À FAIRE CIRCULER SANS MODÉRATION DANS LES RÉSEAUX
À propos de la forêt en France
La forêt. Les arbres et leur puissance m’envoûtent. Et la vie qui s’y trouve. On comprendra mieux de la sorte les raisons de ma colère contre ceux qui pactisent. Contre ceux qui avalisent. Contre ceux qui labellisent. Un avertissement : ce texte sur l’écolabel forestier dit PEFC (Pan European Forest Certification) est long, et ressemble à un sentier dans une vraie forêt naturelle. J’espère que vous ne vous perdrez pas en route. Le pire, sachez-le en tout cas, est à la fin. La fin de la deuxième partie. Car il y a deux parties, oui. La France d’abord, le monde ensuite.
Et je commence. Moi, je suis fier d’être l’ami de Lucienne Haese, ma chère Lulu d’Autun. J’ai déjà parlé de cette femme d’exception (ici), qui défend les forêts, les vraies forêts du Morvan avec une vaillance qu’on n’imagine pas. Dans cette partie de la Bourgogne, les arbres feuillus qui sont l’âme morvandelle s’effacent devant les plantations. Des plantations de sapins de Douglas, essentiellement, bien que le nom de sapin soit impropre. C’est un conifère d’Amérique du Nord, introduit en France en 1842, et qui pousse vite, très vite, au-delà de 50 mètres de hauteur.
Cet arbre devait fatalement devenir un instrument du productivisme, et cela n’a pas manqué. Dans le Morvan, les résineux représentaient déjà 23 % du peuplement forestier en 1970, à la suite de subventions massives. Et 40 % en 1988. Et plus de 50 % aujourd’hui. Au détriment de la chênaie-hêtraie, pardi. Pardonnez-moi de me citer : « Des grandes compagnies bancaires ou d’assurance – Axa, les Caisses d’épargne – paient des gens pour repérer les ventes de forêts, ou pour les susciter. Ainsi sont apparues des propriétés de centaines d’hectares d’un tenant, sur lesquelles passent d’infernales machines à déraciner les arbres tout en les découpant. Table rase ! Coupe à blanc ! Lulu m’a montré des photos : je ne croyais pas cela possible en France. Une déroute écologique ».
Et pourtant, la Bourgogne est considérée par les gens du label PEFC comme exemplaire. Je les cite : « La Bourgogne a été la première région française à être certifiée pour la qualité de sa politique forestière de gestion durable selon le référentiel PEFC ». Bien entendu, à l’exception d’une poignée de spécialistes, personne ne sait ce que signifie PEFC. Mais je vais vous l’expliquer en détail, faute de quoi rien ne sera compréhensible.
PEFC veut donc dire à l’origine Pan European Forest Certification, c’est-à-dire Certification forestière pan-européenne.Il s’agit d’un label commercial imaginé en 1999 par les industriels du bois de six pays : l’Allemagne, la France, l’Autriche, la Norvège, la Suède et la Finlande. Il n’y a aucun mystère. Ces industriels, sentant le vent tourner et les esprits changer, ont réfléchi à la manière de changer l’image de marque de leurs produits. Et inventé un label « durable » systématiquement associé au bois qu’ils vendent. C’est de bonne guerre, c’est pure routine commerciale.
Mais que veut dire au juste ce label ? Comme on a vu, il permet d’assurer que les plantations de Douglas, malgré la dévastation, sont exploitées de manière « durable ». Dans la « forêt » des Landes, qui vient d’être fauchée par la tempête, c’est exactement la même chose. Avant la catastrophe, cette « forêt » s’étendait sur un million d’hectares, dont 90 % plantés en pins maritimes. Soit une gigantesque monoculture qui est à l’opposé de ce que l’écologie la plus élémentaire appelle une forêt. Sur le plan biologique, ce territoire se rapproche davantage du désert.
Et ? Et le « patron » local du label PEFC s’appelle Guillaume Grigaut, responsable du Comité interprofessionnel des bois d’Aquitaine (Ciba). Ce Ciba regroupe on s’en doute l’industrie. Et son but est de produire du bois aussi vite qu’il est possible, et au plus bas coût possible. Évidemment. Jetez donc un œil à cette présentation de la forêt par la Chambre d’agriculture des Landes. C’est saisissant (ici) ! Deux extraits. Le premier : « La productivité de cette forêt a fortement augmenté pour atteindre aujourd’hui 12 m3 par ha et par an contre 4 à 5 m3 il y a 25 ans. Cette évolution s’explique par le passage d’une forêt destinée au gemmage (récolte de la résine) à un peuplement pour l’industrie du bois . L’amélioration génétique avec des variétés à croissance plus rapide et à port plus droit a fortement contribué à cette évolution ». Le second : « Les densités de boisement sont de 1200 à 1600 arbres par ha pour atteindre à la coupe rase 250 arbres par ha contre 130 il y a 25 ans. Dans le même temps, la durée de coupe a été réduite de 70 à 40-50 ans aujourd’hui. Ce raccourcissement (…) optimise la courbe de croissance des arbres. La coupe rase peut permettre une récolte de 300 à 400 m3 par ha variable selon la conduite du peuplement ».
J’espère que cette belle « forêt » vous fait autant envie qu’à moi. En tout cas, telle est la réalité. Dans les Landes, l’industrie du bois augmente la productivité de ses coupes rases tout en disposant du label PEFC, et les deux fonctions logent sous la même casquette, celle de M. Grigaut. Cela n’est guère étonnant, car le cahier des charges du label, qui rappelle tant l’esprit de l’agriculture raisonnée – faux-nez de l’industrie de l’agriculture – consiste avant tout à respecter les lois en vigueur. Audacieux, n’est-ce pas ?
Mais regardons de plus près. On retrouve dans la plupart des cahiers des charges régionaux du label PEFC les mêmes mots, qui ne dissimulent pas grand chose. Exemple : il ne faut pas « exécuter de coupe rase sur une surface d’un seul tenant supérieure à 25 hectares, ou 10 ha dans le cas de pente supérieure à 30% ou de site à forte fréquentation touristique, sans notice analysant l’impact de la coupe sur le paysage, l’érosion des sols et l’équilibre de la récolte ». Admirez avec moi ! Jusqu’à 25 hectares, on peut tout arracher, et au-delà, rédiger une notice que personne ne lira jamais. On a déjà vu plus rude règlement.
Tout est à l’avenant, résumé dans cette formule-choc : le propriétaire doit « respecter, concernant son activité forestière, les lois et règlements, en particulier les dispositions du code forestier, du code de l’environnement, du code de l’urbanisme et du code du travail ». Ce qui autorise – et c’est écrit en toutes lettres d’un bout à l’autre de la France – à utiliser des pesticides en forêt, et bien entendu des engrais de synthèse, mais « de manière raisonnée ». En revanche, il faut s’abstenir de tout épandage le long des cours d’eau, sauf exception. En Bourgogne, on a même le droit d’extraire ou d’exploiter commercialement la tourbe ou la terre de bruyère. Mais attention les yeux, « après avoir pris garde à ne pas modifier la dynamique de l’écosystème ».
Comment obtient-on le sésame PEFC ? En adressant un chèque à l’organisme régional. Soit en général 10 euros plus 0,5 euro par hectare et par an. Donné. En échange, les propriétaires s’engagent comme des petits fous. Extrait de l’animation « Comment ça marche », réalisée par le label lui-même (ici) : « L’adhésion du propriétaire ne se limite pas à sa contribution. Elle est assortie d’un engagement à appliquer les recommandations de la politique régionale de qualité de la gestion forestière durable ». Le mot clé, selon moi, est recommandation. Un mot d’une douceur de rêve.
Finalement, à quoi sert donc ce label ? Le Centre régional de la propriété foncière (CRPF) Midi-Pyrénées (L’Écho des forêts n°38) répond sans état d’âme : « Enfin et surtout, l’argument est commercial, la certification est aujourd’hui un atout pour mieux vendre et exporter, mais, tre?s vite, demain, elle deviendra une ne?cessite? pour tout simplement vendre ». Essayez de pardonner ma longueur. Je la crois nécessaire pour comprendre ce qui se passe.
Place désormais à France Nature Environnement (FNE), ces écologistes officiels qui ont pris leurs quartiers au ministère. On aura compris que je ne vise donc pas les dizaines de milliers de bénévoles vaillants qui sont fédérés, bon gré mal gré, à ce conglomérat. Mais un groupe d’apparatchiks comme il naît dans toute institution humaine, aussi noble soit-elle au départ.
FNE est associée depuis le début, depuis 1999, à la certification forestière PEFC. Des représentants d’associations de terrain siègent ès qualité, dans les grandes régions, à des réunions sans autre but que de permettre à l’industrie de vendre. À mes yeux, FNE sert ainsi de caution à une opération commerciale ordinaire. On chercherait en vain – cela dure depuis dix ans, tout de même – la moindre évolution importante des propriétaires forestiers. Une plantation de Douglas, un champ dopé aux pesticides de pins maritimes seraient des forêts. Et pourraient mériter, aux yeux d’une grande confédération écologiste, un label durable. Eh bien, cela m’est insupportable. Simplement.
Dans une réunion interne de FNE, qui s’est tenue le 20 décembre 2008, on apprend des choses ahurissantes sur ce fameux label PEFC. D’abord, sur ses dimensions réelles, qui couvrent la bagatelle de 45% du volume de bois mis sur le marché. Près de la moitié du bois made in France est donc certifié PEFC. Notre pays aurait basculé sans en avoir conscience dans une gestion exemplaire de ses forêts. Génial !
Génial, mais faux. Un propriétaire est contrôlé tous les dix ans en moyenne, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on n’est pas vilain avec lui. Lisez donc cet extrait du compte rendu de la réunion : « Un constat est fait dans les rapports de contrôles : la plupart du temps les observations sont notées en axes d’amélioration plutôt qu’en écart. Depuis la création de PEFC, il n’y a eu aucune exclusion ». Vous avez bien lu. Ce système est si parfait et ses membres si vertueux que pas une seule exclusion du label PEFC n’a été prononcée en dix ans. Et ce label couvre 35 % de la forêt française, tant publique que privée !
La vérité, comme si souvent, est ailleurs. Et c’est encore cette réunion de FNE qui la révèle en toutes lettres : « PEFC est informée que certains chantiers se passent dans des conditions douteuses. Mais c’est une limite du système : les ER manquent d’impartialité et d’indépendance pour traiter de manière satisfaisante ces non-conformités. Les mesures de correction ne sont pas suffisantes. PEFC France a conscience de la faiblesse des ER concernant les contrôles ». Rions tant qu’on le peut encore. Les ER sont les « entités régionales » de PEFC, ses antennes. Ainsi donc, faute d’indépendance, elles sont incapables d’évaluer la qualité des chantiers forestiers. Nous voilà dans la farce la plus totale qui soit. FNE donne son imprimatur à un label qui est distribué à qui passe dans la rue. Un label qu’il est impossible de perdre.
Il existe à ma connaissance un cas où cette étrange opération a connu un sérieux raté. J’espère qu’il en est d’autres, d’ailleurs. Dans la région du Nord-Pas-de-Calais, l’association Nord-Nature, qui représente FNE, a claqué la porte des réunions PEFC en 2004. Et rompu tout lien avec ce label. L’affaire n’a pas été ébruitée, mais elle est instructive, car l’écologiste sincère qui assistait aux réunions pour le compte de FNE n’a jamais pu se faire entendre sur des questions de base. Ni sur la biodiversité, ni sur la protection des milieux fragiles, ni sur la politique sylvicole, qui détermine pourtant bien des choses. Dans le Nord, oyez, les forestiers gèrent leur label en famille, à l’abri des regards. Depuis 2004, il existe au moins une région rebelle aux desiderata de Sébastien Genest. Mais qui le sait ?
Je m’arrête ici, mais il y a une suite, qui sera tragique. Car PEFC est un label international, soutenu d’un bout à l’autre de la terre par FNE. Seule. Je veux dire qu’aucune association écologiste, de quelque pays que ce soit, n’a jugé bon de siéger dans ce machin-là. Sauf FNE, qui n’a strictement aucune légitimité pour cela. Vous verrez dans le prochain épisode que FNE, qui ne sait rigoureusement rien de ce qui se passe dans les pays du Sud, accepte pourtant de cautionner les pires atteintes aux écosystèmes les plus essentiels de la planète. Vous avez encore le droit de douter. Attendez de voir les preuves, car elles existent.