Cette Chine qui résume notre immense folie

Depuis combien de temps ? J’ai beau chercher, je ne sais pas. Mais j’ai un point de repère ancien : le livre Who will feed China ?. Autrement dit : Qui nourrira la Chine ? Écrit par l’agronome américain Lester Brown, il marqua une date, et pas seulement pour moi. Paru en 1994, il raconte à sa manière la révolution écologique, économique, sociale et politique que subit la Chine depuis l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping en 1978.

Je ne retrouve pas le livre, qui est là pourtant, mais un article que j’ai écrit dans l’édition du 6 octobre 1994 de l’hebdomadaire Politis sur Brown. J’en extrais ceci : « Trois causes essentielles pourraient conduire la Chine à une gigantesque impasse alimentaire dans les prochaines décennies : l’augmentation de la population, l’augmentation des revenus monétaires et la disparition accélérée des terres agricoles ». Ainsi qu’on voit, cette prophétie ne s’est pas réalisée. Mais patience. En tout cas, ce petit livre a fortement inquiété la bureaucratie totalitaire chinoise, conduisant, on l’a su, à plusieurs réunions au sommet. Car en effet, il y avait problème : une bouteille de bière supplémentaire par an et par habitant contraignait le pays à trouver 370 000 tonnes de céréales.

Est-ce à cette occasion que j’ai commencé à comprendre le drame biblique qu’allait connaître cette Chine assoiffée de consommation et de pouvoir ? Plus tôt ? En tout cas, pas plus tard. Ensuite, je n’ai jamais cessé d’écrire sur le sujet, partout où je le pouvais. Je ne me souviens pas d’avoir croisé grand-monde sur ce chemin-là. En 2005, je crois bien avoir été le seul, de nouveau, à évoquer la sensationnelle interview donnée à l’hebdo allemand Der Spiegel par le vice-ministre de l’Environnement chinois, Pan Yue. Excusez-du peu, il déclarait : « [Le miracle chinois] finira bientôt parce que l’environnement ne peut plus suivre. Les pluies acides tombent sur un tiers du territoire, la moitié de l’eau de nos sept plus grands fleuves est totalement inutilisable, alors qu’un quart de nos citoyens n’a pas accès à l’eau potable. Le tiers de la population des villes respire un air pollué, et moins de 20% des déchets urbains sont traités de manière soutenable sur le plan environnemental. Pour finir, cinq des dix villes les plus polluées au monde sont chinoises ».

Il y a quinze ans. Et vingt-six ans pour l’avertissement de Brown. Et la Chine est toujours là. Ils se sont trompés ? Oui, mais surtout non. Assurément, cela ne pouvait pas durer comme ça. Cela, les bureaucrates post-maoïstes l’avaient bien entendu compris. On ne peut tenir une croissance annuelle à deux chiffres quand on compte – les chiffres sont actuels – 21% de la population mondiale, mais 9% des terres agricoles de la planète seulement. Sauf à provoquer un immense chaos social, il fallait donc s’étendre. Capturer par la persuasion, l’argent, la contrainte des terres agricoles et des ressources énergétiques ailleurs. Il fallait une politique impériale, pour ne pas dire impérialiste. Une vulgate française voudrait que la Chine n’est pas un pays conquérant. Maldonne ! L’histoire de la Chine, depuis le roi des Qin – 221 avant JC – n’est faite que d’agrandissements par la force, de la Mandchourie au Tibet, de la Mongolie-Intérieure au Xinjiang. Le saviez-vous ? La Chine a même occupé le Vietnam actuel pendant…1000 ans, à partir de 111 avant JC.

Donc, expansion. En une trentaine d’années, profitant de ressources financières croissantes et comme ensuite illimitées, la Chine s’est emparée d’une bonne part de l’Afrique, d’une manière bien plus complète que ne l’aurait seulement rêvé la Françafrique. De nombreux États sont désormais à sa botte. Ainsi que de considérables forêts et terres agricoles. Ainsi que le pétrole, le gaz, les minerais. Et d’autres régions du monde sacrifient – par exemple – leurs forêts primaires : l’ancienne Indochine française – Vietnam, Laos, Cambodge -, la Sibérie, le Guyana, etc. Même la France exporte des hêtres centenaires bruts vers les ports chinois, qui reviennent sous la forme de meubles.

C’est ainsi, pas autrement, que la Chine totalitaire a pu démentir Brown et Pan Yue. Par le pillage, par un désastre écologique planétaire. La croissance chinoise – peut-être 33% de la croissance mondiale -, c’est notre niveau de vie abject. Nos portables et ordis, nos bagnoles, nos vacances à la neige ou au soleil, nos machines et engins, nos gaspillages sans fin. La croissance chinoise, c’est la destruction du monde. Et nous militons chaque matin, par nos achats compulsifs, à l’emballement de la crise écologique. C’est chiant ? Oh oui, atrocement. Mais c’est vrai.

Plusieurs articles sur la Chine :



13 réflexions sur « Cette Chine qui résume notre immense folie »

  1. Il y avait aussi votre article de 2011, je crois : « La chine s’enfonce »…

    Autre chose, un peu hors sujet, pardonnez moi, une réflexion m’est venue en cette période d’arrêt de l’économie : « Ne pas payer trois fois ».

    Nous allons payer le sauvetage financier de centaines de milliers d’entreprises, puis nous paierons le prix de la destruction de l’environnement qu’elles vont mettre en oeuvre, en ensuite nous allons payer pour leur mise à l’arrêt quand il s’agira de survivre au cataclysme écologique …
    Et si le moment était venu de faire l’économie de cet aller-retour couteux inutile et nocif ?

  2. https://grain.org/fr/article/6441-de-nouvelles-recherches-suggerent-que-l-elevage-industriel-et-non-les-marches-de-produits-frais-pourrait-etre-a-l-origine-du-covid-19
    extrait:
    « La province de Hubei, où se situe la ville de Wuhan, est l’une des cinq plus importantes productrices de porcs de Chine. Au cours de la dernière décennie, les petits élevages de porcs de la province ont été remplacés par des grands élevages industriels et des sous-traitants contractuels de taille moyenne, où des centaines ou milliers de porcs génétiquement uniformisés sont confinés dans des porcheries surpeuplées. Ces élevages industriels constituent des zones de reproduction idéales pour que se développent de nouveaux pathogènes. »
    et comment sont nourris ces porcs si ce n’est avec des aliments massivement importés du Brésil ou d’Argentine et principalement OGM?
    voir l’excellent film documentaire de Paul Moreira « Bientôt dans nos assiettes de gré ou de force » où l’on voit ce qu’un éleveur danois a remarqué sur ses animaux qui consommaient du soja OGM ( Diarrhées, malformations) et qui est revenu à une alimentation sans OGM ce qui a solutionné au moins ces 2 problèmes
    ( pauvres bêtes!)
    https://grain.org/fr/article/6447-les-profits-avant-tout-la-plus-grande-entreprise-porcine-du-monde-propage-les-pandemies
    voir aussi votre livre « Bidoche »
    comme l’affirme Rob Wallace :
    « Quiconque cherche à comprendre pourquoi les virus deviennent plus dangereux doit étudier le modèle industriel de l’agriculture et, plus particulièrement, de l’élevage animal.
    À l’heure actuelle, peu de gouvernements et scientifiques sont prêts à le faire. »

    sur la Chine et son action confiscatoire en Afrique des reportages de la télé francophone canadienne sur des sociétés comme Malibya -que je ne retrouve plus- ont aussi été très éclairants ; dans mes souvenirs on y apprenait que des idéogrammes chinois étaient peints sur certaines maisons de paysans
    qui, quelques jours après en rentrant chez eux, ne trouvaient plus qu’un tas de terre en lieu et place de leur domicile .
    on voit que tout est lié et que l’émigration peut sembler désirable face à de tels crimes contre l’humanité

    1. Le soja OGM est résistant au roundup, c’est à dire au glyphosate et à ses adjuvants, étant donné que la plus part de ces champs ogm reçoivent plus de glyphosate, il y en a plus dans le soja, mais je suppose que l’oms s’interroge encore sur la nocivité du glyphosate.

  3. Je ne vois pas ce qu’on pourrait reprocher à la Chine qu’on ne pourrait se reprocher à nous-mêmes: le désastre économique, social et écologiste on est aussi en plein dedans. rien de bien reluisant. L’expansion des territoires, aucune leçon à donner. La conquête des territoires des autres? relire l’histoire de France, ou même mieux l’histoire romaine…
    Bref, Chine / Occident, même histoire: l’histoire de l’homme, ce formidable animal capable de s’autodétruire, de l’écrire, de s’en émouvoir mais jamais de s’arrêter à le faire.
    A moins que cet article rentre dans le grand jeu actuel qui veut quand ce moment, quand ce n’est pas de la faute des russes, c’est de la faute aux chinois.

    1. ben vous ne voyez pas. Peut-être parce que vous ne savez rien. Pure hypothèse.

      Fabrice Nicolino

      PS : Je vois bien que vous me cherchez. Et si vous cherchiez ailleurs, franchement ?

      1. Je ne cherche personne. Mais écoutez les chansons des béruriers noirs qui vous expliqueront que capitalisme et communisme sont identiques, ou même lisez « vies et destins » d’un écrivain russe qui vous expliquera aussi que capitalisme et communisme sont identiques.
        Rappelons aussi que, si la chine a conquis des territoires, Rome n’était pas qu’à Rome, que nous vivons toujours sur le droit romain pour bien des points et que la France n’a pas toujours parlé que le français, et que la langue française s’est imposé dans bien des régions par la force.

        après, sur votre site, si il faut vous vénérez et toujours être d’accord avec vous dans tout ce que vous écrivez ou pensez, dites le. Personnellement, j’ai horreur des cultes du chef.

        1. Le culte du chef ? Vous aurez rêvé. Regardez plutôt la nature des commentaires publiés. Certains sont en effet de soutien à ma pensée, mais nombre m’étrillent. Je crains donc que vous n’y soyez pas. Quant à citer Vassili Grossman, autant être précis. Il s’agit de « Vie et Destin » et non « vies et destins ». Ce serait encore rien, mais je vois que vous n’avez pas lu – moi si, à sa publication – et Grosman ne parle nullement d’une comparaison entre capitalisme et communisme. Mais d’un rapprochement déchirant entre dictature hitlérienne et système stalinien. Le bonjour chez vous,

          Fabrice Nicolino

          1. je pense qu’une partie de la réponse à ce débat se trouve dans le titre : « Cette Chine qui résume NOTRE immense folie ».

            J’espère qu’il possible d’égratigner le taulier ici :
            Hey Fabrice ! C’est quand l’prochain post’ ?

  4. c’est la raison qui parle … dans l’article cité ci-dessous mais
    quand des préfets autorisent des bétonnages de centaines d’hectares sur terres agricoles  » excellentes ou très bonnes  » dont l’irrigation est « sécurisée toute l’année » pour édifier des « bases logistiques » ou autres  » zones à vocation économique » on se demande vraiment s’ils ont une vision de l’avenir éclairée de façon  » juste, bonne et saine  » comme dirait une très chère amie
    ou s’ils ont une vision, une écoute, une conscience de la gravité, de l’urgence dans laquelle nous sommes tous embarqués !

    https://theconversation.com/lurgence-de-systemes-alimentaires-territorialises-136445

  5. Ah bon? Grosman ne compare pas communisme et capitalisme? Staline, ce n’était pas un système communiste et Hitler, ce n’était pas un système capitaliste? Tiens? Les deux étaient une dictature d’un seul homme, mais à l’Ouest, on était bien dans un système capitaliste et à l’ouest, on était bien dans un système communiste. Donc, le livre compare bien deux barbaries qui ne sont que l’extrême d’une pensée communiste et capitaliste.
    Le communisme a engendré de grandes dictatures (Staline / Mao / PolPot…), le capitalisme n’a jamais eu aucun pb avec les extrêmes de droite (Hiltler / Pinochet …).
    Les deux mènent aux mêmes désastres: le totalitarisme et tout ce qui va avec. Ne pas voir çà, c’est passer à côté du livre.
    bon, bien sûr, on pourra me dire que Hitler c’est pas du capitalisme. Donc, que viendrait donc faire Rockefeller, Ford, Ig Farben, BASF dans cette affaire. Et le capitalisme ne s’accommode t-il pas de la notion d’hommes nouveaux qui s’est ré-inventé dans le transhumanisme?

    Pour le reste, taper sur la Chine soit… mais si la Chine sombre n’est ce pas parce qu’elle fabrique des portables, des voitures, des ordinateurs, des fringues? Mais pour qui? Sinon, d’abord pour nous.

  6. Merci Fabrice pour vos commentaires, livres et articles toujours édifiants. Vous mettez en mots des choses que je perçois sans toujours réussir à en saisir l’envergure car il me manque souvent le contexte, les connaissances, les coulisses. Votre pensée aiguise la mienne, je vous crois intègre et cela m’est précieux.

  7. Cette crise me donne envie de pleurer. Nos enfants n’auront plus le droit de toucher un etranger, et plus le droit de sortir de chez eux sans un smartphone en etat de marche avec le logiciel officiel et a jour. Dans quelques semaines ca sera la condition pour reprendre le metro a Delhi. Bientot partout en Inde et ailleurs. En pleine crise du coronavirus, l’urgence glacante du gouvernement central en Inde est de distribuer des smartphones dans tous les villages. Plein de travailleurs n’ont deja plus acces au riz subventionne a cause de la carte d’identite securisee, sont abandonnes, demain matin le smartphone resserera encore plus les mailles du filet.

    Alors je pense a 2 choses. D’abord, sur la Chine:

    https://www.newsflare.com/video/73049/other/blind-man-rides-motorbike-on-road

    Ne vous laissez pas avoir par le cote culcul-la-praline. Cet homme aveugle faisait 30km aller-retour sur sa moto, guide par sa femme, pour aller voir leurs vieux parents chaque semaine, car le bus etait trop cher. (jusqu’a ce que la police voit la video sur internet et leur ordonne d’arreter, tout en negociant pour eux un abonnement de bus a tarif reduit).

    Ensuite, le travail de Joel Sternheimer, que j’ai decouvert sur Planete sans visa justement:

    https://fabrice-nicolino.com/?p=1253

    Joel Sternheimer, comme Alexandre Grothendieck a la meme epoque, a coupe les ponts avec l’industrie des armes en 1968. Il a finance ses recherches avec ses chansons, en donnant quelques cours dans des universites, puis en se faisant payer par les agriculteurs dont il sauve les recoltes attaquees par des virus sans remede connu.

    Quel rapport? L’ethique n’est pas une abstraction. C’est la maniere dont nous choisissons de gagner notre vie au quotidien, c’est notre choix de faire, ou pas, confiance aux autres, c’est l’inseparabilite de la vie.

    Sternheimer, qui a choisi de ne jamais travailler pour un labo nucleaire ou d’armement biologique (ou de vaccins, ce sont les memes, les memes machines, les memes techniques), nous donne un espoir radical, et des raisons d’affirmer, contrairement a Robert Openheimer, que nous ne sommes pas des « fils de pute ».

    Et que nous pourrons a nouveau nous promener librement et nous toucher et nous embrasser.

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