Bon. Soyons franc et direct, j’ai été absent. Et comme je viens juste de rentrer, je n’ai pas eu le temps encore d’écrire un mot. C’est pour cette raison que je vous inflige l’article qui suit, paru dans le numéro 955 (6 octobre) de l’hebdo Charlie-Hebdo, sous ma signature (quand même). Vous faites ce que vous voulez, mais le sujet concerne tout le monde. À titre personnel, je suis décidé à aller fort loin dans l’opposition à l’extraction de gaz de schistes en France et en Europe. Mais je n’ai rien dit.
Un nouveau Larzac ? Et pourquoi pas ? Joyeux habitants de Montélimar, de Montpellier, de l’Ardèche, des Cévennes et des Causses, l’affaire du « gaz non conventionnel » pourrait bien vous intéresser. Présentons d’abord Halliburton , qui est « the expert in shale gas production », parce que « no one has more shale experience — and success—than Halliburton (1) ». Avant de vous parler du gaz lui-même, un mot sur Halliburton, dirigé par Dick Cheney de 1995 à 2000, avant qu’il ne devienne le vice-président de ce cher ange appelé W.Bush. Halliburton – BTP, industrie pétrolière – n’aura pas tout perdu en Irak, où elle est passée en une seule année de guerre du rang de 19ème fournisseur de l’armée américaine à celui de numéro 1. Avec menus scandales à la clé. Mais ne nous égarons pas.
Le « shale gas » dont Halliburton est l’expert, c’est un gaz naturel dont on s’est foutu pendant un siècle, parce qu’on en trouvait alors partout. Comme on commence à être à court, les gentils pétroliers ont redécouvert cette merveille, cachée dans l’argile et les schistes d’immenses bassins sédimentaires. En résumé, il y en a (presque) partout. Aux Etats-Unis, le « shale gas » représente déjà entre 12 % et 20 % de la production totale de gaz. Personne ne sait exactement, ce qui donne une idée de la rapidité du phénomène. Certains connaisseurs estiment qu’on pourrait atteindre 30 %, voire 50 % de en 2020. Or les Etats-Unis sont quand même le deuxième producteur de gaz dans le monde après la Russie. C’est une révolution.
Elle atteint notre cher vieux pays avec une discrétion de violette. Le 1er mars 2010, le ministère de l’Écologie de notre bon monsieur Borloo a accordé sans la moindre publicité des permis d’exploration à toutes sortes d’amis de la nature : notamment Total, GDF-Suez et la compagnie américaine Schuepbach Energy. Total a le droit de fouiner sur un immense territoire entre Montélimar et le nord de Montpellier. Les deux autres se partagent un permis en Ardèche et un autre – dit de Nant – qui couvre plus de 4 000 km2 entre Saint-Affrique et Le Vigan, en passant par le…Larzac.Or sauf erreur, ce plateau est habité. José Bové est comme qui dirait sur le pied de guerre : « Je reviens d’Allemagne, raconte-t-il à Charlie, où j’ai rencontré un géologue qui m’a expliqué la technique d’extraction de ces gaz. Il faut forer de très grandes galeries et utiliser des quantités phénoménales d’eau à très haute pression pour fracturer la roche. J’ai réfléchi à la question, et dans ma région, je ne vois que deux sources d’eau possibles. Soit on fait un barrage sur la Dourbie et l’on noie le village de Saint-Jean du Bruel. Soit on privatise la source du Durzon, ce qui priverait d’eau la moitié du Larzac ».
Présenté comme cela, le projet paraît tout de suite plus sympathique. Mais il faut y ajouter deux ou trois bricoles. Un, la technique appelée « fracturation hydraulique » a été mise au point par Halliburton, qui a donc grand intérêt au développement des forages partout dans le monde. Deux, l’eau pressurisée est surchargée de produits chimiques et toxiques, ce qui facilite le travail, mais pollue en grand les nappes phréatiques. Un film américain tout récent, Gasland (2) rapporte des situations foldingues. Les forages chargent l’eau en produits cancérogènes comme le benzène, rendent malades hommes et animaux, et dans certains cas, transforment l’eau elle-même en produit…inflammable.
Environmental Protection Agency (EPA) – une vaste agence fédérale américaine – avait estimé en 2004 qu’il n’y avait aucun problème, mais c’était au temps de Cheney et de la toute-puissance d’Halliburton. L’agence vient de lancer une étude de fond, et d’ores et déjà, une ville du Wyoming, Pavillion, apparaît sinistrée (3). Ses habitants ne doivent plus boire l’eau du robinet, polluée au benzène, au 2-Butoxyéthanol et à d’autres toxiques liés à une exploitation voisine de « shale gas ».Autre conséquence certaine : l’extraction, puis la combustion de milliards de m3 de gaz fossiles, bourrés de CO2, ne peuvent qu’aggraver un peu plus la crise climatique. Borloo l’écolo, qui a signé les permis, attend sûrement d’être à Matignon pour lancer un plan de lutte. « C’est la fuite en avant, reprend José Bové. Au lieu de lutter contre le gaspillage énergétique et de diminuer la demande, les grands pétroliers veulent encore augmenter l’offre ». D’accord, mais ils ne seraient quand même pas assez cons pour priver le Larzac d’eau, si ? « Mais ils sont très cons, termine Bové. Qui avait eu l’idée de construire un McDo à Millau ? ».
(1) www.halliburton.com/ps/default.aspx?navid=1413&pageid=2867
Très bon papier, mais malheureusement bien isolé, car ce type de forage dans les sous sols envisagés, troués comme du gruyère, c’est l’installation d’une machine à tremblement de terre. Je pèse mes mots, cela pourrait être une catastrophe majeure.
Lire :
http://www.swissinfo.ch/fre/actualite/Un_projet_geothermique_provoque_un_seisme_a_Bale.html?cid=5618194
À tous,
Un nombre assez important de commentaires à cet article ont disparu à la suite des problèmes techniques que j’ai rencontrés. Si l’un d’entre vous souhaite me renvoyer le sien, je le mettrai évidemment en ligne.
Fabrice Nicolino
Je suis un peu atterré par cette information, d’autant plus que je vais traverser bientôt le Rhône pour m’installer en Ardèche,à 30 km de Montélimar.
En effet, la machine semble en marche : ordre du jour d’un workshop sur le sujet …