Avis à une armée de connards (sur le Jatropha)

Il y a deux ans, j’ai publié un pamphlet contre les biocarburants, La faim, la bagnole, le blé et nous, chez Fayard. Je crois avoir pensé que le mouvement écologiste s’emparerait d’une question que je juge ontologique, sacrée. On sait le principe général : faire rouler des engins mécaniques en transformant des plantes alimentaires. Dans un monde qui compte un milliard d’affamés chroniques. Quelques salopards de toujours avaient donc lancé cette nouvelle industrie criminelle, utilisant pour leur seul profit des dizaines de millions d’hectares de terres agricoles ou arrachées aux forêts tropicales.

Le mouvement écologiste s’est totalement désintéressé du sujet, malgré tous les éléments que moi et quelques autres avions pu réunir. Pendant des mois, à la radio, dans des journaux, au cours de conférences, j’ai dû batailler contre tantôt des imbéciles et des dupes, tantôt de vrais cyniques, pour faire admettre l’évidence qu’on ne peut en aucun cas détourner un centimètre carré de terre cultivable au profit de la bagnole.

Parmi mes contradicteurs, certains n’hésitaient pas à me lancer à la face l’exemple merveilleux du Jatropha, une plante originaire d’Amérique latine, et qui allait révolutionner le monde de l’énergie. Habituée des zones arides, acclimatée déjà en Asie  et en Afrique, elle allait permettre à des communautés locales d’utiliser des surfaces impropres à toute culture, puis de gagner beaucoup d’argent grâce à l’exportation de cet or vert. Car, vous l’aviez compris, le Jatropha peut servir à fabriquer un carburant automobile.

Moi, dans mon livre, je disais qu’on ne tarderait pas à reparler du Jatropha, et cela n’a pas manqué. Mais j’ajoutais ce détail qui n’en est pas un. Au Brésil, le petit nom de Jatropha phyllacantha n’est autre que favela. Oui, la plante miraculeuse des margoulins porte le nom des bidonvilles locaux. Intéressant, n’est-ce pas ? La grande association humanitaire Swissaid, créée en 1948, a eu la fâcheuse idée d’aller voir au Mozambique ce que donnait la culture du Jatropha (ici)

Tout le papier – en français – vaut d’être lu. Mais voici quelques citations de l’une des responsables de Swissaid, Tina Goethe, qui n’appellent pas le moindre commentaire. « Contrairement à ce qui avait été affirmé au départ, la plante du Jatropha est sujette à des maladies phytosanitaires et partant, sa culture requiert d’importantes quantités d’eau, d’engrais et de pesticides ». « Les défenseurs de la culture de cette noix soutiennent que la plante peut être cultivée en terres semi-arides. Mais en réalité, le Jatropha se développe de préférence sur des surfaces cultivables. Ce transfert se fait au détriment des ressources alimentaires ». Et la conclusion du rapport de Swissaid note sans précaution inutile : « Il est démontré qu’au Mozambique, le Jatropha entrave le développement agricole durable ».

Si vous saviez pourtant combien de gens m’ont jeté à la face, depuis deux ans, le nom de cette plante  ! Parmi eux, une flopée de journalistes. Je ne sais que trop qu’ils sont déjà passés à d’autres imbécillités. Il n’empêche. Ma rage impuissante contre l’infamie des biocarburants est intacte. Et honte sur tous ceux qui continuent à se taire.

19 réflexions sur « Avis à une armée de connards (sur le Jatropha) »

  1. L’article se résume bien aussi avec cette phrase:

    «Celui qui fait le plein de biocarburant, affame les populations du Sud», avait clamé Jean Ziegler.

    Ca me fait penser, un peu dans un autre domaine mais pas si éloigné, à des journalistes qui posaient des questions à Mme Robin suite à son bouquin sur Monsanto et qui déblatéraient des platitudes sur les ogm démontrant une incompréhension complète du sujet sur lequel il s’emparaient (ce qui semble être assez général malheureusement).

    J’imagine bien que cela doit être rageant de se retrouver devant une telle situation … bon courage pour les prochaines suite au nouveau livre au titre évocateur. (Et merci d’avance de l’avoir écris bien que je pressente le dégout et la colère de sa lecture).

  2. Fabrice,

    ton lien vers Swissinfo.ch semble réservé aux utilisateurs de Microsoft.

    Le serveur refuse Opera 9 et Firefox 3, réputés acceptés, à partir d’une machine Linux.

    Je ne trouve pas de document relatif au jatropha sur le site de Swissaid (accessible avec n’importe quel navigateur, lui).

    Aurais-tu un lien à indiquer pour les réfractaires à Micro$oft ?

    Merci d’avance.

  3. Le jatropha n’a rien de miraculeux; en terre arride il survit mais ne grandis pas; pour être utile il nécessite énomément d’eau! Sans compter que l’utilisation des terres cultivable pour cette plante prive les locaux de surface vivrière…(que se soit une culture qui nécessicite en plus une pétrochimie polluante; c’est le pompon!)

    Il n’y a aucunes « plantes miracles » qui poussent dans le désert bonne à l’utilisation de carburant; pellets; sacs plastiques et j’en passe…

    Tout a des conséquences que ce soit pour le confort de la population locale; ou la biodiversité! La recherche de plantes comme ça pour pallier au pétrole est vraimment pire que mieu!

    Je me fritte pas mal avec mes élus écolos locaux à ce sujet! Bientôt dans ma région de grosses usines de cogénération vont être construite pour quelques kilowatt, et quelques logemment sociaux chauffés; les conséquences là où on va planter les eucalyptus sont à suivre…Parfois je me sens vraimment inutile!

  4. En milieu non réceptif, je me contente de dire, comme on sème des graines sauvages qui finiront bien par germer:

    « On nourrissait déjà nos vaches en affamant le tiers monde, maintenant on va pouvoir nourrir aussi nos bagnoles à ses dépens ».

  5. Jean-Paul,

    Mes possibilités étant ce qu’elles sont, voici le texte complet, tiré de cette adresse : http://www.swissinfo.ch/fre/recherche/Result.html?siteSect=882&ty=st&sid=11124978 :

    Jatropha, produit miracle ou calamité pour le Sud ?

    Une petite noix est au cœur d’un litige qui oppose les œuvres d’entraide et l’entreprise Green Bio Fuel. Cette dernière veut importer le Jatropha du Mozambique pour en tirer du biodiesel.

    Le carburant biologique, extrait de la noix de Jatropha fait figure de produit miracle dans la lutte contre l’épuisement des ressources pétrolifères et le réchauffement climatique. Mais la culture de la plante se ferait aussi au détriment des cultures vivrières. C’est du moins ce que dénonce une étude publiée par l’œuvre d’entraide Swissaid.

    «Contrairement à ce qui avait été affirmé au départ, la plante du Jatropha est sujette à des maladies phytosanitaires et partant, sa culture requiert d’importantes quantités d’eau, d’engrais et de pesticides», explique à swissinfo.ch Tina Goethe, représentante de Swissaid.

    Mandatés par plusieurs organisations non gouvernementales suisses, des collaborateurs de l’association des paysans du Mozambique ont examiné quelles pourraient être les conséquences de la culture de Jatropha, ou noix purgative, dans leur pays.

    «Les défenseurs de la culture de cette noix soutiennent que la plante peut être cultivée en terres semi-arides. Mais en réalité, le Jatropha se développe de préférence sur des surfaces cultivables. Ce transfert se fait au détriment des ressources alimentaires», ajoute Tina Goethe.

    «Il est démontré qu’au Mozambique, le Jatropha entrave le développement agricole durable», peut-on lire dans les conclusions du rapport. Les oeuvres d’entraide conseillent dès lors d’introduire un moratoire de cinq ans sur la culture du Jatropha dans ce pays.
    «Obstructionnisme»

    La parution de cette étude n’est pas un hasard. Le Parlement doit bientôt se pencher sur une initiative du député socialiste Rudolf Rechtsteiner, qui demande un moratoire de cinq ans sur la fabrication d’agrocarburants en Suisse. La commission ad hoc de la Chambre basse a approuvé sa requête.

    Chez Green Bio Fuel Switzerland AG, l’entreprise qui planifie la construction d’une usine qui produirait quelque 100’000 tonnes de biodiesel par année avec l’huile de la noix du Jatropha du Mozambique, ce vent d’opposition suscite scepticisme et incompréhension.

    «Par le biais de cette initiative parlementaire et de la publication de cette étude, Rudolf Rechtsteiner et les œuvres d’entraide conduisent une politique d’obstruction qui a pour effet de nuire à la Suisse», regrette le porte-parole de l’entreprise, Ulrich Frei, contacté par swissinfo.ch.

    Selon lui, la révision de la loi sur l’impôt sur les huiles minérales, de même que l’ordonnance sur l’écobilan des carburants, de l’Office fédéral de l’environnement, démontrent qu’un moratoire serait superflu.
    Politique de l’incitation, modèle à suivre

    Avec l’allègement fiscal sur les biocarburants issus de ressources renouvelables, la Suisse dispose d’un instrument d’incitation, cité en exemple, et même partiellement repris par l’Allemagne et l’Etat américain de la Californie.

    Au-delà des objectifs de politique environnementale – soit la substitution de 5% des carburants traditionnels par du biodiesel – Ulrich Frei souligne aussi les avantages socioéconomiques que présente le projet qu’il défend: «Pour 10’000 hectares de culture de Jatropha, 1’500 emplois sont créés au Mozambique. Et ce sont autant de personnes qui n’iront pas gonfler les bidonvilles urbains».

    Dans le camp adverse, les œuvres d’entraide mettent aussi la question sociale en exergue. «Les négociations portant sur l’attribution des licences pour la culture du Jatropha ont ouvert la porte à la corruption, affirme Tina Goethe, de Swissaid. Nous connaissons des cas dans lesquels des autorités locales se sont vues promettre la construction d’un puits, voire d’un hôpital par les investisseurs».
    Jean Ziegler, précurseur

    Swissaid et Ulrich Rechtsteiner s’appuient sur une requête de Jean Ziegler pour justifier leur position. En 2007 alors qu’il était rapporteur spécial auprès de l’ONU pour le droit à l’alimentation, l’ancien député avait demandé un moratoire de cinq ans sur les agrocarburants.

    La culture destinée à la production de biocarburants se ferait au détriment de la production alimentaire. «Celui qui fait le plein de biocarburant, affame les populations du Sud», avait clamé Jean Ziegler.

    Renat Künzi, swissinfo.ch
    (Traduction de l’allemand, Nicole della Pietra)

    Bien à toi,

    Fabrice Nicolino

  6. Pas de problème non plus avec Firefox.

    Dire que l’on va utiliser des terres semi-arides, non cultivables, pour les agrocarburants, grâce à une plante miracle, pourquoi pas. Mais c’est implicitement considérer que ces milieux sont vides de toute vie et que l’on peut y faire ce qu’on veut. Ca mérite au moins d’être discuté. Par ailleurs, il n’y a pas de plante miracle, qui pousserait beaucoup et vite sur des sols superficiels, tout cela avec très peu d’eau ! Faire croire que des régions semi-arides peuvent être des lieux de culture sans irrigation, même pour des plantes adaptées à la sécheresse, en espérant avoir un rendement tel que cela puisse être l’objet d’un commerce, c’est tout simplement parier sur l’incompétence de ses auditeurs. Bien souvent des journalistes, qui se feront l »écho de ce qu’il faut bien appeler de la propagande. Qui trouvera un terreau fertile chez ceux qui délèguent leur penser à d’autres…

  7. Après le jatropha, le manioc…

    Agrocarburant : un éthanol à base de manioc expérimenté en Colombie

    Colombie – Un véhicule fonctionnant avec un éthanol produit à base de manioc est actuellement expérimenté par le Centre de recherche en agriculture tropicale (CIAT) de Colombie. Cette voiture aurait parcouru 700 km sans rencontrer de problème notable.

    Équipé d’un kit de conversion vendu 120 dollars (84 euros) sur le site internet du CIAT, un véhicule de modèle commercial a réalisé un premier test très concluant en parcourant des centaines de kilomètres, roulant uniquement avec de l’éthanol à base de manioc. « Une mixture de 85% de bioéthanol et 15% d’essence est recommandée, mais nous utilisons 100% de bioéthanol pour ce test » a précisé Bernardo Ospina, le directeur exécutif du consortium Clayuca, spécialisé dans le manioc.

    Présente en abondance en Amérique latine, en Afrique ou encore en Asie, la plante est utilisée dans son intégralité pour produire l’éthanol hydraté de manioc. Cet agrocarburant est pour l’instant fabriqué dans une usine rurale pilote qui en produit 300 litres par jour.

    Après cet essai très concluant et afin d’obtenir un éthanol de meilleure qualité, les scientifiques du CIAT espèrent désormais parvenir à « une modification génétique de l’amidon du manioc pour augmenter la quantité de sucre libérée » explique Paul Chavarriaga, le responsable de ce projet.

    D’après les experts du CIAT, le manioc pourrait également être utilisé pour produire de l’électricité. Trois à cinq hectares de culture suffiraient à produire six heures d’électricité par jour pour une petite communauté.

  8. « Dire que l’on va utiliser des terres semi-arides, non cultivables… »

    En plus, il me semble que l’argument a déjà (beaucoup) servi: les indiens d’Amérique ne cultivaient rien avant l’arrivée des européens, le Maghreb était « inculte » quand nos gracieux colons ont entrepris de le « mettre en valeur », six millions d’arbres ont poussé en Israël sur « un sable infâme », et les essais nucléaires ont eu lieu dans un désert absolument… désert.

  9. et bien si nous sommes d’accord avec son constat, nous appelons l’esprit de

    http://www.primitivism.com/kaczynski.htm

    ….Then came the explorers, conquerors, missionaries, soldiers, merchants and immigrants with their advanced technology, guns, and government. The wild life that had existed for millennia started dying, killed by a disease brought by alien versions of progress, arrogant visions of manifest destiny and a runaway utilitarian science.
    « In just 500 years, almost all the giant trees have been clear-cut and chemicals now poison the rivers; the eagle has faced extinction and the beaver’s work has been supplanted by the Army Corps of Fngineers. And how have the people fared? ………

    aië non, il est TRES mal vu et infréquentable, et puis en taule pour de très longues années.

    on peut aussi décider de s’asseoir en foule sur les trottoirs des villes et des bords de campagnes pour dire non. çà suffit: grève de TOUT!on arrête le système.
    on peut aussi aller chercher au fond de nous les mots, les sésames qui vont ouvrir les coeurs et les âmes si endurcis, et faire tomber les murs.et surtout faire cesser cette cacophonie ambiante. La cour du roi Pétaud et Babylone réunies!.
    en attendant, encore une bonne nouvelle
    « Encore considéré comme une espèce commune il y a vingt ans, le milan royal est aujourd’hui menacé d’extinction en France. » suite de l’article instructif et une superbe photo de ce bel oiseau si vous allez voir le lien.
    http://www.univers-nature.com/inf/inf_actualite1.cgi?id=3879
    çà fait aussi penser que l’on peut aussi décider de porter le deuil, celui de la biodiversité par exemple.

  10. Facile Bernhard ! tu décides de l’ acte politique et tu agis avec non-violence.
    A la fin des commentaires de l’article précédent(À propos de Jean-Paul Besset (as a guest star)), je te donne un début de réponse , bien modeste, certes, mais sait-on jamais…

  11. Toute utilisation d’une terre agricole pour une transformation en carburant est un crime contre l’humanité.
    La terre sert à nourrir des hommes et des animaux, et non des moteurs de bagnole. Un désert ou une forêt amazonienne sont des lieux sacrés, ils ont à leur manière chacun leur fonction régulatrice, ne serait-ce que sur le plan climatique.

    On a vu ce que la culture intensive du coton au Tadjikistan a produit, et utiliser des sols agraires à d’autres destinations que de nourrir les hommes est un scandale écologique.

    Je ne connaissais pas votre livre. Merci pour ce combat.

  12. Jatropha, algues, arbres transgéniques, tout y passe, quand ce n’est pas l’électricité nucléaire…

    Tout pout sauver la sainte bagnole, la mobilité, les transports, la mondialisation des échanges, la consommation, la croissance.

    Sur une planète limitée, seule la croissance illimitée de la connerie est possible. Et les Humains ne s’en privent pas…

    MH

  13. Cher Fabrice,

    Tu as complètement raison sur le jatropha. Lors de mes missions en Inde et au Népal, on m’a informé que les monocultures de jatropha étaient très sévèrement « attaquées » par des parasites. Gaïa a horreur des monocultures et elle envoie ses petits insectes nettoyer les errements agricoles. Il en est de même pour les plantations de Neem, Azadirachta indica, par définition, l’arbre aux vertus « insecticides et antiseptiques ». Les monocultures de Neem sont totalement anéanties en Inde, ce qui est le comble du comble pour un arbre pesticide!

  14. Quand on sait que les fourmis sélectionnent pour leurs « élevages » les pucerons résistants aux pesticides, on mesure à quel point cette entreprise est vouée à l’échec et on devrait comprendre que seul un sol en bonne santé fera une plante saine et résistante. Mais vu que ce genre de raisonnement est rare pour la santé humaine, faut pas s’étonner qu’il ne perce pas plus en agriculture.

  15. Mathieu (8 septembre) a dit ce que je voulais dire: on invente toujours un petit miracle, surtout quand on ne se pose pas la question des ordres de grandeur.

    Fabrice tu as tort: ton travail n’a pas été un coup d’épée dans l’eau; sans que tu sois le seul, sans doute, à l’origine de ce retournement de tendance je crois bien situer précisément au moment où j’ai entendu parler de toi (une intervention chez Ruyth Stégassy un matin de septembre 2007, la veille de l’ouverture 🙂 ) le point où les biocarburants sont redevenus citrouille; à part les imbéciles qui ne se posent pas de question ou qui ne veulent pas se dédire (e.g la commission européenne), surtout quand leur foi dans la croissance infinie est remise en cause, il ne se trouve plus grand monde pour défendre avec candeur les « biocarburants ».
    Ca ne veut pas dire que les puissants ont changé d’avis, certes. Mais il paraît maintenant acquis que ce mot magique ne peut plus faire partie de la boîte à outils merveilleuse dans laquelle puisent les rédacteurs de programmes électoraux, eurotechnocrates béats et autres éditorialistes superficiels, idéologues, et pressés. On sait maintenant qu’il n’y a plus que défense d’intérêts et refus du questionnement.

    Au coeur de tout, il y a la civilisation de la bagnole, à abattre, car son problème n’a pas de solution. Continue, c’est utile.

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