Archives de catégorie : Pouvoir et démocratie

Le ridicule ne tuera jamais les experts économiques

publié en septembre 2023

Aujourd’hui, agression au sabre d’abordage contre ce qu’ils appellent la « science économique ». Pourquoi ? Parce que le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, vient de lancer, dans un millième cri de putois : « L’effondrement climatique a commencé ». Mais combien ça coûte ? Hein, combien ? De 1991 à 2010, les experts en béton de TF1 en avaient fait une émission consacrée au porte-monnaie. Présentée par, j’ose à peine évoquer sa haute figure morale, Jean-Pierre Pernaut. Mais combien nous coûte la perdition climatique ?

Les experts expertisent depuis un moment, et parmi eux, un certain Nicholas Stern, baron Stern of Brentford. Mathématiques à Cambridge, économie à Oxford, grand homme donc. En 2006, il conduit une étude sur le coût du dérèglement climatique – une première – et assure qu’une prévention immédiate des lourds dommages prévisibles ne coûterait qu’un investissement modeste de 1% du produit mondial brut (PMB) par an (1).

Non seulement tout le monde s’en fout, mais en outre, Stern lui-même se rend compte de sa balourdise, mot euphémique comme on s’en doute. Interrogé en 2013 au cours du sommet économique de Davos, il admet s’être planté : « Je me suis trompé sur le changement climatique – c’est beaucoup, beaucoup plus grave ». Et en effet, Dugenou, mais c’est trop tard, car ta prédiction à la madame Irma aura entretemps servi la cause du déni.

L’économie, pratiquement synonyme de la destruction des écosystèmes, ne peut évidemment concevoir les conséquences réelles du désastre en cours. Aucun esprit humain n’en est d’ailleurs capable. Mais piochons dans de tout petits exemples récents, qui montrent à quel point leur « science économique » est ridicule. D’abord Lacanau, ville balnéaire de Gironde, avec sa plage d’un kilomètre de long, au dos de laquelle s’entassent 110 commerces et 1200 logements. La mer monte grignote chaque année 1 ou 2 mètres de plage, et la seule solution – s’il y en a une -, c’est de déménager le tout plus haut. Coût minoré en cet été : 500 millions d’euros. Qui paiera, qui paierait ?

Le 23 août, au moins 10 000 m3 de roches dévalent la face nord de l’Aiguille du Midi (Haute-Savoie). Le 27 août, entre Saint-Michel-de-Maurienne et Modane, en Savoie, 700 m3 s’abattent sur une route. Pour la seule année 2022, on a recensé autour de 250 éboulements en montagne, phénomène presque inconnu avant 1990. Le sol gelé des hauteurs, qui servait de ciment solide, fond comme neige au soleil. Ce n’est donc qu’un début.

Les milliers d’incendies – près de mille encore actifs – des forêts du Canada ont envoyé dans l’atmosphère des centaines de millions de tonnes de CO2, peut-être un milliard, tué un nombre x d’habitants des villes par les fumées, dont New-York, privé l’avenir du pays de forêts irremplaçables. Et ne parlons pas des animaux. Et ne parlons pas de la beauté. Et ne parlons surtout de rien.

La Banque africaine de développement (BAD) vient de publier un rapport involontairement saignant (2) sur l’Afrique du Nord. Pensons un quart de seconde au Maroc sous les décombres, à la Libye dévastée par les flots, à l’Égypte en énième crise du blé, à la Tunisie au premier rang des migrations subsahariennes. Eh bien, c’est gai. La BAD nous dit que l’ensemble devrait investir chaque année 25,7 milliards de dollars pour seulement contenir le dérèglement. 20% sont péniblement assemblés. Idem pour les énergies renouvelables. Il faudrait investir 183 milliards de dollars chaque année. Y a pas la queue d’un.

Enfin, la Banque centrale européenne vient de publier trois scénarios à l’horizon 2030. Si l’on veut bouger vraiment – à leur manière bien sûr, sans rien changer au fond -, l’Europe devrait mobiliser 3200 milliards d’euros d’ici 2030. C’est comme si c’était fait. Et résumons le propos de la semaine : les économistes sont bien incapables de comprendre quoi que ce soit à ce qui se passe. Une ultime moquerie pour le couple Cagé-Piketty, chéri de la gauche, qui vient de publier Une histoire du conflit politique. À quoi sert donc l’économie ? À parler d’autre chose.

(1)https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2007-4-page-475.htm

(2)https://www.afdb.org/fr/documents/perspectives-economiques-en-afrique-du-nord-2023

Du plomb dont on fait des neuneus

Publié en juillet 2023

Ainsi va le monde, tandis que nous hésitons sur la marque de notre prochain téléphone portable. La Burkinabée Nafisatou Cissé dirige une ONG internationale qui lutte contre l’intoxication par le plomb (1). Et elle vient de signer un article (2) dans la revue Nature qui fait le point sur ce si grand désastre. C’est très difficile à croire, et pourtant. Extrait : « Dans le monde, 815 millions d’enfants – 1 sur 3 – ont des niveaux dangereux de plomb dans le sang, suffisants pour provoquer des lésions cérébrales irréversibles, des déficiences intellectuelles, une baisse du niveau d’éducation, des troubles du comportement, une diminution des revenus tout au long de la vie, de l’anémie, des maladies rénales et des maladies cardiovasculaires ».

D’ou vient cet enfer toxique ? Des ustensiles de cuisine en aluminium, des céramiques, des épices, des cosmétiques et des piles, du recyclage des déchets électroniques et des batteries au plomb. Et bien sûr des peintures auxquelles on ajoute du plomb pour accélérer le séchage et donner de la couleur. On s’en doute un peu, il est très facile, comme dans les pays du Nord, de s’en passer. Le plomb, combien de morts dans le monde ? Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près d’un million chaque année. Et, ajoute Nafisatou Cissé, « on estime que les effets du plomb sur le développement cognitif entraînent chaque année une perte de revenus de près de 1 000 milliards de dollars dans les pays à revenu faible et intermédiaire ».

Vous avez bien lu : 1 000 milliards de dollars, à rapprocher des 9,6 milliards de dollars du budget d’un pays comme le Sénégal en 2023. Et la lutte contre le plomb mobilise à grand-peine 10 millions de dollars de fonds internationaux par an. Ce n’est pas seulement fou, c’est sanguinaire. Comme à l’habitude, derrière le crime, il y a l’industrie. Il fallait mettre du plomb partout, car on le produisait massivement. En 2022, des pays comme la Chine – deux millions de tonnes – et l’Inde – 240 000 tonnes – augmentent leur production. Et la baisse chez d’autres – Australie, États-Unis, Canada, Mexique – est minime.

Malgré l’interdiction mondiale du plomb dans l’essence en 2021, la tuerie continue. Au Sud on l’a vu, mais aussi au Nord. Une étude sérieuse de 2018 estimait à 412 000 morts par an aux États-Unis l’intoxication par de faibles expositions au plomb (3). 412 000, le sixième de la mortalité ! Mais pas en France, oh non. On se souvient du nuage de Tchernobyl arrêté en 1986 par la douane aux frontières françaises. Eh bien, de même, le plomb n’est pas passé par chez nous.

Démonstration immédiate par un rapport de la Direction du travail, révélé en juin par Le Parisien. En résumé express, la SNCF se tamponne le coquillard de l’exposition au plomb de ses salariés. Elle avait promis d’agir, mais ne l’a pas fait, et dans les gares d’Austerlitz, de Lyon, de Saint-Lazare et du Nord, elle « ne se conforme pas à des obligations essentielles de prévention des risques d’exposition au plomb, bien qu’en connaissant les termes ». Et ça craint, car « les éléments recueillis par les inspectrices du travail permettent d’établir l’existence de situations dangereuses pour les salariés de l’entreprise et de celles intervenantes ».

Mais que dire alors de l’incendie de Notre-Dame en 2019 ? Nos chers Bernard Arnault et François Pinault ont aussitôt montré grandeur d’âme et philanthropie, offrant ensemble 300 millions d’euros pour la reconstruction de la cathédrale. Oui, mais où sont passées les 400 tonnes de plomb qui ont fondu dans l’incendie avant d’être vaporisées pour le bien-être universel ?

Il faut reconnaître que l’affaire devient passionnante, car par un tour de magie digne d’Houdini, elles ont disparu. Malgré les plaintes de l’association Robin des Bois, on est toujours à leur recherche. Question des plus innocentes : pouvait-t-on trucider le tourisme parisien, l’un des grands moteurs de l’économie ? Pouvait-on se permettre d’en trouver dans les cours de récréation, les jardins publics, les intérieurs bourgeois de ce quartier chic ?

(1)en anglais https://leadelimination.org/

(2)en anglais https://www.nature.com/articles/d41586-023-02368-0

(3)en anglais https://www.thelancet.com/pdfs/journals/lanpub/PIIS2468-2667(18)30025-2.pdf

Deuxième papier

La chimie arrêtée aux frontières (bis repetita)

Ce n’est pas en France qu’on verrait cela. Certes, les États-Unis sont le royaume des pires pollueurs, mais ils abritent aussi des procureurs indépendants et teigneux dont on ne voit pas l’équivalent chez nous. Témoin cette plainte du bureau du procureur général de Washington contre 25 entreprises de la chimie, accusées d’avoir fabriqué et vendu des produits toxiques qui empoisonnent la capitale fédérale américaine depuis les années 1950.

L’Attorney general vise en particulier deux entreprises, 3M et DuPont, qui ont beaucoup utilisé ce qu’on appelle des forever chemicals, les PFAS. Autrement dit, des polluants chimiques éternels, dont la structure résiste à toute dégradation pour des siècles. Et ils l’on fait en cachant à la société et aux organismes de contrôle les risques pour la santé et l’environnement, qu’ils connaissaient pourtant. 3M pèse 34 milliards de dollars de chiffre d’affaires – 92 000 employés – et DuPont « seulement » 13 milliards après différentes modifications de capital. Des géants de l’industrie transnationale.

Ça chauffe d’autant plus que cette plainte arrive après un accord passé par 3M le mois dernier avec plusieurs villes américaines. L’industriel a accepté de verser au total 10,3 milliards de dollars sur 13 ans pour financer la dépollution des services publics de distribution de l’eau. Mais de leur côté, les cauteleux avocats de DuPont jurent qu’ils n’ont rien à voir dans cette histoire. Selon eux, DuPont n’a jamais fabriqué de PFAS, et d’un point de vue torve, c’est vrai. Car entre 2017 et 2019, l’antique DuPont de Nemours s’est scindé en trois entités. Et celle qui a gardé le nom, en effet, n’a pas fabriqué de PFAS.

C’est si gros qu’on se pince. Au fait, à quand des plaintes en France ? L’usine de 3M à Tilloy-lez-Cambrai (Nord) ne mériterait-elle pas une enquête approfondie de Santé Publique France ou de l’Agence régionale de santé ? En 2021, des tests sanguins ont montré que 59% des riverains de l’usine 3M de Zwijndrecht (Belgique) étaient farcis de PFOS, sous-famille des PFAS. Mais en France, jamais !

Troisième papier

La canicule tue aussi (surtout) les bêtes

Ils souffrent beaucoup plus que nous. Ils meurent par millions et nous regardons gentiment s’il y a encore du rosé au frais. Eux, les animaux sauvages. Eux, les plantes et les arbres. La canicule est un enfer, et l’on commence à entrevoir ses conséquences. Une étude (1) menée en 2021 et 2022 à Matera, dans la Basilicate (sud de l’Italie) montre les effets d’un stress thermique sur la population locale de faucons crécerellettes – un millier de couples ! -, qui nichent sous les tuiles ou sur les façades de Madera, l’une des villes les plus anciennement habitées au monde.

Encore l’étude ne porte-t-elle que sur des températures ne dépassant pas 37 degrés. Loin de la chaleur de 2023. L’équipe scientifique a pu montrer qu’en créant artificiellement de l’ombre sur les nombreux nichoirs de la ville, on pouvait ainsi abaisser la température de quatre degrés. Et le résultat à l’arrivée est saisissant : dans les nichoirs non ombragés, un tiers des œufs sont devenus des poussins prêts à l’envol. Mais dans les autres, autour de 70%.

Commentaire du professeur Diego Rubolini (2), de l’université d’État de Milan : « Ces résultats montrent que les phénomènes de températures extrêmes (…) dans certains cas jamais enregistrés auparavant, peuvent avoir des effets profonds et très rapides sur les populations d’animaux sauvages ». D’autant que «  les scénarios de changement climatique prévoient une nouvelle augmentation de la fréquence et de l’intensité des vagues de chaleur(…) en particulier dans la région méditerranéenne ».

(1)en anglais https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/gcb.16888

(2)en italien https://www.lescienze.it/news/2023/07/27/news/stress_termico_effetto_animali_selvatici_ecosistema_l-13011009/

L’affaire des métabolites

Le fort long texte qui suit ne sera pas lu par tout le monde, j’en ai conscience. Mais enfin, si je ressors de mes archives ce long exposé écrit en janvier et février 2020, c’est parce que les faits lui donnent une couleur très particulière. Je l’ai écrit pour aider à une mobilisation sur l’eau du mouvement des Coquelicots, que j’avais créé en septembre 2018. Comme l’indique son introduction, c’était un texte de travail à compléter, à améliorer.

Mais tel qu’il est, il reste un document très important sur la question de l’eau dite potable. Je lis cette semaine dans Le Canard Enchaîné où en sont rendues les Agences régionales de santé (ARS), censées nous garantir une eau du robinet de qualité. S’adressant aux cadres de son administration, Didier Jaffre, directeur de l’ARS d’Occitanie, leur dit : « Très clairement, nous allons devoir changer d’approche et de discours ; il y a des PFAS [polluants dits éternels] et des métabolites partout. Et, plus on va en chercher, plus on va en trouver ». En conséquence, l’eau « ne doit plus être consommée mais seulement utilisée pour tout le reste. Il faut donc privilégier l’eau en bouteille. »

Oui, c’est totalement cinglé. Mais officiel. Il y a quelques jours, l’agglomération de La Rochelle décidait de fermer plusieurs captages d’eau, car il s’y trouvait bien trop de chlorothalonil R471811, métabolite du chlorotalonil, pesticide interdit depuis plus de trois ans. Si l’on prenait ce grand drame au sérieux, il faudrait pratiquement interdire de boire de l’eau du robinet, ce qu’on ne fera évidemment pas.

Le texte ci-dessous a beaucoup circulé – je l’ai su – à l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) et dans les ARS. Je crois pouvoir écrire qu’il y a fait flipper ses lecteurs, et il y a de quoi. Croyez-moi ou non, mais la situation est hors de contrôle.

Ici commence mon texte pour le mouvement des Coquelicots, écrit en janvier et février 2020

Ce texte est un document de travail pour ceux qui veulent savoir ce qu’on ne raconte pas ailleurs. Ce n’est pas un article de presse, et il est affublé, en bleu, d’adresses Internet qui permettent d’aller aux sources en même temps qu’on lit le propos général. Il est fatalement complexe, mais après divers arrangements, il peut être lu sans trop de difficulté par quiconque s’intéresse de près à la question de l’eau en France. Son public prioritaire est le mouvement des Coquelicots et l’ensemble de ses groupes locaux.

1/Une définition

Les pesticides produisent des métabolites, car au contact des milieux et conditions qu’ils rencontrent, ils se dégradent en composés différents au plan chimique, parfois plusieurs fois au cours leur cycle de vie avant minéralisation, qui marque la fin du produit. Citons, parmi d’autres, le sol ou plutôt les sols, l’eau, les plantes bien sûr, mais aussi le jabot d’une abeille, le gésier d’un oiseau, l’estomac d’un mammifère, le tube digestif d’un lombric. La température extérieure, le soleil, les précipitations jouent également un rôle. Le tout rend l’analyse fine de ces phénomènes très compliquée, car comment reproduire en laboratoire une telle masse de données, perpétuellement en mouvement ?

Par exemple, dans les sols (https://www.inspq.qc.ca/eau-potable/atrazine), l’atrazine est « dégradée par action microbienne aérobie et par hydrolyse, en ses résidus principaux, soit en ordre décroissant la diéthyl-atrazine (DEA), la déisopropyl-atrazine (DIA), la diaminochloro-atrazine (DACA), ainsi que l’hydroxy-atrazine (HA). Dans l’eau, l’atrazine est hydrolysée et biodégradée en ces mêmes métabolites ».

On lira avec grande attention le document de l’OMS en anglais (https://www.who.int/water_sanitation_health/dwq/chemicals/antrazine.pdf), qui aborde la question redoutable de la présence de métabolites de l’atrazine dans l’eau potable. En France, l’atrazine a été interdite en 2003, mais demeure le pesticide le plus retrouvé dans les rivières, ce qui donne une petite idée de la situation réelle.

Citons également le glyphosate, dont l’un des métabolites bien connus est l’AMPA.

2/Ce que dit la loi

Attention, labyrinthe garanti. De nombreux textes se superposent d’un bout à l’autre de l’Europe, preuve certaine d’un grand embrouillamini. Il est fondamental de considérer et de s’appuyer sur la directive européenne du 3 novembre 1998, intégrée depuis au droit français (https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CONSLEG:1998L0083:20090807:FR:PDF). Cette loi française interdit, sauf dérogation encadrée, de distribuer de l’eau potable qui dépasserait 0,1 microgramme pour un pesticide donné, et 0,5 microgramme pour la totalité des pesticides retrouvés. À ce stade, et c’est également essentiel, les pesticides sont considérés à l’égal de leurs métabolites. Si on retrouve 0,1 microgramme d’atrazine et 0,1 microgramme de diéthyl-atrazine, cela ne fait pas 0,1, mais 0,2. À la limite, si l’on ne trouve aucun pesticide de départ, mais plusieurs de leurs métabolites qui dépassent ensemble 0,5 microgrammes, cela rend l’eau impropre à la consommation.

La loi est différente pour les eaux brutes, celles qui permettent la « fabrication » d’eau potable (http://www.eau-et-rivieres.asso.fr/media/user/File/PDF/Pesticides/2013-10-Note_pesticides.pdf). La limite est alors fixée à 2 microgrammes au litre par pesticide et 5 microgrammes au total pour tous ceux retrouvés (https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/qualite-des-cours-deau-vis-a-vis-des-pesticides-sur-le-territoire-des-sage-bretons-respect-des-limites-reglementaires-sanitaires-fixees-pour-lalimentation-en-eau-potable). Au-delà, sauf dérogation, on n’a pas le droit d’utiliser ces eaux trop polluées.

3/Comment on essaie de tourner la loi

Cette situation n’était pas tenable, car des centaines de pesticides différents (leurs matières actives) sont couramment utilisés, produisant fatalement des milliers de métabolites. Combien ? Nul ne le sait. Aucune autorité d’aucune sorte n’a jamais produit d’information précise sur cette question pourtant décisive. N’importe : la directive européenne citée plus haut est un verrou que différents acteurs – chacun dans leur propre rôle – ont un intérêt majeur à faire sauter.

A/L’industrie

Pour l’industrie agrochimique – notamment le quatuor Bayer-Monsanto-BASF-Syngenta -, l’affaire est de nature stratégique. L’extrême pollution par les pesticides des eaux distribuées menace l’édifice entier. Il ne faut pas prendre à la légère les capacités d’anticipation d’équipes rodées, qui disposent de moyens matériels illimités ou presque, prêtes à défendre pied à pied toute molécule, qui représente parfois des centaines de millions d’euros d’investissement.

Un document important existe (https://www.generations-futures.fr/wp-content/uploads/2018/02/homologation_industrie_ecrit_ses_regles_050218_finale.pdf), rédigé par le très fiable Pesticide Action Network (PAN). Son titre : Homologation des pesticides, l’industrie écrit ses propres règles.

Tout commence en 2003 par un document-guide de la Commission européenne (https://ec.europa.eu/food/sites/food/files/plant/docs/pesticides_ppp_app-proc_guide_fate_metabolites-groundwtr.pdf) sur la présence de métabolites dans l’eau de boisson. Il est hautement probable – mais il n’y a pas de preuve – que ce texte est une première réponse au casse-tête des métabolites. Il crée une distinction entre métabolites pertinents et métabolites non-pertinents, mais sur une base fragile, car dépourvue de toute précision scientifique, ce qui est plutôt extravagant dans une affaire aussi technique. Selon ce texte, « un métabolite pertinent est un métabolite pour lequel il existe des raisons de supposer qu’il possède des propriétés intrinsèques comparables » à la molécule de départ « en termes d’activité biologique ciblée ». Aucun chiffre, aucune référence, juste un assemblage de mots.

En bonne logique bureaucratique, un métabolite non-pertinent ne remplit pas ces critères. Le texte introduit au passage un concept très important qui s’appelle threshold of toxicological concern (TTC), ou seuil de préoccupation toxicologique. Dans les si nombreux cas où l’on ne sait rien des risques écotoxicologiques d’une molécule, on se réfèrera à ce seuil, en dessous duquel il n’y aurait pas de risque pour la santé humaine. Attention ! c’est là que commence le grand débat, car ce texte oppose sans le dire la limite de la directive européenne – donc de la loi française – et les chiffres bien différents de la TTC.

C’est d’autant plus significatif que cette approche est celle de la Food and Drug Administration (FDA), administration américaine chargée de l’analyse des denrées alimentaires et des médicaments. Surtout, elle est défendue depuis le tout début du siècle par le plus puissant lobby agroalimentaire et agrochimique de la planète, l’International Life Sciences Institut (ILSI), financé entre autres par Bayer, BASF et Syngenta.

Citons, dès 2000, une étude (https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0278691599001209) parue dans une revue présentée par Stéphane Horel (Lobbytomie, 2018, page 109) comme étant au service de l’industrie. Et même, si l’on remonte à 1990 et aux vraisemblables origines, cette autre étude publiée par la revue Regulatory Toxicology and Pharmacology (https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/027323009090030F), elle aussi aux mains des lobbies industriels.

La suite est sans surprise. Passage par l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), elle-même farcie de conflits d’intérêts (https://www.francetvinfo.fr/sante/medicament/efsa-la-moitie-des-scientifiques-seraient-en-situation-de-conflit-dinterets_2239415.html) et intervention d’experts passés par l’ILSI, qui entérinent l’existence pourtant non démontrée des métabolites non-pertinents.

Le résultat probant de cette histoire est qu’un article écrit par et pour l’agrochimie (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26192637) sert de base dans l’Union européenne aux discussions techniques. Certains États « en pointe » ont déjà classé comme non-pertinents des dizaines de métabolites, mais fait notable et pour tout dire extraordinaire, le Danemark s’oppose frontalement à ce classement (https://mst.dk/media/148466/framework_assessment_pesticides_version_1-6_may_-2018.pdf).

Faisons la pause. L’industrie a compris bien avant nous que les métabolites représentaient un grave danger pour elle. Elle s’est donné les moyens, loin en amont, d’influencer les autorités publiques, et elle y est parvenue.

3/L’ANSES et la Direction générale de la Santé (DGS)

Écartons de suite toute idée de complot et précisons qu’aucune -presque aucune – information fiable n’établit des liens directs entre les agences et autorités publique d’une part, et l’industrie d’autre part. Chacune des parties a ses propres arguments et priorités en ce qui concerne les métabolites.

Ainsi, nos autorités ont pour obsession de continuer à délivrer une eau jugée par elles sans risque. Le problème, on va le voir, est qu’elles ne le peuvent plus, sauf à changer subrepticement les règles du jeu pour les métabolites.

A/L’entrée en scène du défunt Conseil supérieur d’hygiène publique de France (CSHPF)

Qu’est donc ce Conseil ? Une structure publique dépendant de la Direction générale de la Santé, née en 1848 et dissoute en 2006. Le CSHPF est seulement consultatif et ses conseils au gouvernement sont d’ordre technique (https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/Telecharger?NomFichier=ad020909.pdf). On est donc loin d’une instance scientifique. Or le 7 juillet 1998, le CSHPF rend un avis surprenant (https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapports3?clef=144, puis rechercher “modalités de gestion des situations de non conformité des eaux de consommation”).

Il estime en effet que « la valeur réglementaire de 0,1 μg/l, applicable à chaque substance, n’est pas suffisante pourévaluer et gérer une situation de non-conformité des eaux distribuées vis-à-vis des produitsphytosanitaires ». Et propose l’introduction d’une autre notion, la « valeur sanitaire maximale » ou Vmax. Aussitôt, la Direction générale de la Santé (DGS) préconise d’utiliser la Vmax (http://circulaires.legifrance.gouv.fr/pdf/2011/01/cir_32338.pdf et aussi http://www.cclin-arlin.fr/nosopdf/doc04/0013779.pdf, ce qui change tout. En effet, le CHSPF indique des valeurs qu’il assure venir de l’OMS, très au-dessus des valeurs de la loi. Ainsi, l’alachlore, herbicide composant le Lasso – responsable de la contamination du paysan Paul François – se voit attribuer une valeur-guide de 20 microgrammes par litre, soit 200 fois la norme européenne et française. L’alachore, soit dit en passant, a été depuis interdit en France.

D’où viennent les valeurs attribuées à l’OMS ? Dans l’édition 1996 de ses Directives de qualité pour l’eau de boisson (https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/37523/9242544604-fre.pdf?sequence=1), l’OMS cite bien une valeur-guide de 20 microgrammes d’alachlore par litre (page 96 sur 216), mais sauf erreur dans un autre contexte, celui de « risque additionnel de cancer sur la vie entière ». L’OMS souligne au passage les risques cancérogènes du produit, avérés déjà sur le rat. Et donne à un autre pesticide, composant de l’Agent orange épandu au Vietnam, le 2,4-D, une valeur maximale de 30 microgrammes par litre. 300 fois la norme légale. Et 9 microgrammes, soit 90 fois la norme. Ce qui donne une idée des erreurs passées.

On peut admettre que l’OMS, voici 25 ans, ne disposait pas des connaissances d’aujourd’hui. Est-ce la seule raison ? Un personnage essentiel permet d’interroger la pertinence de cette approche très favorable aux intérêts industriels : le toxicologue René Truhaut. Grand maître de la surveillance des pesticides en France pendant des décennies, Truhaut a « inventé » dans des conditions très discutables la Dose journalière admissible (DJA), fondement de toutes les lois de protection contre les pesticides (In Un empoisonnement universel, LLL, 2014). Et cela dans le cadre d’un comité conjoint FAO-OMS. Dans les années Cinquante du siècle passé, il était l’une des deux ou trois références mondiales dans ce domaine. Attention ! Il ne s’agit pas dire que René Truhaut était corrompu, car il ne l’était sûrement pas. Mais il a couvert de sa haute autorité l’intervention de désinformateurs professionnels comme Marcel Valtat (In Le crime est presque parfait, LLL, 2019) et l’incroyable scandale du chlordécone. Et il régné, là aussi pendant des décennies, sur le Conseil supérieur d’hygiène publique de France (CSHPF). Le monde est très petit.

Un autre personnage attire l’attention : André Aurengo. Il fut le dernier président du CSHPF, et lui aussi très favorable aux intérêts industriels, notamment dans le domaine nucléaire (https://www.acro.eu.org/Archives/cp050506.html). Il fut membre du conseil d’administration d’EDF et du conseil scientifique de Bouygues Telecom et de l’Association française des opérateurs mobiles.

B/ La DGS et l’ANSES s’engouffrent

Mais revenons à nos moutons. Le CSHPF propose sur un coin de table, en 1998, de bouleverser les normes sur la présence de pesticides dans l’eau potable. La Direction générale de la santé (DGS, donc le ministère de la Santé) s’empare de cette providence. Il faut dire que la situation est grave.

En 2000, des analyses menées en Bretagne montrent que « le nombre de molécules décelées dans les eaux de surface est de plus en plus élevé ». Le Sénat (https://www.senat.fr/rap/l02-215-2/l02-215-242.html) constate que « sur les 65 matières actives recherchées, 23 ont été détectées à des concentrations supérieures à 0,1 ug/litre ». Rappelons que ug est égal à microgramme.

Au plan national, l’Institut français de l’environnement (IFEN, disparu) croise les données de 440 000 prélèvements réalisés en 1999 et 2000. On trouve des pesticides – 142 différents ont été recensés – dans 90% des prélèvements sur des cours d’eau. Et dans 58% des nappes souterraines (https://maire-info.com/eau-et-assainissement/qualite-des-eaux-de-rivieres-les-pesticides-sont-presents-sur-90-des-points-surveilles-en-riviere-et-sur-58-des-points-en-eaux-souterraines-s%27inquiete-article-2745).

En 2007, 91% des (prélèvements en) rivières contiennent des pesticides. Et 59% des nappes. En 2011, 93% des points étudiés sur les rivières. En 2012, petite baisse pour les cours d’eau – 89% – mais forte hausse pour les nappes, avec 71%. En 2013, 92%, et bien sûr, rien n’a changé depuis.

C’est dans ce contexte explosif qu’il faut situer l’affaire d’Étais-la-Sauvin, dans l’Yonne. Depuis la fin 2016, les 840 habitants n’ont plus d’eau robinet, car la pollution par les pesticides y est insupportable (https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/bourgogne-yonne-est-departement-plus-touche-pollutions-eau-aux-pesticides-1771693.html). Pendant plus de deux ans, à partir de 2016, la mairie a dû distribuer 25 000 bouteilles d’eau par mois. Et une vingtaine de communes du département ont dû faire face à des restrictions ou des interdictions de consommer l’eau jadis potable. Les métabolites sont au premier plan des inquiétudes (https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/yonne/auxerre/communaute-auxerrois-s-inquiete-pesticides-eau-1456107.html).

Bien qu’aucun lien – autre que temporel – ne puisse être évoqué, la Direction générale de la Santé (DGS) saisit le 9 décembre 2015 l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). Elle demande à l’agence une méthode permettant de distinguer les pesticides pertinents (voir plus haut) et ceux qui ne le sont pas dans le domaine des « eaux destinées à la consommation humaine » ou EDCH. Il s’agit explicitement « de répondre aux enjeux de gestion locale des non-conformités lorsque des métabolites de pesticides sont retrouvés dans les EDCH à des concentrations supérieures à la limite de qualité ». 8 métabolites doivent être considérés : l’alachlore ESA, l’alachlore OXA, le métolachlore ESA, le métolachlore OXA, l’acétochlore ESA, l’acétochlore OXA, le métazachlore ESA et le métazachlore OXA. L’ANSES rend un avis le 30 janvier 2019 (https://www.anses.fr/fr/system/files/EAUX2015SA0252.pdf) qui classe comme pertinents 3 métabolites et non-pertinents les 5 autres.

L’ANSES écrit qu’elle « a choisi, à des fins de simplification dans un objectif d’aide à la gestion, de proposer une valeur seuil unique pour les métabolites jugés non pertinents dans les EDCH ». Cette valeur unique est « basée sur la démarche TTC, elle a été fixée à 0,9 μg.l ». Cette citation est très importante, car elle multiplie par 9 le niveau acceptable dans l’eau potable des métabolites jugés non-pertinents. En s’appuyant sur la démarche toxicologique propulsée par l’industrie pour ses propres besoins, le TTC (voir plus haut).

Dans un communiqué conjoint, Générations Futures et Alerte des médecins sur les pesticides (https://www.alerte-medecins-pesticides.fr/wp-content/uploads/2019/05/2019-05-07-17h15___CP060519_metabolite_eauFinal.pdf) estiment : « Accepter ce changement serait une régression et permettrait de tolérer une pollution des ressources en eau toujours plus importante. Plus grave encore : l’expertise de l’Anses reconnait que “concernant le potentiel de perturbation endocrinienne et les cas de transformation en un produit dangereux pour la santé humaine au sein des filières de traitement EDCH, les données relatives aux métabolites sont insuffisantes”. De même, l’Anses reconnait que « ces travaux écartent… la problématique des effets des mélanges de pesticides et/ou métabolites ».

Par ailleurs, le quotidien Le Monde (https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/05/07/face-aux-contaminations-les-regles-d-evaluation-de-la-qualite-de-l-eau-pourraient-evoluer_5459464_3244.html) écrit le 7 mai 2019 : « On sait désormais que cette réglementation n’a pas suffi. Résultat : les contaminations sont telles que certaines agences régionales de santé ne savent plus quefaire d’eaux brutes affichant régulièrement des taux trop élevés de métabolites de pesticides. D’où l’idée qu’il faudraiten maintenir certains (nommés « pertinents » dans le rapport) sous le seuil de 0,1μg/L et de permettre à d’autres (les « non-pertinents ») d’atteindre 0,9 μg/L ».

À ce moment du feuilleton, une question-clé se pose : ce rapport n’est-il pas un ballon d’essai, destiné à tester la réaction de la société ? Rien ne semble plus empêcher les autorités publiques de déclasser à terme des centaines, voire des milliers de métabolites en divisant par 9 leur limite de présence dans ces fameuses « Eaux destinées à la consommation humaine ». Une manière certaine de casser le thermomètre pour ne plus avoir à constater – et combattre – la fièvre.

L’industrie agrochimique semble en tout cas avoir bien anticipé l’opération. L’Union des industries de la protection des plantes (UIPP) regroupe l’essentiel des transnationales opérant en France, dont Bayer, BASF ou Syngenta. Dans un document éclairant (http://www.gfpesticides.org/bdd_fichiers/319c10ba4b34b568dbf56258f5f4463e9b5dab3183f.pdf) en date du 1er juin 2018 – un an avant la publication du rapport de l’ANSES -, l’UIPP insiste sur deux points. Un, il faut utiliser la méthodologie TTC (voir plus haut). Et deux, il convient de distinguer les métabolites pertinents de ceux qui ne le sont pas. Ces derniers se verraient attribuer une valeur maximale de 0,9 microgramme par litre d’eau. Exactement ce qu’on retrouvera dans le rapport de l’ANSES.

4/Que disent les études sur les métabolites ?

Le maître-mot officiel est celui d’ignorance. Un document officiel – émanant tout à la fois du BRGM, de l’IFREMER, de l’INERIS et du laboratoire national de métrologie et d’essais – rapporte cette impressionnante série de questions (https://www.aquaref.fr/system/files/Aquaref_2017_F1a_VF2_complet.pdf) impressionnante. La voici :

« En effet, si le statut des molécules mères (substances actives) est clair au niveau national et leur monitoring réalisé avec des performances analytiques compatibles avec les exigences réglementaires, des questions apparaissent quant au suivi de leurs métabolites :

# dispose-t-on d’une liste régulièrement actualisée des métabolites de pesticides ?

# quels métabolites sont susceptibles de migrer vers les eaux souterraines ?

# quelles sont les valeurs seuils de référence ?

# quelles sont les capacités analytiques actuelles des laboratoires français?

# quels développements analytiques pourraient être entrepris pour pallier aux manques identifiés ? »

On ne sait donc pas grand-chose, et le document cité enfonce le clou : « Enfin, constatant que de nombreux métabolites ne sont pas analysés, (…) il s’agit de vérifier que l’étalon analytique existe bien (…) Ainsi, l’absence constatée d’étalons analytiques pour de nombreuses substances (262 molécules sans étalon analytique sur 407 métabolites considérés) s’avère comme un verrou analytique pour de nombreux paramètres qui seraient considérés comme à suivre dans le cadre d’une surveillance nationale ».

Traduction immédiate : les étalons analytiques sont la référence chimique d’une molécule, que seul son fabricant peut délivrer. Ces étalons sont indispensables pour mesurer les pics de présence d’un métabolite dans des examens en chromatographie. Sans étalon, aucune recherche n’est possible. Le laboratoire est aveugle. 262 molécules étudiées sur 407 n’en ont pas.

Notons ensemble quelques conclusions :

« Brièvement, il peut être retenu de cette étude, que l’évolution constante des demandes d’autorisation, avec parfois des demandes de compléments, ainsi que le délai entre l’évaluation de l’EFSA et la conclusion émise par la Commission Européenne, rendent difficile l’obtention d’une liste de métabolites de pesticides susceptibles de migrer vers les eaux souterraines. La connaissance de leur statut (pertinent ou non pertinent au regard du règlement européen 1107/2009) est parfois délicate ».

« D’un point de vue analytique, le travail engagé montre que peu de substances ont un code CAS et encore moins un code SANDRE laissant supposer que la surveillance des eaux souterraines au niveau national est loin d’inclure l’ensemble des métabolites inventoriés ici ».

Non seulement on est ignorant, mais le peu qu’on sait est très inquiétant. Ainsi et pour commencer, Laurence Amalric, du BRGM, écrit (http://sigessn.brgm.fr/IMG/pdf/analyses_pesticides_brgm.pdf) : « Les métabolites. Ces produits résultent de phénomènes naturels de transformation des produits parents, incluant les processus de biodégradation, d’hydrolyse, de photolyse. Ils participent au devenir des pesticides dans l’environnement et proviennent de transformations telles que l’hydroxylation, la déalkylation, l’élimination de groupements carbonyle, l’hydrolyse de la fonction urée ou des acides phénoxyalcanoiques, l’oxydation… Leur toxicité est mal connue, les substances-étalons ne sont pas toujours disponibles, leur plus petite taille et leur polarité plus élevée rendent leur analyse plus difficile et leur élimination dans les filières de potabilisation des eaux plus délicate ».

Ensuite, et pour continuer, un auteur américain, Raymond A.Cloyd, entomologiste et spécialiste de l’horticulture à la Kansas University, établit que des métabolites de pesticides aussi connus que l’imidaclopride ont des métabolites plus toxiques qu’eux-mêmes (https://bookstore.ksre.ksu.edu/pubs/MF3070.pdf).

Ensuite et enfin, des chercheurs de l’INRA, menés par Laure Mamy, écrivent dans une étude (https://www6.inrae.fr/ciag/content/download/3499/35173/file/10-Mamy.pdf: « Les DT50 des métabolites sont bien supérieures à celles desherbicides (20 à 100 fois plus élevées), en conséquence, ces métabolites présentent des risques pourl’environnement plus importants que les herbicides ».

Traduction : la DT 50 est ce qu’on appelle la demi-vie de l’activité chimique des pesticides. Au-delà de cette DT, il ne reste plus que 50% de produit actif. Or, disent Mamy et ses collègues, des métabolites peuvent avoir un temps d’action dans les sols, l’eau, les animaux, les plantes bien supérieur à celui des pesticides d’où ils viennent.

Dans le détail (tableau 3, page 8 sur 23), on a la surprise de découvrir l’existence d’un métabolite non-identifié provenant du métazachlore. Et ce métabolite a une DT50 de 218 jours dans le calcaire, de 309 jours dans l’argileux et de 326 jours dans le limoneux. Le métazachlore d’origine, lui, a respectivement une DT50 de 1,9 jour, 2,7 jours et 3,5 jours. Inutile de dire que cela bouleverse les données du problème. Insistons : un métabolite inconnu, pouvant avoir une toxicité plus élevée que sa molécule mère, ne perd la moitié de son potentiel chimique qu’au bout de 218 à 326 jours.

5/L’exemple de la nappe de Massérac

La nappe phréatique de Massérac se situe entre Loire-Atlantique et Îlle-et-Vilaine. Elle sert notamment à alimenter en eau 20 000 habitants de la région dite Guéméné-Penfao, sur les communes d’Avessac, Conquereuil, Derval, Guémené-Penfao, Marsac-sur-Don, Massérac, Pierric, Saint-Nicolas-de-Redon. Cette nappe alluviale passe sous la Vilaine. Aucun traitement des pesticides – pas même une filtration – n’existe avant distribution par le Syndicat intercommunal d’alimentation en eau potable (SIAEP).

Entre le 1er janvier 2016 et le 31 août 2109, de multiples analyses démontrent une pollution grave par les pesticides, qui dépasse au robinet les valeurs déjà évoquées de 0,1 microgramme par litre par pesticide et de 0,5 microgramme pour l’ensemble des pesticides présents. Notons que le métabolite métolachlore ESA atteint dans certaines analyses 5 fois la valeur de 0,1 microgramme, et que l’ANSES, dans son rapport déjà cité, retient comme pertinent ce métabolite. En clair, il devrait être traité comme un pesticide.

Autour de Massérac existe un collectif pesticides relié au mouvement des Coquelicots. On peut trouver sur le Net quantité de documents se rapportant à la situation locale (https://www.collectifsanspesticides.fr) qui donnent une idée de l’intensité de la bagarre en cours, qu’on ne peut que résumer à grands traits.

La situation oblige légalement les autorités à lancer un programme d’action, et à informer la population qu’elle boit une eau contaminée. Mais rien n’a été fait. Pis : au cours d’une enquête publique sur une extension de ferme porcine à Guéméné-Penfao, les élus des communes d’Avessac, Conquereuil et Guéméné-Penfao ont donné un avis positif à cette demande. Or le commissaire-enquêteur avait démontré que cette extension augmenterait encore la dégradation de l’eau de la nappe.

Le collectif, qui a beaucoup travaillé, a pu montrer que 232 pesticides différents sont utilisés dans le bassin versant de la nappe, qui génèrent environ 1000 métabolites. Or l’Agence régionale de santé (ARS) de Loire-Atlantique, en charge des analyses, ne recherche qu’une dizaine de ces métabolites. Sur la base de 1000, 10 représentent 1%. 99% sont ignorés.

Après de nombreuses rencontres avec le président du SIAEP, le collectif a réclamé et réclame la distribution d’une eau enfin conforme aux limites de qualité. Et en attendant et entre autres, la distribution pour tous d’une eau de source en bouteilles, l’information constante de la population et des restrictions éventuelles de l’usage de l’eau, la prise en compte de la totalité des pesticides et de leurs métabolites, la fermeture du puits n°2 compte-tenu de son extrême pollution. Conclusion du collectif : « L’eau « potable » est distribuée encore aujourd’hui en toute illégalité au vu des résultats d’analyses depuis 3 ans et 1/2 ». Soit aujourd’hui 4 ans.

L’explication, toujours selon le collectif, est celle-ci, en trois points :

1/ « un environnement où les lobbies des syndicats agricoles, des coopératives et industries agricoles sont en permanence dans le bureau des autorités ».

2/ « une réglementation complexe et confuse »

3/ « une omerta et une opacité des services compétents (élus, autorités, administrations ».

Est-ce tout ? Presque. Le 17 octobre 2019, le collectif est reçu à Nantes par la direction de l’Agence régionale de santé (ARS), responsable in fine de la qualité des eaux distribuées. Après un long dialogue de sourds, et au nom du principe de précaution, le collectif « demande la fermeture de l’usine de Massérac en attendant le mise ne place de la filière de traitement et de l’arrêté inter- préfectoral d’interdiction de l’utilisation de pesticides sur tous les bassins versants ». Le directeur de l’ARS évoque « sa crainte de devoir être contraint de fermer tous les captages ». On en est là : faire respecter la loi française de limites de pesticides dans l’eau potable obligerait à fermer les puits de captage de Massérac, et avec eux, en France, des milliers et probablement bien plus d’autres forages destinés aux eaux de boisson.

Car surtout, se pas s’imaginer que Massérac soit l’exception. Par exemple, l’ARS Morbihan ne recherche en tout que 4 métabolites, tous venus des triazines. Les autres n’existent pas. Dans les Landes, la pollution par les métabolites explose les normes (http://www.amisdelaterre40.fr/spip/spip.php?article613). On y constate aussi une drôle d’histoire de conflit d’intérêt, car le président du Syndicat Intercommunal de la Basse Vallée de l’Adour (SIBVA) est aussi un éventuel utilisateur d’un des polluants principaux.

Un autre exemple montre qu’une véritable dérive est en cours chez des acteurs pourtant officiels de la protection des eaux. Ainsi de l’Association pour la protection de la nappe phréatique de la plaine d’Alsace (APRONA), dont les partenaires sont l’Agence de l’eau Rhin-Meuse, le Bureau de Recherche Géologique et Minière (BRGM) et l’Agence Régionale de Santé Grand Est.

Dans un document à la fois éclairant et très inquiétant (https://www.aprona.net/uploads/pdf/qualite/ermes-alsace/carte_24metabolites_note.pdf) l’APRONA livre en 2018 le résultat d’analyses sur 24 métabolites présents dans la nappe phréatique alsacienne. Première surprise, le texte note que « L’APRONA, dans le cadre du projet ERMES –Alsace 2016, a réalisé une campagne de mesures sur 394 paramètres. Parmi elles et pour la première fois, la plupart des 24 métabolites de pesticides ». Cette formulation sous-entend probablement qu’il n’y aurait « que » 24 métabolites de pesticides dans la nappe alsacienne, ce qui est totalement faux. Les chiffres de 2016 – de l’APRONA eux aussi – montrent que 137 pesticides et métabolites ont été analysés, sans qu’on sache combien d’autres – probablement le double ou plus – ont été ignorés. Sur ce chiffre, on trouve 113 pesticides et 24 métabolites en effet. Mais si l’on estime que chaque pesticides produit six métabolites – valeur arbitraire mais prudente -, on obtient un total de près de 700 métabolites présents, dont 3% ont été analysés.

Le résultat publié montre que 61,2 % des points de mesure dépassent les normes légales (https://www.aprona.net/uploads/pdf/qualite/ermes-alsace/brochure_ermes-alsace_2016.pdf). Qu’importe, semble dire le premier des deux textes APRONA, car il existe « des valeurs sanitaires maximales dans les eaux à destination de consommation humaine (Vmax) de 50 μg/l {microgrammes au litre] pour l’alachlore-ESA et l’alchlore-OXA ; de 510 μg/l [microgrammes au litre] pour le métolachlore-ESA et le métolachlore-OXA ».

Concentrons-nous sur ces chiffres, car ils signifient qu’une structure officielle promeut une mesure alternative à celle de la loi française (encore une fois, 0,1 microgramme/litre par pesticide et 0,5 pour l’ensemble des pesticides), la Vmax, dont a vu comment elle a été introduite, et quels intérêts elle sert. 50 μg/l pour l’alachlore-ESA et l’alchlore-OXA, c’est 500 fois la norme. 510 μg/l pour le métolachlore-ESA et le métolachlore-OXA, c’est 5010 fois la norme.

6/Un tout début de conclusion

La conclusion de cette Affaire des métabolites devra être écrite ensemble. Mais d’ores et déjà, on peut souligner quelques points cruciaux. La première évidence est que le système des pesticides est hors de contrôle. Environ 500 pesticides – matières actives – différents sont approuvés dans l’Union européenne, qui se retrouvent en mélange avec d’autres matières actives et des adjuvants divers dans des milliers de préparations commerciales. Ces dernières – exemple : le Roundup est un produit commercial contenant la matière active glyphosate – peuvent avoir des effets chimiques différents de ceux des molécules séparées. Ce chiffre de 500 pesticides différents pourrait être sous-évalué, mais retenons qu’ils représentent des milliers de métabolites dont un nombre infime est recherché.

L’industrie d’un côté, pour des raisons évidentes de chiffre d’affaires, est préoccupée, depuis au moins vingt ans, par l’existence de tant de poisons dans l’eau. Sur le papier du moins, cette question est susceptible de créer une très grave crise sanitaire, et donc politique, dans toute l’Europe.

D’un autre côté, les structures publiques de surveillance et de protection – ARS et ANSES – sont prises dans un étau qui menace tout l’édifice de distribution des eaux de boisson. Les deux mors de cet étau sont la directive européenne devenue loi française (0,1 microgramme et 0,5 microgramme) et l’évidence que les métabolites, s’ils étaient recherchés, feraient exploser tout le système. Industrie et agences publiques ne partagent pas forcément le même point de vue, mais leur alliance de fait est évidente pour qui sait regarder les faits. Les deux veulent absolument couler la norme européenne et française.

En fait, la situation est intenable, ce qui explique largement l’apparition, rapportée en détail, d’autres valeurs-limites comme le TTC et le Vmax, ainsi que l’apparition « miraculeuse » de métabolites « non-pertinents ». Il s’agit de masquer le désastre de l’agriculture industrielle et l’incapacité des États à protéger les populations contre un empoisonnement universel.

D’innombrables questions se posent, qu’on ne peut toutes aborder. Mais il en est une qui ouvre sans doute des perspectives : que contiennent les Autorisations de mise sur le marché (AMM) ? Ces AMM sont les sésames qui autorisent un producteur de pesticides à commercialiser un nouveau produit. En France, c’est l’ANSES qui les délivre, après qu’un État européen quelconque s’est livré à une évaluation sur la base d’un dossier constitué par l’industriel.

Il est plus que probable qu’un grand nombre d’AMM sont accordées seulement pour une matière active – par exemple le glyphosate – et non pour ses métabolites. D’autant plus qu’un nombre X demeure inconnu, et que parmi ceux qui sont identifiés, une partie significative ne dispose pas d’étalon chimique permettant de les retrouver dans l’eau. Autrement exprimé, les AMM ressortissent à la fameuse bouteille à l’encre, qui rend tout indéchiffrable.

En bonne logique, une réforme drastique commanderait que les AMM soient accordées pour une matière active et tous les métabolites qu’elle engendre, dont on a vu que nombre peuvent être plus toxiques. Mais ce n’est pas le cas. Ce qui pourrait conduire à un contentieux géant remettant en cause la grande majorité des AMM accordées si généreusement. Une telle perspective est pour l’industrie agrochimique un cauchemar.

7/Ce que peut faire le mouvement des Coquelicots

Les centaines de groupes locaux des Coquelicots doivent prendre à bras-le-corps la décisive question des métabolites. La bonne démarche pourrait consister à créer un sous-groupe entièrement dédié à la question, avec un(e) référent(e) permettant des échanges rapides d’un bout à l’autre de la France.

Premier mouvement (possible) : réaliser un état des lieux local et régional de la distribution d’eau potable. D’où vient-elle ? Quels sont les acteurs – type syndicat intercommunal ou société privée comme Veolia – concernés. Quelle est la nature exacte des analyses menées par l’Agence régionale de santé (ARS). Quels sont les pesticides utilisés dans la région. Quels sont les métabolites recherchés.

Après réalisation d’un document fiable et clair, l’action peut commencer. Il s’agit de se livrer collectivement à un harcèlement démocratique constant de toutes les structures concernées par le problème.

Dans le désordre, les élus locaux et les syndicats intercommunaux, les compagnies de distribution de l’eau comme Suez, Saur ou Veolia, les ARS bien sûr, l’ANSES quand c’est possible, les laboratoires agréés pour les analyses. La liste n’est pas limitative. Le sens général de cette action est simple : il s’agit de réclamer le respect de la loi des 0,1 et 0,5 microgrammes, ainsi que la recherche de tous les métabolites présents dans les eaux brutes – rivières et nappes – et les eaux distribuées au robinet. Autant le dire, ce combat est de longue haleine.

Une précision concernant les labos agréés : ne pas se laisser abuser par les titres ronflants. Certains ne disposent d’agréments que pour un tout petit nombre de métabolites. Faute d’informations de base – par exemple les étalons analytiques -, ils sont en fait dans l’incapacité de rechercher efficacement les métabolites. Pour que les choses commencent à changer, il leur faudrait sans aucun une réforme sur le fond des structures, et des équipements nouveaux au prix pour le moment prohibitif.

Dans ces conditions, il n’est pas interdit de rêver d’une bataille juridique, appuyée par des avocats connus des Coquelicots, qui pourrait déboucher sur de nombreuses procédures. En particulier, il faudrait obtenir l’accès aux Autorisations de mise sur le marché (AMM), de manière à vérifier qu’elles accordent aussi le droit de mettre en circulation des métabolites, potentiellement plus toxiques.

Évidemment, toute démarche risque de se heurter à un mur bureaucratique. Il faut songer à saisir la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), qui a le pouvoir de débloquer certaines serrures (https://fr.wikipedia.org/wiki/Commission_d%27acc%C3%A8s_aux_documents_administratifs).

À terme, l’objectif des Coquelicots doit être d’aider à la constitution d’une force distincte, nationale, fédérée, tout entière vouée à la grande bataille de l’eau, qui ne fait que commencer.

Sornettes coutumières au sujet du plastique

Je tempête tant, intérieurement, que j’hésite à poursuivre ce texte. On verra. Vous le savez certainement, un pompeux sommet mondial commence ce 29 mai 2023 à Paris, censé préparer le terrain à un éventuel traité sur l’usage du plastique. On parle de 175 États représentés. On parle d’un agenda. On parle de 2040, et je gage ici qu’on parlera plus tard de 2050. Mais ce n’est pas même un problème de date.

Qui reçoit en notre nom ? Christophe Béchu, ancien président du conseil départemental du Maine-et-Loire, ancien sénateur, ancien maire d’Angers. Pourquoi est-il là ? Parce qu’il a tapé dans l’œil de Macron pour une raison qu’on ignore. Il n’a jamais, jamais, jamais montré le moindre intérêt pour la nature et l’écologie, ce qui le désignait probablement pour cette tâche.

J’ai déjà dit du bien, c’est-à-dire du mal de ce monsieur ailleurs, et je vous en fais part immédiatement : « L’examen non exhaustif du cabinet de Béchu n’incite pas au compliment. Directeur de cabinet : Marc Papinutti, ingénieur des Ponts, des Eaux et des Forêts. Directeur adjoint  : Alexis Vuillemin, ingénieur des Ponts, des Eaux et des Forêts. Directrice adjointe : Amélie Coantic, ingénieure des Ponts, des Eaux et des Forêts. Qui s’occupera de la nature, dans ce vaste conglomérat ? Guillaume Mangin, « conseiller prévention des risques, santé, environnement, urbanisme et aménagement ». Notons l’encerclement du mot environnement par la santé et l’urbanisme. Pas l’écologie, l’environnement. L’écologie oblige à considérer l’homme en relation avec d’autres existants. Pas l’environnement, qui comme son nom l’indique, s’en tient à ce qui environne l’homme, placé de facto au centre. Mais ce n’est pas le pire : Mangin est lui aussi ingénieur des Ponts, des Eaux et des Forêts.

Voici venue la minute pédagogique. Les Ponts et le Génie rural, les Eaux et Forêts ont fusionné en 2009. Les premiers, dont le corps a été fondé en…1716, sont à peu près derrière toutes nos si belles constructions. Les routes et autoroutes, les cités de banlieue et leur urbanisme guilleret, les villes nouvelles, de nombreux centres commerciaux géants – Rosny 2 -, et jusqu’aux châteaux d’eau hier et les ronds-points inutiles aujourd’hui. Ils bâtissent, et gagnent de l’argent en coulant du béton. Les Eaux et Forêts aiment à faire remonter leur origine à un édit de Philippe-Auguste, en…1219. On leur doit, depuis la guerre, la atteintes les plus graves à la biodiversité qu’a connues ce pays. À la tête du ministère de l’Agriculture et des anciennes et surpuissantes directions départementales de l’agriculture et de la forêts (DDAF), ils ont tout remodelé.

Ils nous auront tout fait : les plantations de résineux en monoculture, le remembrement et l’arasement des talus boisés – 400 000 km pour la seule Bretagne -, le recalibrage à la hache de milliers de cours d’eau, consistant en des travaux lourds destinés à augmenter la productivité. Et bien sûr, soutenu de toutes leurs forces l’usage massif de pesticides et d’engrais industriels. Les deux Corps qui ne font plus qu’un sont en tout cas nés sous l’ancien régime, et ont résisté aux guerres et aux tumultes. Sont-ils au service de la République ? Ils le disent. Sont-ils au service de leur Corps qui, de manière féodale, maintient des liens de suzerain à vassal ? Ils le nient férocement. Notons un dernier point, décisif : ce corps de la « noblesse d’État » (Bourdieu) détient, avec celui des Mines, un monopole de l’expertise technique. Tout projet public d’importance passe entre leurs mains avisées. Qu’on ne peut contester ».

Revenons à la farce du sommet sur le plastique. On est fort loin d’un traité – compter dix ans, ou vingt -, mais s’il était signé, il ne servirait à rien, car il n’est pas question de s’attaquer vraiment à cette plaie universelle, mais de réduire. Un peu, on ne sait combien. C’est très engageant, car les centaines de millions de tonnes de plastique déjà répandus sur les sols et les mers, dans l’eau des lacs et des rivières, dans notre alimentation et notre eau de boisson, ont une espérance de vie qui se compte en siècles.

Diminuer, donc. Pour juger le sérieux d’un Béchu, notons qu’il propose, très décidé, qu’on n’utilise pas de plastique au moment des JO de Paris de 2024. En tribunes, précisons, c’est-à-dire sous le regard des caméras. Ailleurs business as usual. Autre proposition baroque : le ministre veut un GIEC du plastique. Ça ne mange pas de pain, mais ça reste grotesque, car de vous à moi, depuis 1988 – date de sa naissance – le GIEC n’aura servi à rien d’autre qu’à remettre des rapports, aussitôt digérés, car la machine aime manger. Or, et bien que les chiffres soient incertains, la production mondiale de plastique approche les 500 millions de tonnes, et pourrait au rythme divin de la plasturgie, tripler encore d’ici 2060. En 1950, selon les sources, elle oscillait entre 1 million et 1,5 million de tonnes.

Visiblement, Béchu commence à s’y croire. Ses communicants ne doivent pas être si mauvais, puisque les journaux le placent pour un instant dans la lumière. On trouve même dans l’article d’une gazette ces quelques mots d’ouverture, qui ressemblent – sans en être – à un publireportage : « Plastic Béchu. Le ministre de la Transition écologique part en guerre contre le plastique ». Nul ne part, nul ne partira en guerre. Le plastique, on l’oublie le plus souvent, est tiré du pétrole, et sera donc défendu par des intérêts colossaux, les mêmes qui interdisent tout combat véritable contre le dérèglement climatique. C’est piteux ? Pire encore.

Si nous disposions des géants qui nous manquent tant, au pays des nains de jardin, il y aurait déjà une coalition mondiale pour l’interdiction du plastique, dont les humains se sont agréablement passés pendant deux millions d’années, disons depuis Homo habilis. Et une considérable flottille – elle existe – serait en ce moment en Méditerranée et dans le Pacifique à ramasser ce plastique qui tue massivement les écosystèmes marins. Rien ne résume davantage la misère de la politique. Elle est incapable de poser le problème dans sa vérité. Quant à imaginer le régler, je pense qu’on peut avoir toute confiance dans Plastic Béchu, l’as des as. Non ?

Quand l’eau ne coule plus au parc de la Doñana

Il y a des années et des années, j’ai passé du temps dans l’un des lieux les plus beaux de ma vie : le parc national de la Doñana. 122 000 hectares au total, dont 54 000, moins protégés, appartiennent à ce qu’on nomme en Espagne un parque natural. Comment expliquer ? Le lieu est l’ancien delta du Guadalquivir, avec Séville au nord, Huelva à l’ouest, et Sanlúcar à l’est. En Andalousie comme ailleurs, la ville pousse de tous côtés.

J’y ai vu des flamants roses, bien sûr, qui passent ici par dizaines de milliers. J’y ai vu l’aigle impérial ibérique, une espèce endémique, qu’on ne trouve donc pas ailleurs. Je n’ai pas vu, mais j’a croisé grâce à un garde les traces du lynx ibérique, dans les dunes boisées au ras de l’Atlantique. Je crois que je pourrais écrire sans m’arrêter sur ces cuvettes sans limites apparentes, creusée de trous d’eau, de rigoles, de fossés, de petits étangs et dépressions. On les appelle selon les cas ojos, lucios, caños, qui forment la contrée des marismas, ces marais mélangeant eaux douces et saumâtres où la vie explose. Six millions d’oiseaux migrateurs y font une halte sur leur chemin aller ou retour.

Doñana a connu bien des attaques au cours des siècles, et connu quantité de menaces. Mais ce qui se passe désormais est d’un ordre différent, car cela s’appelle la mort. Il y a la sécheresse, bien sûr, qui transforme d’année en année l’Espagne en désert. En ce moment, au moins 30 000 hectares devraient être sous l’eau. À peine 300 le sont. Mais il y a aussi l’agriculture, qui pompe en Espagne 80% de l’eau chaque année. Et elle est surtout intensive en Andalousie, qui produit légumes et fruits pour toute l’Europe, dans un univers dantesque de serres plastiques entretenues par des semi-esclaves – surtout des femmes – venus du Maroc, de Pologne, de Roumanie, voire du lointain Équateur.

Les fraises surtout, celles qui arrivent en France dès février – parfois avant – volent à Doñana une grande part de l’eau qui lui manque tant. De nombreux « exploitants » – riches, au demeurant – sont aux limites du parc et pompent tant qu’ils peuvent dans une nappe qui ne se recharge plus. Par un phénomène connu de tous, il faut creuser de plus en plus profondément, pour en sortir toujours moins d’eau. Un reportage du quotidien El País montre ce que la situation a de désespérée (1). Le biologiste Eloy Revilla, directeur de la Station biologique de Doñana : « On est en train de perdre les lagunes, et la question est de savoir si on pourra les retrouver ». À côté du scientifique, un chêne-liège monumental de trois siècles, qui a traversé toutes les épreuves, et cette fois rend l’âme. Au moins 60% des lagunes ont déjà disparu.

Il y a les puits légaux, plus ou moins contrôlés, mais surtout les puits non déclarés, qui se comptent en centaines. Beaucoup ont été régularisés en 2014 – par la gauche -, mais bien sûr, cela n’a pas de fin. La cour européenne de justice à condamné l’Espagne en 2021 pour n’avoir pas su protéger le parc national, mais en Espagne, on pisse aussi bien dans un violon qu’ici. D’autant que la politique la plus vile s’en mêle. Des élections municipales ont lieu le 28 mai 2023, et en Andalousie, une coalition faite du Parti populaire – la droite – et de Vox, parti défendant l’héritage franquiste, dirige la région.

Les deux larrons, avec l’aval du gouvernement andalou, mitonnent une loi qui prévoit d’élargir la zone irrigable au nord de Doñana, malgré les menaces de lourdes amendes de l’Union européenne. Avec un peu de chance pour ces crapules, la loi devrait être votée à la moitié de ce mois. Et la plupart des puits illégaux du périmètre en seraient régularisés une nouvelle fois.
Je préfère me souvenir un instant de ce jour de bonheur passé en compagnie d’un gars appelé Juan Valladolid. Nous étions montés sur le point culminant du parc – 35 mètres de haut – appelé le Cerro de los Ánsares, la colline aux oies. Des milliers d’oies cendrées sont passées juste au-dessus de nos têtes. C’était un flot, une folie de plumes, ce que les Espagnols appellent algarabía. Une langue aussi somptueuse qu’incompréhensible.

(1)https://elpais.com/clima-y-medio-ambiente/2023-04-16/teresa-ribera-lo-de-donana-es-un-engano-no-va-a-haber-agua.html