Bienvenue au café du Commerce. Je vous balance tout en vrac ou presque, comme cela m’est venu en tête. Je vous en préviens, il y a forcément du déchet. D’abord Carlos Ghosn, patron de Renault et de Nissan. Invité de France-Inter le mardi 28 mai à 8h20 (ici), il annonce en direct que l’usine Renault de Flins devrait produire à terme 82 000 Nissan Micra par an. Patrick Cohen, le journaliste d’Inter, semble prendre la chose comme une excellente nouvelle.
Et tout le reste de même. L’industrie automobile est cyclique, dit Ghosn, elle va mal, il faut compter avec trois ou quatre années médiocres, mais raisonnablement, tout finira par s’arranger, et la croissance repartira. Il doit y avoir près d’1 milliard et 100 millions de bagnoles individuelles dans le monde, et elles ont d’ores et déjà détruit les villes, où vit plus de la moitié de la population de la planète. D’innombrables mégapoles – Lagos, Mexico, Mumbai, Shanghai – ont été rendues inhabitables par cette arme de désarticulation massive, mais Ghosn ne rêve que d’une chose : aller vers les 2 milliards de véhicules individuels. Ne parlons pas de la crise climatique, dont le très éventuel contrôle passe nécessairement par la mort de l’automobile pour chacun. Le patron Ghosn – qui l’ignore ? – est comme l’oracle, la Pythie de ce monde aux abois. Sombre prophétie.
Jacques Attali et les 44 ans de boulot
Le 30 mai, exactement au même endroit, Jacques Attali (ici). Si je voulais être désagréable, je dirais que, sans la rencontre avec Mitterrand au début des années 70 du siècle passé, Attali serait demeuré professeur. Connu, éventuellement apprécié de ses seuls élèves. L’irruption, un rien frauduleuse, sur le terrain politique, lui aura permis de faire une superbe carrière médiatique, dispersant dans les yeux de spectateurs ébahis quantité d’idées absurdement tenues pour originales. Si je voulais : je le veux. Je déteste Attali et son univers, et ses strass, je ne saurais le nier. Dans l’entretien du 30 mai, il démontre une énième fois qu’il est incapable de comprendre ce monde, et pour la raison première qu’il veut y figurer sur le devant de la scène « intellectuelle ». Or s’il est une certitude, c’est bien celle-ci : qui espère décrire les impasses de notre formation sociale-historique, et qu’il y réussisse ou non, ne peut espérer que des coups de bâton de la société officielle. Comme Attali entend passer à la télévision chaque matin, il lui faut fournir des versions supportables de la situation en cours. Et comme cela tombe bien, il n’écrit jamais rien qui fâche vraiment. À sa manière « nouvelle », il aura permis à des générations de cuistres de disposer ses livres dans le salon, de sorte qu’ils peuvent montrer au visiteur combien ils sont intelligents.
Et cet entretien du 30 mai, alors ? Je me souviens d’une chose, et c’est qu’il réclame doctement, au nom du « principe de réalité », l’allongement à 44 ans des cotisations ouvrant le droit à la retraite. Quel « principe de réalité » ? D’après lui, l’espérance de vie augmente, en particulier l’espérance de vie en bonne santé. Ce type est tellement plongé dans son idéologie du « progrès » – en sortir reviendrait à un pur et simple suicide public – qu’il dit réellement n’importe quoi. En vérité, et depuis environ 2006, « l’espérance de vie sans incapacité » a commencé de diminuer en France. De 2008 à 2010, elle serait passée de 62,7 ans à 61,9 ans pour les hommes et de 64,6 ans à 63,5 ans pour les femmes. Autrement exprimé, Attali suggère que l’on bosse, éclopés, jusqu’à ce qu’Alzheimer dissolve tout dans l’azur. C’est bien. Faut-il dire qu’Attali est l’un des grands prêtres, vaguement futuriste, de la société en place ? Je ne le crois pas.
Il me vient d’ajouter un mot sur le Jacques. Tout concentré sur la meilleure manière d’occuper l’espace, Attali finit, au milieu des bruits qu’il émet, par dire des choses vraies. Sur son blog de L’Express, le 5 mai dernier (ici), il évoque de manière apocalyptique les conséquences de l’accident nucléaire de Fukushima, écrivant entre autres : « D’une part, les structures de confinement sont en train de casser; d’autre part, selon plusieurs experts, les signes se multiplient d’un prochain tremblement de terre en mer, au large de Nagoya-Osaka ou dans la région de Fukushima (…) Dans ce cas, le système de refroidissement se briserait; les murs de confinement casseraient ; les 280.000 tonnes d’eau contaminées se déverseraient dans le sol et dans la mer ; l’unité 4 serait détruite et ses barres irradiées ne seraient plus protégées. Les conséquences seraient immenses; pour le Japon tout entier; et au-delà. Il faudrait en particulier évacuer les 30 millions d’habitants de la région de Tokyo ». Et Attali de logiquement conclure : « Comme les Japonais semblent minimiser tous ces problèmes, qui ne sont pas à la portée des technologies japonaises, une mobilisation générale de la planète est nécessaire; si on ne veut pas que les conséquences soient terrifiantes pour l’humanité ».
Delphine Batho et les 700 millions d’euros
Si l’on décide courageusement de prendre Attali au sérieux, ça craint plutôt, non ? Notons que Jacques Attali était conseiller proche de Mitterrand quand celui-ci, promettait, avant 1981, un référendum sur le nucléaire, avant de l’enfouir dans la poussière sitôt élu. Notons qu’Attali a écrit en 1994 Économie de l’Apocalypse (Fayard), que j’ai lu en son temps, bien que n’ayant déjà plus aucune illusion sur le monsieur. Essayant à l’instant de le retrouver dans ma bibliothèque, j’y renonce faute de temps. Mais je me souviens fort bien de sa description d’un monde devenu fou de nucléaire militaire, et de fait incontrôlable. Citation, que je viens de trouver sur le net : « Non seulement le désordre est immense, non seulement tous les bazars de trafiquants ont ouvert grand leurs portes, mais le monde, mû par une foi aveugle en la science, se laisse entraîner vers une accumulation incontrôlable de matières et de technologies meurtrières. D’où la nécessité de repenser tous les concepts jusqu’ici confortablement manipulés par des experts rassurants ».
Aura-t-il repensé les concepts, comme il en affirmait dans cet extrait la nécessité ? Aura-t-il parlé à son maître Mitterrand de l’aide apportée par la France « socialiste » à la construction de la bombe nucléaire pakistanaise, dans les années 80 ? Je ne le crois pas. Je suis même sûr du contraire, car Attali n’est qu’un flamboyant jean-foutre, qui plaît aux politiques, du PS jusqu’à l’UMP de Sarkozy : son apparente liberté leur permet d’oublier leur médiocrité. Oui, il plaît aux politiciens. Et aux ménagères de plus de 50 ans.
Qu’on excuse mes sautillements de coq en âne : j’ai prévenu que j’ouvrirai aujourd’hui le café du Commerce, et je m’y tiens.Une qui m’a fait éructer tout seul dans ma cuisine, c’est la Delphine Batho, ministre de l’Écologie. Dépêche de l’AFP en date du 31 mai 2013, extrait 1 « En cas d’accident nucléaire, le gouvernement veut que les exploitants de centrales mettent davantage la main à la poche, en relevant le plafond de la responsabilité civile à 700 millions d’euros, a annoncé jeudi soir la ministre de l’Energie Delphine Batho ». Extrait 2 : « Selon l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), le coût médian global d’un accident nucléaire majeur « pourrait être de l’ordre de 120 à 430 milliards d’euros », a rappelé Mme Batho lors d’un débat organisé à l’Assemblée nationale sur la sûreté nucléaire ».
Rions de la ministre, ce ne sera pas bien difficile. Le plafond actuel de la responsabilité civile des exploitants du nucléaire – EDF et Areva – est de 91,5 millions d’euros. Il serait donc multiplié par sept environ, mais ne représenterait alors qu’une infime fraction de ce que coûterait, selon leurs propres experts, une catastrophe nucléaire made in France. Sauf grave erreur de jugement, cette pantalonnade me semble bien dire le vrai sur cette industrie de la mort : les bénéfices vont dans la caisse des industriels de l’atome – rappelons que la ci-devant patronne d’Areva, Anne Lauvergeon, est pour l’heure à la fois administratrice du groupe Total et présidente du conseil de surveillance du quotidien ci-devant maoïste, Libération – , et les pertes, éventuellement illimitées, sont adressées à la société.
Hannah Arendt et les crimes industriels
Tout au long de cette semaine qui se termine, j’ai relu Eichmann à Jérusalem, par Hannah Arendt. Bien que mon admiration pour cette dernière soit immense, je n’y ai pas trouvé la trace d’un grand livre. Il s’agit certes d’un bon texte, fait d’une série de reportages pour le magazine The New Yorker, mais je crois que j’attendais mieux, tant l’écho du livre revenait en moi, sans cesse, depuis une première lecture, il y a plus de trente ans. Peut-être espérais-je, avec naïveté, qu’Arendt y avait percé l’insondable mystère de la « banalité du mal », sous-titre de l’ouvrage ? Ce qui me semble acquis en tout cas, c’est qu’Eichmann, grand organisateur de la Shoah dans l’Europe nazie, n’était pas antisémite [modification du 12 février 2021, après lecture d’une partie des travaux de . S’appuyant sur des textes et propos d’Eichmann quand il est en exil en Argentine après 1950, elle démontre que Hannah Arendt, et très secondairement moi, s’est lourdement trompée. Eichmann était non seulement un nazi convaincu, mais un antisémite total. Il a joué la comédie à Jérusalem].
Ou s’il l’était, ce n’était pas sous la forme démente d’un Julius Streicher et de tant d’autres chefs nazis. Non, Eichmann était, d’une manière plus angoissante, un parfait fonctionnaire du mal, avide de conformité et de promotion, ultrasensible au jugement de ses chefs. Il obéissait. Il était soumis. Il était à ce point insignifiant que, réfugié en Argentine, et ne disposant plus du cadre étatique qui l’avait fait vice-roi de la mort, il ne savait rien faire. Il ruina tour à tour une blanchisserie et un élevage de lapins, qu’il avait créés, et dut se résoudre à devenir prolo dans une usine de bagnoles, avant de se faire enlever par les services secrets d’Israël.
Le crime. Qu’est-ce donc que le crime quand la société qui l’abrite l’accepte ou le commande même ? Le 27 mai dernier se tenait à Paris une journée d’études autour du thème « Punir les crimes industriels ». Je n’ai pu y aller, mais des gens que j’aime et que j’estime, au premier rang desquels Annie Thébaud-Mony, y intervenaient. Notamment à propos du crime de masse qu’est l’affaire de l’amiante. Je rassure ceux qui pourraient se montrer inquiets : je n’entends évidemment pas mettre sur le même plan un Eichmann et un Schmidheiny, condamné en Italie à 16 ans de prison – en première instance – pour sa responsabilité dans la mort de 3000 ouvriers empoisonnés par l’amiante de ses usines Éternit.
Il va de soi qu’on ne peut comparer, mais on peut rapprocher peut-être sur un point, psychologique : pourquoi tant d’êtres correctement éduqués, normalement informés, convenablement nourris et vêtus, éventuellement bons pères ou bonnes mères, donnent-ils leur énergie à la destruction du monde, des cultures, des paysages, des animaux, des plantes, des hommes ? Pourquoi des ingénieurs français sont-ils fiers de concevoir des turbines qui, installées sur le barrage chinois des Trois Gorges, entraînent l’expulsion d’au moins un million de paysans et l’implosion d’un écosystème stable depuis avant toute civilisation ? Pourquoi des prolos de France manifestent-ils pour sauver une usine qui fabrique des chars, des mines antipersonnel, des hélicoptères de combat ? Pourquoi le personnel de Fessenheim refuse-t-il la fermeture de cette si vieille centrale nucléaire, alors que tant d’experts, il est vrai étrangers, ont pointé ses indiscutables dangers ? Pourquoi un Attali a-t-il osé en 1989 proposer l’endiguement des fleuves du Bangladesh, au risque de sacrifier le vaste peuple de ses campagnes (ici) ? Pourquoi des syndicats soutiennent-ils la production de ce terrible cancérigène qu’est le chlorure de vinyle ? Etc, etc.
Faut-il être anarchiste ?
Qu’on ne vienne pas me souffler que c’est fatal ! Non, et non ! Arendt, dans son Eichmann, rappelle le fabuleux exemple danois. Là-bas, dans ce pays occupé par les nazis comme le fut le nôtre, les Juifs ne furent ni déportés, ni exterminés. Car la population, ses fonctionnaires, et jusqu’au roi, refusèrent de participer au crime. Il n’y eut pas au Danemark de René Bousquet, ce bon ami de Mitterrand, pour organiser une rafle du Vel’ d’Hiv. Arendt rappelle cette infernale évidence que le massacre des Juifs et des Tsiganes avait besoin de la collaboration de gens obéissants, obéissant aux ordres qu’on leur donnait, sans rage ni haine. Bousquet, cet enculé, n’était sans doute pas non plus un antisémite.
Où veux-je en venir ? Je n’entends pas transformer ce si long papier en livre, et je serai donc bref, au moins dans cette conclusion. J’ai plusieurs fois rendu hommage ici à des anarchistes, chers à mon cœur. Suis-je moi-même anarchiste ? Le certain, c’est que je ne crois pas à une société des humains organisée selon les admirables principes de l’acratie, mot grec signifiant absence de pouvoir. Mais je ressens et ressentirai jusqu’à ma mort le profond attrait d’une philosophie défiant les autorités, toutes les autorités, toute autorité, et magnifiant l’autonomie de la pensée, la liberté du choix, le refus de l’allégeance. Parmi les drames auxquels notre époque est confrontée, il faut mettre très près du premier rang la Soumission à l’autorité, mise en évidence dans les expériences de Stanley Milgram.
L’anarchie n’est peut-être pas un programme, mais elle reste un drapeau, mais elle demeure le plus beau joyau de toute pensée critique. Je vous avoue que je n’envisage pas le combat écologiste sans une perpétuelle interrogation sur la nature du commandement. Sur la manière dont sont prises les décisions et l’empressement avec lequel tant d’entre nous les appliquent et les font appliquer. Maintenir l’esprit de l’anarchie aide à mieux comprendre comment et pourquoi un pays comme la France se vautre dans le culte de héros dérisoires comme Carlos Ghosn et Jacques Attali. Enfin, je crois.
Je ne vais jamais au café du commerce, mais si j’avais à y entendre des propos de cet ordre, j’irais sans hésiter. C’est du grand Fabrice !
Je me souviens de ce film, I comme Icare et de cette expérience terrifiante évaluant l’obéissance d’un individu devant une instance qu’il juge légitime. Quand bien même l’acte s’avère contraire à leur morale, la soumission à l’autorité est la plus forte pour une grande majorité de sujets.
A partir de là, tout est possible. Tous les génocides, les écocides, les abattoirs, les industries de la mort du vivant, de la pensée… Inutile de disposer d’une population sadique. La docilité suffit. Une armée de bons professionnels exécutant les ordres et bien autres chose encore.
Et en effet, nous touchons à l’un des fondements du désastre en cours : l’esprit de servilité et d’acquiescement, l’obéissance aveugle, la dilution des responsabilités.
L’éducation n’a en rien développé l’esprit critique, l’autonomie. Elle formate juste des gens qui fonctionnent, des personnes adaptées, compétitives. C’est un échec total.
Il y a aussi, je crois, sous-jacent, le désir majoritaire de faire partie du groupe. A partir du moment où l’on est dans l’autonomie de penser, où l’on défie l’autorité, on se marginalise. Il faut alors accepter d’être seul, à la marge, de ne pas être dans l’entre-soi d’une famille professionnelle ou locale. Ça peut être insécurisant, déstabilisant.
Il y a une quinzaine d’années, cette expérience de Milgram m’a conduit à réorienter ma vie. Je me suis posé la question : à quoi je participe à travers ce que je consomme, ce que cautionne dans mon travail ? A quelle banalité du mal je collabore ? Cette question peut provoquer un véritable séisme mental.
Je continue à me questionner, parce qu’on n’en finit jamais de remettre en cause les pouvoirs et sa propre sujétion paresseuse.
Y-a-t-il un projet plus essentiel dans une vie ?
si seulement le café du commerce était du niveau de cet article, il n’y aurait plus rien à craindre de l’avenir !
J’ai lu et recommande vivement « Un si fragile vernis d’humanité, Banalité du mal, banalité du bien » de Michel Terectchenko, où il est question de m’expérience de Milgram entre autres expériences à méditer.
Merci de me rendre le monde plus intelligible et bon dimanche.
Ah ! ces Stanley ! tous à la masse et quel cinoche !
😆
J’aimerais revenir sur l’idée de non-puissance avancée récemment par Frédéric et Valérie. Je la lie involontairement à la violence (et à la non-violence), ainsi qu’au pouvoir, mis en exergue dans le présent article.
Toutes les notions phares que nous utilisons nécessiteraient une définition aujourd’hui.
Qui va préciser ce qu’il entend par les mots qu’il utilise… Quelque journaliste, quelque savant ou lettré ?
Je ne vais pas entamer le dictionnaire, d’autant que je cherche bien des définitions… Mais je vois que je ne me résouds pas si facilement à ces contraires, pourtant séduisants.
Sont-ils les balises entre lesquels notre esprit, de nature dialectique avancerait, ou simplement se mouvrait ?
Avec le jeune garçon que j’ai à mes côtés, avec les quelques livres qui m’ont aidée à vivre avec satisfaisante conciliation, enjouement et avenir avec lui, c’est sans doute le terme de puissance qui revient comme clé d’éducation (ou simplement cotoiement soucieux et protecteur de celui qui grandit doucement, venu de nos tripes)… Je mets de côté ici l’autre rôle que parents nous pouvons nous donner : celui d’apprendre, non des modes de vivre, mais de savoirs « sur » le monde.
Puissance (d’être) est donc une clé avancée par certains auteurs (mouvance Alice Miller qui est quelqu’un d’essentiel pour mon propre compte, Dumonteil-Kremer et Filliozat par exemple, en France).
Ceci implique-t-il un écrasement de l’autre ? Un exercice sur l’autre, de hiérarchie, de soumission ? Un mot annexe : exécutant, exécution. Il est de mon métier (bâtiment), parfaitement validé par la loi. Il est sûrement ailleurs (code du travail salariat) et démultiplié.
Dans mon quotiden de parent, la tâche de reprise est permanente. Je le constate chaque jour. Et les conflits sont parfois très durs, et très violents. La confrontation et la mesure physiques sont du lot.
Que l’affaire me concerne, ou d’autres, des animaux aussi…
Mon enfant est bien quand il parvient à pratiquer ce qu’il a envisagé, projeté, et ceci avec patience s’il le faut, quand une surprise touche ce qui le constitue, quand il s’ouvre à ce qui l’entoure aussi, tout simplement (mais rarement !).
Il y a certainement des êtres emprunts de sagesse, de hauteur (?). Puis-je dire qu’ils me semblent des sermonneurs ? Bien souvent.
J’ai souvent l’impression de revenir à la racine, à la base, au basique, au concret, eux-mêmes sans cesse déplacés, hasardeux.
Du fait même d’être vivante et présente, en chaque situation, je sais que je suis pertubatrice.
On m’aurait appris à aplanir les reliefs ? A me faire petite.
Plus que probable. Et j’ai essayé de regarder d’où je venais (la bretonne a adoré le livre de Morvan Lebesque, la fille et la mère a lu Miller, l’être a visité et volé les châteaux d’Annie Le Brun). Socialisation. Etatisation ? Noir et imagination constitutifs… Allons-y, allons-y. Merleau-Ponty ouvre à la forme, aux formes et aux entrelacs, aux mille et un vortex.
Je manifeste désormais un minimum ce que je suis, et sans chercher à tout prix à arrondir les angles : qui ne sera touché, en mal, à un moment.
Quelque chose se met en route en tout acte de présence, voire de simple présence physique (genre masculin, féminin ?), dont nous pouvons toujours nous sortir, non sans quelques accrocs, parfois brutaux… et volonté d’en sortir.
J’accepte ces accrocs. Je suis volontaire. Parfois au diable (quelle chance).
Je suis heureuse quand je me sens puissante. Avec l’autre. Avec le monde. Parfois, inévitablement contre eux, et tout aussi volontairement.
J’ai très peur des psychopathes qui se trouvent au « pouvoir ». Et ils en ont, si concentré. Très peur de notre nombre d’humains sur terre. La perte de variété… Le modèle de la « grandeur », quantifiable comme de qualité. Les énormités en branle. La pression dans laquelle il nous est donné de vivre, une pression qui fait que chacun ou la grande majorité doit, de plus, prouver son droit d’existence… Du gravissime, à mes yeux. Les lois et les normes inquisitrices, tout en autorité débonnaire, masquées, convergentes.
Les règles de la vie sauvage ne me paraissent pas si dures, ni si folles, déglinguées.
Et je veux bien des développements sur nos concepts phares et séduisants.
Le vide, le blanc me semblent un autre recours… de ceux que Kenneth « White » sonde avec grâce et parfois manièrisme.
L’anarchie ? Comme un ordre qui se meut et s’adapte, jamais identique à lui-même, et d’une diversité – émanant de chaque individu, de chaque association, de chaque situation, rassurante.
Pas facile de définir. « Mon » chien m’appelle, et je me soumets à son aboiement.
Florence, je ne sais pas si j’ai très bien compris ce que vous vouliez dire, mais je crois saisir, très globalement, que la notion de puissance reste à définir et n’est pas forcément condamnable en soi.
Si c’est bien ce que vous dites, vous avez raison, évidemment.
Comme vous, je crois, je passe le plus clair de mon temps de communication avec mes semblables, à tenter de définir les mots que j’utilise, à demander aux autres de définir les leurs, à souffrir de et à pester contre l’usage général qui, manipulateur ou non, consiste précisément à ne surtout pas définir ce qu’on entend, par exemple — au hasard — par « changement ».
Alors, cette puissance ?
Est-elle mauvaise en soi ? D’ailleurs puissance de qui, de quoi ? De quelle puissance parle-t-on ?
Sous la plume d’Ellul — que je n’ai pas lu, mais j’en ai causé avec Frédéric — je suppose qu’il s’agit surtout de la puissance technique et technologique occidentale, et de l’usage qui en est fait pour chosifier, soumettre, dominer, exploiter, coloniser, dépecer, bref, réduire et détruire le monde, les bêtes, nous-mêmes, et enfin, et même surtout, désormais, pour se perpétuer en tant que phénomène et en tant que puissance, et, finalement, en tant que destruction
Je continue (vous me poussez à m’interroger, et donc je m’interroge sur ce que j’ai entendu, moi, là-dedans). Pourquoi cette idée de non-puissance me séduit-elle ?
Dans le film Tous au Larzac, ce qui m’a le plus frappée fut l’intervention de Lanza del Vasto sur la non-violence. Sa lumineuse évidence. Il disait quelque chose comme : il n’y a pas de non-violence efficace s’il n’y a pas d’abord une violence, une colère à dominer et à transformer en non-violence. La force de l’action non-violente sera proportionnelle à l’énergie, de la colère de fond qu’elle a convertie.
Vous avez fait le lien vous-même, et en effet il me semble qu’on sent très bien ici que « non-puissance » n’est pas le contraire de puissance, encore moins le synonyme d’impuissance, mais une affaire de direction, de forme — j’essaie de faire attention aux images que je trouve — à donner à la puissance. Ou une affaire de capacité à en jouir tout à fait autrement. Sans qu’elle s’exerce aux dépens de quoi que ce soit.
Cette forme nouvelle peut être celle du renoncement, mais elle n’empêche aucunement d’éprouver la beauté de la puissance, de la goûter. Au contraire. Plusieurs exemples me viennent — ici je suis obligée d’être un peu personnelle, et pardonnez-moi, je tâtonne — de l’existence de cette jouissance non-destructrice. Ils me viennent d’abord dans le corps, par les souvenirs : par le sport, que j’ai beaucoup pratiqué, et où, contrairement à ce que croient et répètent beaucoup d’imbéciles,il est très rarement vrai qu’on jouisse bêtement d’écraser l’autre. On jouit de tout un tas de choses, parfois de la domination, c’est vrai, mais, et de moins en moins, avec la maîtrise, rarement de la domination de l’autre, non. On jouit d’éprouver sa propre puissance, de sentir qu’on peut la diriger, et la diriger non plus contre l’autre mais vers la forme, le geste, l’espace à créer/occuper/conquérir/construire (longtemps j’ai voulu écrire là-dessus, sans le faire — vous me fournissez peut-être un angle qui va rafraîchir la question).
Le deuxième exemple est celui des renoncements matériels dans ma vie récente, qui tous se sont rapidement traduits par un accroissement d’être et de la capacité à s’éprouver, par une sensation accrue d’exister, bref, par quelque chose qui ressemble finalement beaucoup à ce que je viens d’évoquer avec le sport.
En somme, une jouissance de la puissance, mais de la puissance retenue, transformée, et finalement approfondie, complexifiée.
Je m’arrête là, me demandant ce que vous allez faire de ce fatras, peut-être complètement à côté de la plaque.
Non, j’oublie l’essentiel : que là où je suis pessimiste, c’est que je ne vois pas DU TOUT comment réussir collectivement, à l’échelle d’une société mondialisée, ce passage à la non-puissance déjà très improbable, très miraculeux au niveau individuel.
Dans le panier de la ménagère de moins de cinquante ans *,le merveilleux texte d’Elisée Reclus sur
l’anarchie, écrit en 1894, et n’ayant,lui, prit aucune ride…
*(et qui déteste Jacques Attila)
Fabrice,
Savais-tu qu’Attali a écrit dans une revue intitulée « Objecteurs de croissance » publiée en 1972 : « Il est un mythe, savamment entretenu par les économistes libéraux, selon lequel la croissance réduit les inégalités. Cet argument permettant de reporter à “plus tard” toute revendication redistributive est une escroquerie intellectuelle sans fondement.
Concernant l’anarchie, je ne peux que conseiller une fois de plus l’excellente revue : Offensive Libertaire et Sociale.
http://offensive.samizdat.net/
Je proteste au nom des ménagères de plus de 50 ans, qui n’ont aucune raison d’être plus ringardes que le reste de la population; quelle expression sexiste!
Anne,
Point taken, comme on dit ailleurs. Touché. Cette expression est non seulement sexiste, mais elle est conne. Seulement, est-ce que je dois l’assumer seul ? Elle est l’une des catégories créées par la pub pour « mesurer » l’audience télé. Sans doute le saviez-vous, mais je tiens tout de même à le rappeler.
Fabrice Nicolino
Fabrice
Voilà que j’insiste à nouveau pour que tu parles sur planète sans visa de l’ énormité que va être Cigéo et de son « débat public » qui a démarré le 15 mai dernier!Comme si ce projet de poubelle nucléaire n’était pas assez dément,voilà ce qu’ils veulent faire juste à côté!!!
http://www.lesechos.fr/economie-politique/regions/champagne/0202771505417-syndiese-premiere-implantation-industrielle-569026.php
A bientôt?
Bonjour,
Ça magouille avec l’industrie de la clope… mais là, ils ont été pris sur le fait.
http://www.lemonde.fr/sante/article/2013/06/02/le-curieux-diner-entre-des-parlementaires-et-un-cigarettier-americain_3422562_1651302.html
Il me semble avoir lu dans l’excellent essai Les exécuteurs, de l’homme normal au meutrier de masse, de Harald Welzer (http://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2009-1-page-175.htm) une analyse plus nuancée des expériences de type Milgram.
Entres autres, les résultats différaient suivant que les « cobayes » se connaissaient ou pas, fût-ce superficiellement, et pouvaient un minimum s’identifier les uns aux autres.
On peut donc tirer ce type d’expériences de psychologie sociale dans un sens essentialiste, prétendûment neutre au plan politique (les humains sont « par nature » capables du pire – ce qui n’est pas un scoop) ou alors, ce qui paraît plus fructueux si l’on ne veut pas cautionner l’ordre dominant, construire et interpréter ces expériences pour réfléchir sur les conditions sociales et politiques ou des solidarités réelles deviennent possibles (ou impossibles).
Dans le même ordre d’idées, voir dans le chapitre 3 (intitulé « De l’apathie à l’altruisme — et inversement) de SuperFreakonomics, de Levitt et Dubner (folio actuel), leur réexamen approfondi de l’affaire Kitty Genovese, qui sert depuis les années 60 à accréditer l’idée que quand quelqu’un se fait massacrer dans la rue devant témoins, personne ne bouge.
En pratique, il s’agissait surtout à l’époque de gommer le fait que la police, prévenue, ne s’était pas déplacée (le meurtre avait eu lieu dans un second temps, dans un lieu écarté, après une première agression où les témoins avaient bel et bien réagi et où l’agresseur semblait avoir pris la fuite).
Pourtant, la version erronée s’est colportée sans vérification pendant des décennies, et continue à colorer de nombreux discours sur le thème de la « sécurité »
Bon, pardon si je me suis égarée, mais c’est bien le charme des cafés du commerce…
Florence, Valérie,
Passionnants, ces échanges sur le sens des mots, que nous négligeons de faire trop souvent, en effet.
Je ne suis pas un spécialiste de la pensée de Jacques Ellul, mais, d’après ce que j’ai compris de mes quelques lectures, la non-puissance éllulienne trouve ses racines dans la religion. Il se réfère à Jésus-Christ qui incarne la toute-puissance et qui n’en use pas. Il la détient et il décide de ne pas s’en servir, même pour sauver sa vie.
Avec le développement de la technique, l’idée de non-puissance prend une autre dimension. En sachant que, pour Ellul, le mot technique est plus large que celui de machine technologique. Il englobe aussi la division du travail, la santé, la gestion, la planification, l’appareil d’Etat, les loisirs… Bref, « la recherche du meilleur moyen dans tous les domaines ». Les considérations de justesse ou d’harmonie sont étrangères à la technique.
Nous vivons désormais dans un « système technicien » où tout est en interaction, où nul élément ne peut être isolé, où la technique elle-même est impensable et l’avenir imprévisible.
Sa vision est pessimiste : « Tout ce qui est technique, sans distinction de bien et de mal, s’utilise forcément quand on l’a en main. » L’idée de garder le bon côté et d’abandonner le mauvais est, pour lui, un leurre. La technique se fout bien de la morale, elle est devenue indépendante. Dans cette logique, ce qui peut être fait le sera.
Pour autant, il ouvre des fenêtres. Il appelle de ses vœux une prise de conscience individuelle débouchant sur des actions collectives. Loin de lui, l’idée de réformer, de contrôler la technique. Il songeait à un « socialisme révolutionnaire de la liberté », dans le sillage de Proudhon et de Bakounine, sans utopie tracée…
La puissance technique asservit ses sujets, elle peut « réduire et détruire le monde », comme l’écrit Valérie. Tout le contraire de cette puissance d’être que l’on peut ressentir dans le sport ou dans le rapprochement avec soi-même, donc.
Etre dans la non-puissance au sens d’Ellul, devient une nécessité vitale.
Mais comme Valérie, je ne vois pas quel chemin pourrait nous y conduire. Comme en plus, je ne crois pas à la pédagogie des catastrophes, comme je n’ai pas la foi chrétienne, c’est vous dire mon inquiétude.
Il faudrait plus de temps et j’en manque, décidément. Le potager m’appelle.
J’insère quand même un deuxième commentaire à la suite, sur une figure de la non-puissance et l’insoumission : Bartelby.
« I would prefer not to. »
Cette réponse de Bartelby à son patron, lui demandant d’exécuter une tâche, m’a longtemps fasciné. Cette manière d’insubordination policée et radicale, cette fermeté douce, ce conditionnel définitif, ont quelque chose de désarmant, de vertigineux et de désespéré.
On peut y voir une forme d’insoumission, pour faire le lien avec la question du moment.
Mais il est évident que la nouvelle de Melville autorise mille et une autres interprétations plus subtiles encore.
Dans l’histoire de cet employé aux écritures, j’entrevois aussi une forme de sidération face à la grande machine, au siècle de la révolution industrielle. Bartelby travaille dans un bureau sans une fenêtre donnant sur l’extérieur. Littéralement, il est emmuré. Son travail se résume à recopier des textes que d’autres ont écrit. Il évolue dans la grande comédie de la vie de bureau, un théâtre où chacun doit tenir son rôle, y croire et n’avoir d’autre obsession que d’être efficace, de fonctionner.
Peut-on survivre à une telle aliénation, en tant qu’être humain, s’entend ? Se conformer à cet embrigadement ne serait-il pas pire que mourir ? Ne serait-ce pas mourir à son humanité même ?
Y-a-t-il une voie entre l’obéissance docile et le refus poli mais subversif du héros, qui finira par être emprisonné au sens propre, après l’avoir été au sens figuré ?
Bartelby se laissera finalement mourir, sans qu’à aucun moment, les autres n’aient pu comprendre sa logique, ni avoir la moindre emprise réelle sur lui.
Et cette réponse énigmatique : « Je préfèrerais ne pas », comme si donner une raison serait prendre le risque d’entrer dans une catégorie, une grille administrative ou psychiatrique ? Comme si cette échappatoire dénuée de justification était son dernier espace de liberté ?
A moins qu’il ne sache perdue d’avance toute tentative d’explication, tant il est aux antipodes de son employeur et de ses geôliers, tant il est difficile de se comprendre quand on est si différent ?
A moins encore que son précédent travail au service des lettres au rebut ne l’ait à ce point marqué qu’à son tour, il n’ait plus de destinataires à qui confier ses mots, ses mots qui demeurent lettre morte ?
Beaucoup de questions auxquelles le chef-d’œuvre de Melville ne répond, pas bien sûr. Ce qui n’empêche pas le lecteur d’imaginer, de proposer…
Longtemps, je me suis demandé : Et si nous étions des milliers de Bartelby à dire : je n’aimerais autant pas exécuter tel ordre, me plier à telle injonction ? Si nous étions des millions ?
Merci pour toutes ces infos. Je viens de lire l’article sur le sauvetage des Juifs Danois sur Wikipedia. Ce qui me touche c’est qu’au fond tout revient a des decisions individuelles: De Niels Bohr qui refuse de prendre l’avion tant que la Suede n’acceptera pas les Juifs Danois, au Consul du Portugal a Bordeaux Aristides de Sousa Mendes qui signa 30,000 visas pour sauver autant de Juifs Francais (et le paya en passant le reste de sa vie comme prolo), aux pacifistes Irlandais qui ont sabote a coups de marteau (c’est fragile un avion!!!) plusieurs bombardiers Americains charges de bombes qui faisaientt le plein d’essence a l’aeroport de Shannon en Irlande, en Janvier 2003 – et dont le tribunal Irlandais a finalement accepte de reconnaitre que leur action a effectivement sauve des vies et empeche la destruction de biens en Irak! Et Jacques Chirac, qui presque seul reussit a convaincre une majorite de pays de refuser de participer a l’invasion de l’Irak « pire crime de l’histoire recente » selon Chomsky, (je sais le nom de Chirac va faire lever des sourcils ici mais heureusement qu’on l’avait lui comme president a ce moment-la) et Bradley Manning, torture pendant des mois et risquant la prison a vie pour avoir revele la verite de la guerre, et Carla Del Ponte, et tant d’inconnus… Sont-ils anarchistes? Mais voila de vrais etre humains, des personnes comme l’entend Machiavel, « qui honorent les titres, qui ne sont pas honores par les titres ». Ils etaient puissants, tous. Ils ont brule leur puissance, au profit de l’action.
Je rejoins Nicolas D. pour conseiller également la lecture du bouquin de Terestchenko, d’une grande limpidité dans l’écriture et d’une grande rigueur dans l’exposé des travaux de psychologie sociale – sachant que le livre porte aussi sur la « banalité du bien » avec quelques figures individuelles comme Giorgio Perlasca et André Trocmé. Les travaux de Milgram (et de bien d’autres) se déroulent à la même période où Arendt (qui le connaissait) se rend à Jérusalem puis écrit son reportage.
Quelques mots sur tout cela. Sur Milgram, il ne faut pas aller trop vite. Sinon on tombe dans ce qu’Arendt elle-même appelait les « banalités nihilistes » au sujet de la nature humaine… Le fameux passage de « I comme Icare » mélange plusieurs protocoles des expériences de Milgram. Car Milgram a en réalité réalisé près d’une vingtaine de variantes. On arrive à une soumission d’environ 63 % des « maîtres » dans le cas où l’ « élève » interrogé est dans une autre pièce ; on tombe à 40 % si l’interrogateur est à proximité de l’ « élève » ; et, en revanche, on va jusqu’à 93 % de sujets obéissants si c’est un complice qui administre les chocs au lieu du « maître » testé, etc. On voit par là le rôle crucial du contexte dans la soumission à l’autorité et le degré auquel on parvient dès lors qu’il y a un éloignement de la responsabilité et une connivence ou un conformisme de groupe autour de soi – c’est aussi ce que montre Browning dans son étude sur un bataillon de réservistes de la police allemande. Pour revenir à ce que rapporte Arendt sur le Danemark ou la Bulgarie (j’avais évoqué ce deuxième cas, moins connu, dans un précédent message), inversement, l’exemple de l’insoumission ou de la résistance civile renversent les effets de l’autorité. Voir le film récent « Promise Land » (évoqué aussi dans ce même message) ; film où l’on voit comment le zèle enjoué du « gentil » représentant des firmes d’exploitation de gaz de schiste vacille devant la résistance de la population.
À propos d’Arendt et de la déception de Fabrice, il est clair que le livre sur Eichmann ne fait que désigner, si l’on veut bien lire, de manière problématique, un défi et une énigme. Arendt a cherché à les explorer dans la postface (écrite pour une seconde édition) puis dans Les considérations morales (conférence de 1970) et La vie de l’esprit (ouvrage posthume, pensée interrompue par la mort). Il faut aussi tenir compte de ce qu’Arendt a manqué à Jérusalem et sur Eichmann en particulier (elle n’a pas suivi tout le procès – voir les mises au point de A. Wieviorka, par exemple ici : http://www.histoire.presse.fr/agenda/cinema/hannah-arendt-margarethe-von-trotta-10-02-2013-52861 ou ici : http://www.histoire.presse.fr/actualite/evenement/hannah-arendt-la-controverse-a-l-ecran-01-05-2013-54679), même si, à mon sens, on pourrait montrer que ce que les historiens contemporains ont mis à jour ne remet pas radicalement en cause l’essentiel de ce qu’elle voulait souligner par l’idée de « banalité du mal ».
Mais je crois que simplement nous avons encore à réfléchir le problème et que la manière dont notre hôte nous le propose est une piste féconde – je cite : « pourquoi tant d’êtres correctement éduqués, normalement informés, convenablement nourris et vêtus, éventuellement bons pères ou bonnes mères, donnent-ils leur énergie à la destruction du monde, des cultures, des paysages, des animaux, des plantes, des hommes ? ».
Pour Arendt, le concept de « banalité du mal » ne se voulait pas une théorie mais résultait de l’expérience social-historique du nazisme et de l’extermination des Juifs d’Europe en particulier. Il est donc nécessaire de faire preuve de prudence et de réserves quant à son usage aujourd’hui – son éclaircissement et sa discussion supposent même de se confronter aux études historiques, à Browning par exemple, mais aussi à ce que dit Friedländer sur l’ « antisémitisme rédempteur ».
Cela étant dit, Arendt et Anders, qu’il faut rapprocher sur ce point car, ce défi, ils l’ont pensé ensemble (dans les années 30, voir récemment paru La Bataille de cerises chez Rivages ; par contre, le grand livre d’Anders sur la Molussie n’est toujours par traduit en français – Fabrice, t’aurais pas une idée ou une relation pour pousser à cela par hasard ?) et conjointement (selon des parcours différents ensuite, à partir de « l’homme de masse » et du totalitarisme pour Arendt, à partir d’Hiroshima et de la question de l’obsolescence), ont voulu réfléchir aussi bien ce qui est advenu de pire dans la modernité, mais réfléchir plus fondamentalement la modernité elle-même, du moins cette composante de la modernité qui a nourri le nazisme et dont le nazisme est, avec le totalitarisme russe, qu’on le veuille ou non, une dimension, une incarnation. Alors certes nous ne sommes pas dans des sociétés totalitaires aujourd’hui ; le qualificatif d’ « oligarchies libérales » donné par Castoriadis dès les années 70 aux régimes occidentaux me paraît toujours pertinent (régimes devenus depuis toujours plus oligarchiques et de moins en moins « libéraux », au sens politique du terme, c’est-à-dire rendant encore possible l’exercice, partiel, des libertés fondamentales, héritage de cet autre dimension de la modernité qu’est le mouvement démocratique). Mais le mouvement de la démesure destructrice se poursuit. Le « monde du crime », dépeint par Chalamov, a pris aujourd’hui de nouvelles formes, mais des traits saillants de la modernité criminelle se retrouvent, notamment cette effroyable « banalité du mal ». Pensée à courte vue ou « absence de pensée » (« thoughtlessness » selon Arendt), impuissance d’imaginer ce que nous sommes capables de faire et de produire (« honte prométhéenne » selon Anders), souci étroit de la vie privée (« privatisation » dira Castoriadis) et de la réalisation zélée du « travail » à faire, déréalisation du crime à travers les clichés et un code de langage standardisé, chaîne anonyme de la bureaucratie, etc. : tels sont quelques uns des traits qui se retrouvent dans la modernité criminelle et participent aujourd’hui encore aux pires désastres. S’interroger sur ces traits c’est aussi se demander comment et pourquoi on adhère peu ou prou au maintien, à la perpétuation d’un système destructeur, comment et pourquoi également ce sont « les héros dérisoires », les figures citées par Fabrice Nicolino dans son article, qui incarnent « très bien » notre présent…
bravo pour ce texte, je ne mets jamais de commentaire en général car de meilleures plumes le font très bien…
mais ce texte m’a confortée sur l’idée que j’avais du combat pro-écologie
merci Fabrice
« Attali a écrit dans une revue intitulée
« Objecteurs de croissance » publiée en 1972 :
« Il est un mythe, savamment entretenu par les économistes libéraux, selon lequel la croissance réduit les inégalités. Cet argument permettant de reporter à “plus tard” toute revendication redistributive est une escroquerie intellectuelle sans fondement. »
(merci Lionel)
Attali, auteur il y a quelques années d’un rapport plein d’idées ubuesques pour relancer la croissance, du genre construire les villes à la campagne.
Sacré parcours.
Ce que cet autre jean-foutre qu’est Luc Ferry appellerait sans doute une vie réussie.
(On peut aussi y voir un joli résumé des 40 dernières années de « vie » politique et intellectuelle en France.)
Ce n’est pas gentil pour les « ménagères de 50 ans ». Surtout que les ménagères de 50 ans, voir plus, sont plus fûtées que la moyenne, on les retrouve dans tous les mouvements écolos, dans toutes les associations, de la lutte contre les OGM jusqu’au plus petit « sous des écoles », dans toutes les conférences, de sacrées activistes !!!
J’ai fait cette constation dans mon Dauphiné profond,quand j’essayais de faire signer des cartes postales, pétition de protestation contre la privatisation de la Poste, pour la sauvegarde de ce service public. AInsi, lors de mes sollicitations de signatures j’ai eu quelques réponses cinglantes et consternantes … toujours de la part de jeunes femmes âgées de moins de trente ans :
la postière : « oh non,faudrait pas que le patron se fâche ».
la boulangère : « mais c’est quoi le service public ».
la maman devant l’école primaire : « ha, je ne sais pas, faut d’abord que j’en parle à mon mari ».
l’autre maman : »Mais Alain, on n’y peut rien, on n’y peut absolument rien »
Sic et resic, depuis j’évite les jeunettes !!!
Du moins dans mon village.
Atta girl, Anne!
Source wikipedia apparemment il n’ ya pas eu que le Danemark… »Le fascisme italien qui arrive au pouvoir en 1922 avec Mussolini ne menace pas immédiatement les Juifs, même s’il est fondamentalement hostile à toute minorité[83]. Certains députés juifs, tel Aldo Finzi, se rallient au fascisme et l’origine juive de Margherita Sarfatti, l’une des maîtresses de Mussolini lui-même, est publiquement connue….
Malgré tout, les autorités italiennes ne participent pas à la solution finale : elles refusent de donner des Juifs, y compris leurs ressortissants tunisiens[84], aux polices allemande, française ou croate et des Italiens s’illustrent dans le sauvetage des Juifs[83],[85]. La zone d’occupation italienne en France, principalement Nice, sert de refuge à de nombreux Juifs de France jusqu’en septembre 1943. Angelo Donati et le Père Marie-Benoît y organisent des sauvetages, au succès partiel.
Le pape Pie XII lui-même, auquel beaucoup reprochent l’absence de prise de position publique dénonçant les déportations de Juifs, a protégé des Juifs, notamment en ordonnant que des réfugiés politiques et des Juifs soient abrités dans le couvent romain des Santi Quattro Coronati[87]. D’ailleurs, Israel Zolli, grand-rabbin de Rome de 1940 à 1944, se convertit au catholicisme en 1945 et choisit comme nom de baptême Eugenio Pio[88], hommage à Pie XII en raison de son action pour les Juifs de Rome pendant la Seconde Guerre mondiale. Zolli écrit notamment : « la rayonnante charité du Pape, penché sur toutes les misères engendrées par la guerre, sa bonté pour mes coreligionnaires traqués, furent pour moi l’ouragan qui balaya mes scrupules à me faire catholique »[89]
valeurs: bien/ mal/bon/méchant/compassion/ »rien de ce qui est humain ne m’est étranger »..légereté/ironie..
énergie : force: que la force soit en toi: danger de devenir la cible de l’ingratitude/faiblesse: la tyrannie des faibles/fatigue/renoncement/ exil
/savoirs traditionnels /hiérarchie des savoirs/discrédit (et obsolescence)de certains savoirs humains /règne des experts
pouvoirs: mieux avant.. le pouvoir siègeait en un (des) lieu (x) précis; le commandement était clair et net! une vraie cible; meme si pas facile à atteindre
aujourd’hui? hydre à mille têtes! pouvoirs plus nombreux, masqués, anonymes; leurres; confusion; dilués organisés..juridicisés télévisés ..sans oublier le pouvoir donné à « la masse » à laquelle on sussure en boucle: « soyez libre de prendre votre pied et ce dont vous avez envie, là tout de suite et fichez vous du reste »..
contrepouvoirs sur le mode liliput
Plus de mythologie, çà manque..Jason et les argonautes..
Total : un vrai petit enfer! sur terre.
exemple: Monsanto? comment l’abattre? et les autres, tous les autres?
Au sujet de l’anarchie,j’ai trouvé un livre de Jean Giono extraordinaire,à lire d’urgence, j’adorais Giono, mais là, c’est l’extase…
Pour lui, le paysan est un anarchiste à l’état pur.
Ce texte est fondamental et d’une grande beauté.
« Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix », aux éditions Héros-Limite.
(10 euros)
Merci Giono !
Valérie,
Dans cette vidéo, vers 4min00, Paul Ariès met Jacques Attali devant son livre de l’époque qu’il avait écrit avec Rocard entre autres, et lui demande pourquoi il a changé d’avis sur la croissance.
Degré zéro de réponse sur le fond, et attaque sur la forme (il traite Ariès de Flic).
http://www.youtube.com/watch?v=mijOvcEj5Mw
Naturel, vous avez dit naturel ?
article paru dans le dernier courrier international ,article du Yale Environment 360 en anglais icihttp://e360.yale.edu/feature/true_nature_revising_ideas_on_what_is_pristine_and_wild/2649/
« Sur de vastes parties du globe la nature à l’état sauvage n’a jamais existé », l’action de l’homme, ancienne ou récente a façonné les milieux.
L’écologie politique, le contrôle du « sauvage », par des conventions, des zonages, des choix d’espèces à protéger ou pas exerce une forme de domination.
Le « sauvage » échappe à ce contrôle.
« La bonne nouvelle, dans tout cela c’est que la nature est capable de résister et de s’adapter, de rebondir après les pires choses que nous puissions faire ».
L’invasion des milieux par de nouvelles espèces allogènes crée « des melting-potsanthropiques », ces mutations ne doivent au final rien à la volonté humaine.
Merci de tous ces textes et tentatives d’explications (réussies – eh oui, Ferry. Quant à la vie, j’te laisse à tes mesures de ministère brushingué, « beau » gars).
Sur une issue, dans ce monde brutal et tendance monomaniaque minimum vital… Là où le bât blesse en effet.
Ok sur l’idée de Lanza del Vasto. Deux temps, au moins. A fond, et plus encore (c’est dire).
Et refus d’ordres pyramidaux.
Refus de la mono-manie rationnalisantes (pseudo en plus, et toujours réductrice).
Pas de foi chrétienne non plus.
Pourtant une lumière dans la peur.
En tenant très fort la loupiotte, faut bien dire, et avec un amour fou des vers de terre, sang, irisation et douceur. Cinglée.
Au fait, Fabrice Nicolino, va-t-il arrêter sa prose de blog ? Et celle de ses commentateurs agités avec ?
Ca n’y ressemble pas pour l’instant. Alors ?
Et pardon pour la faute de la mono-manie devenue plurielle.
ça me rappelle les mots de Georges Brassens
« Un anarchiste est un homme qui traverse scrupuleusement entre les clous, parce qu’il a horreur de discuter avec les agents. »
Lionel
J’ai essayé de regarder, mais c’est au-dessus de mes forces. Toute la panoplie y est : la mauvaise foi, les glissements de sens, la simplification de la pensée, l’invisibilité de l’idéologie dominante, l’impossibilité de la faire apercevoir, les rôles distribués dès le début et chacun qui tient le sien — cyniquement ou candidement, volontairement ou involontairement, peu importe –, avec impossibilité d’en sortir, jusqu’au bout de la farce.
Et ça n’a pas grand-chose à voir avec les intervenants : le dispositif télévisuel de ces émissions-là (de presque toutes en fait, reportages et pas mal de documentaires compris, hélas) non seulement permet tout cela mais s’appuie dessus, et à son tour le produit et le démultiplie. Aucun invité n’a les moyens de renverser cette vapeur-là, dans des émissions de ce type. Aucun, aussi brillant soit-il. Parce qu’il est pris dans un dispositif qu’il ne maîtrise absolument pas.
Ces quelques minutes le montrent pour la millionième fois, la télé est son propre message, quoi qu’on dise dedans, et ce message à la fin est toujours le même : vive la télé, vive la Machine, on se retrouve après la pub.
On ne peut entendre dans ce bruit quelque chose de dissonant, de critique, de sensé, que si on le porte en soi avant, comme c’est votre cas. Sinon, aucune chance. La télévision transforme tout en télévision, comme Godard l’a montré il y a longtemps. Et la télévision, c’est le système.
Merci à vous.
Valérie
Valérie,
Je suis bien d’accord, c’est pour ça que je n’ai pas de télévision depuis belle lurette.
« Le medium c’est le message », comme le disait Marshall McLuhan.
🙂
Lionel, merci de préciser. The medium is the message, oui. Je précise que je n’ai pas voulu m’approprier le propos de McLuhan, juste voulu éviter l’accumulation de références.
Depuis belle lurette, moi aussi. Très belle lurette, même. Quinze ans ? Sais plus.
Et quand je parlais l’autre jour de mes renoncements, je ne comptais certainement pas la télé parmi eux, que j’ai évincée parce que je n’ai tout simplement plus été capable de la supporter.
Planète sans visa, café du commerce ou repère de plumes ? Merci Fabrice et merci à tous pour vos commentaires et réflexions. Vous participez TOUS à me tirer par le haut. Je suis complétement en phase avec les propos de Valérie : « là où je suis pessimiste, c’est que je ne vois pas DU TOUT comment réussir collectivement, à l’échelle d’une société mondialisée ».
Je retourne à mon anonymat.
Bien à vous
Véniel Philippe
Fabrice,
Nous parlions notamment de culture tout à l’heure…
Voici un bouquin d’un ami, Jérémie Piolat, que je trouve très intéressant.
Désolé de t’écrire par “planète sans visa” mais je n’ai pas ton adresse électronique !
Amitiés
Philippe
________
==> http://www.youtube.com/watch?v=FLRmtzieKeg&feature=youtu.be
PUDDING avec Jérémie Piolat :
==> http://vintage.novaplanet.com/node/56058
Pourquoi les Français ne dansent-ils plus ?
Invité : Jérémie Piolat. Ce soir ou jamais, 10 avril 2012
==> http://rutube.ru/video/f282e4eda3b09cd3e3dfe538b4fbdc1f/
Livre : “Portrait du colonialiste” L’effet boomerang de sa violence et de ses destructions
==> http://www.amazon.fr/Portrait-colonialiste-boomerang-violence-destructions/dp/2359250507
Par Gisèle Felhendler ==> http://www.npa2009.org/content/%C2%AB%C2%A0portrait-du-colonialiste-leffet-boomerang-de-sa-violence-et-de-ses-destructions-j%C3%A9r%C3%A9mie
Le génie collectif ==> http://www.lesarkophage.com/f/index.php?sp=liv&livre_id=83&PHPSESSID=e180d4cb3b6231c318b91b2dede7a4a6
Intervention au Forum Mondial de la Pauvreté – Portrait Du Colonialiste Livre ==> http://www.youtube.com/watch?v=6vNElO9D0vI
« pourquoi tant d’êtres correctement éduqués, normalement informés, convenablement nourris et vêtus, éventuellement bons pères ou bonnes mères, donnent-ils leur énergie à la destruction du monde, des cultures, des paysages, des animaux, des plantes, des hommes ? »
Bonne question. La reponse courte est dans la Bible: « Il est plus facile a un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’a un riche d’entrer au royaume des cieux ». La reponse longue, chacun d’entre nous essaye de la trouver… meme si au fond ca revient a ca: Savoir la verite n’aide pas, en general, a « faire » la verite!
Florence, Frédéric,
Peu fringante ce soir mais la discussion me travaille (toujours la non-puissance).
Il y a la non-puissance comme autre forme de la puissance (et de jouissance), dont j’ai parlé. A ce sujet, je voulais préciser que la non-violence m’avait toujours semblé un truc très exotique et improbable avant cette intervention de L. Del Vasto (je n’avais et n’ai toujours aucune culture de ce côté-là). Je continue de penser qu’autre chose sera un jour nécessaire, mais ce jour-là l’expression a enfin signifié quelque chose pour moi, quelque chose qui n’a pas cessé depuis de faire son chemin.
Mais il y a aussi la puissance comme souffrance. C’est-à-dire la puissance, ou le sentiment de puissance, dont je ne veux plus. C’est quelque chose qui me pose de plus en plus problème. C’est pourquoi la phrase de Frédéric : « Être dans la non-puissance au sens d’Ellul, devient une nécessité vitale » fait plus que m’interpeller.
Depuis quelques années ce sentiment monte en moi, toujours lié aux bêtes. Je ne détaille pas. Je peux simplement dire qu’il devient extrêmement pénible quand je conduis, la nuit en particulier. Il a modifié très nettement ma façon de conduire, et m’amènera peut-être un jour à ne plus conduire du tout. Il m’a amenée aussi (accompagné d’autres raisons) à cesser de consommer de la viande.
Enfin, mais je ne le citerai pas ici parce que je ne veux pas trop parasiter le blog avec cette conversation, j’ai trouvé ces derniers jours en lisant Rilke (Lettres à un jeune poète)des choses d’une force et d’une beauté stupéfiantes, sur ce sujet et sur beaucoup d’autres qui nous occupent ici.
Voilà. Bonsoir tout le monde.
Et bonsoir à Walden (avant qu’il – elle ? – retourne dans les bois).
« rappelons que la ci-devant patronne d’Areva, Anne Lauvergeon, est pour l’heure à la fois administratrice du groupe Total et présidente du conseil de surveillance du quotidien ci-devant maoïste, Libération »
Me trompe-je ou bien Anne Lauvergeon n’est plus patronne d’areva depuis 2011 ? (« vérifié » sur wikipedia)
Autre exemple de bonté envers les juifs, les habitants du chambon-sur lignon pendant la guerre.
Je ne saurais participer à ce débat intéressant sur la banalité du mal mais j’ai envie de citer un livre :
« la bonté humaine » de Jacques Lecomte ou l’on retrouve l’exemple du chambon sur lignon et d’autres arguments en faveur de la bonté de l’homme 🙂
Mathieu
Allez voir aussi Kenneth White (Rilke fait partie de ces références, je crois me souvenir – lectures de cet hiver), Valérie, et ce blog, déjà cité. Vraiment ! Avec cet article récent, par exemple : il me mène là où j’aime, sans me sembler me complaire :
.
http://marssfarm.centerblog.net/6546989-5-14-selon-la-formule-e-m-c2-fertilise-an-arid-heart-p
J’associe la puissance à l’être (puissance d’être) quant à moi. C’est donc peut-être une notion (puissance) marginale…
Je pars fouiller sur la route de la notion de non-violence en ce moment. Aurais-je écrit ici de vastes couenneries ?
J’ai toujours eu de l’aversion pour le personnage de Gandhi… (cela ne doit pas se dire ?) Ce qui ne justifie cependant pas que la non-violence soit une voie écartée d’emblée !
Gandhi a écrit un nombre colossal de textes. Tiens.
(Je n’en ai lu aucun, de ces aphorismes partout repris cependant)
Violence, d’abord.
Jean-Marie Muller (avec toujours cette petite revue entre les mains : Passerelle éco – n° 45) définit pas mal de choses.
Il aborde la vie comme une lutte, par exemple (lutte seulement).
Agressivité, épreuve de force, conflit : des notions clés sont clarifiées. Et l’on peut donc commencer à réfléchir avec lui.
D’autres notions m’apparaissent : expression, intention, émission / réception, mal, fait.
Mémoire du mal, corps entier.
Merci de toutes ces pensées à Planète sans visa. En si peu de mots parfois.
http://jardinons.wordpress.com/2013/05/07/de-lexperience-de-george-van-dyne-et-des-quelques-lecons-quon-peut-en-tirer/
Florence
ça en fait des pistes à tenter. Kenneth White, Jean-Marie Muller, des noms que je connais, c’est tout, jusqu’ici. Et ce site — moi qui ne vais sur quasiment aucun… Mais je vais faire un effort.
Votre fouille du côté de la non-violence m’intéresse, puisque je ne l’ai pas encore entamée. On se tient au courant (tant que le café du commerce reste ouvert…) ?
Bien à vous
Valérie
Florence, Frédéric,
trouvé hier soir dans V.Serge (Carnets) la formule qui résume tout : « Surmonter l’intelligence carnassière ».
Pas le temps de développer.
« Intelligence carnassière ».
L’expression rejoint l’idée de la toute-puissance technique.
D’un côté, l’intelligence, incarnée dans l’organisation, l’efficacité et la rationalité technique. L’apothéose de la civilisation humaine, en somme.
De l’autre côté, le carnassier, aux sens propre et figuré. L’humain, prédateur de tout ce qui vit, ne laissant derrière lui que cadavres et cendres, alors qu’il n’y va à aucun moment de sa survie. Nous pouvons nous passer de chair animale, nous n’avons pas un besoin vital d’anéantir les autres formes de vie.
Comment s’appelle une espèce qui fait du monde un champ de ruines ? Des barbares.
On frôle l’oxymore. Intelligence carnassière, civilisation barbare…
Le terme de cette logique ? L’intelligence cannibale ?
« Surmonter » cette intelligence carnassière serait alors le défi majeur de notre humanité ?
Dans quel contexte Victor Serge en appelle à ce sursaut ?
Frédéric
Victor Serge écrit ceci dans son carnet de bord, il ne s’agit donc aucunement d’un appel lancé à qui que ce soit mais simplement de sa réflexion qui travaille.
Dans ce cas précis elle se nourrit des beautés observées au long d’une journée d’excursion, quelque part au fond du Mexique où il vit en exil depuis quelques mois (on est en décembre 41). Beautés grandioses du paysage et de la végétation, beauté des architectures humaines aussi, et puis beauté du jeu compliqué et mortel d’un chat avec un lézard qu’il a attrapé et finit par dévorer. Voilà pour le contexte ponctuel.
Mais je crois qu’on peut dire que le contexte général de la pensée de cet homme — enfin, tel que je l’ai compris jusqu’ici — est toujours un contexte politique, au sens large de ce mot.
Cette phrase n’est donc pas dépourvue de la portée philosophique et politique que je me suis autorisée à lui donner implicitement, et celle qui la précède immédiatement le prouve.
Fabrice estimait, dans son compte-rendu des Carnets (le 31/12), qu’il serait faux et surtout anachronique de qualifier Serge d’écologiste. Il avait raison, je pense. Mais il disait aussi qu’il était presque sûr, à certains signes relevés ici et là, que cet homme aurait été capable de réorienter son combat dans ce sens.
La phrase qui précède celle que j’ai citée ce matin contient un de ces signes, il me semble, c’est pourquoi j’ai été si frappée par la proximité de cette idée de « surmonter l’intelligence carnassière » avec la non-puissance selon Ellul (et ma propre façon de la rechercher, évoquée l’autre jour).
Car cette première phrase — où Serge fait référence à un livre d’Élisée Reclus que j’ai déjà vu cité ici et qu’il va falloir décidément que je me procure — évoque les rapports de l’homme et de la nature. Elle reprend presque mot pour mot Élisée Reclus :
« La fonction ultime peut-être de l’intelligence :
contempler, c’est-à-dire sentir le monde prenant conscience de lui-même ».
(La phrase de Reclus est : « L’Homme est la Nature prenant conscience d’elle-même. »)
Sur ce, bonne nuit.
Pour en revenir au début, sur Gohsn et Cohen, ce dernier est à son poste pour ça : servir la soupe au capitalisme. C’est vraiment marrant de l’écouter faire son numéro, tout préparé, dans la “chronique” (qui n’en est donc plus une) ultralibérale de 7h20 avec Dominique Seux; par des questions courtes et régulières, tombant à pic, il dame systématiquement la piste pour que l’oracle libéral puisse maximiser sa glisse.
Faudrait quand-même pas que France-Inter nomme un animateur qui instille pendant 3 heures du sens critique, ou qui ne pense pas à inviter tous ces beaux esprits industriels et productivistes. On raterait quelque chose 😉
Et Batho, elle est “socialiste”; ça veut tout dire, non ? Elle ne va pas gripper le système. Elle va faire semblant.
Frederic, Valerie, Florence: merci pour cette conversation et ces references. Continuez. On vous lit!
Merci Fred (surtout pas Singer ! S’pas ?), et Valérie, de livrer vos précisions ou interprétations.
Pour donner quelques suites et nouvelles très ponctuelles, pas trop confuses, j’espère :
– le non-agir, chez Masanobu Fukuoka (encore une notion par soustraction ou refus) et non annulation ou privation (a-) ou opposition ou négation (in-).
Puissance, toute-puissance, impuissance. Pas assez citées en liste.
Violence de fait, sans intention, aussi. Permanente ? ou latente et « phénoménique ».
– Reclus fait partie de la panoplie de K. White.
Un texte d’introduction pour cet érudit de Trébeurden qui s’avance à dire qu’il possède de quoi retourner notre vision du Moyen-Age. Ce avec quoi j’ai commencé :
http://blog.culture-bretagne.org/?p=378
Le monde celte passionnant face à la victoire romaine aussi.
– de la volonté / à la conscience, ou du désir (je distingue sciemment ici par la /) faute de terme pour décrire cette tension plus forte que l’intention, en deça ou partagée de conscience qui pourrait ne pas être qu’humaine, et que j’assimile pour l’instant à la volonté (un chat a de la volonté, comme une plante, pourrais-je dire. L’instinct inapproprié, a priori). Le sens de la vie. Pierre d’achoppement de la culture, de la pensée… (mais pas de pensée sans corps pour Annie Le Brun), et du verbe.
Forcer (effort). Contrôler, maîtriser.
Quant à l’être humain, toujours : « surmonter » ou « délaisser » cette possibilité d’intelligence carnassière, cette compétence particulièrement valorisée et exploitée dans les « civilisations » (que dire de la nôtre de civilisation – « la vie est un combat », et Muller reprend cela, – ce que je conteste comme absolu et fondement, même si prédation donc, « concurrence » parfois). Tous moyens mis en oeuvre dans son développement. Et « avoir raison de » ? L’ultime moyen-objectif, applaudi, lui. Et je peux être des batteurs de mains frénétiques.
Jay Gould pourrait-il aussi nous aider ?
Fukuoka et ce scientifique pour l’instant.
Pas assez d’affection pour Gandhi.
La semaine prochaine, tout en ébats publics : de l’écologie profonde, du celtisme (dans sa voie contemporaine et druidique), dans les côtes d’Armor : Carré, Boisson, Bran Du…
https://sites.google.com/site/lechaudrondabondance/l-art-d-etre-nature/programmation
Fukuoka et le non-agir, la révolution d’un seul brin de paille… De ces lectures et de cette vision du monde, complétées par la culture de légumes et la fabrication du pain, j’en ai conçu une pensée : L’essentiel se fait quand je ne fais rien.
Il y a, dans la terre, dans le levain, tous les ferments des vies passées, actuelles et à venir. Plus nous dérangeons ce milieu, plus nous l’appauvrissons, nous l’amputons, et plus nous nous amputons nous-mêmes. Il faut alors nourrir les plantes sous perfusion, plantes malades, humains malades… Pour le bienfait des trusts qui vendent le poison et le pseudo-remède (médicament qui, à son tour, rend malade…).
L’intelligence ultime serait-elle alors de faire le moins possible, d’être dans l’humilité enfin, de reconnaître que la clé de la vie est dans le vivant, dans la non-puissance ? Serait-elle de contempler, de « sentir le monde prenant conscience de lui-même » ? Je ne suis pas sûr d’entrevoir tous les sens possibles de cette phrase d’Élisée Reclus, mais je sens qu’elle nous emporte vers des choses profondes.
Ralliez le café du commerce, Laurent ! D’autant que vos mots me trimballent souvent, j’y trouve aussi controverse ou heurt (de la disjonction, une certaine fois par rapport à l’individu humain, ou le « moi » – de mémoire, Foucault mis en avant, mais je ne l’ai pas lu et résiste à sa lecture ; vais-je encore parler en terme d’affect insurmontable le concernant ? Trop sérieux !).
Avant de sortir poser quelques patates sur le trèfle, encore quelques mots.
C’est « L’Agriculture naturelle – L’art du non-faire » de Fukuoka que je démarre tranquillement. Je prévois « L’Eventail du vivant » de Stephen Jay Gould si cette continuation est possible (?). Ouf, certaines bibliothèques publiques donnent leurs étagères à Attali, mais aussi à quelques autres, importants et méconnus, eux.
Je jubile avec Fukuoka, et certains paragraphes mériteraient de briller ici, à Planète sans visa.
Pour autant, Frédéric, avec la chance immense que j’ai de pouvoir regarder de près et tenir dans mes mains de la terre depuis peu de temps, ivre d’expériences et de liberté, tenue par de nombreux préceptes mentaux, et guides permaculturels, tenue aussi par une dé-formation ontologique à l’art de bâtir (pour lequel « less is more » / http://en.wikipedia.org/wiki/Less_is_more est une Bible – cf notre production contemporaine), je suis en quête totale parallèle à mon bonheur affublé du même épithète, et n’arrive à me satisfaire (encore ?) de ce non-agir, « moindre » ou « minimal intervenir » sans doute plus adéquat.
Il est le pilier autour duquel je tourne indéfectiblement et que je pratique… ainsi que celui de l’homéopathie, celle de Samuel Hahnemann, car elle me semble toucher, dans sa version initiale et unique, l’insondable cadeau de la vie, ou l’étrange beauté de la nature en mouvement.
[L’Organon est le livre phare du médecin d’origine allemande. Il est disponible en pdf sur le site Planète-Homéo, dans la bibliothèque (car il y en une) où la 6e et dernière version est recommandée : l’oeuvre d’un vieillard au regard pénétrant et lumineux, écrite dans l’effervescence de ses découvertes et recherches sourcilleuses pre-mortem (plus de 80 ans)]
Du changement de paradigme promu par Fabrice…
L’humanité m’intéresse tellement.
Et comment arrêter le massacre, sans faire aussi le sang couler, en impression délétère comme en flots consistants ?
Et au fait, pas d’autres définitions ? L’anarchie, par exemple.
Masanobu Fukuoka est venu a Calcutta dans les annees 1980, a l’invitation de Pannalal Dasgupta, qui fut independantiste/ »terroriste » dans les annees 1940, communiste dans les annees 1960, Gandhien dans les annees 1980, et ecologiste apres avoir lu Masanobu Fukuoka. Autant de revolutions, autant de mises au ban par ses camarades de combat. Mais apres avoir rencontre Fukuoka et publie son livre « la revolution d’un seul brin d’herbe » en Anglais et en Bengali, Pannalal Dasgupta, alors l’un des pontes du parti communiste au pouvoir, allait a pied, seul, de maison en maison dans les campagnes, dormait chez les uns chez les autres, et expliquait la necessite de retrouver le chemin de l’agriculture biologique et des semences de ferme. Apres sa mort, meme ses anciens collegues apparemment « ecologistes » de l’organisation qu’il a fonde, l’ont encense pour mieux abandonner son combat, et promeuvent aujourd’hui l’agriculture chimique et industrielle. Devant un tel destin, il faut croire Nietsche sur les astres qui se separent inexorablement mais restent fideles a leur route et relies par des liens invisibles, ou Deleuze: « ce sont les corps qui meurent, la vie, elle, continue »…
Un tres court film sur le travail d’un grand defenseur et guerrier des semences de ferme, a qui Pannalal Dasgupta avait dit en 1994: « Si j’avais 30 ans de moins je viendrais travailler avec toi! »
http://www.gaiafoundation.org/blog/the-farmer-the-scientist-and-the-g8
http://www.seedsoffreedom.info/more-films/the-farmer-the-architect-and-the-scientist/