Attention, cette enquête a été publiée en mars 2021
Charlie
révèle de quoi faire sauter la Direction générale de la Santé de
ce bon Jérôme Salomon, de la Répression des fraudes et sans doute
de l’Anses. Car en effet et en toute conscience, on stérilise avec
un gaz abominable les bistouris, les cathéters, les valves et poches
de sang, les aliments les plus ordinaires. Et les tétines de
nourrissons ? Et.
Attention !
Encore une fois et sans préavis, Charlie s’attaque à la France, à
son administration, à ses chefs et sous-chefs à plumes, à ses
lois, à ses absences de loi, à ses politiques enfin, ce qui fait du
monde. Surtout que l’Europe est elle aussi en cause. Mais commençons
donc par le Rapid
Alert System for Food and Feed,
RASFF
de son petit nom. Ça ne fait pas très envie, mais faut. Ce machin
créé par l’Europe en 1979 est censé alerter sur les risques
sanitaires liés à l’alimentation.
Le
9 octobre 2020, nos braves se réunissent avec les comités idoines,
pour les informer (1) « of
high levels of ethylene oxide being found in sesame seeds imported
from India ». Eh
ben oui, de hautes concentrations d’oxyde d’éthylène ont été
découverts dans du sésame importé. C’est un poil fâcheux, car
l’oxyde d’éthylène, que l’on va découvrir en majesté, est un gaz
hautement cancérogène, mutagène et reprotoxique, entre autres.
Il
faut donc agir. En France, le correspondant du RASFF est une unité
d’alerte de la Répression des fraudes, dont l’acronyme insupportable
est DGCCRF. Branle-bas de combat ! Le Sénat propose dans une
note un ordre de bataille ébouriffant (2) : « Recommandation
no 1 :
demander
à l’Anses de rendre un avis sur l’oxyde d’éthylène et son
métabolite pour mieux comprendre les risques, évaluer les seuils
pertinents et mieux identifier l’origine des contaminations
constatées ».
Donc
se presser, mais pas trop quand même. La fiche de l’Institut de
recherche et de sécurité (INRS) – public – fait foi en France
depuis des décennies. Or depuis des années, cette fiche note
sobrement que l’oxyde d’éthylène donne le cancer, et provoque des
anomalies génétiques. Idem au plan européen. On admirera d’autant
la trouvaille du Sénat français : demander un avis à une
autre structure publique, l’Anses.
Mais
cette extrême précipitation se heurte à un mur, celui de
l’opinion. Il faut changer d’allure, car des associations puissantes
comme l’UFC-Que Choisir ou 60 millions de consommateurs sont en
embuscade. La norme européenne, très discutable par ailleurs, est
en effet de 0,05 mg/kg d’oxyde d’éthylène. Or certaines graines de
sésame en contenaient 186 mg, soit…3700 plus.
Alors
la Répression des fraudes, magistrale, dresse une liste de produits
contaminés. Des produits qu’il faut rappeler, c’est-à-dire sortir
des éventaires, remballer, et en théorie du moins renvoyer à
l’expéditeur. Des milliers de produits, distribués aussi bien par
Carrefour, Casino, Système U, Leclerc, Auchan que par les magasins
bio La Vie Claire, Naturalia ou le réseau Biocoop.
De
novembre 2020 jusqu’à aujourd’hui, la liste s’étoffe chaque jour un
peu plus, dévoilant une grande folie commerciale. Et mondiale. Au
moment où ces lignes sont écrites, 3869 produits sont concernés
(3). Citons parmi tant d’autres des baguettes de pain, du poivre et
quantité d’épices, des huiles, des canapés apéritif, des
nouilles, des fromages, du « mélange pour salade bio »,
des bonbons, du chocolat, des émincés de poulet, des burgers, des
« barres aux noix et aux fruits bio », du thé, du café,
du tofu, du chorizo, etc, etc, etc.
Mais
pourquoi diable utiliser l’oxyde d’éthylène (OE ou EO sur les
étiquettes) à si grande échelle ? Parce qu’il est l’arme
fatale qui permet à des milliers d’exportateurs d’envoyer partout
dans le monde des produits déclarés safe.
L’oxyde
d’éthylène (voir encadré) est en effet un petit génie de la
chimie. On place une marchandise x dans une chambre étanche sous
vide. Puis on envoie le gaz, qui pénètre aisément les emballages
avant de se déposer à la surface des produits. C’est un tueur.
Aucun micro-organisme ne lui résiste. Une cargaison traitée au gaz
ne peut contenir, à priori, aucune moisissure, aucun champignon,
aucune bactérie. Le menu problème est qu’elle contient fatalement
de l’oxyde d’éthylène.
Celui
qui veut se faire grand-peur peut aller visiter le site de
l’entreprise française Ionisos, qui possède des usines à Gien, à
Sablé (Sarthe), dans l’Ain, dans l’Aube. Elle annonce bravement par
un audacieux bandeau (4) : « Stérilisation
oxyde d’éthylène,Idéal
pour les dispositifs médicaux ».
Tellement idéal que l’on continue en 2021 à stériliser en France
« les
prothèses mammaires, gants, seringues, compresses, plateaux
chirurgicaux ou encore cathéters »,
ainsi que le détaille Ionisos.
Pour
bien mesurer l’ampleur de cette affaire, je suis obligé de prendre
la parole, moi l’auteur de cet article. En 2011, j’ai travaillé avec
ardeur sur l’oxyde d’éthylène, ce qui me conduisit à cosigner un
dossier dans Le Nouvel Observateur dans des conditions très
spéciales (voir encadré).
L’évidence
est que nos autorités mentent constamment, qui prétendent
redécouvrir à chaque saison l’oxyde d’éthylène. En vérité, une
circulaire de 1979 que j’avais découverte raconte déjà
l’essentiel. À cette époque, Jacques Barrot, qui est ministre de la
Santé, expédie aux préfets, à l’équivalent de la Direction
générale de la santé (DGS) et des Agences régionales de santé
(ARS) un texte ahurissant, qui sera publié au Journal officiel de la
République le 10 janvier 1980.
Il
affirme qu’il ne faut utiliser l’OE que
« si
aucun autre moyen de stérilisation approprié
n’existe ».
Or, « d’autres
procédés aussi fiables (par exemple la vapeur d’eau sous
pression) »
sont disponibles. Ce n’est pas tout. « Les
dangers inhérents à l’emploi de ce gaz »,
poursuit la circulaire, « notamment
des sondes, tubes et tous ustensiles en caoutchouc et matières
plastiques »
peuvent provoquer chez des malades des troubles « pouvant
évoluer vers la mort ».
Enfonçant le clou, elle précise que l’oxyde d’éthylène
présente « la
caractéristique de pénétrer en profondeur dans la structure de
nombreuses matières plastiques et caoutchouteuses et de s’en
extraire très lentement ».
Je
ne sais s’il y a là matière à poursuites pénales, mais je le
souhaite. Depuis quarante ans, en effet, il est certain qu’un nombre
x de malades ont vu leur état s’aggraver, ou pire, à cause de ce
mode de stérilisation. En toute conscience de quiconque se tient un
peu au courant.
Je
pus établir également que des millions de tétines de biberons
étaient elles aussi stérilisées de la sorte. Les hostos, y compris
ceux de l’AP-HP, en commandaient sans sourciller et sans doute la
moitié – au moins – des nouveau-nés avaient pour premier
contact alimentaire une tétine empoisonnée. Je crois que je fis
mieux encore en produisant des lettres assassines. Ainsi, les 12 et
20 mars 2009, la lanceuse d’alerte Suzanne de Bégon adressait une
lettre à la Direction générale de la santé (DGS) pour l’alerter
sur l’usage d’OE pour les biberons. Le 7 avril, Jocelyne Boudot,
sous-directrice, lui répondait de joindre la Répression des
fraudes, cette DGCDRF évoquée plus haut, celle qui vient de
rappeler des milliers de produits.
Le
20 novembre 2009, de Bégon prévenait cette administration, qui
répondait le 18 janvier 2010. Passons sur le salmigondis
bureaucratique, et retenons cette double phrase sensationnelle :
« En conclusion, l’utilisation de l’oxyde d’éthylène n’est
pas autorisée pour désinfecter les objets destinées au contact des
denrées tels que les biberons. Par conséquent, il sera donné les
suites nécessaires aux informations nécessaires ». Pas
autorisé ! Donc interdit !! Ni la DGS ni la Répression
des fraudes ne bougeront un orteil.
Entre-temps,
l’OMS, cette Organisation mondiale de la santé farcie de conflits
d’intérêts – par exemple au travers de lourds financements par la
fondation Bill Gates – sera elle aussi prévenue cette même année
2009. Le 31 mars 2009, dans un sabir mal traduit de l’anglais, une
madame Elizabeth Mason répond texto : « L’OMS
n’a pas de recommandations sur l’utilisation de cette substance dans
les tétines et les biberons ».
Il faut dans ces conditions contacter l’agence française AFSSA,
devenue peu après l’Anses, celle-là même que le Sénat conseille
en 2021 de joindre (voir plus haut) pour en savoir plus. En juillet
2005, l’AFSSA avait réalisé l’exploit de pondre un rapport complet
sur le sujet (Recommandations
d’hygiène pour la préparation et la conservation des biberons)
sans seulement citer l’oxyde d’éthylène (5).
Donc
tout continue. On laisse entrer n’importe quelle bouffe, y compris
bio, passée par le poison. On utilise chaque jour et partout des
bistouris, des poches de sang, des cathéters, des valves passés au
poison. L’explication générale est assez évidente : l’oxyde
d’éthylène, c’est la mondialisation. Le droit pour les
transnationales de dicter une loi supérieure à celle des États.
Sans que personne ne moufte dans les ministères et chez les grands
courageux de la Direction générale de la Santé et de la Répression
des fraudes. Encore bravo, les gars. Et les filles.
(1)
ec.europa.eu/food/sites/food/files/safety/docs/rasff_ethylene-oxide-incident_crisis-coord_sum.pdf
(2)
senat.fr/rap/r20-368/r20-3680.html
(3)economie.gouv.fr/dgccrf/sesame-psyllium-epices-et-autres-produits-rappeles-comprenant-ces-ingredients
(4)
ionisos.com/sterilisation-oxyde-dethylene/
(5)
http://sbssa.spip.ac-rouen.fr/IMG/pdf/Recommandations_Biberons_AFSSA_Francais.pdf
L’Oxyde
d’éthylène et moi
L’oxyde
d’éthylène est un vieux camarade. À la fin du printemps 2011, je
découvris que des millions de tétines de biberons étaient
stérilisés à l’aide d’un gaz puissamment cancérogène, qui
s’accrochait au caoutchouc. Or j’étais pigiste, or j’avais besoin
d’argent.
Qui
paierait une longue enquête ? Je pris contact avec le Nouvel
Obs et fis affaire avec un journaliste maison bien connu. Nous
bouffâmes au (bon) restau interne du journal, en compagnie de
Laurent Joffrin, alors le patron. Et l’accord ayant été conclu, je
me lançai à l’assaut. Un long et fructueux travail. Je remis un
texte au journaliste, qui tapait dur, vu que je ne sais pas faire
autrement.
Naïf
comme il n’est pas permis, je crus que ce texte, après retouches,
serait publié. N’avais-je pas fait la totalité du boulot ?
Macache bono. Le journaliste écrivit sa propre sauce, d’une main
lourde, et mon article disparut corps et bien. Les révélations
extraordinaires qu’il contenait furent noyées dans de telles
circonvolutions qu’elles en étaient méconnaissables (1). C’était
raté, exécrable, mais je cosignai, seule chance de récupérer au
moins un peu de ma sueur. Así son las cosas,
ainsi va la vie réelle.
La
suite est pareille. Pendant des mois, il me fallut relancer,
relancer, relancer pour obtenir le salaire pourtant convenu au
départ. Un pigiste, c’est un chien qui fait le beau.
(1)
Le Nouvel Obs du 17 novembre 2011
Du
côté du gaz moutarde
Comme
souvent avec la chimie, l’oxyde d’éthylène (OE) a été synthétisé
sans savoir à quoi il pourrait servir. En la circonstance, le
chimiste français Charles Adolphe Wurtz fait réagir du
2-chloroéthanol
avec une base, et zou. Nous sommes en 1859.
Pendant
un demi-siècle, il est largement oublié, puis retrouvé par
l’industrie de guerre, qui va en tirer, à partir de 1917, de
l’ypérite, le gaz moutarde. Charmant. Il servira aussi dans d’autres
synthèses chimiques, parmi lesquelles les éthers de glycol.
Quand
a-t-on commencé à savoir ? En 1968 – il y a plus d’un
demi-siècle -, les professeurs suédois Hogstedt et Ehrenberg (1)
concluent que l’OE est un cancérogène pour l’homme. Concluent ?
Concluent, car il s’agit du résultat d’un patient travail étendu
sur neuf ans. Dans les usines de production, mais aussi dans les
hôpitaux, où le poison est très utilisé pour la stérilisation
des instruments chirurgicaux.
Il
faudra attendre 1994 pour que le Centre international de recherche
sur le cancer (CIRC), qui dépend de l’ONU, confirme ce travail
impeccable. Depuis, quantité d’études ont montré les conséquences
mutagènes et génotoxiques d’une exposition à l’OE. À quoi il faut
ajouter pertes de mémoire, troubles du système nerveux central et
du sang, neuropathies périphériques, dommages parfois irréversibles
aux poumons et au système respiratoire, convulsions, coma, etc.
Détail
rassurant : l’OE ne sent pas. Plutôt, quand on le sent, c’est
qu’il déjà présent à des concentrations toxiques. Mais alors on
s’en fout, car sa saveur est très douce, presque enivrante. On en
redemanderait.
(1)
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/3198208/
Les
facéties criminelles de l’administration
Y
aura-t-il un jour un procès pénal de l’oxyde éthylène (OE) ?
Rappelons en deux mots toute l’affaire. Un, on sait depuis 1968, par
des travaux suédois, que l’OE est un cancérogène pour l’homme.
Deux, on sait depuis une circulaire du ministère de la Santé de
1979 qu’il tue et qu’un autre système de stérilisation – efficace
– par vapeur d’eau existe, sans faire courir le moindre risque.
Trois, depuis 1994, une agence spécialisée fort réputée – le
CIRC/ONU – a prouvé que l’OE est cancérogène pour l’homme.
Quatre, en 2005, l’agence publique française AFSSA – devenue en
2010 l’Anses – publie un rapport de 116 pages (Recommandations
d’hygiène pour la préparation et la conservation des biberons)
qui ne cite même pas l’OE. Cinq, suite au dossier publié par l’Obs
(voir encadré), le ministre de la Santé Xavier Bertrand promet un
rapport de l’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS). Six,
l’IGAS remet son travail en juillet 2012 et noie le poisson avec une
prudence de sioux. Résumé de Charlie : y a peut-être quelque
chose qui cloche, il aurait peut-être fallu faire autrement, il
n’est pas exclu qu’on ait laissé de côté quelques informations, et
donc, « il
appartient en tout état de cause aux autorités sanitaires
françaises de déterminer les suites à donner aux constats de la
mission ». Beau
coup de pied en touche.
Sept enfin,
et cette fois l’on atteint au chef d’oeuvre, le Haut Conseil de la
santé publique (HCSP), énième machin lié au ministère de la
Santé, rend le 1er mars un Avis intitulé « Recommandations
pour la stérilisation des biberons en établissements de santé ».
On remarquera – défense de rire – combien le titre est proche de
celui de l’AFSSA en 2005. Mais que dit-il ?
Exactement
ceci : « Le
HCSP établit qu’il n’est pas nécessaire d’utiliser des
biberons stériles car un niveau de propreté bactériologique suffit
dès lors que des mesures d’hygiène validées sont obligatoires
sur toute la chaine de production et d’utilisation ».
Ce
serait suffisant, mais on enfonce le clou, deux fois. Le HCSP
explique d’abord qu’il intervient «
suite d’un à l’avis du Conseil supérieur de la santé (CSS) belge
de décembre 2018, sollicité notamment sur les alternatives à la
stérilisation à l’oxyde d’éthylène, substance carcinogène
dont l’usage est interdit dans la stérilisation des contenants
alimentaires ».
Et il recommande ensuite « de
ne
pas utiliser de biberons stérilisés à l’oxyde d’éthylène ;
[de]
ne pas recourir à l’utilisation de biberons et/ou tétines
stériles pour tous les enfants et nourrissons, même les plus à
risque, aucune situation clinique le justifiant n’ayant été
identifiée ».
Si
l’on sait encore lire le français, l’oxyde d’éthylène dans les
biberons ne sert à rien d’autre qu’à remplir les poches des
industriels qui les fabriquent. On peut sans risque d’erreur y
ajouter les matériels médicaux (voir encadré). On empoisonne donc
massivement, mais nul n’est responsable, encore moins coupable. La
vie est belle, pour les salopards.