Archives de catégorie : Agriculture(s)

Baignade(s) au milieu des pesticides

Publié en mai 2021

Tout le monde s’en contrefout. (Presque) tout le monde. À peine si des travaux isolés, sans envergure et sans allant ont été menés sur la présence des pesticides dans l’eau de mer (1). On sait ainsi que des cocktails de pesticides peuvent s’attaquer à des espèces de plancton marin, jusqu’à modifier des équilibres écosystémiques fragiles. On a appris également qu’en mer Baltique, en mer de Norvège, en mer du Nord, on pouvait retrouver des traces dans l’eau de médicaments, de pesticides, d’additifs alimentaires.

On ne savait pas, jusqu’ici, que la France est touchée de même, et que la situation y est grave. Sans pour autant souffler dans le clairon, l’institut français IFREMER vient de rendre publics des résultats qu’on qualifiera de flippants (2). 10 lagunes françaises de Méditerranée ont été explorées. Ce qu’est une lagune ? Un étang, une pièce d’eau séparée de la mer par un cordon sableux ou rocheux, où se mêlent à des concentrations variables eau salée et eau douce.

Sur les dix, au moins un est connu de toute la France : l’étang de Thau est en effet un haut-lieu de production d’huiles et de moules – 600 établissements, 12 000 tonnes d’huîtres par an – qui emploie environ 2000 personnes. Pas touche au grisbi ! On comprend dans ces conditions la prudence de Sioux de l’IFREMER, qui prend soin de dire et répéter que Thau est l’un des moins pollués aux pesticides des dix étudiés. Et pourtant ! On peut lire par exemple : « Le risque chronique lié à la présence de pesticides y est néanmoins jugé fort », ou encore – à propos des pesticides irgarol et métolachlor – que des études « rapportent des effets d’embryotoxicité chez les larves d’huîtres à des concentrations chroniques proches de celles retrouvées dans notre étude ». Traduction : les larves d’huîtres dégustent. Mais pas nous, bien sûr.

Cela ne serait rien encore si ce n’était un sinistre commencement. L’étude IFREMER note ainsi : « Sur les 72 pesticides recherchés, 49 substances différentes ont été quantifiées au moins une fois au cours de l’étude (dont 6 substances prioritaires sur les 9 recherchées). Parmi celles-ci,on retrouve en moyenne 29 substances différentes simultanément lors de chaque prélèvement ». Bien que ce jargon rebute, retenons que l’on trouve beaucoup des pesticides recherchés.

Mais c’est le détail qui fait le plus mal, car l’étude constate « un risque jugé “fort” pour la santé des écosystèmes de 8 lagunes sur 10 », car « entre 15 et 39 pesticides [ont été] retrouvés dans chaque lagune ». Pas si grave ? Si. Car « le cumul des pesticides constitue une problématique à part entière ». Même si l’on réussissait à réduire la présence de chaque substance, « l’effet du cumul des pesticides entraînerait encore un risque chronique pour 84 % des prélèvements réalisés dans le cadre de cette étude ». Commentaire désabusé de la chercheuse Karine Bonacina, qui a participé au travail : « Avant cette étude, l’état chimique de ces lagunes était considéré comme “bon” ».

Bien entendu, nulle autorité n’a le moindre intérêt à considérer de tels résultats. Ni les préfets, ni le ministère de l’Écologie, ni même et peut-être surtout les conchyliculteurs, qui ont tant à perdre à reconnaître l’étendue de la contamination des huîtres et des moules. Question : dans une France qui se jette à corps perdu dans la consommation de produits bio, est-il durablement possible que l’on continue à boulotter des fruits de mer farcis au métalochlore ou au glyphosate ?

Annexe mais redoutable : dans quelle tambouille chimique se baignent les gentils estivants de juillet et d’août ? Fait-on des analyses chimiques des eaux de baignade, notamment au débouché de nos grands fleuves, surchargés de chimie de synthèse et de cocktails médicamenteux ? Le fait-on à Trouville, qu’arrose si gentiment la Seine, après avoir drainé tant de régions agro-industrielles ? Le fait-on à la Baule, où la Loire dépose sans jamais s’arrêter ce qu’elle trimballe au long de son cours ? Euh, non. Combien de pesticides en bouche quand bébé boit la tasse ?

(1) Il faut citer le décevant Planction marin et pesticides : quels liens ? De Geneviève Azul et Françoise Quiniou (éditions Quae). Et quelques notations issues du programme européen Jericonext/

(2) https://wwz.ifremer.fr/Espace-Presse/Communiques-de-presse/Pesticides-dans-les-lagunes-de-Mediterranee-un-nouvel-indicateur-permet-de-mieux-evaluer-le-risque-ecologique

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Jean Lassalle dans le rôle du pyromane

C’est sûr, le niveau est très relevé, mais enfin, Lassalle est bien placé. Dans le concours de la phrase la plus conne de l’année, et même de la décennie. Précisons pour commencer qui est Lassalle. Grand zozo devant l’Éternel, maire de Lourdos, dans la vallée d’Aspe, pendant vingt ans, député depuis 2002, candidat à la présidentielle, Jean Lassalle est aussi un pote historique de François Bayrou. Sa spécialité : la plainte. Les Pyrénées sont menacées par les élites parisiennes, qui préfèrent l’ours au berger, et le glorieux Béarn fera face comme il le fait depuis au moins Henri IV.

Comment ? C’est là que ça devient drôle. Au Pays basque – il fait partie comme le Béarn des Pyrénées-Atlantiques – le feu court les crêtes, et il est volontaire. Personne n’est pressé de faire les comptes, mais les attentifs locaux savent que la montagne basque est en grand danger. Genofa Cuisset, présidente de l’association Su Aski (suaski.wordpress.com)- « halte aux feux – n’est pas seulement en colère, elle en pleure : « Je reviens d’un pèlerinage en montagne. C’est abominable, j’ai vu un arbre de 20 mètres calciné, et la terre à nu, à cause de ces fameux écobuages ».

Technique contrôlée, et limitée en surface pendant des siècles , l’écobuage consiste à brûler un terrain jusqu’à ses souches pour laisser place à des cultures ou des pâturages. Mais les paysans et bergers sont rares tandis que se déchaînent des chasseurs de primes – la PAC européenne – qui reçoivent du fric pour « nettoyer » les pentes au lance-flammes. Lassalle les soutient d’une manière qui serait effarante si elle n’était surtout délirante : selon lui, sans les écobuages, « ça en serait fini du pastoralisme, mais aussi d’une certaine idée d’un tourisme qui va être de plus en plus amené à se développer à travers nos montagnes. Il faut qu’elles restent verdoyantes, au lieu d’être des ronces, des futaies ou même des forêts (1)».

En somme, notre grandiose entend sacrifier la forêt en la cramant. Pour faire venir des Parisiens par ailleurs honnis. Lassalle, champion du monde.

(1) francebleu.fr/infos/agriculture-peche/incendies-au-pays-basque-les-ecobuages-legitimes-malgre-la-polemique-1614373146

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Le désert espagnol à nos portes

Un livre inattendu (Les Quichottes, par Paco Cerdà, éditions La Contre Allée, 20 euros). Un journaliste espagnol décide de visiter une région immense, moins peuplée au km2 que la Laponie des Samis. Mais nous sommes 4000 km plus au sud, dans une Espagne que nul ne connaît. Cette Serranía Celtibérica court sur 65000 km2, 1355 communes, 10 provinces et ne compte en moyenne que 7,34 habitants au km2. En moyenne, car très souvent, on peut avoir du mal à dépasser deux, ou même un. Grossièrement entre Madrid, Valence et Saragosse, le travail est parti, et les hommes aussi.

Dans une sorte de road movie, Cerdà nous emmène là où plus personne ne va. Là où, comme à Guadalajara ou Teruel, la République s’est battue jadis contre Franco. Ici, José Luis, qui quitte tout après des années de chômage, et devient gardien d’un village fantôme pour 400 euros par mois. Là, le magnifique Marcos – 72 ans – qui a quitté la ville pour un village qui n’a jamais connu l’électricité, remuant ciel et terre pour faire revenir au moins un service public essentiel. Les personnages sont beaux et suffiraient à recommander le livre. Mais au-delà, il plonge dans des abîmes de réflexion. Jusqu’où se féliciter du recul de l’homme et du retour de la nature ? Faut-il vraiment aider ces quelques valeureux qui s’acharnent contre l’évidence d’un désert qui avance ?

On ne peut manquer davantage de penser à cette France qui disparaît, elle aussi. Combien d’habitants en Creuse, en Lozère, dans l’Aveyron, en Haute-Loire, dans la Loire profonde ?

Le climat, la sécheresse et la FNSEA

Publié en avril 2021

Y a vraiment plus de saison. Une étude montre que le dérèglement va dangereusement faire baisser les récoltes. Mais où est passée la FNSEA ?

Lectrice attentive, lecteur concentré, tu auras peut-être remarqué qu’il a fait chaud avant que cela ne se gâte. Tous ces derniers jours de mars, on s’est beaucoup baignés, jusque dans le sud de la Bretagne. C’est bien ? Ben faut quand même voir de plus près. Il n’y a plus aucun doute que, comme le disait ma grand-mère, que je voyais comme une vieille folle, y a plus de saisons.

Un étude originale confirme l’affaire à sa façon. Son auteure principale, Teresa Bras, est chercheuse à l’université Nova de Lisbonne. L’un des signataires, Jonas Jägermeyr, travaille à l’Institut Goddard d’études spatiales de la Nasa. Et leur travail vient d’être publié par la revue Environmental Research (Letters). On apprend sans surprise dans « Severity of drought and heatwave crop losses tripled over the last five decades in Europe » (https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/abf004/meta) que les désastres naturels peuvent menacer les récoltes même au cœur de l’Europe, et chez nous, donc.

Mais les chiffres les plus percutants concernent les sécheresses et les vagues de chaleur, de plus en plus prononcées, de plus en plus rapprochées. Entre 1961 et 2018, les premières ont réduit la récolte de céréales de 9% en moyenne, et les secondes de 7,3%. Et ce n’est que le début d’un feu d’artifice prolongé, car ces pertes de production ont triplé en l’espace de cinquante ans. La tendance lourde a toutes chances de se maintenir et d’aggraver les choses à mesure que le dérèglement climatique deviendra plus vif encore.

Parmi les leçons à tirer, on se permettra de rappeler que les producteurs de betteraves industrielles ont obtenu l’été passé les retour des néonicotinoïdes tueurs d’abeilles. Pour mieux produire ce que les consommateurs ne veulent plus. Les défenseurs de ces cultures – ceux de L’Association de recherche technique betteravière -, souvent accusés de partialité, parlent d’une baisse de la production de betteraves comprise entre 10 et 12 % en l’absence de néonicotinoïdes.

Un chiffre voisin de celui que provoque déjà le dérèglement climatique. Dont ils ne parlent pas. Dont la FNSEA, ce « syndicat » étrange qui accompagne de près la mort de ses membres ne parle pas. Ça fait penser.

Le Monde Diplomatique est-il transhumaniste ?

Avouons-le tout de suite : je n’aime pas Le Monde Diplomatique. Ce mensuel créé en 1954 à l’ombre du Monde quotidien aura soutenu vaillamment tous les stalinismes possibles, de l’Union soviétique à Cuba, passant par la Chine maoïste. Il demeure la référence d’une bonne part de la gauche qu’on appelle radicale. Et il ne déteste pas, lorsque l’occasion se présente, à accuser les penseurs écologistes de se fourvoyer. Au mieux.

Dans le numéro de février, le Diplo a publié un article d’un certain Leigh Phillips. Cet Américain y attaque les décroissants – dont je ne suis pas – par la disqualification, les présentant comme des adeptes de Thomas Malthus, cet économiste qui annonçait de fatales catastrophes démographiques. Vieux truc. Phillips ne cite personne, ce qui est encore la meilleure façon de ne pas être démenti.

Le tout est indigent. Il rapproche ainsi le trou dans la couche d’ozone et le dérèglement climatique, dans des raccourcis qui sentent fort le climatoscepticisme nouvelle manière. Pour lui, qui se présente comme un progressiste à la mode du Diplo, seule la croissance économique pourrait permettre d’ensuite redistribuer de l’énergie et des services sociaux aux pays du Sud. Pas un mot sur les autres qu’humains, pas un mot sur les destructions écologiques majeures causées par notre façon de concevoir la vie, et de la mener.

Reconnaissons que des lecteurs du Diplo ont réagi et que la direction du journal – dont acte – leur a accordé une page de réponses dans son numéro de mars. Mais le texte de Phillips cache à autre chose (1). Il note ainsi gaillardement : « Grâce au progrès technologique et à des choix politiques, nous pouvons, si nous le souhaitons, évoluer. Et, lorsque nous nous heurtons à des limites naturelles, nous sommes capables d’innover pour les dépasser ». C’est absurde et même criminel, mais Phillips ne s’arrête pas en si bon chemin, ajoutant pour les sourds et mal-entendants : « Il est possible d’imaginer que nous nous téléportions un jour, car l’idée ne viole aucune loi physique ».

Se téléporter ? Cette idée si pertinente ne tombe pas du ciel. Phillips appartient en effet au Breakthrough Institute (thebreakthrough.org), un machin transhumaniste qui promet de régler toutes les questions de la crise écologique globale par un surcroît de technologie. À l’aide des OGM, d’une agriculture encore plus industrialisée, du nucléaire bien sûr et de la géo-ingénierie. Dès 2010, l’institut a publié un gros rapport avec l’American Institute Enterprise (2) sous le titre « Post-Partisan Power ». L’American Institute Enterprise (3) n’est pas loin d’être le pire. Néo-conservateur, libéral, proche des milieux militaires, accueillant en son sein un grand nombre de grands patrons, ce think-tank n’a jamais eu qu’un but : accélérer encore.

La direction du Diplo se serait-elle fait avoir ? Cette hypothèse optimiste, nullement confirmée dans le numéro de mars, appelle un commentaire : pour un journal qui ne cesse de donner des leçons à l’univers, ce serait comique. L’hypothèse plus vraisemblable est que cette vision rejoint pour l’essentiel celle du journal. Le progrès technologique viendra à bout de tous les soucis. Quelle que soit la vérité, il n’est pas interdit de s’interroger.

Dans le même numéro de février, on peut lire dès la première page un long papier titré « Qui veut la mort d’EDF ?». 100% idéologisé, il oppose les prédateurs d’un côté, de l’autre le service public. On peut souhaiter un service public de l’énergie – c’est mon cas – sans oublier, comme le fait pesamment l’article, le rôle-clé d’EDF dans la création de l’empire nucléaire. Et de ses directions, toutes liées à la noblesse d’État des polytechniciens, ingénieurs des Mines ou des Ponts. Sans oublier non plus le désastre d’une entreprise qui a promis la Lune et finalement creusé un trou de près de 50 milliards d’euros. Faut-il incriminer le poids important, dans la haute hiérarchie du Diplo, d’anciens staliniens, jadis grands admirateurs de l’atome ? Le progressisme, maladie sénile d’une gauche en perdition.

(1) terrestres.org/2021/02/18/la-decroissance-le-socialisme-sans-la-croissance/

(2) s3.us-east-2.amazonaws.com/uploads.thebreakthrough.org/legacy/blog/Post-Partisan%20Power.pdf

(3) wikipedia.org/wiki/American_Enterprise_Institute#Membres

Le clan Bayer-Monsanto à l’assaut du Mexique

On cherchera longtemps, chez nos ministres, pareil courage. Penser au retour des néonicotinoïdes. Qui est Víctor Manuel Toledo Manzur ? Un biologiste très célèbre au Mexique. Il a reçu de nombreux prix, écrit beaucoup d’articles scientifiques et fondé dès 1992 la revue Etnoecologíca (1), pionnière dans l’étude des relations entre peuples autochtones et nature.

En mai 2019, il accepte d’entrer au gouvernement comme secrétaire d’État à l’Environnement. Andrés Manuel López Obrador, dit AMLO, est président depuis décembre 2018, d’une gauche qui rappelle, mutatis mutandis, le parti socialiste français des années 80. Mais Toledo a un problème, et c’est qu’il est sincère. Il veut changer le pays, ce qui le conduira droit à la démission en août 2020.

Dans une tribune extraordinaire publiée par le quotidien La Jornada (2) fin février 2021, il décrit la puissance des lobbyistes du glyphosate, poison qui s’étend désormais sur 192 millions d’hectares, un peu moins que quatre France.

Or, dit-il, Bayer-Monsanto, géant du secteur, « possède une armée de scientifiques, techniciens, communicants, agents commerciaux, lobbyistes, espions, promoteurs ». Or, AMLO, en bonne part poussé par des gens comme Toledo, a décrété en décembre dernier l’interdiction du glyphosate d’ici 2024 et celle du maïs transgénique. Appliquée, cette décision signifierait la fin de l’importation de millions de tonnes de maïs transgénique venu des États-Unis, et un tremblement de terre planétaire.

AMLO tiendra-t-il ? Toledo évoque de l’intérieur l’action délétère de trois membres du cabinet présidentiel : Alfonso Romo, Víctor Villalobos, Julio Scherer. Il les accuse d’avoir mené des « acciones fraudulentas » – des actions frauduleuses – pour saboter la décision d’AMLO. Le Mexique, pays berceau du maïs originel, est en guerre, comme l’écrit Toledo. Lequel a subi un cambriolage au cours duquel des documents ont été volés et du glyphosate versé dans son jardin. Suivi d’une campagne de presse téléguidée sur sa vie privée. Il regarderait des films porno.

  1. http://etnoecologia.uv.mx/Etnoecologica/numeros.htm
  2. jornada.com.mx/2021/02/23/opinion/017a1pol

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Vive la fonte de la banquise !

Où l’on voit que le chemin le plus court est aussi le pire de tous. D’abord, ce que tout le monde sait : la banquise qui recouvre l’océan Arctique fond de plus en plus vite. Et dans les eaux russes du Grand Nord, cela semble pire qu’ailleurs. L’institut météo de Moscou Rosguidromet (1) note dans un rapport tout récent que la surface de glace, en comparaison des années 80, est de cinq à sept fois moindre. 2020 a été une année diaboliquement chaude et au total, le dérèglement touche bien davantage, en moyenne, la Russie que d’autres pays. Depuis 1976, la température aurait augmenté de 0, 51 degré par décennie.

D’autres que ceux de l’équipe Poutine en tireraient la conclusion qu’il faut décréter l’état d’urgence. Mais tout au contraire, miam. Miam, car si la banquise fond de plus en plus, les perspectives commerciales deviennent chaque jour plus exaltantes. Dans un entretien avec l’agence de presse russe (en anglais) Interfax (2), Vladimir Panov lâche sans gêne : « The Suez precedent has shown how fragile any route between Europe and Asia is ». Eh oui, le blocage du canal de Suez par un container a montré combien la route maritime la plus fréquentée entre l’Asie et l’Europe était fragile. Et Panov de vanter l’excellence de la Northern Sea Route, cette route du Nord qui s’ouvre chaque année davantage grâce au dérèglement climatique. Un détail : Panov est un pion important de l’une des grandes puissances financières russes : le champion du nucléaire Rosatom. En charge du « développement de l’Arctique.

  1. rcinet.ca/regard-sur-arctique/tag/rosguidromet/
  2. https://interfax.com/newsroom/top-stories/71429/

Macron, le référendum et le journalisme

Publié en mars 2021

Avouons qu’on ne sait pas comment ils font. Macron, jamais élu avant 2017, réussit des numéros d’escamotage dignes d’Houdini, qui parvenait à se libérer d’un coffre empli d’eau après avoir été menotté.

Le coup de la Convention citoyenne pour le climat, c’était vraiment bien. 150 naïfs tirés au sort proposent des mesures pour faire face au drame, et Macron assure devant les caméras qu’il reprendra « sans filtre » leurs propositions avant de les écrabouiller.

Et voilà qu’il récidive avec son projet de référendum. Il veut, il prétend vouloir que la Constitution intègre la « protection de l’environnement » comme un principe. Et l’Assemblée fait semblant de discuter l’affaire, quand chacun sait que cela n’ira jamais au bout.

Soit en dernière instance, le Sénat bloquera, et ce sera l’occasion pour Macron de triompher. Du côté des électeurs écologistes – voyez comme j’aime la planète – tout en affaiblissant la droite, cette droite qui règne sans partage sur le Sénat. Soit, si ce référendum ridicule devait aboutir, il ne se passerait rien quand même. La Charte de l’Environnement de Chirac en 2O05 n’aura servi à rien, et ne serviront à rien les moulinets électoralistes.

Les journalistes politiques sont très souvent des cons, incapables de relier un point avec un autre. Leur monde se réduit à la psychologie des egos, petits ou grands. La plupart ne lisent rien d’autre que des livres inutiles, racontant des histoires insignifiantes sur des destins lilliputiens.

Si tel n’était pas le cas, ils confronteraient Macron-l’écologiste à la liste rouge établie par deux autorités peu discutées : l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et le Muséum national d’histoire naturelle. Patiemment, au long de 13 années de collectes et d’analyses, leurs spécialistes ont évalué 13 842 espèces animales et végétales présentes en France. 2430 sont menacées d’extinction sur notre sol, soit 17%. Et plus de 30% des oiseaux (1). Si des yeux autres qu’aveugles regardaient cela en face, un seul mot s’imposerait, bien qu’aucun ne convienne : celui d’Apocalypse.

En France donc, tandis que péroraient entre 2008 et 2021 Nicolas Sarkozy – « L’environnement, ça commence à bien faire (2011) -, François Hollande – création d’un secrétariat d’État à la biodiversité – et notre cher Emmanuel Macron, tout s’est accéléré. C’est l »organisation profonde de la France, qui est en cause. Ses modes de production, d’exportation, de consommation, ses façons d’habiter, de bouger, de se soigner. Le reste n’est que bullshit, motherfucker, comme on dit les séries américaines.

Veut-on souffrir encore plus ? Ce ne sera pas trop difficile, car ce cirque obscène dure depuis des lustres. Toute parole politique est corrompue. En mars 2018, Nicolas Hulot, alors ministre de l’Écologie, monte à la tribune de l’Assemblée nationale. Il vibre, il est au bord des larmes, et le pire de tout est qu’il est sincère. Il demande au députés qui s’en tapent « un sursaut d’indignation ». Il déclare dans le vide : «  Il y a des tragédies invisibles et silencieuses dont on s’accommode tous les jours, eh bien je vous le dis, tout seul, je n’y arriverai pas (…) Oui je vais vous présenter un plan biodiversité dans les semaines qui viennent, qui va succéder à la stratégie de la biodiversité, mais très sincèrement, tout le monde s’en fiche, à part quelques-uns ».

Vains Dieux ! En 2016, Barbara Pompili, alors secrétaire d’État à la biodiversité de François Hollande, arrache l’interdiction des pesticides néonicotinoïdes, ces massacreurs d’abeilles. Elle déclare même, toute fiérote de sa réussite : « Ils sont dangereux pour notre santé, pour notre environnement, ils contaminent les cours d’eau, la flore, y compris la flore sauvage. Ils restent dans les sols très longtemps […] Nous avons une responsabilité vis-à-vis de nos enfants, nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ».

Et là-dessus, elle autorise en septembre 2020 leur retour. Sur les betteraves pour commencer. Rien ne bouge, car nul ne bouge.

(1) https://uicn.fr/liste-rouge-france/

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Une nouvelle manière de faire une enquête

Se passerait-il quelque chose dans le journalisme ? On sait depuis longtemps que des centaines de journalistes plutôt jeunes tentent l’aventure, les aventures. Mais le projet Disclose donne envie de connaître la suite.

On résume vite fait. À l’été 2015, notre bon ami Bolloré veille. Devenu patron de Vivendi, il règne donc sur sa filiale Canal+. Or un documentaire doit y être diffusé, qui raconte de belles choses sur les magouilles du Crédit Mutuel, banque qui a aidé Bolloré dans sa marche triomphale. Il censure.

Le doc de Geoffrey Livolsi et Nicolas Vescovacci finira par passer sur France 3, mais pour Livolsi, c’est la goutte d’eau fatale. Avec quelques amis et confrères, dont Jean-Pierre Canet – tu vas bien ? -, il lance en 2018 Disclose (disclose.ngo/fr) après une levée de fonds auprès de simples citoyens.

Le principe de fonctionnement est simple : plus les donateurs ouvrent leur porte-monnaie, plus les journalistes travaillent. On paie pour permettre des enquêtes au long cours. En deux ans, Disclose a déjà reçu quelques grands prix, dont le Sigma Awards.

Signalons deux enquêtes qui ne peuvent que plaire dans cette page : l’une sur l’élevage intensif, l’autre sur les conséquences réelles des essais nucléaires français à Moruroa et Fangataufa. J’y reviendrai après avoir lu le livre qui accompagne, dont l’un des auteurs travaille avec Disclose.

On peut filer des infos à Disclose de manière discrète en ouvrant un compte mail sécurisé, via Proton. Ça a l’air compliqué, mais c’est simple comme tout (1). On peut aussi utiliser l’application gratuite Signal, qui paraît-il garantit la confidentialité des échanges.

Bien que si jeune, Disclose a déjà un petit frère breton, Splann (splann.org), d’un mot qui veut dire « Clair ». Et c’est en effet limpide. Le groupe autour de Splann, basé à Guingamp (Côtes d’Armor), entend regarder derrière la carte postale, genre rochers et côte sauvage. Et la cible principale, sans surprise, c’est l’empire agro-alimentaire qui a transformé la Bretagne en une infâme décharge à cochons et à déjections.

(1) https://disclose.ngo/fr/page/devenez-une-source

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Martine et les jardins ouvriers d’Auber

C’est une bagarre entre deux mondes irréconciliables. Bien que prévenu, j’avais laissé filer les jours et les semaines. Et voici que Martine Rousseau-Oger, amie lointaine mais chère, m’envoie ce qu’elle a écrit pour son blog si délicieux (1).

Ça se passe à Aubervilliers, ville historique des prolos, de l’espoir, du Front Popu, mais aussi de cette canaille de Pierre Laval, qui y fut maire. « En sortant du métro Fort-d’Aubervilliers (direction La Courneuve), Seine-Saint-Denis, et avant d’arriver à quelques hectares de verdure, on passe devant ça », commence Martine. Et ça, ce sont des immondices, des centaines de canettes, un ignoble parking. Le lieu est délaissé, certainement sur décision politique.

C’est ici, ajoute Martine, que « le Grand Paris Aménagement (GPA) compte fermement installer une piscine d’entraînement (coût estimé : 40 millions d’euros) pour les Jeux olympiques 2024 ». Or juste à côté ont poussé bien avant guère des jardins ouvriers, loués pour une somme modique. Il y a 86 parcelles, mais un projet contigu à la piscine prévoit un solarium et une terrasse de 4000 m2. Le tout engloutirait 19 parcelles, pour commencer.

Pour commencer. On parle aussi d’une gare, d’hôtels, de logements et de bureaux.Chacun sent bien que le Grand Paris, les JO de 2024, la marche à l’abîme sont tout un. Dans le monde des Excellences, y compris Hidalgo, qui aura tant fait pour les Jeux Olympiques, il n’y a pas de place pour un jardin ouvrier de pauvre. Si vous êtes dans le coin, allez-les voir, et bougez-vous le cul (jardinsaubervilliers.fr). On sait jamais.

(1) lemonde.fr/blog/correcteurs/2021/03/07/aux-vertus-dauber/

Un canard laqué, la taxe et l’addition

Faut ce qu’il faut : ce sera un article chiant. Le 12 novembre 2014, le journal Le Monde publie un article dont le titre est : « Accord décisif sur le climat entre la Chine et les Etats-Unis ». Le sens du mot décisif, pour les oublieux que nous sommes tous, c’est que cela doit régler un débat, résoudre un problème. Ainsi donc, cette désinformation majeure annonce qu’on vient de venir à bout de la plus grande question humaine, celle du dérèglement climatique.

Depuis, le gaz carbonique a continué sa marche en avant triomphale, et voici qu’on apprend une autre nouvelle fantastique, qui se trouve être le prolongement du supposé accord de 2014. Dans un article fiable – la Chine n’est-elle pas la plus grande nation totalitaire de la planète ? – le Quotidien du peuple chinois publie un article annonçant l’ouverture d’un immense marché du carbone (1).

Qu’est-ce qu’un marché du carbone ? Dans cet exemple, il s’agit d’une décision politique, qui consiste à définir un niveau maximum d’émissions de gaz à effet de serre, et à diviser ce tout en quotas à ne pas dépasser, entreprise par entreprise. À la fin d’une année, on fait les comptes et les vertueux – qui sont sous la jauge – vendent aux pécheurs – qui sont au-dessus – ce qui a été « économisé ». Au prix d’un marché fluctuant entre l’offre de carbone et la demande. Ces gens, parmi lesquels de nombreux économistes, jugent que donner un prix au carbone est le meilleur moyen, sinon le seul, de limiter sa présence dans l’atmosphère.

Avant de revenir sur le fond des choses, quelques infos. Ce n’est pas en soi un argument, mais ce beau système a conduit à des fraudes portant sur des milliards d’euros en Europe. La plus grande des escroqueries jamais réussie en France. Mais plus sérieusement peut-être, est-il bien raisonnable de confier l’avenir du monde au système même qui l’a mené au bord du gouffre ?

Ne parlons même pas des facéties chinoises, habituelles dans un pays où tous les chiffres sont politiques. On apprenait ainsi en novembre 2015, un mois avant la grande farce appelée COP21, que les statistiques chinoises de production de charbon étaient bidonnées. Pour la seule année 2012, il fallait ajouter la bagatelle de 600 millions de tonnes. Chaque année, la Chine envoyait dans les cieux 1 milliard de tonnes d’un gaz carbonique qui n’avait été enregistré nulle part. Mais oublions ces détails encombrants.

En quoi consiste concrètement ce marché du carbone chinois, célébré par les marchands transnationaux d’un bout à l’autre de la planète ? On parle de 4 milliards de tonnes de gaz à effet de serre encadrés par ce système. De milliers d’entreprises concernées, avant dix ou cent fois plus.

La réalité à peine cachée est burlesque. Comme le rapporte Valéry Laramée de Tannenberg dans un papier très détaillé (2), cette annonce « devrait éviter aux produits exportés vers l’Europe d’être frappés par le futur mécanisme d’ajustement [carbone] aux frontières européennes », que la Chine tient pour une lourde entrave possible à ses exportations.

Est-ce donc du flan ? En partie, sans l’ombre d’un doute, car il s’agit d’abord d’un plan commercial servant la politique expansionniste de la Chine. Mais même si le marché du carbone se mettait à fonctionner d’une manière radieuse – on en est très loin -, il ne réglerait évidemment rien. Dans le meilleur des cas, il permettrait de réduire la quantité de carbone rejetée dans l’atmosphère par unité de production.

Entre 2005 et 2019, pour fabriquer 10 000 yuans de marchandises, les Chinois sont passés de 3,2 tonnes de C02 émises à 1,6. Une division par deux. Mais dans le même temps, par la grâce d’une croissance qui « tire » la nôtre et nous inonde de colifichets, les émissions globales de CO2 de la Chine sont passées de 6 à 11 milliards de tonnes. Autrement dit, il faudrait les baisser très vite d’au moins 80%, mais on les double.

Tout le monde est complice de ce jeu de bonneteau, à commencer par Macron et le système mondialisé qu’il défendra jusqu’à la fin. Et nous sommes des petits cons.

(1) http://french.peopledaily.com.cn/n3/2021/0107/c96851-9807021.html

(2) journaldelenvironnement.net/article/la-chine-ouvre-le-plus-grand-marche-du-carbone-du-monde,113048

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L’eau de Javel, cet excellent cancérogène

Qui ne connaît l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes ? Cette AFPA délivre, comme son nom le laisse deviner, des diplômes professionnels dits « qualifiants ». Cela couvre un peu tout, du tourisme au bâtiment, passant par la cuisine, la direction d’une PME, la ferronnerie, etc. C’est du lourd : 145 000 stagiaires en 2018 et 8200 salariés.

Or v’là-t’y pas que ces gens déconnent salement, au moins sur ce point précis que je vais détailler. Précisons d’abord qu’un Massive open online course est un MOOC, c’est-à-dire un cours, en l’occurrence une formation, dispensé sur le net. Par ces temps légers de pandémie, cela semble utile, et l’AFPA fait les choses en grand.

Dans son MOOC consacré à la cuisine, je lis dans le chapitre consacré au « traitement des légumes » (1) ceci : « Tous les légumes doivent être impérativement et soigneusement lavés. Les légumes souillés et insuffisamment lavés peuvent contenir des œufs de vers parasitaires embryonnés ou leurs larves, (ascaris, oxyures, larves de mouches, grande douve du foie, etc.). Des traces de produits chimiques utilisés en culture, (pesticides, fongicides, engrais, etc.) ».

Premier commentaire inutilement vachard : l’AFPA ne sait pas qu’un fongicide est un pesticide. Les distinguer signifie qu’on ne sait pas grand-chose dans le domaine, ce qui n’est pas encore grave. La suite l’est, car il est écrit : « Il est possible d’améliorer considérablement la qualité microbiologique des légumes en ajoutant à l’eau de lavage de l’eau de javel à 1/1000 ».

Les auteurs de ce texte, sans s’en douter, se livrent à une désinformation de première. Le chlore contenu dans la Javel est en effet un très grand poison chimique, qui peut créer jusqu’à 600 sous-produits appelés SPC dès lors que ses molécules rencontrent le moindre fragment lilliputien de matière organique. Or, de cette dernière, il en est évidemment beaucoup sur des légumes sortis de terre. Parmi les SPC, une mention sur les très redoutables trihalométhanes et acides haloacétiques, cancérogènes. En salade ou dans la carotte râpée, c’est excellent.

  1. Désolé, c’est très long : mooc.afpa.fr/assets/courseware/v1/7589b10bc3c9e88312d013afe1212265/asset-v1:afpa+Les101techniquesdebase+MOOCCUISINEAFPA+type@asset+block/400415_-_Le_traitement_des_legumes-V2.pdf

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Journal de l’Environnement, de profundis

Je regarde en ce moment le Journal de l’Environnement (JDLE) en ligne (journaldelenvironnement.net), avec une pointe d’incrédulité. Dans quelques jours, ce sera fini, ce qui ne fera pas même une ride à la surface de cette machine infernale qu’est le net. Né en 2004, et d’abord gratuit, il était devenu payant en 2010 et balayait d’un geste vif tout le terrain : l’air, les déchets, l’eau, le droit, le climat, la biodiversité, la mer, l’énergie, les sols, etc.

Je connais son rédacteur-en-chef, Valéry Laramée de Tannenberg, qui n’est pas un ami, mais une connaissance que j’apprécie. Et Romain Loury qui, depuis Montpellier, déniche quantité d’histoires, d’études et de faits éclairants. Avec Stéphanie Senet, ils form(ai)ent une belle équipe, certes éloignée souvent de ma manière de considérer la crise écologique, mais efficace sans l’ombre d’un doute. Le malheur de ce trio, c’est d’avoir été la propriété d’un groupe surpuissant de la presse professionnelle, Infopro Digital, qui possède des dizaines de médias spécialisés – L’usine Nouvelle et Le Moniteur sont dans la besace – et emploie 3300 salariés. Les trois du JDLE représentent donc un millième des effectifs globaux. Un millième, une misère.

Le patron, Christophe Czajka ne sait rien. Son but, avec sa petite bande de diplômés de Sciences Po, de l’ESSEC, de la London Business School, de HEC, c’est de grossir, et il y parvient. De devenir toujours plus puissant dans un monde d’aveugles, et il y réussit chaque année un peu plus. Pauvre garçon.