milliers d’attaques de loups sur l’Homme dans notre pays. Anne Lombardi raconte l’aventure, la grande aventure du Réseau Loup-Lynx qui permet à des centaines de correspondants de suivre chaque année, sur le terrain, la trace de ces magnifiques animaux.

Vincent Vignon, pour sa part, décrit le rôle considérable du Loup dans la défense et illustration de la biodiversité, sujet central de tant de polémiques. On le sait, les ennemis du Loup prétendent que les ovins, en montagne, sont les meilleurs agents de la biodiversité, et que les loups en seraient les adversaires, voire les ennemis. Lire Vignon permet de comprendre simplement la complexité des liens écosystémiques. Quand il note : « Le loup est en position de contrôle du système herbivore », on a envie d’applaudir, car cette phrase est le point d’orgue d’un vaste développement sur ce qui unit prédateurs, ongulés, végétation. Oui, croyez-moi, c’est intéressant.

L’autre revue, que certains de vous connaissent certainement, s’appelle La Garance voyageuse. Je reçois ce cadeau des cieux chaque trimestre, et le dernier numéro, le 104, a pour thème « Plantes et villes ». Je crois sincèrement que tout est à lire, mais comme il me faut choisir, je vous signale un papier d’Alain Baraton, le jardinier du parc du château de Versailles, que j’ai eu la chance d’interroger sur place il y a quelques années. Baraton raconte ce qu’il pense de l’arbre dans les villes, où il subit tant de malheurs quotidiens. J’ai également aimé une déambulation urbaine de Patrick Derennes et un zoom de Boris Presseq sur les si curieuses stratégies de dispersion des plantes soumises aux règles de la ville. Admirez avec moi la graine d’Erodium ciconium, dont la forme hallucinée de tire-bouchon fonctionne un peu comme une vrille, qui lui permet de s’enfouir au profond des friches. Et encore ce texte de Jean-Michel Lecron sur les intenses amours entre les murs et les plantes. Et encore, et encore, et encore.

Cela fait des années que je souhaite parler de cette revue hautement improbable, dont le siège se trouve dans un village cévenol de Lozère, Saint-Germain-de-Calberte. Je connais mal l’histoire du groupe de bénévoles qui publie La Garance, mais j’ai souvent pressenti qu’elle était, au-delà des fatigues et départs inévitables, une fort belle aventure. Les articles, accompagnés d’une véritable iconographie, sont précis, instructifs, savants même, mais avant tout, ils transportent. N’importe où en France, n’importe où dans le monde, dans l’histoire, dans les livres, dans le destin de quantité de naturalistes et voyageurs des temps passés ou présents. Et je vous assure qu’un non-botaniste comme moi y est toujours le bienvenu. Bref. Formidable.

Brice Lalonde reprend du service pour l’industrie lourde

Cet article a été publié le 27 mars 2014 par Charlie Hebdo

Comique troupier un jour, comique troupier toujours. Brice Lalonde, l’ancien du PSU et des Amis de la Terre, devenu ultralibéral et pote d’Alain Madelin, lance une OPA sur le WWF, un an avant le Sommet du climat de Paris.

Brice Lalonde est de la race costaude des morts-vivants. Tu l’as à peine jeté de la fenêtre du troisième étage qu’il est déjà dans l’escalier de secours, à remonter quatre à quatre. Ainsi qu’on va voir, il s’est une nouvelle fois remis en selle. Cette fois aux côtés de son vieux compagnon Philippe Germa, propulsé à la tête du WWF en France. Mais qui est-il ? Pour les jeunes et les oublieux, une mise à niveau s’impose.

Jusqu’en 67, il est au PSU, sous l’aile d’un certain Rocard. En 68, il est soixante-huitard. En 69, il est aux Amis de la Terre. En 74, il est de la campagne du vieux Dumont à la présidentielle. En 81, il se présente lui-même à cette dernière. En 89, il accepte d’être secrétaire d’État – à l’Environnement – de son pote Michou Rocard. En 90-91, il monte avec Mitterrand et Jean-Louis Borloo sa petite entreprise, Génération Écologie, pour torpiller les Verts naissants. En 95, ruiné politiquement, il devient maire d’un patelin breton, Saint-Briac et proche de l’ultralibéral et sympathique Alain Madelin.

Ensuite, comme Madelin, les affaires. Il devient consultant dans des projets de « développement » en Afrique, et doit son premier come-back politique à Sarkozy soi-même, qui le nomme « ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique ». Un triomphe, qui mènera à la faillite du sommet de Copenhague, en décembre 2009, dont Lalonde n’est quand même pas le seul responsable.

Quand même pas. Il est ensuite chargé par l’ONU – et Sarko en coulisses – de préparer le deuxième Sommet de la Terre de Rio, en juin 2012. Peu de gens savent que ce raout est totalement infiltré par l’industrie transnationale, et que son inventeur, Maurice Strong, a dirigé les plus grosses boîtes canadiennes, comme PetroCanada ou Ontario Hydro, géant de l’hydro-électricité et du nucléaire.

Donc Lalonde. On croyait bêtement que le Sommet de Rio serait son chant du cygne, mais tout au contraire, ce n’était qu’un tremplin. Le voilà de retour pour une opération grand style qui concerne le WWF. La machine à sous décorée d’un panda, c’est ça. Le WWF a été créé par des riches chasseurs britanniques en 1961, et depuis cette date, n’a jamais cessé de fricoter avec les plus grosses boîtes de la planète. Du côté des premiers financiers, on peut citer Mobutu, le cher ange propriétaire du Congo (ex-Zaïre) entre 1965 et 1997, McNamara, le grand responsable des bombardements massifs sur le Vietnam ou encore, pour la rigolade, madame André Bettencourt. La vieille ? C’est cela même.

Le WWF-international a décidé il y a deux ans de faire le ménage dans sa section française, soupçonnée d’altermondialisme. L’ancien directeur, Serge Orru, est débarqué en septembre 2012, et comme par enchantement, Philippe Germa prend sa place en janvier 2013, avec le plein soutien de la navigatrice Isabelle Autissier, présidente du WWF, pleine de belles compétences patronales.

Le WWF nouvelle manière adore le capital sans frontières. Ainsi, Germa est banquier, venu d’une entreprise transnationale d’origine néerlandaise, ABN AMRO. Et son nouveau directeur des programmes, Christophe Roturier, a bossé en Afrique dans les « équitables » échanges de cacao entre la France et des pays comme la Côte d’Ivoire. Il a également été le salarié d’Arvalis-Institut du végétal, chantre de l’agriculture industrielle.

Lalonde dans tout cela ? Il vient d’entrer à pas feutrés dans le conseil d’administration du WWF-France, où l’attendait Germa, un ami de quarante ans, qui fut le trésorier de Génération Écologie. Reconstitution de ligue dissoute ? Ça y ressemble. Mais il y a plus : le 14 mars, sur Europe 1, Lalonde déclare sans état d’âme sa flamme au gaz de schiste et au nucléaire. Or le WWF-International et son homme au conseil d’administration du WWF-France, Jean-Paul Paddack, préparent avec ardeur le prochain sommet mondial sur le climat, qui se tient à Paris en 2015. Lalonde, selon des confidences recueillies par Charlie, deviendrait une pièce maîtresse de ce dispositif. Sous les applaudissements de Total, Exxon, BP, Shell et Areva. Compris ?

Au pays des déchets et des ordures

Cet article a été publié le 20 mars 2014 par Charlie hebdo

Un clan mafieux à la française contrôle l’enfouissement de déchets dangereux, façon Camorra de Naples. Derrière les gros titres de la télé, une autre réalité : les services d’État laissent faire les magouilleurs, car c’est la seule solution qu’ils ont trouvée.

Les journaux aiment enfiler des perles, ça passe le temps. Exemple entre cent : l’affaire de la décharge mafieuse. En deux mots, une famille de la grande truanderie – le clan Hornec -, installée à Montreuil, tout près de Paris, magouillait de manière à enfouir illégalement des déchets toxiques. Où ? À la frontière entre Seine-Saint-Denis et Seine-et-Marne, à Villeparisis. La combine est fort simple : on propose d’embarquer des déchets spéciaux, qui devraient être retraités dans des installations adaptées, et on les enterre dans des champs, si possible près de décharges autorisées, pour contrarier de très éventuels contrôles. Si l’industriel respecte la loi, il paie bonbon. S’il refile ses merdes sans savoir où elles atterriront, il fait une belle affaire.

S’agit-il, comme le répètent en boucle les gazettes, d’une importation des mœurs de la Camorra italienne, qui a pourri toute la région autour de Naples, la Campanie ? Rien n’est moins sûr. L’affaire de Villeparisis révèle en fait une impasse radicale, celle de la gestion des déchets de notre monde. En 2007, la farce du Grenelle de l’Environnement avait juré de réduire le volume de déchets ménagers de 7 % par habitant en cinq ans. Il est passé de 29,3 millions de tonnes en 2008 à 31,9 en 2012, soit une augmentation de 9 % qui ne veut de toute façon rien dire, car personne ne contrôle véritablement de tels flux.

Pour ce qui concerne les déchets industriels, les classements statistiques distinguent à la louche folklorique les déchets dangereux et non-dangereux. Vous m’en mettrez 315 millions de tonnes en 2008, dont 15 seraient craignos. Dans tous les cas, il faut banquer, et comme on ne parvient plus à ouvrir une décharge sans provoquer une levée de fourches, le système est auto-bloqué. La vérité approximative de l’affaire de Villeparisis, c’est que tout le monde est au courant, et que tout le monde regarde ailleurs.

La preuve par ce fait divers rapporté dans un coin du Parisien le 3 mai 2013. Près d’un an avant le supposé scandale en cours, la Direction départementale des territoires (ancienne DDE) fait les gros yeux à la société RTR, celle impliquée dans l’affaire Hornec. Des camions remplissent 18 hectares de terres proches de Villeparisis – là même où les flics viennent de débarquer – et exigent l’arrêt du déversement de déchets. RTR continue comme si de rien n’était. Un type de la DDT, dans Le Parisien : « Ces pratiques diffuses se multiplient. C’est difficile à contrôler ».

Ne rêvons pas : si les flics sont cette fois intervenus, ce n’est pas pour empêcher des enfouissements illégaux, mais pour coincer leurs ennemis jurés, les Hornec. Sur place, à Villeparisis, une association locale comme on les aime se bat depuis des années le dos au mur, dans l’indifférence la plus totale.  L’Adenca (http://adenca.over-blog.com) s’inquiète notamment pour les Grues, une petite rivière qui coule dans la Beuvronne, un affluent de la Marne. Le captage d’Annet, qui abreuve en eau potable 500 000 habitants, est juste en aval. Combien de points de contrôle de la qualité des eaux des Grues ? Aucun.

Aucun, et c’est plutôt vertigineux, car les Grues reçoivent les eaux de ruissellement de RTR – dépôt illégal -, de déchets dangereux de la société Paté de Villeparisis – dépôt illégal -, de l’ancienne décharge « Les Remblais Paysagers de Claye-Souilly » – dépôt illégal -, de la décharge BMR – dépôt illégal. Un mot de plus sur BMR, spécialisée dans « les déchets de chantier ». La boîte a pourri pendant 13 ans le site des Murs à pêche de Montreuil – chez les Hornec ! – déversant le chargement dégueu de centaines de camions, sans aucune autorisation. Ont-ils reçu la visite des flics ? Jamais. Après une énième mise en demeure, BMR a jugé plus prudent de quitter Montreuil pour dégueuler sur Villeparisis. Et se trouve depuis octobre 2013 en règlement judiciaire. Le nettoyage, s’il a lieu, sera payé sur fonds publics.

La morale de l’histoire est limpide : incapables de faire face à une situation délirante – la surproduction de déchets, y compris toxiques -, les services d’État laissent faire les margoulins. On pourrait presque ouvrir une chronique hebdomadaire.