publié en octobre 2023
Nous
allons gaiement vers l’abattoir. Deux chiffres pour commencer la
tournée des grands-ducs. Entre 1990 et 2023 – l’année n’est pas
terminée, mais l’estimation est officielle -, le nombre de nouveaux
cas annuels de cancers est passé en France de 216 OOO à 433 000. Le
double, alors que la population n’a augmenté que de 20%. Une
épidémie, donc. Mais voilà la deuxième info, encore plus
cinglée : selon une toute récente étude (1), les cas de
cancer – cette fois dans le monde – ont explosé entre 1990 2019.
De 79,1%. Chez les moins de cinquante ans. Derechef, épidémie.
Constatons
qu’il existe chez nous une sorte de cancéroscepticisme, très voisin
du déni climatique. Très. Avec dans le rôle de Claude Allègre
l’inaltérable cancérologue David Khayat. Pour ceux qui ne
situeraient pas le bonhomme, résumons. Il a créé et dirigé
l’Institut national du cancer (Inca), conseillé Chirac, écrit je ne
sais combien de livres sur le sujet, et comme Allègre, a bénéficié
d’un rond de serviette dans les gazettes bien élevées – jusqu’à
Libération -, les radios, les télés.
On
ne peut tout écrire, il y faudrait un livre. Choisissons pour
commencer un propos tenu le 21
novembre 2005 sur France Inter. Ce jour-là, Khayat est invité pour
la dixième – centième ? – fois, et déclare : « Les
causes de nos cancers, c’est quoi ? C’est parce que nous fumons.
C’est parce que nous mangeons mal. C’est parce que nous avons
exposé nos enfants au soleil. C’est parce que nous n’allons pas
faire du dépistage. C’est parce que des femmes attrapent une
maladie sexuellement transmissible par un papillomavirus qui donne un
cancer du col. C’est parce que nous avons une bactérie dans
l’estomac qui s’appelle Helicobacter et qui donne le cancer de
l’estomac. Etc .» Et pour les sourds et malentendants,
ajoute : « La pollution [comme
cause des cancers], c’est-à-dire
ce que nous, en France, nous appelons l’“environnement”, ce
n’est presque rien. »
On
remarquera sans l’ombre d’une polémique, que pour Khayat, le cancer,
c’est la faute de celui qui l’attrape. Pas à l’industrie, pas à
cause des politiques publiques. Le cancer, c’est une affaire
personnelle. Notons qu’il a bien raison, puisque les Académies de
vieux birbes – celle de Médecine, celles des Sciences – signent
la même année, avec quelques autres sommités, un rapport sur les
causes du cancer en France (2). Ça déménage. Par exemple,
l’explosif cancer du sein est lié à la sensibilité de la
mammographie. Par exemple, la mortalité par cancer chez les hommes
n’est attribuable aux « polluants » qu’à
hauteur de…0,2%. Le reste sent très fort son Khayat. Le cancer,
c’est l’âge, l’alcool, le tabac, le surpoids, l’inactivité
physique, le soleil, les traitements de la ménopause.
Mais
revenons aux études précitées. En France, la consommation d’alcool
est passée 26 litres d’alcool pur par habitant de plus de 15 ans en
1961 à 12 en 2017. Chez les hommes, 59 % clopaient en 1974 et 31,8 %
en 2022. Comme Khayat et ses amis font de l’alcool et du tabac des
déclencheurs souverains du cancer, l’incidence de ce dernier devrait
diminuer. Mais non, il flambe, même chez les moins de 50 ans.
En
mai 2004, d’autres scientifiques que ceux de la bande à Khayat
lancent « L’Appel de Paris », dont voici un extrait :
« Constatant que l’Homme est
exposé aujourd’hui à une pollution chimique diffuse occasionnée
par de multiples substances ou produits chimiques ; que cette
pollution a des effets sur la santé de l’Homme ; que ces effets
sont très souvent la conséquence d’une régulation insuffisante
de la mise sur le marché des produits chimiques et d’une gestion
insuffisamment maîtrisée des activités économiques de production,
consommation et élimination de ces produits… »
Mais
au fait, qui est ce bon docteur Khayat, dont l’un des derniers livres
fait du stress un grand responsable du cancer ? Un lobbyiste. Un
pur est simple lobbyiste embauché par le cigarettier Philip Morris
pour vanter les bienfaits du tabac chauffé. Soyons sport, il
« conseille » aussi Fleury-Michon et Auchan (4). Est-ce
possible ? C’est.
(1)https://bmjoncology.bmj.com/content/2/1/e000049
(2)https://www.academie-sciences.fr/archivage_site/presse/communique/rapport_130907.pdf
(3)https://www.inserm.fr/dossier/alcool-sante/
(4)https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/04/14/david-khayat-un-monsieur-cancer-en-vrp-de-l-industrie-du-tabac_6076758_3224.html
Deuxième papier
À tous ceux qui n’auront jamais la clim’
Avis
personnel : je connais des gens, proches, qui vivent dans des
banlieues pouilleuses, dont le béton des immeubles brûle la peau en
été. Pas de clim, pas d’évasion possible, juste l’enfer. Une
petite enquête du site américain ABC News (1) revient sur la
chaleur dans les villes. Cela ne va pas, cela ira de mal en pis.
Le
béton, la minéralisation de tous les espaces urbains, les
plantations si maigrichonnes d’arbres et de plantes annoncent un
avenir radieux. Malgosia Madajewicz, chercheuse à l’université de
Columbia : « Non seulement les habitants et les
infrastructures subissent une hausse constante des températures
moyennes, mais lorsque les vagues de chaleur extrême arrivent, elles
représentent un danger encore plus grand ».
Qui
morfle en priorité ? La surprise est grande : les pauvres.
On l’oublie à force d’images frelatées – les films, les séries
-, mais tout le monde n’a pas la clim’ aux États-Unis. Et ceux qui
en ont n’ont pas forcément l’argent pour la faire marcher jour et
nuit. Rachel Cleetus, directrice du programme Climat et Énergie à
l’Union of Concerned Scientists : « Les chaleurs
estivales extrêmes accablent les populations vulnérables, en
particulier les communautés de couleur à faibles revenus .»
Des relevés cartographiques
montrent les inégalités territoriales, sociales, raciales dans
l’accès à la climatisation (2).
On
en a peu parlé à l’époque, mais une conférence internationale
s’est déroulé au Qatar en mai dernier. Deux jours sur le stress
thermique au travail (3), qui ont permis d’enfoncer pas mal de portes
ouvertes : la température extrême provoque des coups de
chaleur, augmente l’incidence des cancers, entraîne des maladies
rénales, cardiaques et pulmonaires. En première ligne, le milliard
d’ouvriers agricoles trimant dans les champs, accompagnés de
dizaines de millions de prolos travaillant dehors. Dont bien sûr
ceux du bâtiment. Oh ! Macron n’en pas dit un mot dans son
distrayant discours sur “sa” transition écologique à lui. Ce
sera pour une autre fois.
(1)https://abcnews.go.com/US/climate-week-nyc-large-cities-forefront-climate-change/story?id=103184987
(2)https://www.ucsusa.org/resources/killer-heat-united-states-0
(3)https://www.ilo.org/beirut/countries/qatar/WCMS_874714/lang–en/index.htm
troisième papier
Officiel : le bouchon de Volvic est « solidaire »
Prenons
dans les mains une bouteille de Volvic. Les communicants se sont
surpassés. Parmi les mensonges publicitaires de l’étiquette, ceci :
« la force de la nature a créé Volvic .» On
croyait bêtement que cette eau datait de sa commercialisation en
1938. Je m’ai trompé.
Le
mieux est ailleurs. Désormais, le bouchon est dit « solidaire »
– texto -, car il est retenu à la bouteille par une bague en
plastique vert qu’on ne peut arracher qu’avec de forts ciseaux. D’où
vient l’idée ? D’une directive européenne qui impose ce type
de fermeture au plus tard le 3 juillet 2024. Ça coûte bonbon :
le géant Tetra Pak aurait investi 100 millions d’euros dans son
usine de Châteaubriant (Loire-Atlantique). Cristaline a montré le
vertueux chemin dès 2016 et tous les autres ont suivi ou suivront
dans les prochains mois.
La
raison de cette grande réforme mérite d’être rapportée, car il
s’agit de protéger la nature. Extrait de la directive européenne :
« Les
bouchons et les couvercles en plastique utilisés pour des récipients
pour boissons figurent parmi les articles en plastique à usage
unique les plus fréquemment retrouvés sur les plages de l’Union .»
Notons
que le simulacre est somptueux : selon l’OCDE, « la
consommation mondiale de plastique passera de 460 millions de
tonnes (Mt) en 2019 à 1 231 Mt en 2060. »
Ajoutons
un petit grain de sel. Il est inévitable qu’en branlottant ainsi ces
bouchons « solidaires », on produira une quantité x de
microplastiques invisibles à l’oeil, et qu’on retrouvera dans l’eau.
Goûteux.