Archives mensuelles : avril 2011

Jean-Louis Borloo roi bouffon (sur les gaz de schistes)

Soudainement, je dois le reconnaître, les mots me manquent. Soit un type copain de trente ans avec Bernard Tapie et Michel Coencas (pour en savoir plus – il n’y a pas de petit profit -, voyez Qui a tué l’écologie ?). Jean-Louis Borloo a réussi, grâce au WWF, à Greenpeace, à la fondation Nicolas Hulot et à France Nature Environnement (FNE), une captation d’héritage. Lui qui n’a rien à voir avec l’écologie est devenu, par la grâce du Grenelle de l’Environnement, un écolo. J’utilise ce mot car je le déteste. Le mot. Borloo m’est simplement insupportable, sauf quand il me fait rire à pleurer. Et c’est le cas.

En avril 2010, lors qu’il était au sommet, quand il était ministre de l’Écologie – et de l’Énergie -, il a signé de son auguste mimine des autorisations d’exploration des gaz de schistes en France, provoquant la plus belle mobilisation vue depuis longtemps – hors toute véritable organisation – dans les profondeurs de notre peuple. On dira ce qu’on veut de Borloo, et Dieu sait que je ne me prive pas, mais c’est un authentique politicien. La carrière avant tout. Impossible de traîner cette lourde casserole au moment où il fourbit avec son cher Sarkozy des plans dont on nous dira sous peu des nouvelles. Il fallait bien sortir de ce piège infernal. Et Borloo, comme il a le culot sans limites d’un Tapie, a trouvé.

Vous trouverez quoi plus bas, sous la forme d’une dépêche de l’AFP. Je vous recommande de conserver ce document, car c’en est un de première importance. Parmi bien d’autres signaux, souvent plus retentissants il est vrai, cette nouvelle montre que la démocratie d’antan est morte. Et qu’il faut donc recommencer. Cela arrive. Cela s’appelle l’Histoire.

Gaz de schiste: interdire l’exploitation
AFP

04/04/2011 | Mise à jour : 17:48

L’ancien ministre de l’Ecologie Jean-Louis Borloo a annoncé lundi avoir déposé une proposition de loi à l’Assemblée nationale pour « donner à l’Etat les moyens d’interdire la recherche et l’exploitation immédiates » des gaz et huiles de schiste.

M. Borloo était ministre de l’Ecologie et de l’Energie quand ont été accordés, en 2010, trois permis d’exploration pour le gaz de schiste qui suscitent une forte mobilisation dans le sud de la France.?? »Le droit ne donne toujours pas à l’Etat et au public les moyens de s’informer et de s’opposer efficacement à des projets susceptibles de s’avérer dangereux », indique le communiqué de M. Borloo, désormais député (app. UMP) du Nord après le remaniement ministériel en novembre.

« S’il existe des lois spécifiques pour l’eau ou l’air, tel n’est pas le cas pour nos sols et sous-sols. C’est ainsi qu’en 2010, et d’ailleurs jusqu’à ce jour, l’Etat ne peut que difficilement s’opposer à des demandes de permis de recherche, et in fine d’exploitation », affirme ce texte. ??M. Borloo précise avoir déposé « une proposition de loi tendant à donner à l’Etat les moyens de mieux protéger nos sols et sous-sols et d’interdire la recherche et l’exploitation immédiates d’hydrocarbures non conventionnels ».

La semaine dernière, le groupe PS et le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, Christian Jacob, avaient déjà déposé des propositions de loi dans le même sens.

Un historiette à propos des compteurs (à eau, à gaz)

Comment marche le système industriel. J’ai une petite maison quelque part. Avec de l’eau au robinet qui provient du vallon au-dessous. Une simple pompe la fait remonter au-dessus du hameau et remplit un réservoir enterré qui, par gravitation, abreuve les habitants du lieu, dont moi. C’est parfait, sauf que non. Nous pourrions, nous devrions nous passer de tout intermédiaire, et boire l’eau que la vie nous apporte gratuitement sans nous demander notre identité (et notre numéro de compte bancaire).

Mais une compagnie privée est passée par là. A bâti un minuscule bâtiment. Installé des compteurs individuels. Et l’eau est devenue imbuvable, pour moi en tout cas, car elle est surchargée en chlore. Mais surchargée ! Pourquoi ? À cause de consignes nationales liées au plan Vigipirate. Je le jure. L’homme qui vient ajouter du chlore dans notre eau à nous, et que l’on paie pour cela, a expliqué qu’il était contraint de doubler – ou tripler ? –  la dose de chlore. Au cas où Al-Qaida viendrait s’attaquer, avec sa fourberie coutumière, à ce vallon perdu. Et ce n’est pas tout.

La compagnie privée que je payais jusqu’ici pour mettre des surdoses de chlore dans mon eau a disparu sans prévenir. Elle était de taille régionale. Un beau jour récent, j’ai reçu des factures signées Veolia. C’était le grand saut dans le monde des transnationales.Veolia avait racheté. Un peu plus tard, j’ai reçu une lettre m’informant que mon compteur, qui marchait excellemment bien, venait d’être changé sans que cela me coûte un centime d’euro. Comme il est sur la rue du hameau, l’opération s’était faite en mon absence. Mais, me précisait la lettre, tout cela était gratuit. Gratuit, donc mystérieux.

Je crois désormais disposer de l’explication. Car là où j’habite en ville, un employé d’une société sous-traitante de GDF vient de passer me voir. Un lettre, que j’avais totalement oubliée, m’avait en effet prévenu de sa visite. Et que voulait-il ? Changer mon compteur à gaz. Gratuitement. Et pourquoi ? Parce que les compteurs doivent être changés tous les vingt ans. Et pourquoi ? Ah, bé, ben, l’employé était embarrassé. Comme je lui arrachais les mots de la bouche, il m’a finalement raconté la vérité. Et la vérité est que, peu à peu, les compteurs tournent moins vite. Beaucoup ? Je pense : un tout petit peu. Ce qui veut dire que le profit baisse, inéluctablement. Et ce qui vaut pour le gaz doit valoir, de même, pour l’eau.

On jette donc des compteurs en parfait état, faits de matières premières hautement précieuses, on en installe de nouveaux, qui utilisent à nouveau des matériaux plus ou moins rares. Et gonflent alors les stock-options. Et grimpent avec les bénéfices et les dividendes. Pour ma part, j’ai refusé tout net le changement de mon compteur à gaz, et continuerai de refuser tant que la police d’État ne sera pas venue, accompagnée par le Raid et le GIGN. Je vous en avais prévenu, c’est une historiette.

PS ignoble : Veolia est partenaire de France Nature Environnement (FNE), ce que je dénonce, entre autres, dans Qui a tué l’écologie ?

Une simple vérité sur le nucléaire (les aveux de M.Lacoste)

Le journal Le Monde daté 31 mars 2011 contient en sa page 6 un entretien avec André-Claude Lacoste, patron de la sécurité nucléaire en France. L’univers de l’atome est chez nous celui de l’opacité et du mensonge. Comme au Japon, soit dit en passant. Je ne crois pas que Lacoste, bien que faisant évidemment partie du cadre, soit un homme foncièrement malhonnête. J’ai donc prêté une attention spéciale à ses propos. Et ne me suis pas arrêté à son aveu – déjà ancien, mais tout de même ! – que nul ne peut garantir notre pays contre un accident grave. Le texte ci-dessous est, entre les lignes, l’esquisse d’une critique radicale du système, que jamais Lacoste n’assumera publiquement. Il n’empêche, c’est un document. Nous sommes menacés directement par des fous, ivres de leur puissance pour la raison que nous leur avons confié les clés de l’enfer. Lisez Lacoste, relisez Lacoste, songez en même temps au drame biblique que connaît le Japon. Vous tremblez ? Moi aussi.

André-Claude Lacoste, président de l’Autorité française de sûreté nucléaire (ASN)

« On ne peut garantir qu’il n’y aura jamais d’accident grave en France »

Quel regard portez-vous sur la crise nucléaire à Fukushima ?

André-Claude Lacoste : Le Japon vit un drame absolu, effroyable. Le séisme et le tsunami ont fait au moins 25 000 morts, sans compter les sans-abri. L’accident nucléaire n’est qu’un élément de cette tragédie. Concernant l’état de la centrale, deux éléments sont positifs : les Japonais ont remplacé l’eau de mer par de l’eau douce pour refroidir les cuves des réacteurs et maintenir le niveau d’eau dans les piscines de combustibles usés ; et nous avons moins d’inquiétudes sur l’état de ces piscines. Pour autant, nous sommes toujours face à une crise majeure. L’issue dépend de deux facteurs : le rétablissement d’un refroidissement permanent des installations par de l’eau douce et la disponibilité d’une source froide. Il faudra un nombre considérable de semaines ou de mois, d’autant qu’il y a maintenant des fuites permanentes de radioactivité, sans qu’on sache très bien d’où elles émanent.

» Les conditions d’intervention sont extrêmement difficiles. Il ne s’agit pas d' »opérations suicide »: on n’envoie pas les travailleurs à la mort. Mais leur temps d’intervention est très limité: on parle d’une vingtaine de minutes, ce qui est très court.

Qu’en est-il de la contamination de la région de Fukushima ?

Sur le site, la radioactivité est très intense. Alentour, il faut attendre de disposer de chiffres pour se prononcer. Tout dépend des concentrations que l’on trouvera, notamment en iode et en césium radioactifs. J’ai le sentiment que la zone d’évacuation de la population [dans un rayon de 20 km] et celle de mise à l’abri [10 km supplémentaires] représentaient des périmètres raisonnables. Mais il est clair qu’il existe une dispersion de radioactivité au-delà des 30km en « taches de léopard ». La gestion de ces territoires contaminés va durer des années, sinon des décennies.

Quelle assistance la France peut-elle apporter ?

Areva a des compétences sur les réacteurs à eau bouillante, héritées de Siemens. Le Commissariat à l’énergie atomique a des capacités de recherche. Ces entreprises peuvent fournir des esprits neufs, moins englués dans la gestion quotidienne de cette crise effroyable.
En ce qui concerne l’ASN, nous menons depuis 2005 une réflexion sur les situations post-accidentelles, avec un comité directeur (Codirpa) qui associe une centaine de personnes. On n’a, Dieu merci, pas d’expérience pratique, mais des idées sur la façon de gérer le moins mal possible. Notre offre d’assistance intellectuelle sera confirmée à l’occasion du déplacement du président de la République et de la ministre de l’écologie, jeudi 31 mars à Tokyo.

» Concernant ce Codirpa, certaines associations regrettent que les scénarios étudiés ne soient pas assez graves… Il a toujours été dans notre intention de couvrir une gamme de scénarios allant du plus probable au plus extrême. Il me paraît évident qu’on va intégrer, typiquement, ce qui se passe au Japon.

Un accident nucléaire majeur peut-il survenir en France ?

Je l’ai toujours dit : personne ne peut garantir qu’il n’y aura jamais un accident grave en France. Il convient de faire deux choses: essayer de réduire la probabilité que cela arrive, ainsi que les conséquences, si cela arrive. C’est toute la philosophie de la sûreté nucléaire. Quand survient une crise comme au Japon, il faut en tirer un retour d’expérience. Deux initiatives politiques vont en ce sens, portées par la Commission européenne, avec des stress tests, et par le premier ministre, François Fillon, qui nous a demandé un audit des centrales françaises. Celui-ci portera sur l’aléa sismique, l’inondation, la perte d’alimentation électrique, la perte de source de refroidissement, la gestion de crise et le cumul de ces difficultés.

» Nous sommes en train de bâtir ce programme. Je veillerai à sa cohérence avec les tests de résistance demandés par la Commission européenne. Avec mes homologues d’Europe de l’Ouest, nous avons publié une première proposition sur le contenu de ces tests. Pour nous, c’est une vérification des marges de sûreté. Prenons l’aléa sismique: on a vérifié que l’installation y répondait, voyons comment elle réagirait à un aléa plus fort. Existe-t-il un risque que ces « stress tests » répondent au plus petit dénominateur commun entre les autorités de sûreté ? Je ne crois pas. Pour chacun des chefs d’autorité nucléaire, ce qui se passe au Japon est un vrai choc. Nous prenons très au sérieux les conditions d’analyse.

En 2003, en France, il y a eu conflit entre EDF et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur cet aléa. Les antinucléaires vous accusent d’avoir tranché en faveur de l’électricien…

On va tout revisiter. En matière sismique, il y a des chapelles de spécialistes qui se battent avec furie. En l’occurrence, en 2003, j’ai tranché de façon que l’on arrive à une évaluation raisonnable du risque. Je n’ai strictement aucun regret. L’ASN a pour mission de trancher des débats techniques ou scientifiques.

Nicolas Sarkozy a dit que si un réacteur ne passait pas les tests, il n’hésiterait pas à le fermer. Quels sont ceux qui vous paraissent les plus faibles ?

Nous n’avons pas commencé ce travail. Si on trouvait matière à fermer, on le ferait. Mais en désigner à l’avance voudrait dire que nous n’avons pas fait notre travail par le passé. La déclaration du commissaire européen Günther Ottinger affirmant que certaines centrales ne vont pas passer le test me paraît de nature à décrédibiliser le système d’évaluation.

Avez-vous les moyens de conduire rapidement ces analyses ?

L’audit national et les stress tests porteront sur les cinq thèmes cités, à partir de données disponibles. S’il faut poursuivre les études, nous le ferons, mais il est légitime que nous rendions compte à la fin de l’année au Parlement. Il va falloir augmenter nos moyens pour éviter de baisser la garde sur nos contrôles habituels. On ne peut pas faire appel aux compétences étrangères, mobilisées sur leur propre terrain. Peut-on rappeler des retraités? Nous en sommes au tout début de la réflexion.

Vous attendiez-vous à ce qui s’est passé au Japon ?

Non, parce que la crise japonaise résulte d’un cumul d’agressions extérieures – un tremblement de terre, puis un tsunami – qui a surpris l’exploitant et nos homologues. En France, avec des phénomènes d’un ordre de grandeur très différent, nous n’avons pas étudié, par exemple, le cumul d’un tremblement de terre et d’une inondation. Il y a à l’évidence des problèmes nouveaux à se poser.

Comme la rupture de barrages…

Tout à fait. Mais ces questions dépassent, et de beaucoup, le seul domaine du nucléaire. Il faut avoir l’esprit totalement ouvert.

Propos recueillis par Pierre Le Hir et Hervé Morin