Archives mensuelles : septembre 2010

Mais qui est donc responsable du crime ?

Quand je pense que je ne connaissais pas l’association toulousaine Solidarité (ici) ! Je vous laisse vous rendre compte par vous-même. C’est l’ami Christian Berdot qui a mis sous mon nez le texte ci-dessous signé Jacques Berthelot. Si je le publie, c’est parce qu’il complète et enrichit mon article précédent. À tous ceux, souvent de bonne foi, qui ne comprennent pas les liens que je fais sans cesse avec les formes de combat retenues dans notre Occident gavé – la réforme des retraites, oui – et le désastre que notre mode de vie entraîne fatalement, je conseille de lire ce qui suit.

Un point avant de laisser la parole à Jacques Berthelot. J’ai publié en septembre 2007 le livre La faim, la bagnole, le blé et nous (une dénonciation des biocarburants). Dans ce monde plein de nouvelles vides, empli de cerveaux creux, j’ai pu écrire des choses que je crois toujours importantes. Mais le livre a fait un flop, et malgré mes efforts après sa publication – j’ai à peu près tout essayé pour secouer les associations écologistes officielles, tout occupées à leur splendide Grenelle de l’Environnement -,  aucune mobilisation n’a eu lieu.

Or les tenants de l’agriculture industrielle, chez nous, sont au centre de l’opération criminelle qui consiste à importer à bas prix des plantes alimentaires pour les changer en carburant. J’ai parlé au détour d’un chapitre d’un groupe français dont il va être question, Tereos. Au printemps 2007, Bernard Chaud est entré à la direction de cette structure agro-industrielle qui emploie 14 000 personnes. Pour y développer le secteur si profitable des biocarburants. Chaud était avant cela en charge du même dossier à la Direction générale des politiques économiques et internationales (DGPEI) du ministère de l’Agriculture. C’est bien. C’est moral. Et nous sommes coresponsables du crime, nous tous qui ne faisons rien d’autre que voter, et manifester de République à Nation, ou partout ailleurs.

Faim au Mozambique et dividendes aux coope?rateurs de Tereos (par Jacques Berthelot)

Pour la 2e?me journe?e conse?cutive des e?meutes de la faim ont lieu au Mozambique suite a? la hausse de 30% du prix du pain. Ceci n’est qu’un pre?lude a? ce qui risque d’arriver a? un niveau bien plus conside?rable si se concre?tisent les projets de 4,5 millions d’ha d’agrocarburants dans ce pays, y compris dans le cadre d’accords triangulaires Bre?sil Mozambique-UE. Une version actualise?e du commerce triangulaire France-Indochine-Se?ne?gal ou? le Se?ne?gal devait sacrifier sa production de ce?re?ales pour exporter un maximum d’arachides transforme?es en huile dans la « me?tropole » et consommer a? la place les brisures de riz, de?chets dont ne voulaient pas les Franc?ais mais qui ont enracine? le « tie?boudie?ne » comme base de l’alimentation se?ne?galaise. Cet accord triangulaire permettra au Bre?sil de contourner les droits de douane dont sont frappe?es ses exportations d’e?thanol dans l’UE, alors que les produits du Mozambique, en tant que PMA (pays moins avance?) entrent gratuitement.

Parmi les locations a? long terme, mentionnons les 98 000 ha loue?s pour 50 ans, renouvelables, au Mozambique avec 15000 ha d’extension possibles,  par la sucrerie Sena dont le groupe coope?ratif franc?ais Tereos et sa filiale bre?silienne Guarani posse?dent 75% du capital et qui a produit 37 700 t de sucre en 2009-10 sur 15 000 ha avec l’objectif d’en exporter beaucoup vers l’UE dans le cadre de sa De?cision « Tout sauf les armes » de 2001 qui autorise l’entre?e sans protection ni quota aux PMA  et est assure? d’un prix minimum de 335,2 €/tonne. Dans le rapport de Tereos international de mars 2010 on peut lire :  « Le Mozambique a produit 500 000 tonnes de sucre en 2009 et  dispose d’une capacite? totale de production de 600 000 tonnes. La production d’e?thanol devrait  atteindre entre 800 millions et 1,6 milliard de litres d’ici 2020. Fortes re?serves foncie?res. Depuis 2009, le Mozambique exporte en Europe ses produits sans droits de douane » (ici).

Et dans un autre rapport plus long de juin 2010 Tereos souligne deux autres avantages du  Mozambique : « la terre qui appartient au gouvernement ; un environnement le?gislatif favorable ». Pre?cise?ment le contrat passe? avec le gouvernement du Mozambique, qui vaut jusqu’en 2023 et sera renouvelable par pe?riode de 5 ans, pre?voit une re?duction de 80% de l’impo?t sur le revenu et l’exemption de toute taxe sur la distribution des dividendes.

Tereos International a ainsi re?alise? un profit net de 194 millions d’€ en 2010, et des dividendes verse?s a? Tereos France de 27,5 millions d’€, de quoi mettre du beurre dans les e?pinards des 12 000 « coope?rateurs » franc?ais de Tereos, soit 2293 € potentiels par « coope?rateur ». Or le Mozambique, ou? 70% de la population vit au dessous du seuil de pauvrete?, connait un de?ficit alimentaire croissant, dont 90% est lie? aux importations de ce?re?ales.

Arrêtons nos simagrées (retraite générale en Afrique)

Je n’entends pas donner la moindre leçon. Cela n’aurait pas de sens. D’abord, je ne me juge pas meilleur. Et d’un. Ensuite, mes éventuelles critiques ne seraient pas entendues. Enfin, les sociétés n’avancent pas à la morale. Elles avancent, quand elles avancent, à la manière qui leur convient. Insolite, le plus souvent. Non, ce que je vais vous dire n’est pas une leçon. C’est un cri. Je ne peux pas le retenir. Il s’impose, et Dieu fasse qu’il obtienne ne fût-ce qu’une seconde de silence.

Les manifestations pour la retraite ? Mais merde ! Mais merde ! N’y aura-il personne pour nous faire redescendre sur terre, down to earth ?  Au moment des innombrables défilés, l’association Amis de la terre publiait un document admirable de netteté. Un document sur la politique criminelle des États européens – la France n’y figure-elle pas ? – au sujet des biocarburants. J’ai consacré à cette saloperie planétaire un pamphlet, qui n’aura pas eu le moindre effet. Car autant vous le dire, je me fous des livres qui ne servent pas la cause qu’ils défendent. Oui, j’ai écrit des choses vraies, certaines, terrifiantes dans La faim, la bagnole, le blé et nous. Mais, oui, ce fut exactement aussi efficace que pisser dans un violon. Je ne cesse de pisser dans les violons, et j’en ai marre.

Dans son étude implacable  (ici, et c’est en français), les Amis de la terre montrent que la politique européenne – 10 % d’énergie « renouvelable », essentiellement des biocarburants, dans les moteurs d’ici 2020 – a d’ores et déjà des conséquences insupportables. Environ 4,5 millions d’hectares de terres agricoles sont sur le point de changer de mains en Afrique pour satisfaire les besoins des lobbies de la bagnole en Europe. Et les nôtres, donc. Je n’ai pas le goût de rire. Je n’ai pas le goût de prendre la moindre distance par rapport à ces nouvelles simplement tragiques. J’ai envie de dire aux si nombreux manifestants d’hier, défilant contre la réforme de la retraite, qu’ils enterraient une nouvelle fois l’idée même de la gauche, à laquelle ils semblent pourtant attachés.

Car la gauche, c’est l’universel. Pas la défense du pré carré. Pas la défense de privilèges monstrueusement indus. Pas le repli sur des valeurs honteusement hexagonales. Je vous le dis comme je le pense : j’ai en moi le rejet radical, total, définitif de cette manière de défendre l’intérêt de quelques-uns. La hiérarchie des malheurs devrait commander. Elle n’est pas même invoquée. Fuck off !

Retour de manif sur la retraite (ouille)

Bon. Les gars et les filles, je reviens à peine de la manifestation parisienne contre la réforme des retraites. Il y avait un monde fou. Juste après le cortège anarchiste de la CNT – très fourni -, qui avait réussi à se placer devant après je ne sais quelles frictions avec la CGT, les cadres de la CGC, tous en blanc, étonnamment nombreux. J’étais au milieu du faubourg Saint-Antoine, dans ce Paris fabuleux des révolutions, et je regardais passer les petits chefs de jadis, aussi rigolard qu’incrédule. Je précise à l’attention des jouvenceaux que, pour le briscard que je suis, voir défiler la Confédération générale des cadres (CGC) est une expérience rare. Je crois devoir avouer que j’ai toujours détesté la CGC. Et les cadres, d’ailleurs. Mille excuses.

Et à part cela ? Bien entendu, j’étais chez moi, d’une certaine manière. Mais avec cette certitude qui ne me quitte plus, depuis de longues années, que je ne ferai plus jamais partie de la famille. Qu’aurais-je pu crier, dites-moi, et avec qui ? Les manifestants n’avaient pas la moindre pensée pour ceux qui ne participent pas à nos immondes agapes autour de milliers d’objets inutiles. Pas un mot pour les humains qui ne mangent pas. Pas un mot pour ces humains que l’on affame pour faire des biocarburants destinés à nos bagnoles à nous. À nous. Pas un mot pour toutes ces formes vivantes, animales ou végétales, que notre rapacité mène droit à la tombe. Vous me direz que ce n’était pas le moment ? Ce n’est jamais le moment. Ce ne le sera jamais. Vous me direz que c’est la faute des transnationales ? Et qui nourrit ces monstres ? Le pape de Rome ?

J’ai longtemps été d’une gauche extrémiste, et je ne renie rien de ces années de jeunesse où je rêvais éveillé d’une vie splendide, sans chefs ni patrons, sans domestiques ni décorations. Mais je suis délibérément sorti du cadre, et personne ne parviendra à m’y faire entrer de nouveau. Au printemps 2003, alors que commençait la bagarre contre la réforme des retraites de ce bon monsieur Fillon, j’ai écrit une chronique dans l’hebdomadaire Politis, où je rédigeais chaque semaine une page consacrée à l’écologie. Je n’étais plus d’accord depuis très longtemps avec Denis Sieffert et Bernard Langlois, mais ils me consentaient un espace tranquille, où je pouvais taper sur le même clou un nombre incalculable de fois, sans jamais réveiller personne.

Et puis cette fatale chronique, qui a conduit à mon départ, après une engueulade homérique, que j’ai provoquée, et que j’assume encore, plus de sept ans plus tard. Mais voici le texte du scandale. Où est le scandale ?

Retraite ou déroute ? (chronique parue dans le numéro 750 de Politis) Cela, la gauche ? Où est passée l'idée éternelle de l'égalité entre les hommes ? Pardonnez, mais quelque chose se sera perdu en route. L'actuelle mobilisation autour des retraites donne davantage envie de fuir que défiler de Bastille à Nation. Mais où ? Cette planète est définitivement sans visa. Ainsi donc, il faudrait « sauver les retraites ». Premier constat : cette question permet, comme rarement, de réfléchir à l'horizon 2030. Ce qui pourrait et devrait être une aubaine pour qui pense encore à l'humanité devient en un clin d'oeil l'occasion d'un festival de criailleries corporatistes. Ici le monsieur qui veut continuer à partir à 50 ans à la retraite - pardi, il conduit des trains, c'est la mine, c'est Germinal ! -; là des enseignants qui hurlent parce qu'on touche à un statut qui fait d'eux, quoi qu'on dise, des privilégiés. Et ne parlons pas de ces bataillons de cadres de tout rang qui veulent pouvoir consommer jusqu'à plus soif, jusqu'à l'extrême bord de la tombe, qui du voyage à Bornéo, qui de la grosse bagnole, qui de la résidence secondaire ou tertiaire. Nous sommes - grosso modo 500 millions d'habitants du Nord - les classes moyennes du monde réel. Nous consommons infiniment trop, et précipitons la crise écologique, jusqu'à la rendre peut-être - probablement - incontrôlable. Tandis que quatre à cinq milliards de ceux du Sud tiennent vaille que vaille avec deux ou trois euros par jour - et quelquefois bien moins -, nous vivons de plus en plus vieux, et ne travaillons pour de vrai qu'à partir de vingt-trois ou vingt-cinq ans. La conclusion s'impose : ne touchons surtout à rien ! Chacun sait qu'il reste beaucoup à faire pour les vieux de ce pays : mais pas ça, mais pas comme ça. Le rôle d'un syndicat est-il de caresser son électorat dans le sens du poil, comme savent si bien faire tous les politiciens de gauche et de droite ? N'est-il pas davantage de former l'esprit public aux drames qui pointent, dont certains, comme le dérèglement climatique, sont à l'évidence sans précédent ? Il faut croire que non. Le syndicalisme, fût-il d'extrême-gauche ou prétendument tel, est devenu réactionnaire. Où trouve-t-on la moindre critique de la prolifération d'objets inutiles et de l'hyperconsommation chère à tant de retraités ? Où sont les combats intellectuels et moraux contre le règne de la marchandise, et contre cette aliénation de masse qui repousse toujours plus loin les frontières de la pauvreté ? L'avenir, le seul avenir discernable est à la sobriété, à la réduction de notre emprise matérielle sur les ressources de notre minuscule Gaïa. On cherche des alliés. Désespérément.

Un bouchon de camions, jusqu’à la fin des temps (in)humains

Il y a les discours, les innombrables discoureurs. Je ne parle pas, exceptionnellement, des habituels salauds qui défendent ce monde et seront enterrés avec lui. Non. Je songe à tous ceux qui, de plus ou moins bonne foi, défendent le mythe du « développement durable ». C’est-à-dire, pour simplifier, tous ces Bisounours du funeste Grenelle de l’Environnement. Tous ceux qui prient pour que tout change, pourvu que rien ne bouge réellement. La nouvelle qui suit est dédiée aux naïfs, aux gogos, mais aussi aux duplices, aux Janus, à tous ceux qui entraînent des milliers d’autres dans l’ambivalence, et finalement l’impuissance.

Cette nouvelle, la voici. Pour la deuxième fois en quelques semaines, l’autoroute qui va de la Mongolie Intérieure, province chinoise, à Pékin, est stoppée par un bouchon automobile d’environ 120 kilomètres de long. Stoppée. Il faudra sans doute des jours et des jours pour que les engins puissent tous repartir. il faut dire qu’environ 10 000 camions ont entremêlé leurs roues, créant un vaste chaos (lire ici). D’après ce que j’ai pu lire, on peut parler d’une ville toute provisoire, mais bien pourvue en services de toutes sortes, y compris sexuels. Ajoutons que la plupart de ces camions sont chargés de charbon, ce moteur essentiel de l’hyper-croissance chinoise, laquelle a atteint près de 12 % au premier trimestre 2010 (par rapport au même trimestre de 2009).

Tant pis si je radote : notre niveau de gaspillage de biens matériels repose en bonne part sur ces objets made in China à bas prix, qu’il s’agisse de colifichets ou d’ordinateurs,  qui sont au reste, eux aussi, des colifichets. Le lien entre cet encombrement d’anthologie dans le nord de la Chine et notre comportement est donc certain, indiscutable, direct. Faut-il ajouter que la combustion du charbon joue un rôle majeur dans le dérèglement climatique en cours, qui menace de dislocation les sociétés humaines, toutes les sociétés humaines ?

Le « développement durable » n’est pas seulement un oxymore, c’est-à-dire une contradiction dans les termes. Pas seulement un pot de peinture verte que les transnationales s’arrachent pour pouvoir continuer leurs affaires. Il est le signe majeur de l’époque. L’immense mensonge de qui n’a pas l’intention de s’attaquer aux sources du désastre en cours. Et cette source n’est que trop claire. C’est celle de la marchandise industrielle. En attendant, vous pouvez regarder en cliquant ici six photos de l’embouteillage précédent sur la même autoroute, qui date du mois dernier. Incroyable ? En effet.

Vautours d’ici, d’ailleurs et d’autre part

C’est une pièce, il me semble qu’elle contient cinq actes, mais vérifions ensemble. Le premier se passe durant l’été. Dans mon vallon à moi, comme j’ai déjà pu l’écrire (ici), les vautours fauves et parfois moines viennent manger ce qui est mort. Ils évitent ainsi, non seulement, la propagation de germes pathogènes – leur système digestif élimine TOUT -, mais épargnent aussi aux éleveurs, quand ils nettoient les carcasses d’animaux domestiques, des frais élevés d’équarrissage. En bref, les vautours sont des auxiliaires bénévoles des activités humaines. On leur doit, et ce ne saurait être l’inverse.

Pourtant, dans mon vallon et alentour, l’été aura vu resurgir comme en août 14 des cris de guerre et des promesses de vengeance. La presse locale, des gorges de la Jonte jusqu’aux Pyrénées, bruissait chaque semaine d’apocalyptiques nouvelles. À lire ces pauvres journalistes en mal d’articles, ces sinistres crapules d’oiseaux fous avaient décidé de « passer à l’attaque ». Et de dévorer non plus des cadavres, comme depuis que le vautour est un vautour, mais des animaux vivants, de pauvres nouveau-nés, des vaches et brebis en excellente santé (ici). J’ai pu constater les effets de cette propagande. Soit dit en passant, elle n’a aucun besoin de se forcer pour faire naître et surtout renaître les fantasmes. Les rapaces nocturnes cloués sur la porte des granges ne sont jamais bien loin. N’empêche : des paysans du Tarn et de Lozère m’ont parlé sérieusement de possibles attaques contre des gosses. On imagine un vautour fauve – fauve – s’emparer d’un bambin de trois ou quatre ans, avant d’aller le déposer au nid pour nourrir la marmaille. Que claquent les dents !

Acte deuxième : Chantal Jouanno dans ses œuvres. La sous-ministre à l’Écologie, de passage à Toulouse le 26 juillet, pour une tournée électorale sarkozyste, lâche quelques sottises sur l’ours, avant de s’attaquer au vautour. Je la cite, je l’ai déjà fait ici, mais je récidive, car cela en vaut la peine : « Cette espèce [le vautour] inquiète les éleveurs. Non seulement, les vautours sont en bon état de conservation, mais la modification de la réglementation sur l’équarrissage les a incités à passer la frontière. J’ai demandé au parc national des Pyrénées non seulement de suivre ces oiseaux, mais aussi d’expérimenter l’indemnisation des dégâts et des tirs d’effarouchement. Ces oiseaux nécessitent une gestion transfrontalière et peuvent faire l’objet d’un tourisme de vision mais ils ne doivent pas mettre en péril le pastoralisme dont la montagne pyrénéenne a tant besoin ».

Je ne sais si vous serez allés au bout de cette loufoquerie. Les vautours osent passer la frontière, et l’on va voir ce que l’on va voir. Rappelons aux oublieux que le vautour fauve est passé tout près de l’extinction chez nous. À cause des cons, je ne vois pas d’autre mot à portée de clavier. Sauvé in extremis, il va un peu mieux. Mais comme il s’agit de glaner des voix dans la perspective des présidentielles de 2012, notre sous-ministre entend lancer des tirs d’effarouchement. En cette année 2010, année de la biodiversité. Avant des tirs d’anéantissement ? Pourquoi non ?

Acte troisième : un violent ennemi de la nature, que je refuse obstinément de citer par son nom (lire ici), fait circuler sur le net un texte d’une belle subtilité, qui commence par un constat accablant : « En trois semaines, ce ne sont pas moins de 9 brebis qui ont e?te? tue?es par les vautours dont 4
depuis dimanche »
. En face d’un tel massacre, une seule voie, et c’est celle de l’autodéfense, bien sûr. « Mais les vautours, malgre? leur surnombre dans les Pyre?ne?es (la proble?matique est sur toute la chai?ne et non pas seulement dans les Hautes-Pyre?ne?es ou les Pyre?ne?es-Atlantiques),  sont des rapaces prote?ge?s. Pas question de tirer dessus. “On ne dira plus rien puisque c?a ne sert a? rien et on fera le me?nage”, nous dit un e?leveur. Voila? une phrase que nous avons de?ja? entendue pour l’ours. Et c’est efficace en Arie?ge et ailleurs semble-t-il ».

Que l’on trucide, que l’on fusille, que l’on massacre encore un peu. Et les Pyrénées – mais le Vercors, mais les Causses et Cévennes – seront enfin pacifiées. On n’y verra plus que des chasseurs à 4X4, bedaines et talkies-walkies, des chiens bien élevés, des brebis apaisées, des bergers gérant le troupeau depuis le village. Ô ce bonheur qu’ils nous préparent.

Acte quatrième, mon ami Philippe de Grissac m’appelle de Nantes. Ce type a de l’humour. En tout cas, il me fait rire. Au téléphone, il me parle d’un texte écrit par Jean-François Terrasse. Son frère et lui sont ceux qui ont, plus qu’aucuns autres, défendu et sauvé les vautours en France. Jean-François, que je connais un tout petit peu, est pharmacien de formation, mais il aura consacré l’essentiel de sa vie, avec son frère Michel, au sort des rapaces. Créateur du Fonds d’intervention pour les rapaces, le mythique FIR, photographe, réalisateur de films, il est sans conteste l’un des meilleurs connaisseurs en France des vautours. Philippe détaille le texte écrit par Terrasse, et me demande un coup de main pour le faire circuler auprès des journalistes, que je suis censé connaître. Je fais ce que je peux, et Inch Allah.

Acte cinquième, je finis tout de même par lire la mise au point de Jean-François Terrasse. Elle vaut la peine, je vous prie de me croire (pour les sceptiques, ici). Que dit-il, lui qui a tout lu sur ces animaux, lui qui sait de quoi il parle ? Voici un extrait pour ceux qui n’iraient pas à l’original : « Et dès les années 2003-2004, l’équarrissage généralisé privait les vautours de ressources et créait une famine totale dans ces grandes colonies de vautours du versant sud des Pyrénées situées en Aragon et en Navarre. On a pu voir alors au piémont des Pyrénées françaises des réunions de vautours affamés s’approchant des fermes pour se repaître d’animaux morts, ce qui était devenu totalement inhabituel. On peut comprendre que des éleveurs français se soient inquiétés, surtout en présence de vautours dévorant un veau mort né ou la mère en difficulté de vêlage non assistée et déjà condamnée. Très vite, la rumeur colportée par les médias a fait état d’attaques délibérées sur des animaux sains, affirmant que les vautours avaient changé de comportement et étaient devenus des prédateurs !

Aucune expertise sérieuse n’est venue confirmer cette attestation gratuite, même si les constats des vétérinaires les disculpent globalement. Dans le pire des cas, des vautours affamés ont aggravé des situations où un animal en difficulté et sans assistance était déjà condamné. Aussitôt, à partir de quelques cas isolés, la polémique a fait du vautour fauve le bouc émissaire à la fois des difficultés de l’élevage et des frustrations des opposants d’une politique de conservation de la biodiversité incluant pêle-mêle, l’ours, le loup, la chasse du grand tétras et le Parc National des Pyrénées. Des faux témoignages grossiers diffusés sur la toile continuent d’alimenter et d’aggraver cette polémique stérile.

En réalité, dans les Pyrénées françaises où l’élevage est important, la petite population de vautours fauves (525 couples en 2007) est bien intégrée au pastoralisme. Tout le monde peut y observer des dizaines de vautours survolant les alpages où abondent brebis (621 000), vaches (157 000), chevaux (12 000), chèvres (14 000) pour 5 300 exploitations pastorales (1) sans aucun problème. Les vautours éliminent sans frais pour l’éleveur et la collectivité des milliers de cadavres, économisant ainsi une énorme quantité de CO2 généré par l’équarrissage (transport, incinération) d’ailleurs souvent impraticable dans des montagnes peu accessibles. Ces oiseaux, véritables alliés sanitaires, sont donc parfaitement intégrés dans une politique de développement durable ».

On pourra se référer à un autre texte du biologiste Jean-Pierre Choisy, que j’ai brièvement croisé dans le Vercors (ici). Une courte citation : « Les vautours ont perdu les armes des rapaces prédateurs : les serres. Le bec crochu, impressionnant, n’est pas une arme pour tuer, mais un outil pour dépecer…». On aimerait trouver une chute épatante, éclairante, rassérénante peut-être. Mais cette pièce, qui triomphe sur les planches des sociétés humaines depuis des milliers, des dizaines de milliers d’années sans doute, et peut-être davantage, est une tragédie. Elle explique, mieux qu’aucune autre, pourquoi, en cette année 2010, décrétée de la biodiversité par les bureaucrates et les pouvoirs qu’ils servent, on peut menacer impunément des oiseaux aussi beaux, aussi merveilleux que les vautours, à peine quarante ans après qu’ils ont failli disparaître de France, ce territoire qui est autant le leur que celui de cette pitoyable madame Jouanno et de son maître adoré.