Du plomb dont on fait des neuneus

Publié en juillet 2023

Ainsi va le monde, tandis que nous hésitons sur la marque de notre prochain téléphone portable. La Burkinabée Nafisatou Cissé dirige une ONG internationale qui lutte contre l’intoxication par le plomb (1). Et elle vient de signer un article (2) dans la revue Nature qui fait le point sur ce si grand désastre. C’est très difficile à croire, et pourtant. Extrait : « Dans le monde, 815 millions d’enfants – 1 sur 3 – ont des niveaux dangereux de plomb dans le sang, suffisants pour provoquer des lésions cérébrales irréversibles, des déficiences intellectuelles, une baisse du niveau d’éducation, des troubles du comportement, une diminution des revenus tout au long de la vie, de l’anémie, des maladies rénales et des maladies cardiovasculaires ».

D’ou vient cet enfer toxique ? Des ustensiles de cuisine en aluminium, des céramiques, des épices, des cosmétiques et des piles, du recyclage des déchets électroniques et des batteries au plomb. Et bien sûr des peintures auxquelles on ajoute du plomb pour accélérer le séchage et donner de la couleur. On s’en doute un peu, il est très facile, comme dans les pays du Nord, de s’en passer. Le plomb, combien de morts dans le monde ? Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près d’un million chaque année. Et, ajoute Nafisatou Cissé, « on estime que les effets du plomb sur le développement cognitif entraînent chaque année une perte de revenus de près de 1 000 milliards de dollars dans les pays à revenu faible et intermédiaire ».

Vous avez bien lu : 1 000 milliards de dollars, à rapprocher des 9,6 milliards de dollars du budget d’un pays comme le Sénégal en 2023. Et la lutte contre le plomb mobilise à grand-peine 10 millions de dollars de fonds internationaux par an. Ce n’est pas seulement fou, c’est sanguinaire. Comme à l’habitude, derrière le crime, il y a l’industrie. Il fallait mettre du plomb partout, car on le produisait massivement. En 2022, des pays comme la Chine – deux millions de tonnes – et l’Inde – 240 000 tonnes – augmentent leur production. Et la baisse chez d’autres – Australie, États-Unis, Canada, Mexique – est minime.

Malgré l’interdiction mondiale du plomb dans l’essence en 2021, la tuerie continue. Au Sud on l’a vu, mais aussi au Nord. Une étude sérieuse de 2018 estimait à 412 000 morts par an aux États-Unis l’intoxication par de faibles expositions au plomb (3). 412 000, le sixième de la mortalité ! Mais pas en France, oh non. On se souvient du nuage de Tchernobyl arrêté en 1986 par la douane aux frontières françaises. Eh bien, de même, le plomb n’est pas passé par chez nous.

Démonstration immédiate par un rapport de la Direction du travail, révélé en juin par Le Parisien. En résumé express, la SNCF se tamponne le coquillard de l’exposition au plomb de ses salariés. Elle avait promis d’agir, mais ne l’a pas fait, et dans les gares d’Austerlitz, de Lyon, de Saint-Lazare et du Nord, elle « ne se conforme pas à des obligations essentielles de prévention des risques d’exposition au plomb, bien qu’en connaissant les termes ». Et ça craint, car « les éléments recueillis par les inspectrices du travail permettent d’établir l’existence de situations dangereuses pour les salariés de l’entreprise et de celles intervenantes ».

Mais que dire alors de l’incendie de Notre-Dame en 2019 ? Nos chers Bernard Arnault et François Pinault ont aussitôt montré grandeur d’âme et philanthropie, offrant ensemble 300 millions d’euros pour la reconstruction de la cathédrale. Oui, mais où sont passées les 400 tonnes de plomb qui ont fondu dans l’incendie avant d’être vaporisées pour le bien-être universel ?

Il faut reconnaître que l’affaire devient passionnante, car par un tour de magie digne d’Houdini, elles ont disparu. Malgré les plaintes de l’association Robin des Bois, on est toujours à leur recherche. Question des plus innocentes : pouvait-t-on trucider le tourisme parisien, l’un des grands moteurs de l’économie ? Pouvait-on se permettre d’en trouver dans les cours de récréation, les jardins publics, les intérieurs bourgeois de ce quartier chic ?

(1)en anglais https://leadelimination.org/

(2)en anglais https://www.nature.com/articles/d41586-023-02368-0

(3)en anglais https://www.thelancet.com/pdfs/journals/lanpub/PIIS2468-2667(18)30025-2.pdf

Deuxième papier

La chimie arrêtée aux frontières (bis repetita)

Ce n’est pas en France qu’on verrait cela. Certes, les États-Unis sont le royaume des pires pollueurs, mais ils abritent aussi des procureurs indépendants et teigneux dont on ne voit pas l’équivalent chez nous. Témoin cette plainte du bureau du procureur général de Washington contre 25 entreprises de la chimie, accusées d’avoir fabriqué et vendu des produits toxiques qui empoisonnent la capitale fédérale américaine depuis les années 1950.

L’Attorney general vise en particulier deux entreprises, 3M et DuPont, qui ont beaucoup utilisé ce qu’on appelle des forever chemicals, les PFAS. Autrement dit, des polluants chimiques éternels, dont la structure résiste à toute dégradation pour des siècles. Et ils l’on fait en cachant à la société et aux organismes de contrôle les risques pour la santé et l’environnement, qu’ils connaissaient pourtant. 3M pèse 34 milliards de dollars de chiffre d’affaires – 92 000 employés – et DuPont « seulement » 13 milliards après différentes modifications de capital. Des géants de l’industrie transnationale.

Ça chauffe d’autant plus que cette plainte arrive après un accord passé par 3M le mois dernier avec plusieurs villes américaines. L’industriel a accepté de verser au total 10,3 milliards de dollars sur 13 ans pour financer la dépollution des services publics de distribution de l’eau. Mais de leur côté, les cauteleux avocats de DuPont jurent qu’ils n’ont rien à voir dans cette histoire. Selon eux, DuPont n’a jamais fabriqué de PFAS, et d’un point de vue torve, c’est vrai. Car entre 2017 et 2019, l’antique DuPont de Nemours s’est scindé en trois entités. Et celle qui a gardé le nom, en effet, n’a pas fabriqué de PFAS.

C’est si gros qu’on se pince. Au fait, à quand des plaintes en France ? L’usine de 3M à Tilloy-lez-Cambrai (Nord) ne mériterait-elle pas une enquête approfondie de Santé Publique France ou de l’Agence régionale de santé ? En 2021, des tests sanguins ont montré que 59% des riverains de l’usine 3M de Zwijndrecht (Belgique) étaient farcis de PFOS, sous-famille des PFAS. Mais en France, jamais !

Troisième papier

La canicule tue aussi (surtout) les bêtes

Ils souffrent beaucoup plus que nous. Ils meurent par millions et nous regardons gentiment s’il y a encore du rosé au frais. Eux, les animaux sauvages. Eux, les plantes et les arbres. La canicule est un enfer, et l’on commence à entrevoir ses conséquences. Une étude (1) menée en 2021 et 2022 à Matera, dans la Basilicate (sud de l’Italie) montre les effets d’un stress thermique sur la population locale de faucons crécerellettes – un millier de couples ! -, qui nichent sous les tuiles ou sur les façades de Madera, l’une des villes les plus anciennement habitées au monde.

Encore l’étude ne porte-t-elle que sur des températures ne dépassant pas 37 degrés. Loin de la chaleur de 2023. L’équipe scientifique a pu montrer qu’en créant artificiellement de l’ombre sur les nombreux nichoirs de la ville, on pouvait ainsi abaisser la température de quatre degrés. Et le résultat à l’arrivée est saisissant : dans les nichoirs non ombragés, un tiers des œufs sont devenus des poussins prêts à l’envol. Mais dans les autres, autour de 70%.

Commentaire du professeur Diego Rubolini (2), de l’université d’État de Milan : « Ces résultats montrent que les phénomènes de températures extrêmes (…) dans certains cas jamais enregistrés auparavant, peuvent avoir des effets profonds et très rapides sur les populations d’animaux sauvages ». D’autant que «  les scénarios de changement climatique prévoient une nouvelle augmentation de la fréquence et de l’intensité des vagues de chaleur(…) en particulier dans la région méditerranéenne ».

(1)en anglais https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/gcb.16888

(2)en italien https://www.lescienze.it/news/2023/07/27/news/stress_termico_effetto_animali_selvatici_ecosistema_l-13011009/

Mon ami (Jean-Yves Monnat n’est plus)

Je ne vais pas insister : mon cœur saigne affreusement, car Jean-Yves Monnat est mort ce matin. Vous trouverez ci-dessous un article que je lui avais consacré il y a longtemps. Il contient peut-être des fautes, car ce n’est qu’un brouillon retrouvé par miracle dans un ancien ordinateur. Quand l’ai-écrit ? Je ne sais pas. 2004, probablement. Où a-t-il été publié ? Sans doute dans le magazine Terre Sauvage. Mais qu’importe. Je suis triste et je le pleure.

L’article de (peut-être) 2004

Au Cap Sizun, tout près de la pointe du Raz, le biologiste Jean-Yves Monnat suit depuis 25 ans des colonies de mouettes tridactyles. Pas n’importe comment : grâce à un étonnant système de bagues colorées, les milliers de mouettes équipées sont devenues de vrais individus ! Récit d’une (en)quête qui mêle l’alpinisme à la haute précision, l’amour de la nature à un zeste de folie.

Cet homme est un fin cuisinier, et si cela devenait nécessaire, il lui serait en conséquence beaucoup pardonné. Ragoût de lotte, s’il vous plaît, et vin rouge chambré servis dans l’antre même du naturaliste, à Goulien (Finistère). Le pays de Jean-Yves Monnat, à nul autre pareil, c’est celui du (vrai) grand large : le grandiose, le violent, l’émouvant Cap Sizun. Un bout de terre ultime qui vient buter contre l’Atlantique par des pointes qu’on ne peut jamais oublier après les avoirs vues : celle du Raz, celle du Van, Castelmeur, Brezellec, Luguenez.

Le monde des tempêtes et des assauts, avec des dizaines de kilomètres de hautes falaises oubliées par miracle, épargnées par le tourisme de masse et les processions de voitures. La maison de Jean-Yves, où l’on est arrivé il y a deux heures, est une ancienne, une butte-témoin perdue au bout d’un chemin, vestige intact d’une civilisation paysanne engloutie. Bâtie il y a 150 ans, en granite, bien sûr. Juste avant d’y parvenir, on aperçoit au pied de l’horizon les tout nouveaux géants du lieu : les interminables silhouettes grises des éoliennes, qui prennent l’air, et donnent du courant.

On pourrait de suite aborder le sujet de la visite, mais où serait alors le plaisir de la palabre ? Non, on parle. D’un peu tout ce qu’on veut et qui vient. Tiens, annonce l’hôte, un livre doit paraître en 2005, édité par l’Institut océanographique de Monaco. Le sujet : quel temps faisait-il, disons, le 23 juillet 431. Ou le 24 mars 867. Impossible ? Plus maintenant. Grâce à une équipe de l’université de Pau, qui sait extraire par laser les stries journalières de calcite que fabriquent les huîtres pour parfaire leurs coquilles. Par la minutieuse analyse de la composition de la calcite, comme ailleurs avec les calottes de glace retirées du sous-sol de l’Antarctique, les scientifiques parviennent à reconstituer la température d’un jour précis du passé. Pour vous dire la vérité, on écoute bouche bée.

Et puis, sans transition, on rigole. Car Jean-Yves raconte maintenant ses longues virées en pays Pourlet – autour de Guéméné -, pour y recueillir avant qu’elles ne meurent à jamais d’antiques chansons paysannes. « Cela a duré de 1963 à 1978, dit-il. Vous saviez que le pays Pourlet a des limites très précises ? La frontière passe même au milieu d’une commune ! Vous connaissez bien sûr Donatien Laurent, l’homme de la tradition orale en Bretagne ? » Eh bien non, on ne connaît pas cet étonnant professeur Nimbus-là, grand ami de Jean-Yves, et prodigieux archiviste de la mémoire régionale.

Il a réussi, entre autres, à éteindre une polémique datant du XIXème siècle autour d’un recueil de chansons bretonnes d’avant 1830, qui avait fort impressionné George Sand et les frères Grimm. L’œuvre était-elle authentique, arrangée, en partie inventée ? Verdict définitif de Donatien, qui retrouva d’autres parties du travail : un vrai chef-d’œuvre. Est-il temps de parler de mouettes tridactyles, objet de ce périple en finis terrae, ce pays où s’achève la terre ? Presque.

On apprend avant cela qu’en septembre 1959 – il a 17 ans -, Jean-Yves est de l’aventure d’un des premiers camps de baguage de migrateurs à Ouessant, où se formera une partie de la fine fleur naturaliste de Bretagne. Son père, chasseur et grand amoureux des prés, des bois et de leurs habitants – l’espèce n’est pas si rare -, l’a initié au bonheur du grand dehors. A 17 ans donc, Ouessant et dans la foulée des études de biologie à la fac de sciences de Brest, où il passera un DEA sur le comportement animal en 1964. Son sujet d’études ? Les vers marins.

L’année suivante, il devient le premier assistant du professeur Albert Lucas, glorieux fondateur, avec son ami Michel-Hervé Julien, de la SEPNB (Société pour l’étude et la protection de la nature en Bretagne), qui deviendra Bretagne Vivante. Il se lance alors dans une passionnante étude – on ne rit pas – sur la sexualité des bivalves, qui deviendra en 1971 une thèse. Il ne reste plus qu’à mener carrière, ce qui ne sera pas le plus simple. Car il refuse les directions que lui suggère Lucas. L’aquaculture, qui commence dans ces années-là ? Bof. L’écotoxicologie, dada de Lucas ? Non plus. Jean-Yves lâche les mollusques, et se tourne – enfin, on y est ! – vers les oiseaux de mer.

En 1967, il avait trouvé le temps de créer l’association ornithologique Ar Vran et commencé, dans les années suivantes, à s’intéresser de près aux goélands argentés, jusqu’à leur consacrer, à partir de 1974, une étude. Grande trouvaille, au passage : il adapte un système de marquage coloré individuel par bagues, qui permet de suivre les oiseaux à distance, par jumelle et longue vue, et de ne plus dépendre d’une aléatoire recapture des oiseaux. Quand il propose en 1978 au Centre de Recherches sur la Biologie des Populations d’Oiseaux (CRBPO) – rattaché au Muséum de Paris – d’appliquer le système aux cormorans huppés et aux mouettes tridactyles de sa chère Bretagne, on lui répond positivement.

Pourquoi ces deux espèces ? D’abord parce qu’elles sont très différentes, ce qui ne peut que passionner le chercheur. Le cormoran est un gros père prolifique – 3 à 4 œufs en moyenne -, qui s’écarte fort peu des côtes. La mouette, de son côté, a besoin de falaises pour nicher, mais aussi de l’océan tout entier, où cette hauturière se disperse après la reproduction, des côtes africaines européennes au Groenland. Une autre raison, de simple opportunité, pousse un peu plus Jean-Yves vers les mouettes. Un jeune ornithologue, Alain Thomas, vient d’arriver à la réserve ornithologique de Goulien, sur les falaises du cap Sizun, et il cherche pour sa part un sujet d’études.

Les deux hommes font affaire : à Jean-Yves, le baguage des mouettes; à Alain, leur suivi tout au long de la saison de nidification. C’est le début – nous sommes en 1979 – d’une des plus précieuses et plus rigoureuses études jamais menées au monde sur ce qu’on appelle la biologie des populations. Toutes espèces confondues (voir encadré) ! Mais pour mieux comprendre, rien ne vaut un peu de terrain. On quitte enfin la table accueillante de Jean-Yves – le café est pris – pour rejoindre l’une des plus fabuleuses falaises à mouettes tridactyles qui soient, toute proche de la pointe du Raz. La 5 Z, pour être précis, et Dieu sait qu’il faut l’être. On abandonne sans regret la voiture, on serpente dans la lande, la fougère aigle, les ronciers, juste au-dessus de la mer d’Iroise, étrangement calme pour une fois. La baie des Trépassés se découpe à merveille au nord-est, tout comme la 5 Z, qui abrite quand tout le monde est là, 250 couples de mouettes tridactyles.

On s’assoit, et l’on change aussitôt de dimension. Car l’impossible se produit : Jean-Yves Monnat connaît tout le monde ! Oui, on l’entend parler. Se parler, leur parler peut-être. Le mâle du nid 77 n’a pas encore été vu cette année. Tiens, la femelle du 155 est enfin arrivée. Ah, dans le nid 87, il y a un usurpateur, car ce n’est pas le sien, et tout à l’avenant. « Vous voyez cet oiseau, là, sous le nid 123, avec son aile sous le bras ? ». On essaie, le nez sur la longue vue, on réussit. « Eh bien, il a une histoire très intéressante. Il a été bagué en 1989, l’année où je suis tombé de la falaise, et il a essayé sans succès de se reproduire dans la partie de la réserve de Goulien ouverte au public. Il a aussi essayé à Ouessant, et on l’a vu ici, au Raz, à plusieurs reprises. »

Bien sûr, l’anecdote est passionnante, qui démontre ce qu’un baguage presque systématique permet d’obtenir. Mais pour ne rien vous cacher, on a sursauté en entendant parler de chute, car les falaises font ici plusieurs dizaines de mètres de hauteur ! On fait donc répéter. « Oui, je suis tombé, en juillet 1989. J’étais pressé, l’année avait été mauvaise, je n’avais bagué que 150 poussins à peu près. Or l’un d’eux était tombé du nid, et j’ai voulu le récupérer avec une perche au bas de la falaise. Et quand je me suis retrouvé encordé, dans le vide, tout a lâché d’un coup. Une chute de vingt mètres, directement dans un trou d’eau d’1,10 m de profondeur. »

Par un authentique miracle, Jean-Yves, qui avait oublié d’attacher un nœud, ne se rompt pas (tous) les os. Oui, on avait oublié : pour descendre dans les falaises au-dessus de la vague, il faut être alpiniste aussi. Cela tombe bien, car Jean-Yves Monnat, grâce à un beau-frère suisse, a longtemps été un grimpeur de haut niveau, escaladant les cimes aussi bien dans les Alpes que dans les Pyrénées. Et cela n’est pas de trop, quand il s’agit d’aller baguer un minuscule oiseau sur un tout petit rebord de granite. Une falaise est dite « mûre » pour l’exploit quand le poussin le plus jeune de la paroi est assez grand pour supporter les bagues et que le plus vieux n’a pas plus de 30 jours de vie. Au-delà, trop proche du moment de l’envol, il peut paniquer, et tenter la fuite.

Il existe une fenêtre d’environ un mois pour baguer les centaines de nouveaux-nés, à la moyenne sidérante de 5 par heure de travail. Équipement du grand maître : une perche de stabilisation, une autre pour la capture; un réglet pour mesurer la bête; une musette contenant les séries de bagues; diverses cordes, un casque, une escarpolette, un harnais, un descendeur. Entre autres, et sans compter ce pilulier dans lequel on déposera les parasites de l’oiseau prélevés aux fins d’analyse. Sur la falaise 5Z, les choses se sont brutalement animées. Des squatters chassent sans état d’âme de légitimes occupants, des drames de la vie de couple éclatent à tous les étages, des rencontres se forment.

Deux femelles se lancent dans une épouvantable bataille pour le même nid. Elles se frappent, se piquent, l’une d’elles saigne. Elles s’envolent en se poursuivant, reviennent, se tapent de nouveau l’une sur l’autre. Et il n’y a jamais qu’un vainqueur. Une autre, posée à l’écart de la colonie, est en « congé sabbatique » depuis trois ans, ce qui signifie qu’elle ne pond pas. Elle ne quitte guère son coin de falaise, après avoir tenté un rapprochement avec un mâle, deux ans avant. Ailleurs, un mâle solide « quémande » un accouplement qu’une femelle lui concède d’un hochement de tête. Le mâle ouvre les ailes, soulève la patte droite, prélude à l’amour. Jean-Yves voit tout, décrypte tout, et l’on se demande soudain ce qui est le plus fascinant, de lui ou d’eux.

« Je connais, avoue-t-il à force d’insistance, les 3 000 sites potentiels de nidification du cap Sizun et je connais aussi les propriétaires de chaque nid occupé, soit environ 1 000 couples par an. » Voilà sans doute la principale force de ce travail scientifique. A la différence des grandes colonies de mouettes tridactyles, dans les îles britanniques par exemple, il est possible ici de suivre des individus, dont bon nombre reviennent chaque année. Les plus vieux ont vingt ans de présence ! Au bout d’une simple demi-heure d’observation patiente, Jean-Yves a identifié 111 individus différents et noté leur présence et leurs tribulations sous forme d’énigmatiques hiéroglyphes. Au moment où l’on s’y attend le moins, dans une clameur fantastique, la plupart des mouettes se jettent dans le vide, formant comme un nuage tourbillonnant. Un cri d’alerte a entraîné ce que les biologistes appellent un vol panique.

Que se passe-t-il ? Jean-Yves montre au-dessus de la falaise deux points gris-noir qu’on n’aurait sans doute pas vus sans lui. « Des faucons pèlerins, annonce-t-il. De terribles prédateurs ! ». On s’apprête déjà à repartir, certain que les mouettes, qui se sont posées sur l’océan, à 300 mètres, ne reviendront pas de sitôt. Erreur : en un souffle blanc saturé de cris, elles sont déjà de retour, sur leur morceau de pierre éternel.

——————————————————————————————Encadré

Quand les oiseaux deviennent des individus

En France, la mouette tridactyle se porte bien : ses effectifs n’ont cessé d’augmenter depuis une soixantaine d’années au moins. On estimait leur nombre à 5700 couples en 2000, dont 65% en Normandie et 21% en Bretagne. L’étude commencée en 1979 sous la direction de Jean-Yves Monnat est connue dans le monde entier et a permis d’importantes publications dans certaines des grandes revues scientifiques internationales.

Elle repose sur le baguage d’une majorité des poussins qui naissent dans la zone d’étude – le Cap Sizun -, et le suivi individuel des oiseaux, année après année. Question centrale de ce long travail : comment expliquer les fluctuations parfois étonnantes de la démographie des colonies ? Monnat et ses collègues parviennent à prouver, à l’encontre de l’opinion générale, que les mouettes ne sont pas nécessairement fidèles à vie à leur colonie. Bien mieux, ils démontrent que dans certains cas, des déménagements massifs deviennent la règle. Et notamment après des échecs répétés de la reproduction dans la colonie d’origine.

En somme, les oiseaux évaluent en permanence, avec une grande acuité, la qualité des sites où ils doivent se reproduire. Cette découverte permet au passage de comprendre le « squattérisme », c’est-à-dire l’occupation par la force de nids plus favorables. Mais pourquoi tant d’échecs à la reproduction ? L’étude a montré le rôle énorme, stupéfiant de la prédation. Le Grand corbeau – un oiseau rare – ou la corneille noire sont d’impitoyables tueurs. Un seul couple de ces oiseaux peut détruire la presque totalité de la ponte d’une colonie de plusieurs centaines de mouettes !

L’étude, au total, a permis, du moins pour les cinq colonies du Cap Sizun, de définir un schéma répétitif en cinq étapes. D’abord la fondation de la colonie, puis son accroissement, l’apparition d’un prédateur – qui finit par se spécialiser dans les attaques contre les mouettes -, l’affaissement de la reproduction, et enfin l’émigration massive. Ou les mouettes formeront une nouvelle colonie, ou elles en rejoindront une autre, déjà installée.

Dans le Gaza d’avant, tombeau à ciel ouvert

Ce qui suit ne parle pas de la guerre en cours

On lit souvent que la bande Gaza est une prison à ciel ouvert. Mais ce n’est pas vrai. On ne s’échappe pas de cette minuscule bande de terre. L’immense majorité des Gazaouis vivent un confinement qui dure pour certains depuis des dizaines d’années. On naît et on meurt là. Ce n’est donc pas une prison, mais un tombeau. À ciel ouvert. Bien avant la guerre en cours, la vie réelle y était devenue impossible. 5800 habitants au km2 en moyenne, mais plus de 20 000 dans les zones urbaines. Et une recherche permanente de nourriture ou de médicaments.

Et d’eau. Le problème n’est pas nouveau, mais il s’aggrave d’année en année, et paraît désormais insoluble. La ressource essentielle vient de la nappe souterraine, un aquifère qui longe la Méditerranée. 94% des Gazaouis en dépendent pour leurs besoins quotidiens Surexploitée, la nappe se vide trois fois plus vite qu’elle ne se recharge grâce aux faibles pluies d’une région aride. Par un phénomène bien connu d’intrusion, la mer toute proche s’infiltre à travers des sols poreux et transforme l’aquifère en un réservoir saumâtre, gravement pollué, en outre, par les eaux usées, les pesticides, les microplastiques. 97% de son eau est désormais impropre à la consommation humaine.

En théorie, car beaucoup n’ont pas le choix. Une fois par semaine, par exemple, la famille de Noura – son mari, leurs six enfants – reçoit de l’eau et en remplit aussitôt une citerne de 500 litres. L’eau du robinet est tellement salée qu’elle ne peut être bue, et ne peut servir qu’au ménage et à la lessive (1). Les canalisations, les appareils ménagers qui en utilisent sont irrémédiablement corrodés. La pollution par le sel a bien entendu de graves répercussions sur une production agricole en chute libre : certaines des cultures jadis prospères, comme le concombre et la pastèque ont en effet besoin de grandes quantités d’eau douce.

Le business de l’eau potable est donc florissant, mais beaucoup de Gazaouis n’ont pas de quoi en acheter. Les autres consacrent jusqu’au tiers de leur revenu à l’achat d’eau. Une étude sérieuse estime que plus d’un quart des maladies, dans la bande de Gaza, sont causées par l’eau. À ce qui ressemble vaguement à de l’eau. En 2017, l’UNICEF interrogeait une mère de famille, So’ad (2) : « Ici, tout le monde dépend des fosses d’aisance qu’ils vident dans la région. Il y a maintenant une grande et profonde mare d’eaux usées à côté de notre maison. C’est dangereux pour les enfants et l’odeur est épouvantable. En hiver, les eaux usées inondent la rue et pénètrent dans notre maison ». Et l’UNICEF ajoutait : « L’incidence de la diarrhée chez les enfants de moins de trois ans a doublé. Tous les enfants de la bande de Gaza sont exposés aux maladies d’origine hydrique ».

La mer ? À l’été 2017, un gosse de cinq ans, Mohammed Salim Al-Sayis meurt d’être allé se baigner non loin d’un collecteur d’égout se jetant directement en mer. 108 000 m3 d’eaux non traitées – ou si peu – se déversent chaque jour dans la Méditerranée. Et des milliers de pêcheurs – selon les sources, de 2000 à 4000 – se font concurrence à l’intérieur de la zone autorisée par Israël, ramenant des poissons de plus en plus rares, farcis de métaux lourds et de microplastiques.

C’est que la bande de Gaza produit autour de 2000 tonnes de déchets chaque jour et que les trois grandes décharges : Sofa, dans le Sud, Deir al-Balah et Johr al-Deek, dans l’Est, sont saturées depuis au moins dix ans. Des dizaines d’autres – 80, 100, 150 ? -, sauvages, ne sont pas sécurisées et laissent passer dans le sol de grandes quantités de ce « jus » de décharge ultratoxique qu’on appelle le lixiviat (3). Désespoir ? Des Palestiniens de Gaza, soutenus par des aides internationales, ont redonné vie – très fragile – à si petit fleuve qui traverse le territoire, le Wadi Gaza (4). De juin 2022 à mai 2023, 35 000 tonnes de déchets ont été retirées de ses rives et de son lit. Désespoir ? Elle passe sous un pont détruit par l’aviation israélienne, dont les débris du tablier n’ont pas encore été dégagés. En 2014.

(1)https://www.icrc.org/fr/document/gaza-la-crise-de-leau-image-par-image

(2)https://www.unicef.org/stories/gaza-children-face-acute-water-sanitation-crisis

(3)https://ps.boell.org/en/2019/08/05/reality-waste-management-gaza-risks-challenges

(4)https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/07/en-palestine-la-fragile-renaissance-du-wadi-gaza_6192961_3210.html?random=463049065

Mais d’où viennent ces foutues punaises de lit ?

Vous le savez aussi bien que moi : les r’voilà. Elles, les punaises de lit. J’en ai connu chez moi quand j’étais môme, dans ma banlieue. Ainsi que des poux. Ainsi que des puces qui allaient se planquer au matin dans les plinthes après nous avoir dévorés pendant la nuit. Je n’ose repenser aux produits hautement toxiques que nous utilisons gaillardement. Le DDT n’était pas le pire.

Bon. Les punaises. Elles sont sur Terre depuis environ 100 millions d’années. Bien plus que nous. Et elles ont donc pu côtoyer fort longtemps les dinosaures, qu’elles ont dû emmerder, malgré leur taille ridicule, comprise entre 5 et 8 mm. Ce sont des voleurs de sang, ainsi qu’on sait. La nuit, en bande, elles sortent de leur planque, et viennent nous boulotter. Une ponction à travers la peau – compter au moins 10 minutes de succion – suivie d’une longue digestion. Qui peut être démesurément étendue, puisqu’une punaise peut survivre à un jeûne de…20 mois. 20 !

Elles ont été sinon éradiquées, du moins contenues, pendant des décennies après la guerre, « grâce » à la meurtrière chimie de synthèse. Dans les pays riches, les seuls qui comptent à nos yeux égotistes. Et puis elles sont revenues. À partir des années 90. Dans un pays comme l’Australie, sur la période 1999-2006, l’augmentation constatée de leur présence est évaluée à 4500 %.

C’est chiant. Très. On estime que 11 % des foyers, en France, ont été infectés au cours des cinq années passées. Tous ne s’en sont pas débarrassés, et ceux qui y sont parvenus ont dû débourser beaucoup d’argent. Ne demandez par à un Bangladais ou à un paysan malien de faire pareil.

En France, nous avons d’impeccables vigies, comme la députée mélenchoniste Mathilde Panot. Il y a peu de temps, elle a défié à l’Assemblée la Première ministre Élisabeth Borne, dénonçant un monumental scandale de santé publique. Sur un ton aussi triomphal qu’indigné, ici, elle réclamait un plan d’État. Est-elle crédible pour autant ? Faut-il suivre son appel à la croisade ? Polope, comme on disait chez moi dans mon jeune temps.

Les mélenchonistes sont dans la criaillerie et la posture politicienne. Je sais que les électeurs de Mélenchon qui me lisent trouveront cela injuste. J’en suis désolé, mais cela ne retiendra pas ma plume. Car cette nouvelle invasion des punaises serait l’occasion d’une excellente pédagogie sur l’état du monde. Mais il est vrai que la funeste comédie que l’on nous sert chaque matin est strictement franco-française. Franchouillarde. Mathilde Panot elle aussi ? Elle aussi.

Que révèle le retour en force des punaises ? Au moins trois choses presque évidentes. Un, le commerce mondial est une grande folie planétaire. Depuis 1945, il a augmenté deux fois plus vite que le PIB. En moyenne. Selon l’Insee, de 1980 à 2021, le volume du commerce mondial a été multiplié par 7,4, tandis que le volume du PIB mondial a été multiplié par 3,9. Imaginez seulement le bal tragique des bateaux de containers et les milliers d’avions qui atterrissent chaque semaine quelque part. Les punaises se baladent, elles aussi.

Le deuxième phénomène est lié. Il s’agit du tourisme de masse. Selon l’Organisation mondiale du tourisme, 700 millions de touristes ont voyagé à l’étranger entre janvier et juillet 2023. Imagine-t-on ? Non, nul ne peut imaginer de tels déversements de pathogènes et parasites de toute sorte à chaque seconde qui passe et dans le moindre recoin du monde.

La troisième raison de la réapparition, c’est bien sûr la résistance bien connue aux pesticides, en l’occurrence les insecticides. La chimie de synthèse, qui ravage le monde depuis un peu moins d’un siècle, sélectionne. C’est évident. Dans un premier temps, un insecticide va tuer les insectes et d’autres cibles non prévues au programme. Mais les survivants de la tuerie seront les plus résistants. Et, faisant souche, donneront naissance à une progéniture qui se moquera bien des fumigations.

Et voilà pourquoi les punaises de lit se rient de nos folies, et prospèrent, et prospèreront. De vrais écologistes « profiteraient » de l’occasion pour faire une nouvelle fois la démonstration que ce monde nous conduit au gouffre. Mais les politiciens de toute tendance préfèrent les parades médiatiques. Así es la vida.

Vive le pape ! À bas tous les autres

Je suis un mécréant définitif. Pas baptisé. Profondément ignorant de l’histoire du christianisme. Je ne sais à peu près rien de la Bible, des Évangiles, des Apôtres. Et pourtant. Et pourtant.

J’ai travaillé pendant une vingtaine d’années pour le groupe de presse catholique Bayard, et dans ce cadre, j’ai signé des chroniques pendant dix ans dans le quotidien La Croix. Il me semblait, mais j’ai eu tort, que l’Église catholique pourrait devenir ce que j’appelais en mon for intérieur, un « accélérateur de conscience ». Je pensais, et je pense toujours qu’il faut unir toutes les forces disponibles pour faire face à la terrifiante crise écologique en cours.

J’ai rencontré, grâce au magazine Terre Sauvage, pour lequel je travaillais aussi, le prêtre catholique Dominique Lang. Et je l’ai aimé, par-delà nos si grandes différences. J’ai ensuite imaginé, créé et dirigé une très belle revue dont je reste fier : Les cahiers de Saint-Lambert. Pourquoi Saint-Lambert ? Parce que les Assomptionnistes, ordre auquel appartenait Dominique, venaient de s’installer au monastère de Saint-Lambert-des-Bois, dans la Vallée de Chevreuse. Moi, j’imaginais autour de ce lieu deux vastes initiatives. D’abord une restauration écologique exemplaire des 30 hectares entourant les bâtiments. Ensuite, la création d’un territoire de discussion planétaire, à la manière de la communauté italienne de Sant’Egidio, qui accueille l’espace d’une trêve des ennemis apparemment définitifs, comme par exemple les Palestiniens et les Israéliens. À Saint-Lambert, nous aurions parlé, bien sûr, des innombrables conflits écologiques du monde.

Si vous avez jeté un œil sur le PDF des Cahiers, plus haut, vous avez vu que Dominique était le directeur, et moi le rédacteur-en-chef. Olivier Duron apportait son grand talent graphique. Nous étions trois, sans local, sans budget, payés avec des cacahuètes. Mais la revue était éditée par Bayard. Du moins, je pensais qu’elle l’était. Elle était soutenue pour de vrai par Didier Robiliard, l’un des directeurs de Bayard, qui garde mon estime intacte. Mais elle était sabotée par le grand patron, le journaliste très connu dans les milieux de la presse, Bruno Frappat.

Obsédé comme j’étais déjà par la crise écologique, et comme j’étais officiellement conseiller éditorial de Bayard, j’ai tenté de convaincre Frappat. Ô combien ! Il est vrai que nous avions eu des démêlés sérieux et drôlatiques que je ne peux raconter ici – cela nous éloignerait -, mais je pensais qu’il comprendrait. Nous déjeunions de temps en temps ensemble, et j’y allais de mes inlassables coups de scie. Un jour, au cours d’un repas, il me lâcha une phrase mémorable pour moi : « Je vois bien qu’il s’agit de sauver la Créature [l’homme] et la Création [la nature] ».

Cela me convenait, et à la suite, je ne cessai de lui rappeler ces mots. Je le croyais acquis. Il ne l’était pas. Je crois qu’il se méfiait. Je crois qu’il me voyait comme un trublion ou pis. Je ne sais pas grand-chose. Mais je m’engueulai – une fois de plus – avec lui le jour où je vis qu’il avait bataillé et obtenu – il était le chef – que le logo de Bayard ne figure pas sur la couverture des Cahiers. La revue ne méritait pas l’imprimatur. C’était pleinement ridicule, car Didier Robiliard la finançait, certes avec trois bouts de ficelle. La revue était publiée par Bayard, mais chut ! il ne fallait pas le montrer.

Je crois pouvoir écrire qu’elle fut un succès. Avec des moyens dérisoires, elle obtint vite autour de 2000 abonnés, et avec un investissement raisonnable – ridicule pour Bayard -, je gage qu’elle aurait atteint rapidement son point d’équilibre. Mais Frappat préféra sa mort. Inutile de dire que j’ai repensé à clairvoyance lorsqu’en 2015, le pape François eut publié Laudato Si. Une merveilleuse Encyclique, quatre ans après le sabotage des Cahiers de Saint-Lambert.

Le bilan que je tire de ces événements est clair : l’Église catholique ne bouge pas, ce qui interroge en profondeur sur ce qu’elle est. Elle ne défend aucunement la Création, pourtant censée avoir été créée par Dieu. Quand j’ai lancé le mouvement des Coquelicots, en 2018, je suis allé voir l’évêque de Troyes, Marc Stenger, pour lui demander de signer L’appel à l’interdiction des pesticides, que j’avais rédigé. Et il accepta ! Stenger était connu comme le plus ouvert des prélats à ces questions. Mais il refusa de s’engager plus avant au motif, spécieux selon moi, qu’il lui fallait ménager ses ouailles.

Tel n’est pas le cas du pape François. Je vous invite à lire un texte tout récent qu’il a consacré à la crise climatique, Laudate Deum. Lisez ! C’est le point de vue d’un homme lucide. Lisez : « Je considère qu’il est impératif d’insister sur le fait que chercher seulement un remède technique à chaque problème environnemental qui surgit, c’est isoler des choses qui sont entrelacées dans la réalité, et c’est se cacher les vraies et plus profondes questions du système mondial…Nous courons le risque de rester enfermés dans la logique du colmatage, du bricolage, du raboutage au fil de fer, alors qu’un processus de détérioration que nous continuons à alimenter se déroule par-dessous. Supposer que tout problème futur pourra être résolu par de nouvelles interventions techniques est un pragmatisme homicide ».

Lisez : « Finissons-en une bonne fois avec les moqueries irresponsables qui présentent ce sujet comme étant uniquement environnemental, “vert”, romantique, souvent ridiculisé par des intérêts économiques. Acceptons enfin qu’il s’agit d’un problème humain et social aux multiples aspects. C’est pourquoi le soutien de tous est nécessaire ».

Mais lisez aussi : « Je suis obligé d’apporter ces précisions, qui peuvent sembler évidentes, à cause de certaines opinions méprisantes et déraisonnables que je rencontre même au sein de l’Église catholique ». Ce pape-là est seul, face à une institution immobile, et même hostile. J’ai bien fait d’être un mécréant.