La jeunesse bouge-t-elle ? (à propos de l’aéroport de Nantes)

Disons-le, la suite est casse-gueule. Pour la première fois en France, un « camp action climat » s’est réuni entre le 3 et le 10 août. Sous la tente, quelques centaines de jeunes venus de partout ont décidé d’agir ensemble, mais hors de tous les comités en place. Lieu : Notre-Dame-des-Landes. Motif : un projet d’aéroport supplémentaire, censé « développer » Nantes et sa région, et qu’applaudissent droite et gauche régionales. Le maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault – le pauvre – est un fervent.

Bien. J’ai incité, ici ou ailleurs, à y aller, et moi, finalement, je ne m’y trouvais pas. Ce n’est pas malin, surtout à l’heure des commentaires. J’ai pourtant décidé d’apporter mon grain de sel, surtout depuis que j’ai reçu un courrier de mon ami François de Beaulieu, secrétaire général de Bretagne Vivante. J’espère qu’il ne prendra pas ombrage de ces mots, qui n’engagent d’ailleurs que moi. François tire un bilan inquiet de ce « camp climat », estimant que ces jeunes se sont montrés intolérants avec la presse et peu respectueux de ceux qui devraient pourtant mener le combat, c’est-à-dire les habitants. Il ajoutera les mots qu’il veut, bien entendu, mais il me semble qu’il voit dans le tout comme un détournement d’une lutte populaire naissante, par des incontrôlés.

Là-dessus, Hervé Kempf, que je peux également désigner comme un ami, signe un article dans le quotidien Le Monde (ici). Il y décrit le « camp climat », qu’il est allé regarder de près, comme suit : « Le camp a ainsi démontré la possibilité d’une vie sobre et à impact écologique faible. Eoliennes, plaques solaires et générateur à huile végétale assuraient une quasi-autonomie énergétique (la cuisine requérant cependant du bois et du gaz). Les participants se passaient d’équipements consommateurs d’électricité (sauf les téléphones portables), et il n’y avait pas de lumières le soir sauf dans les espaces communs. L’eau était fournie par un agriculteur voisin. Les toilettes étaient sèches, les excréments mélangés à la sciure constituant un compost récupéré pour l’agriculture. La nourriture était issue d’agriculture biologique ».

Et il ajoute en analyse : « Aussi bien dans les villages qu’à l’assemblée générale quotidienne, les décisions sont ainsi prises au consensus. Il n’y a pas de porte-parole, pas d’élu, pas de vote ; mais des discussions qui doivent se poursuivre jusqu’à l’atteinte du consensus sur les sujets débattus. Le consensus, explique Jean-Pierre, cela signifie que les gens qui ne sont pas d’accord avec la décision sont invités à exprimer la raison pour laquelle ils ne sont pas d’accord, et la décision peut être modifiée de façon à trouver une troisième voie qui va convenir à tous”. »

On peut également lire avec intérêt le reportage de l’envoyée spéciale de Libération, Laure Noualhat (ici), qui raconte par le menu un voyage au pays des salades de riz et de la sainte méfiance à l’encontre des « médias dominants ». Qui a raison, qui a tort ? Mais surtout, cela vaut-il la peine de poser la question de la sorte ? Moi qui n’y étais pas, je m’interroge sur le sens profond de ces événements. Et je ne le connais pas. Mais il me paraît certain qu’un mouvement neuf, qui réfléchirait et agirait enfin, pour de vrai, ne pourrait qu’heurter tout ce qui existe. Y compris les organisations en place, aussi respectables soient-elles.

En l’occurrence, je ne doute pas que certains de ces jeunes se sont comportés comme des imbéciles. Il ne manquerait plus que cela, que la connerie soit réservée aux vieux jetons. Mais. Mais toute recherche sociale et politique passe par le dépassement, l’effacement des formes anciennes. Et donc la critique, et parfois l’affrontement avec ceux qui prétendent mieux savoir que quiconque. C’est une loi sociale, qui n’interdit pas les erreurs, les bavures, les impasses même. Je ne prétends pas que ceux du « camp climat » aient raison. Il est même certain qu’ils se plantent sur des bien des points. Et puis ?

N’oublions pas, s’il vous plaît, qu’il s’agit de modifier en profondeur, et très vite, la psyché humaine. De manière à ce qu’elle puisse enfin aborder les problèmes accumulés qui l’attendent sur le chemin. Ceux de Nantes, comme tous les jeunes du passé, déconnent certainement. Mais ils inventent. Et ce n’est pas une petite nouvelle.

11 réflexions sur « La jeunesse bouge-t-elle ? (à propos de l’aéroport de Nantes) »

  1. J’ai une amie qui y était. Je lui ai parlé des relations avec les journalistes. Elle m’a dit qu’ils étaient très énervés car ils étaient super encadrés, mais qu’ils racontent tellement de conneries pour dénaturer les actions qu’il faut bien les encadrer de temps en temps.

    De même, j’en ai parlé avec quelqu’un qui travaille dans un ministère et elle m’a dit que les journalistes crachent dans la soupe de ce camp climat mais qu’ils sont super-encadrés à chaque conf’ de presse ministériel et que là, ils ne s’en plaignent pourtant pas.

  2. pour inventer, on a toujours besoin de chants voilà des p’tits vibrations enfuies from woodstock. 1969.
    çà vit encore, non? l’esprit je veux dire, comme une rivière souterraine.
    c’est pourquoi j’ai posté la version 1969. les autres plus récentes 1991 ils ne sont plus jeunes.mais
    Woodenships et Guinevere, des grands Crosby Still, Nash and Young. prêtez une oreille.

    http://www.youtube.com/watch?v=t0rG2ME4sAc
    http://www.youtube.com/watch?v=jsmC1zrpwfQ&feature=related

    http://www.youtube.com/watch?v=LPvOTVVbMko&feature=related

    « Seagulls circle endlessly
    I sing in silent harmony
    We shall be free »..

  3. Ouf de l’espoir! Ca fait du bien. C’est vrai que les récits (entre autres celui de Laure Nouhalat) ne laissaient pas tous présager le meilleur en terme de tolérance et de démocratie.

    Merci de cette petite touche d’espoir, Fabrice. J’avoue que ta dernière note est probablement celle qui m’ait jamais le plus désespéré. Il faut dire que je ne l’ai pas lue jusqu’au bout :

    « J’ai fait de la voiture. Des heures, je veux dire »

    Je me suis arrêté là.

    Coup dur.

    😉

    (je ne rigole qu’à moitié)

  4. Je voudrais simplement confirmer ce que dit l’amie d’Alain à propos des journalistes, qui la plupart du temps, et c’est un fait facilement vérifiable, ne manquent pas l’ occasion, quand ils rapportent, dans une presse où l’anecdotique occupe la première place, des actions ou manifestations qui mettent ou remettent en question l’ordre des choses, de simplifier jusqu’à parfois presque les dénaturer les propos des personnes qu’ils interrogent. Aussi ne faut-il point s’étonner de ce que certains jeunes qui se défient des journalistes « se soient montrés intolérants avec la presse. »
    Qu’ils aient dit ou fait des conneries, pas de doute là-dessus. Mais pour ce qui est des conneries à faire, il leur reste de la marge. Ce n’est pas eux, mais bien des gens sensés , sérieux et responsables, que je sache, qui ont imposé le tout-nucléaire, empoisonné l’eau avec les pesticides, rendu les sols stériles, favorisé le tout-automobile, j’en passe et des pires.
    Et eux, contrairement à Debray et à Védrine, ils ont commencé à décoloniser leur imaginaire, ce qui n’est pas rien dans le monde où nous vivons.

  5. Bien dit, René, et ce sont ces gens-là qui vont nous dire vers quoi il faut s’orienter à présent (ex : A. Lauvergeon sur France-Culture), c’est-à-dire dans le sens de leurs intérêts, je suppose…

  6. Pour Sandro,

    Mais où étais-tu passé ? Tu as manqué, et je ne plaisante pas du tout. Pour la voiture, c’est fini pour un moment, juré. Bien à toi,

    Fabrice Nicolino

  7. Héhé, ben ça fait plaisir. Ne t’inquiète pas, je n’étais jamais très loin, je n’en n’ai pas loupé une miette. Juste peut-être un peu plus actif dans la « vraie vie » que virtuellement, ce qui fait beaucoup de bien d’ailleurs!

  8. Mon bilan du camp? Voir tous ces jeunes aussi motivés et actifs, ça m’a redonné de l’espoir, et à 46 ans quand on a vu l’évolution du monde sur ces 30 dernières années, l’espoir était une bouffée d’air indispensable. Allez les jeunes! Cassez le moule!

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