Les cadeaux en uranium du fort de Vaujours

Publié par Charlie Hebdo le 22 janvier 2014

Entre Seine-Saint-Denis et Seine-et-Marne, une zone pourrie où l’armée a craché de l’uranium pendant près d’un demi-siècle. Notre bon Placoplâtre veut y ouvrir une carrière de gypse, en éparpillant tout.

Pourra-t-on bientôt acheter librement du plâtre radioactif ? Partisan résolu du droit des consommateurs, Charlie est résolument pour. Mais ce n’est pas encore gagné, et comme à l’habitude, à cause d’un groupuscule de peine-à-jouir qui veut empêcher Placoplâtre d’ouvrir une carrière. Placoplâtre, « leader sur le marché du plâtre et de l’isolation », comme l’annonce sa publicité, est une filiale de Saint-Gobain, ce qui tombe mal. Car cette transnationale française de près de 200 000 salariés traîne un gros lot de casseroles judiciaires dans les dossiers de l’amiante,  dont près de 50 000 litiges pour les seuls Etats-Unis.

Précisons que Placoplâtre n’a rien à voir avec l’amiante, mais tout avec le plâtre, qui ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval. Il faut creuser, ouvrir des carrières dans le gypse et faire cuire à feu doux. Or le Fort militaire de Vaujours, à 20 kilomètres à l’est de Paris, est parfait. À cheval sur Vaujours (Seine-Saint-Denis) et Courtry (Seine-et-Marne), il abrite dans ses profondeurs, sur 45 hectares, un trésor de gypse qu’il suffit de sortir des entrailles.

Reste à se débarrasser de l’immense merdier laissé en surface par nos vaillants militaires. Car de 1951 à 1997, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) a mené ici, en trompant son monde quantité d’essais et d’expériences en relation avec la bombe nucléaire. Un ancien ingénieur, Lucien Beaudouin, racontant sa sauce au Parisien (le 12 juin 2000), en rigolait encore : « À l’époque, en 1955-56, date des débuts de l’activité du CEA, les gens avaient traduit CEV qui veut dire Centre d’études de Vaujours par Centre d’études en vol. Ils pensaient qu’on travaillait sur les avions. On ne les a jamais contredits. En fait, on commençait à étudier la charge explosive qui fait partie de la bombe atomique. »

Nul ne sait, car c’est un secret d’État, tout ce qui a été fait. Mais le même Lucien Beaudouin ajoute gaiement : « Les morceaux d’uranium partaient comme une fusée dans l’air. La désintégration de l’uranium peut produire d’autres métaux très dangereux… des gaz aussi peuvent s’échapper, beaucoup plus radioactifs que l’uranium ! »

Le reste est  loufoque, mais ne peut être qu’évoqué. En 2002, la Crii-Rad mène une rapide analyse sur place, qui démontre une pollution nucléaire importante, avec des points chauds où se concentre la contamination. Il faudrait mener des travaux approfondis, conclut le labo, mais ils n’auront pas lieu. En 2010, le site est acheté par Placoplâtre et, sur 11 hectares, par une Communauté de communes qui veut y installer une zone industrielle. En 2011, des bénévoles d’une association locale, l’Effort de Vaujours, passent sur le terrain avec des compteurs Geiger et y trouvent des rayonnements 33 fois plus élevés que le bruit de fond ordinaire.

Depuis, ça gueule, de plus en plus fort, et une pétition limpide a recueilli autour de 60 000 signatures (http://www.change.org/FortdeVaujours), ce qui est énorme. Il faut dire que les choses se précisent, car Placoplâtre attend désormais des arrêtés préfectoraux pour lui permettre de commencer les travaux, sans bien entendu mesurer la radioactivité, et non plus la pollution pourtant certaine aux métaux lourds – arsenic, mercure, plomb – et aux saloperies chimiques comme les PCB et les dioxines.

Deux faits pour apprécier jusqu’au bout la noble entreprise de Placoplâtre. Un, Jean-Claude Antiga, un peintre de 55 ans qui a bossé vingt ans pour le CEA à Vaujours. Il est entré sans protection dans des conteneurs où ne pénétraient que des hommes en scaphandre. Il a un cancer de la thyroïde. Il est en procès contre le CEA. Deux, une étude de l’Agence régionale de santé (ARS), réalisée en juin 2012. Elle porte sur l’état de santé des habitants de Courtry, riverains bien heureux du Fort de Vaujours. Dans cette petite ville, 52 % des hommes et 49 % des femmes meurent des suites d’une tumeur. En Seine-et-Marne, département où se trouve Courtry, les taux sont de 36 % pour les hommes et 26 % pour les femmes. Ce n’est pas une preuve. Juste un sacré flip.

19 réflexions sur « Les cadeaux en uranium du fort de Vaujours »

  1. Salut,

    En guise d’hommage, trois petites phrases de François Cavanna qui vient de tirer sa révérence…

    « La liberté consiste à faire tout ce que permet la longueur de la chaîne »

    « Je me suis aperçu que, si le travail bien fait est source de joies puissantes, la paresse savourée en gourmet ne l’est pas moins…  »

    « Quand on plante un oignon sous un saule, on n’obtient pas forcément un saule-pleureur. »

    Sancho

  2. Connaissant bien le combat citoyen que mène l’association L’Effort de Vaujours depuis 4 années au nom de la vérité sur ce site pollué, je me dois de lui rendre hommage ici, merci pour cet article.

  3. Ceci entre autres : http://www.youtube.com/watch?v=QjTdXAThhX0

    Commentaire : Mesure 3.10 microsieverts/heure. Le fond du site est à 0.10 microsieverts/heure (radioactivité naturelle).
    C’est un relevé à 31 fois la norme en surface. Soit 27 millisieverts/an. La dose tolérée en France d’exposition à des rayonnements artificiels est de 1 Millisievert/an.

  4. 83896 signatures !
    Et le conseil municipal a enfin voté une motion « demandant que toute la lumière soit faite sur les pollutions du Fort de Vaujours et que des réponses claires soient apportées par le CEA et la ministère de la Défense à la commune de Courtry3 Ouf, il était temps après avoir acheté le terrain et ridiculisé les élus Fdg qui demandaient le mois précédent une mission d’enquête indépendante.

    Eh oui, j’habite juste à côté de ce lieu paradisiaque, et de plus il y a en face une superbe décharge qui devait être fermée il y a qq années et qui continue à accueillir des déchets venus de toute la France. Bienvenue à Courtry !

    Manifestation samedi 8 février Place du Pâtis à Coubron à 14h30. Venez nombreux

  5. Merci M. Nedelec pour cette info car sensationnel le communiqué de la Criirad ! Ils se dégonflent et refusent une nouvelle étude ? Ayant trop peur peut-être de risquer de confirmer les mesures de l’IRSN ? Ah pardon non, ils ont trop de travail parce qu’ils déménagent. C’est ballot pour le plus grand désastre sanitaire de l’Ile de France !

  6. Avec un nom comme le mien fortin veut dire : petit fort ! je ne pouvais être que du côté du plus faible ; le petit fort contre le grand fort !!!
    Ce qui est dingue même quand on leur montre les preuves , le fric du plâtre est tellement « enrichissant » comme l’uranium d’ailleurs que les voix de celles et ceux qui devraient nous défendre se taisent !!! ne laissons pas le soin à nos élus de nous enterrer vivant! en soutenant les sassociations et toutes les autres bonne volonté , nous gagnerons contre ce pot de fer !!! la terre de vaujours n’est pas à marchander, contre nos vies! si « vaujours sont comptés » comme le disait la grande muette avant de se tirer comme une voleuse, nous on veut faire appliquer la loi : Pollueur/payeur ; Alors VERTS PS majoritraire sortez vos calculettes comme vous le faites sans rechigner avec nos impôts . L’armée c’est votre salut, surtout le nôtre ! a bon entendeur nous seront votre épine , vos cauchememards , vos citoyens pas cons !!!!

  7. Courtry,

    Sans agressivité inutile, je tiens à vous dire que lorsque l’on relaie ainsi, et sans le dire, la « communication » de Placoplâtre, il est mieux de le faire sous son nom.

    Fabrice Nicolino

  8. « Précisons que Placoplâtre n’a rien à voir avec l’amiante, mais tout avec le plâtre, qui ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval. Il faut creuser, ouvrir des carrières dans le gypse et faire cuire à feu doux ».

    Ah bon ! J’ai peur que vous ne sachiez pas tout de la question. En effet, qui fabriquait le Progysol ? Un enduit au plâtre à projeter enrichi à l’amiante qu’on retrouve notamment à la Tour Montparnasse. Et pourquoi, le site a été classé parmi ceux qui ont travaillé l’amiante en Île-de-France :

    JORF n°76 du 31 mars 1999 page 4773

    ARRETE
    Arrêté du 29 mars 1999 fixant la liste des établissements ayant fabriqué des matériaux contenant de l’amiante susceptibles d’ouvrir droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité

    NOR: MESS9920991A
    ELI: Non disponible

    La ministre de l’emploi et de la solidarité et le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie,

    Vu la loi no 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999, et notamment l’article 41 ;

    Vu le décret no 99-247 du 29 mars 1999 relatif à l’allocation de cessation anticipée d’activité prévue à l’article 41 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 ;

    Vu l’avis de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés en date du 18 mars 1999,

    Arrêtent :

    Art. 1er. – La liste des établissements mentionnés au 1o du I de l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 susvisée est annexée au présent arrêté.

    Art. 2. – Sont réputés figurer à la liste mentionnée à l’article 1er ces mêmes établissements lorsqu’ils ont sous une dénomination différente fabriqué des matériaux contenant de l’amiante.

    Art. 3. – Le directeur des relations du travail, le directeur de la sécurité sociale et le directeur du budget sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent arrêté, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

    LISTE DES ETABLISSEMENTS AYANT FABRIQUE DES MATERIAUX CONTENANT DE L’AMIANTE

    (…)
    Ile-de-France

    Comptoir des minerais et matières premières, 93600 Aulnay-sous-Bois : de 1925 à 1996. (très célèbre depuis quelque temps -ndlr-)

    Société Etex de recherche technique, 1, rue de l’Amandier, 78500 Vernouillet : de 1958 à 1970.

    Eternit, BP 1, 78510 Triel-Vernouillet : de 1922 à 1997.

    Ferodo/Valeo, centre de Saint-Ouen, 10, rue Blanqui et 13, rue Dieumegard, 93400 Saint-Ouen : de 1923 à 1991.

    Ferodo/Société Isba/Valeo, 1, rue de Seine, 91170 Viry-Châtillon : de 1960 à 1996.

    Everitube, usine de Dammarie-les-Lys, 77190 Dammarie-les-Lys : de 1960 à 1996.

    Majac/Sofajoint, 3, rue de Seine, 91170 Viry-Châtillon : de 1920 à 1984.

    Flertex, 92390 Villeuneuve-la-Garenne : de 1988 à 1996.

    SA Ufaga/Acopex, 92400 Courbevoie : de 1960 à 1985.

    Sime, 93150 Blanc-Mesnil : de 1965 à 1984.

    Plâtres Lambert, 228, route de Meaux, BP 6, 93410 Vaujours : de 1960 à 1996.

    (…)

    Fait à Paris, le 29 mars 1999.

    La ministre de l’emploi et de la solidarité,

    Martine Aubry

    Le ministre de l’économie,

    des finances et de l’industrie,

    Dominique Strauss-Kahn

    Eh oui, donc un peu d’amiante avec l’uranium

    Bien cordialement

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