Anecdote sur Marion Bougeard et Cahuzac (donc Stéphane Fouks)

À l’été 2010, j’ai pris conscience de ce qui se préparait autour des gaz de schistes. J’y ai été aidé par la chance, et j’ai écrit le premier papier qui annonçait la grande bagarre (Charlie Hebdo du 6 octobre 2010). J’avais alerté dès avant cela José Bové, et même si je n’oserai prétendre que tout est venu de là, le fait est que je me suis retrouvé en toute première ligne quand commençaient les tirs de barrage. Ici même, sur Planète sans visa, j’ai écrit une flopée d’articles, y compris quand personne ne se préoccupait encore du sujet. Je vous renvoie à la lecture de ceux qui parlent de Julien Balkany (ici, ici, ici, ici, ici,  et là).

La suite est très plaisante, si toutefois on se bouche le nez avant de rire. Évidemment, il convient de vous resituer la personne de Julien Balkany. Il est le demi-frère de Patrick Balkany, grand ami de Nicolas Sarkozy. Lequel Patrick, malgré ses ennuis avec la justice, est redevenu maire de Levallois-Perret après avoir été patron de radio sur l’île antillaise de Saint-Martin, où il s’était réfugié. Je n’invente rien. Julien, bien plus jeune, a monté des affaires autour du pétrole au Texas, où il a connu des déboires et de viles attaques sur sa manière de concevoir le business.

Au moment où je m’intéressai à lui, en décembre 2010, il était vice-président de la société Toreador, et sur le point de réussir un deal extravagant en s’appuyant sur une grande société américaine, farcie d’anciens pontes de l’administration (W) Bush, Hess. Hess était apparemment tentée d’investir 200 millions de dollars dans des projets d’extraction de pétrole de schiste en Île de France, où l’on disait que dormaient dans le sol 70 années de production pétrolière d’un pays comme le Koweit. Je vous passe les détails, qui figurent dans les articles précités. Un mot encore pour le contexte : deux grands milliardaires, Albert Frère et Paul Desmarais, étaient visiblement intéressés par les perspectives françaises. Deux hommes décorés des mains de Sarkozy de la plus haute distinction française, la grand-croix de la Légion d’honneur, qui compte moins de 65 personnes en vie. Singularité supplémentaire : cette décoration ne peut pas être donnée à plus de deux étrangers chaque année. Or Desmarais est Canadien, Frère est Belge.

Ayant écrit de la sorte sur Planète sans visa, j’ai fatalement attiré l’attention de ces excellentes personnes, qui paient des professionnels pour surveiller ce qu’on dit d’eux. Et quand j’ai appelé plusieurs fois la société Toreador pour demander à rencontrer Julien Balkany, je n’ai d’abord eu droit qu’au silence. Soyons franc, cela n’a pas duré. Le 28 février 2011, j’ai reçu le mail suivant :

Le 28 févr. 11 à 18:00, bougeard.+++@+++.com a écrit :

> Bonjour
> Comme dit dans mon message, il serait mieux de se rencontrer autour
> d’un cafe.
> Julien vous propose demain a 18h, mercredi a 8h30 ou 17h ou 18h ou
> jeudi matin entre 8h30 et 11h30.
> Confirmez moi quel creneau vous convient.
> Marion Bougeard

Son contenu signifie que j’avais eu un premier échange avec madame Bougeard, que je n’ai pas conservé. Mais qui était Marion Bougeard ? Je l’ignorais totalement. Je pensais qu’elle était la secrétaire de Balkany, en quoi j’avais tort. À tout prendre, l’inverse aurait été plus vrai. En tout cas, le 1er mars, à 18 heures, je me trouvais au café de la Paix, à Paris, où le rendez-vous avait été fixé. Si je me souviens bien, nous ne sommes pas restés café de la Paix, pour une raison de place, et sommes allés dans un bistrot calme du quartier de l’Opéra. Oh, un détail : Balkany était accompagné. Par Marion Bougeard, qui n’était pas sa secrétaire.

Quand ai-je su qu’elle était salariée d’Euro RSCG ? Je ne sais plus. Probablement ce soir-là. Je me rappelle deux choses saisissantes, ou plutôt trois. Un, j’ai demandé confirmation auprès de Balkany d’un voyage express en Falcon – un coûteux avion privé – entre Paris et Brazzaville, pour fêter l’anniversaire du fils du chef bien-aimé du Congo, Denis Sassou-Nguesso. Denis, c’est le père, au centre aujourd’hui d’une enquête sur les biens mal acquis, c’est-à-dire payés par le vol des ressources naturelles du pays. Denis, c’est le père, et Denis Christel le fils, qui tient le pétrole, et donc les milliards de dollars. Je rappelle en un coup de vent sinistre qu’une guerre civile a fait là-bas en 1997 peut-être 40 000 morts, peut-être plus sur une population de moins de 4,5 millions d’habitants. Cela ferait 650 000 morts chez nous. Et le pétrole, ainsi que notre compagnie nationale Elf étaient au centre des affrontements entre « Zoulous » et « Ninjas ».

Un donc, j’obtins la confirmation des belles relations entre Denis Christel et Julien Balkany. Je ne serais pas venu pour rien. Mais, deux, j’appris ce soir-là jusqu’à quel point l’on peut être ventriloque. Car ce n’était pas Julien Balkany qui parlait, avec des phrases pratiquement apprises par cœur, sans oublier une gestuelle parfaitement rodée. Non, c’était Marion Bougeard, qui coachait son jeune poulain en feignant d’être une nunuche. Le numéro, sans doute testé bien d’autres fois, était vraiment au point. Trois enfin, je compris physiquement ce que je savais intellectuellement : cette affaire de pétrole dans le Bassin parisien était incroyablement sérieuse. On m’envoyait une manipulatrice, mais d’autres, ailleurs, dans des circonstances moins « démocratiques », auraient certainement employé d’autres moyens. Je m’en tirais bien.

J’ai repensé quelquefois à Marion Bougeard, surtout depuis les débuts de l’affaire Cahuzac. Car cette experte était jusqu’à ces dernières semaines la conseillère en communication du ministre déchu. Tout en étant l’une des plus haut responsables de cette agence de pub appelée Euro RSCG, devenue l’été passé Havas Worldwide. Je ne suis pas sûr de devoir insister. Ou si ? La pub est-elle autre chose que l’industrie du mensonge ? Bougeard, après avoir conseillé Liliane Bettencourt – mais oui, je vous assure -, formatait en vue de grands horizons Julien Balkany avant de servir la cause de Cahuzac. Ne pas y voir la parabole de notre monde malade serait une faute contre l’esprit.

Oh ! pourquoi au fait avoir évoqué la noble figure de Stéphane Fouks dans le titre de cet article ? Parce que Fouks est lui aussi l’un des patrons de Euro RSCG. Si vous avez lu mon papier précédent, vous savez le rôle qu’il a joué dans le courant rocardien du PS. Et ses liens d’amitié puissants avec le ministre de l’Intérieur Manuel Valls et l’ancien conseiller sarkozyste Alain Bauer. Oh ! ne pas oublier que Fouks et sa petite bande étaient les grands conseillers permanents de DSK jusqu’au moment de sa chute finale. Preuve qu’on ne gagne pas à tous les coups ? En effet. Mais c’est la loi du genre pour ceux qui misent à tous les coups et sur tant de chevaux à la fois.

21 réflexions sur « Anecdote sur Marion Bougeard et Cahuzac (donc Stéphane Fouks) »

  1. Un lien tres tenu avec le sujet (excusez-moi!):

    La destruction et le vol systematiques du patrimoine culturel, sans valeur militaire, temoignent de l’inscription des guerres contemporaines dans l’ideologie du « choc des civilisations ». L’utilisation planifiee de la torture, les attaques systematiques contre les premiers secours (collateral murder, drones au Pakistan), qui la encore n’ont pas d’efficacite militaire, poursuivent le meme objectif.

    Les nouveaux barbares, qui reclament « des avions pour Alep » et n’ont que les mots « sunnites », « chiites », « kurdes », « juifs » et « chretiens » a la bouche, obscurcissent le fait que les vraies decisions sont prises ailleurs, et selon des criteres tout differents.

    Le lien avec ce que nous pouvons faire, en France ou dans les autres regions (pour le moment) en paix?

    Continuer a defendre la culture coute que coute, c’est defendre l’honneur de l’esprit humain (Jean Dieudonne), il faut re-conquerir la defense des valeurs sans pour autant devenir fondamentalistes, sans rejoindre les rangs des bataillons que D.R. Dufour appelle les « pervers puritains »!

    http://www.voltairenet.org/article178103.html

  2. La « communication », ou la police de la pensée.
    Déjà, ce mot est un mensonge. « Communication » signifie qu’il y a un flux d’information dans les deux sens, dialogue, influence mutuelle; ce dont on parle devrait plutôt s’appeler « propagande » (ou (dés)information) puisque le flux est à sens unique.

    Quelle structure officielle privée ou publique n’a pas son service de communication qui travaille en première ligne dans la guerre économique généralisée ? Alors, qui observe bien verra les mêmes techniques à l’œuvre partout : des images de jeunes gens beaux, souriants à pleine dents, sexys, en tenue impeccable correspondant au message (en uniforme de bureau pour les documents des Nentreprises). Sinon ce sont des vieux très fringants, pour s’adapter à d’autres cibles.
    À cela s’ajoute une révision du vocabulaire pour n’utiliser que des termes politiquement corrects ou orientés.
    C’est normal, ce sont les mêmes qui font de la « communication » et de la publicité.

    C’est complètement schizophrène : la Sainte Économie avance par la destruction et ne présente que des visions de joie.
    Pour être subversif, on peut s’amuser à détourner ce déversement.

  3. juste pour saluer votre remarquable travail, votre érudition et votre formidable constance dans la dénonciation du monde perverti dans lequel nous essayons d’évoluer proprement ( je fais partie de la communauté de ceux qui vous lisent et vous approuvent en silence); je vous remercie pour votre vigilence et votre pugnacité ; merci de continuer à nous alerter; mille fois merci de votre saine indignation

  4. Personnellement, j’ai imaginé la scène du café, la rencontre. Quelles tronches ? Lorsque l’on a suffisamment de lucidité, d’aplomb et de volonté de savoir pour regarder les loustics, en dévoiler et partager la vérité (probable) qui en ressort…
    Super Fabrice Nicolino !
    Et si jamais mes propos ont quelque intérêt ici, la capacité de « jongler » entre les positions psychologiques s’y retrouve, mais cohérente et accomplie !
    Oui au transgenre paisible qui libère et réconcilie ?
    Ouaop, je me fais peur !

  5. J’ai vu dernièrement une émission télé ou les invités « experts » en communication politique, expliquaient très doctement que l’affaire Cahuzac était avant tout due à une mauvaise gestion de la communication par l’Élisée. Cela m’a fait beaucoup rire.
    Sinon, et à moins que vous ne me citiez d’autres sources, je ne crois pas que la guerre civile en RP du Congo ait fait 40000 victimes, le chiffre est plus proche de 4000 ce qui n’est déjà pas si mal.
    Quant à la position de Elf à cette époque, il faudrait vérifier, mais j’ai bien l’impression que vous ne prêtez qu’aux riches, une autre société française (devenue depuis britannique) était bien plus impliquée dans ce conflit.

  6. Fly,

    Je me suis trop appuyé sur des sources d’opposants congolais, par exemple : http://juliette.abandokwe.over-blog.com/article-congo-brazza-40-000-morts-et-une-guerre-civile-oubliee-depuis-11-ans-41490652.html. Je m’en excuse.

    Mais le site wiki anglais parle lui d’au moins 13 929 morts, et un article de RFI note : « Ce conflit qui a duré cinq mois a brisé, directement ou indirectement, la vie de plusieurs centaines de milliers de Congolais ». On est donc bien loin des 4000 morts que vous évoquez.

    Bien à vous,

    Fabrice Nicolino

  7. Si notre espèce gloutonne en chair animale se détournait peu à peu de sa consommation immodérée de viande, qui plus est de la viande issue des élevages industriels, si les gradins des cirques où se pratique encore la barbarie du dressage des animaux, restaient vides, si les parcs marins faisaient faillite faute de spectateurs, si les gens n´abandonnaient pas en masse des animaux de compagnie devenus « encombrants » au moment des vacances, si, si, si …, oui, si le genre humain se prenait moins pour le centre du monde et gagnait en humanité, il porterait un coup fatal au système inique et cruel dans lequel nous vivons, un système qui condamne le monde animal (et végétal) à la souffrance et à la mort, et qui se défend comme un beau diable contre toute tentative de révolte.
    Aux Etats-Unis, et pas seulement là, on accuse de terrorisme des actes politiques de résistance. La désobéissance civile est criminalisée. Le FBI désigne les militants écologistes, les défenseurs des animaux, comme la seconde menace pour la sécurité intérieure du pays après Al-Quaida. En fait, il ne s´agit pas de la sécurité intérieure mais de celle des lobbies industriels qui craignent pour leurs profits. La loi protègeant toujours les puissants, elle entre en action lorsqu´ils se sentent menacés.

  8. « Aux Etats-Unis, et pas seulement là, on accuse de terrorisme des actes politiques de résistance. La désobéissance civile est criminalisée. Le FBI désigne les militants écologistes, les défenseurs des animaux, comme la seconde menace pour la sécurité intérieure du pays après Al-Quaida. En fait, il ne s´agit pas de la sécurité intérieure mais de celle des lobbies industriels qui craignent pour leurs profits. La loi protègeant toujours les puissants, elle entre en action lorsqu´ils se sentent menacés. »

    S’ils se sentent menacés, alors peut-être que c’est une menace, en effet ? Et ça veut dire peut-être qu’il faut continuer de creuser par là ?

    C’est ainsi que je le prends. Il suffit parfois de retourner une mauvaise nouvelle pour en avoir une bonne.
    Parfois.

  9. « On m’envoyait une manipulatrice, mais d’autres, ailleurs, dans des circonstances moins « démocratiques », auraient certainement employé d’autres moyens. Je m’en tirais bien. »

    Sous d’autres cieux « moins démocratiques », un de tes courageux confrères vient de perdre la vie à vouloir défendre l’intégrité d’une forêt dont tu nous as toi-même beaucoup parlé ces derniers mois : celle de Khimki.

    Mikhail Beketov, journaliste russe, est décédé le 8 avril à 55 ans pour avoir simplement dénoncé les magouilles entourant l’aberrant projet d’autoroute entre Saint Petersbourg et Moscou.

    http://www.bastamag.net/article3038.html

  10. Bonjour,

    Merci Fabrice,

    Mes scuses. Je ne peux aller sur vos liens cités dans l’article. Cela me fait un !. ?

    « Tricarde à l’Élysée et à Matignon, l’agence Euro RSCG, qui s’était investie corps et âme dans la communication de Dominique Strauss-Kahn, se refait une influence dans les ministères. Au Budget, la conseillère en communication de Jérôme Cahuzac n’est autre que Marion Bougeard, ancienne directrice associée de l’agence. Marion Bougeard conseillait déjà Liliane Bettencourt au moment de l’affaire qui coûta sa place au ministre du budget sarkozyste, Éric Woerth… »

    Quel sac de nœuds! L’on pourrait savoir comment vous faites pour ne pas vous emmêler les pinceaux, vous toutes et tous?

    Hors sujet. C’est samedi. Un lien « cochon ». 🙂

    http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/04/12/une-filiere-illegale-d-antibiotiques-pour-animaux-demantelee_3158736_3244.html

    Belle fin de semaine a toutes et tous,

  11. Bonsoir,

    Je viens de jeter un oeil au « canard enchaîné » : dans un entrefilet de la dernière page, on apprend que M. Stéphane Fouks est aussi responsable de la communication… du successeur désigné de Chavez ! Un certain Nicolas Maduro.

  12. Ensemble Barrons la route à l’uranium

    L’uranium, ce minerai qui sert de combustible aux centrales, est la clé de voûte du système nucléaire. Chaque année, nous commémorons le Chernobyl Day, le triste « anniversaire » de l’accident de Tchernobyl. Pour faire le lien entre les accidents passés et à venir et les catastrophes permanentes que génère l’industrie nucléaire, nous appelons cette année pour le Chernobyl Day à barrer la route à l’uranium.

    Lire l’appel à action

    Pourquoi barrer la route à l’uranium pour le Chernobyl-Day ?

    Vous aussi, barrez la route à l’uranium !
    Retrouvez sur notre site des idées d’actions pour dévoiler la route de l’uranium, la route de tous les dangers

    Inscrivez votre action à l’agenda, nous la publierons

    Du Niger à la France, du Tricastin à La Hague, de Tchernobyl à Fukushima, le nucléaire et son uranium sont omniprésents et nous sommes tous d’ores et déjà affectés par les pollutions qu’ils génèrent.

    Alors, ensemble, refusons que cette industrie empoisonne nos vies ! Barrons la route à l’uranium, bloquons la chaîne du combustible nucléaire et ouvrons la voie aux alternatives !

    Contacts :
    Jocelyn Peyret :
    07 60 15 01 23
    jocelyn.peyret@sortirdunucleaire.fr
    Laura Hameaux :
    06 85 23 05 11
    laura.hameaux@sortirdunucleaire.fr

  13. l’illustre Marion Bougeard, dans son audition par la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Cahuzac, a répété à de nombreuses reprises, comme un tic, ‘très sincèrement’. Elle a parfaitement joué son rôle de nunuche. Pas brillant !

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