Archives de catégorie : Développement

Quand 中国 s’empare d’un autre empire, Syngenta

Pas de panique, je ne connais pas le chinois. Pas encore. Mais il m’a paru plus saisissant d’appeler ici la Chine de son vrai petit nom local : ??. Autrement dit : Zh?ngguó . Autrement dit « Pays du milieu ». Notez que j’aurais pu choisir aussi ??, c’est-à-dire ti?nxià, Sous le ciel, mais cet idéogramme-là, qui désigne également la Chine, renvoie à des périodes bien plus anciennes de l’envoûtante – et si longue – histoire chinoise.

Revenons à ce Pays du milieu. J’ai toujours aimé les cartes géographiques et j’ai plus d’une fois regardé de près celles qui sont éditées dans chaque pays. Eh bien, comme par hasard, le pays qui imprime est aussi celui qui se place au centre. C’est vrai de la France. Ce l’était de la défunte Union soviétique, c’est vrai de même de la Chine. Le reste du monde entoure la nation sacrée.

La Chine d’aujourd’hui est un État totalitaire où le pouvoir est exercé par un parti communiste qui n’est rien d’autre qu’un syndicat d’affairistes, mais disposant des méthodes les plus avancées du stalinisme. Dans mon jeune temps fou, j’ai cru avec passion à la révolution sociale, mais sans jamais m’approcher des structures staliniennes françaises – l’insupportable PCF – ni de l’Union soviétique, ni de la Chine maoïste. Par une chance insolente, j’ai vomi d’emblée ces ignominies. Dès 14 ans. Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais compris. L’essentiel, je crois.

Si la justice régnait, on le saurait. Si elle régnait, chaque humain saurait que la dictature chinoise a tué de toutes les manières possibles des dizaines de millions d’humains. Par la faim le plus souvent – une faim « politique » -, par le fouet et le knout, par le lynchage. Si la justice régnait, les pauvres imbéciles ayant soutenu cette incroyable monstruosité seraient relégués dans le silence éternel. Certains, qui sont morts, y sont par force, comme André Glucksmann, Jean-Paul Sartre ou Roland Barthes. D’autres continuent de parler, sans avoir apparemment plus honte que cela, comme Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut, Serge July, Philippe Sollers, Roland Castro. Ma foi, l’époque, encore plus que d’autres passées, se moque à gorge déployée de la vérité.

Pourquoi parler ce jour du ?? ? Mais parce qu’une entreprise publique chinoise, China National Chemical Corporation – ChemChina – vient de racheter le géant suisse de la chimie, Syngenta, pour quasiment 40 milliards d’euros. ChemChina était déjà un géant mondial, pesant 70 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. Cette transaction en fait de très, très loin, le groupe le plus puissant de la chimie mondiale. Notamment dans le domaine des pesticides.

Ainsi donc, le pouvoir de tuer impunément des millions d’être vivants – dont des hommes – par l’usage des pesticides sera demain, plus encore qu’aujourd’hui, entre les mains d’une société d’État chinoise, d’une société dont le propriétaire est un État totalitaire. Qui ment matin, midi et soir. Qui truque ses chiffres à l’envi. Qui n’a aucun compte à rendre à sa société, pour cause. Le P-DG de ChemChina, Ren Jianxi, est un haut cadre du parti communiste, auquel il doit tout. Entre la santé publique et la sienne propre, que choisirait-il demain ? Je vous laisse deviner.

Encore un tout petit point de rien du tout. ChemChina a acheté il y a quelques années Adisséo, une usine spécialisée dans l’alimentation animale, jadis propriété de Rhône-Poulenc, société nationalisée en 1981. Adisséo a une usine à Commentry, dans l’Allier, où se joue un drame atroce dont la France officielle se contrefiche. Pardi ! ce ne sont que des ouvriers. Au total, depuis 1994, des dizaines de cas de cancers du rein – une affection assez rare – ont été recensés dans un atelier synthétisant de la vitamine A (ici). Il n’y a pas de mystère, grâce à mon cher Henri Pézerat, hélas mort en 2009 (ici) : l’usage de la molécule chimique C5 explique la contamination. Certes, ChemChina n’est pas responsable. Pas de ça. Mais combien d’Adisséo-Commentry se préparent-ils sous couvert du mensonge totalitaire ?

Un nouveau message de Frédéric Wolff

Les jours passent, et je ne vous écris toujours pas. Ce n’est qu’un moment, mais il dure. En attendant, je vous laisse en l’excellente compagnie de Frédéric Wolff. Qui existe bel et bien, contrairement à ce que certains paraissent croire. À bientôt, je le jure. Fabrice Nicolino

—————————-

DU PROGRÈS DANS L’EXTERMINATION

Il était une fois la vie au pays du progrès. On y inventait des machines à aller plus vite nulle part et à désirer l’indésirable. Les gens y vécurent de plus en plus vieux et eurent beaucoup de maladies…

Même plus vrai !

En 2015, l’espérance de vie a diminué de trois mois pour les hommes et de quatre mois pour les femmes. La faute à qui ? A la grippe et à la météo, dixit les experts officiels. Ouf.

Pas d’inquiétude, donc. Sur le long terme, on vit de plus en plus longtemps… malades ! Ainsi, l’espérance de vie sans incapacitédiminue depuis plusieurs années – 2006, si mes informations sont bonnes. Un progrès allant rarement seul, on est malade de plus en plus tôt.

Des chiffres ? Puisqu’il faut tout mettre en chiffres, y compris nous-mêmes, allons-y gaiement. Le diabète et les maladies cardiovasculaires progressent cinq fois plus vite que la population. Et les cancers ? Quatre fois plus vite, avec une incidence chez les adolescent(e)s de + 1,5 % par an depuis 30 ans. De plus en plus vite nulle part ? Même plus vrai : de plus en plus vite dans le mur !

Soyons optimistes : ce n’est qu’un début. Nous pouvons faire beaucoup mieux. Les générations nées à partir des années 1960 ont bénéficié, dès leur naissance, des pollutions tous azimuts, d’une alimentation appauvrie et de la sédentarité. Depuis le nouveau millénaire, les ondes nocives du progrès améliorent encore le désastre, faites excuse pour les oxymores des temps modernes – occis et morts en un seul mot, c’est un cauchemar. La synergie est parfaite, donc : les ondes pulvérisent la barrière protégeant le cerveau, la voie est libre pour les cocktails chimiques… Et les nanotechnologies ajoutent la touche finale. Du grand art.

Au final, le marché de la maladie se porte à merveille. Une source de croissance durable bien de chez nous, enfin. Alors soyez patriotes ! Faites-vous dépister à coups de rayons X ! Vaccinez-vous aux métaux lourds ! Amalgamez vos chicots au mercure, rafistolez-vous en batterie, perfusez vos globules et, tant que vous y êtes, prothésez-vous du ciboulot ! Si vous êtes victime d’empoisonnement industriel, optez pour l’empoisonnement thérapeutique ! Suivez la progression de votre diabète et de vos métastases sur votre smartphone, prolongez votre espérance d’agonie et finissez vos jours entouré de machines à respirer, à digérer, à uriner…

A ce rythme-là, il va devenir scabreux de se souhaiter une bonne santé. Personnellement, je le déconseille, sauf à être assuré en cas de procès pour vœu non exaucé. Mieux vaut prévenir. D’ailleurs, c’est ce qu’on nous répète : « On vous aura prévenus. » Respirer tue, alors inspirons un jour sur deux ou expirons, à nous de choisir.

Mais il n’y a pas que l’espérance de vivre en bonne santé. Il y a l’espérance de vivre tout court, comme des vivants du genre humain, l’espérance de fleurir. La menace n’a jamais été aussi grande, de n’être plus que des ombres errantes, ni vraiment mortes, ni franchement vivantes. Exproprié(e)s de nos vies, dépouillé(e)s de notre autonomie, occupé(e)s à ne pas vivre vraiment, à ne pas habiter notre humanité, à laisser des machines décider à notre place… Nous inaugurons joyeusement l’ère des cyborgs post-humains.

La joie, même la joie se retire de nos visages, de plus en plus, elle s’en va et le sens du sacré tout autant, le sacré quand la vie était un miracle, quand on pouvait encore se réjouir sans être saisi d’inquiétude. Ce châtaignier, là où je vis, vous le verriez, c’est un frère. Comment ne pas lui sourire et, dans le même instant, craindre pour lui et pour tant d’autres ?

Mais voilà, il y a beaucoup plus important que la vie. Il y a les secondes que l’on gagne pour se rendre d’un non-lieu à un autre non-lieu. Ça vaut bien un aéroport ravageant des terroirs précieux et, au passage, le climat dont notre grand pays a fait la cause du siècle. Ça justifie un TGV détruisant des habitats et des paysages bouleversants de beauté. Nous sommes devenus si importants, nous et nos affaires à développer sans limites.

L’état d’urgence est étendu. Il devient permanent. Pas l’urgence écologique, non, celle-là, c’est juste pour parader dans les grandes mascarades de la COP 21 et des campagnes électorales. L’urgence dont il est question ici est celle d’en finir avec la vie, le hasard, le don sans limite du vivant et, soyons fous, avec la mort. Comprenez bien : L’humanité est une bavure. Qu’elle soit obsolète, indésirable ou non rentable, elle doit dégager.

Ainsi pourraient s’exprimer nos bons maîtres si, pour une fois, ils parlaient vrai :

Demain sera parfait et vous aussi. Vos émotions, vos défaillances, ça commence à bien faire. La mort vous asticote ? Vos vies ne sont pas à la hauteur ? Place au pilotage universel. Plus rien ne doit échapper à la toute-puissance. Vous n’êtes pas conformes aux normes des intégristes de la machine ? Vous serez désintégré(e)s ! La déchéance physique vous guette ? Vous serez customisé(e)s en série, programmables et réparables à merci. Merci qui ? Merci la machine !

Grâce à la machine, vos derniers restes d’humanité sont en voie d’éradication. Le transfert des données touche à sa fin. Votre restant de cerveau disponible est quasiment numérisé et votre code-barres génétique, sur le point d’être opérationnel. Alléluia !

Grâce à la machine… Et grâce à vous. Vous êtes formidables, vraiment. Plus besoin de gardien du troupeau. Le gardien, c’est vous ! C’est une source d’économie et surtout, de consentement et donc, d’efficacité. D’après les derniers chiffres, le taux de pénétration des mouchards électroniques progresse comme jamais. Vous pouvez être fiers. Surtout, ne changez rien.

Continuez à plébisciter vos camisoles numériques. Tout le monde doit tout savoir sur tout le monde. Exhibez-vous ! Twittez, selfiez, restez connectés. Internet et les data centers foutent en l’air le climat ? Connectez-vous pour vous indigner ! L’absurdité menace le cours de votre vie ? Exigez un GPS qui donne un sens à votre existence. Vous vous sentez l’âme d’un(e) rebelle ? Réclamez des smartphones sans antenne-relais près de chez vous ! Vous passez votre vie derrière des écrans ? Syndiquez-vous ! Le digital labour mérite reconnaissance et rémunération. Négociez un statut de larbin que l’on sonne avec treizième mois et réduction du forfait téléphonique.

La planète sera intelligente ou ne sera pas. Il y va de l’optimisation du cheptel et de ses prothèses, de la bonne croissance des flux et du flicage participatif. Pas d’alternative au règne du calcul et de la marchandise. Point de salut en dehors du sacrifice au cyber-Dieu des machines. Tout doit passer par lui, désormais : vos liens avec les autres, vos gestes, votre parole ou ce qu’il en reste. Votre rapport sensible au monde, oubliez-le. Ce qui faisait la vie imprévisible, précieuse, habitée, remplacez-le par le non-espace, le non-temps, la non-vie. Scannez vos aliments et vous avec par la même occasion, évaluez-vous, équipez-vous d’urgence de la fourchette connectée et de la gamelle intelligente pour chat et chien 2.0…

La déchéance de nationalité n’est finalement qu’une étape. Demain, c’est de l’humanité que nous serons déchu(e)s.

Celles et ceux qui veulent nous transformer en machine sont clairement des ennemis. Nous ne sommes pas négociables. Nous ne le serons jamais.

Ne laissons pas leur monde désherber nos vies. Plus que jamais, sauvons ce qui peut l’être : notre humanité, dans ce qu’elle a de plus vulnérable – ses limites et sa finitude – et de plus humble aussi – une espèce parmi d’autres espèces. Quitte à être des « chimpanzés du futur », protégeons les arbres qui nous protègent. Soyons des veilleurs de nos jours, des veilleuses dans nos nuits. Cherchons l’aube, interminablement.

Qui entendra jamais le point de vue de Raoni ?

On peut commenter de mille manières le pauvre « Accord historique » conclu à Paris samedi. Celle de Raoni vaut bien les embrassades ridicules et les trémolos de Fabius et tous autres. C’est un extrait du journal Libération :

Raoni «très triste» à la lecture du projet d’accord

Le cacique Raoni, Indien du Brésil âgé de 85 ans venu à Paris défendre la cause des indigènes et de la forêt amazonienne, confie à Libération sa «tristesse» à la lecture du texte de l’accord :

«Une fois encore, c’est beaucoup de négociations pour arriver uniquement à des promesses. Des solutions existent, mais les chefs d’Etat ne veulent pas les entendre. Avec d’autres chefs indigènes de tous les continents, nous avions transmis 17 propositions à Ban Ki-moon, notamment la reconnaissance du crime d' »écocide » par la Cour pénale internationale, et la sanctuarisation de tous les territoires occupés par des populations autochtones autour de la planète, car ils sont le plus à même de protéger les forêts. Aucune de nos propositions n’a été reprise. Je suis très triste de voir que les chefs d’Etat sont restés dans leur bulle.»

Relisez l’interview que Raoni a accordée à Libération avant la présentation du projet d’accord.

————————————-

J’ajoute une information venue de Survival – Jean-Patrick Razon, salut ! -, qui montre une réalité fort éloignée de celle des grandes organisations « conservationnistes » comme Conservation International (CI),  Wwf ou Nature Conservancy. Ces dernières plaident le plus souvent pour des réserves naturelles d’où auraient été chassées les hommes, en l’occurrence ces peuples autochtones qui finissent inexorablement dans les bidonvilles. Survival rapporte le cas renversant d’une réserve indienne où la population voisine avec des tigres. Extrait : « Entre 2010 et 2014, le nombre de tigres vivant au sein de la réserve naturelle Biligiri Ranganathittu Tiger (BRT) dans l’État du Karnataka a augmenté, passant de 35 à 68 tigres ». C’est ici : ici.

————————————

Un dernier commentaire. Quand le texte de la COP21 est signé dans l’allégresse samedi passé, personne ne sait clairement ce qu’il contient. Évidemment ! Personne. Tous ceux qui osent s’exprimer sur cet « Accord historique » ne sont donc que des perroquets répétant ce que les services officiels prétendent, au grand profit de Laurent Fabius, de la diplomatie française et bien entendu des transnationales. Je retiens le tweet de Cécile Duflot, qui aura passé sans doute mille fois plus de temps à ferrailler pour son poste qu’à réfléchir aux conséquences du dérèglement climatique : « Formidable ! C’est maintenant que tout commence ! Aux actes ! ».

Heureusement, la Confédération paysanne, Alternatiba et Attac (grâce à l’excellent Maxime Combes) sauvent un peu notre honneur.

Alstom, la corruption, Chevènement et Mélenchon

Suis à l’hosto, pour ceux que ça intéresse. Il ne me reste plus qu’à marcher.

———————————————

Avis ! Le journal Le Nouvel Observateur s’améliore (un peu). Vous me direz que ça pouvait difficilement être pire, et j’en conviendrai avec vous. En tout cas, je vous signale un article solide dans le numéro 2635 de la semaine du 7 au 13 mai. Titre : Alstom, “une décennie de corruption”. Avant de détailler les belles méthodes de ce groupe si important dans notre histoire industrielle, je vous invite à me suivre dans les présentations.

Chevènement en baderne tricolore

Celui qui parle finalement le mieux d’Alstom, c’est cette baderne patriotarde appelée Jean-Pierre Chevènement. Après avoir mangé dans la main des staliniens dans les années 70, celui qui incarnait alors la « gauche » du parti socialiste finit sa vie en uniforme rouge garance, trompettant la France à tout bout de champ. Inutile de le nier, il est drôle. Comme il a longtemps été l’élu de Belfort, il ne cesse depuis de défendre le sort d’Alstom – sa branche Énergie a été rachetée il y a un an par les Américains de General Electric -, dont les usines historiques se trouvent dans la ville. Mais avec quels arguments ! Dans un entretien à la chaîne télévisée Public Sénat, en avril 2014, il lâche tout de go : « Alstom n’existe que par l’Etat. Alstom, c’est la France. Ce sont les locomotives fabriquées à Belfort depuis 1880. Et toutes celles qui ont suivi. Les turbines, y compris celles du nucléaire ».

On y voit déjà plus clair. Les turbines Alstom font tourner 30 % du parc nucléaire mondial. Du monde ! J’y ajoute pour faire bon poids les grands barrages hydro-électriques, ceux qui détruisent les écosystèmes et les rivières, ceux qui chassent de chez eux, à coup de bâtons, de matraques ou de flingues, des millions de gueux. On trouve sur le site d’Alstom cette phrase imaginée par je ne sais quel fanatique communicant : « Aujourd’hui plus de 25 % de la capacité hydroélectrique totale au monde dépend de turbines et d’alternateurs Alstom ». Les Trois-Gorges, cet ignoble barrage chinois, c’est Alstom. Celui de Belo Monte, au Brésil, idem. Et tant d’autres ! Je vous signale sur le sujet un article excellent d’Olivier Petitjean (ici) pour BastaMag.

Une petite amende de 772 millions de dollars

Et je continue. Cette boîte géante de 93 500 salariés (chiffres 2011) pratique, à la vérité comme beaucoup d’autres, une corruption massive sans laquelle elle aurait fait faillite depuis longtemps. Je reviens pour les faits à l’article de l’Obs, cité au début de ce papier (de Caroline Michel). Alstom, excellents amis de Planète sans visa, vient d’être condamné à une amende stupéfiante de 772 millions de dollars par la justice américaine pour corruption. On peut certes se dire – un Chevènement se dit peut-être – qu’il s’agit d’un coup fourré made in America. Seulement, ce n’est pas le cas. Alstom, en effet, a plaidé coupable, reconnaissant les faits comme « vrais et exacts ». Oui, entre 2000 et 2011, Alstom a truandé, traitant avec des pseudonymes figurant dans les documents sous le nom de Vieil Ami, Homme tranquille, Paris, Genève, Londres. En Égypte, en Arabie Saoudite, à Taïwan, en Indonésie, etc. Commentaire de James M.Cole, procureur général amerloque : « Le système mis au point par Alstom s’est étendu sur plus d’une décennie et à travers plusieurs continents. Nous avons été effarés par son ampleur, son audace et ses conséquences dans le monde entier. »

La version officielle d’Alstom – faut bien dire quelque chose, quand on se fait gauler -, c’est qu’il s’agit de vieilles histoires. 2011, au pays de l’oubli organisé, c’est du passé. Mais d’autres enquêtes sur Alstom sont en cours – en Angleterre, en Slovénie – dont on regardera le résultat avec un certain appétit. Le patron en titre d’Alstom, Patrick Kron, jure n’avoir aucune responsabilité dans ces malheureux incidents à répétition, car l’essentiel se serait passé avant qu’il ne prenne les rênes. Si vous en avez la possibilité, vous lirez la réponse de l’Obs à la question suivante : « Patrick Kron pouvait-il ne pas savoir ? ». Il a touché à lui seul quatre millions d’euros quand il a vendu une partie d’Alstom : encore bravo. Enfin, et si vous savez suffisamment l’anglais, sachez qu’on peut trouver en ligne un document officiel américain que je n’ai fait que parcourir, et qui semble très distrayant (ici).

Mais où sont passées les barbouzes d’Elf ?

Voici venue l’heure de quelques questions. Une petite partie, je le crains, car cette affaire en pose un trop grand nombre. La première : Alstom est-il la seule, dans les entreprises transnationales françaises, à agir de la sorte ? Je reconnais que c’est rhétorique, car les preuves surabondent du contraire. Par exemple, Total, de cet excellent défunt qu’est Christophe de Margerie. En 2000, Elf est absorbé par Total avec son service secret interne, qui joua un rôle direct et souvent barbouzard dans le destin de plusieurs pays africains producteurs de pétrole. Au premier rang desquels le Gabon, où notre cher grand pays avait osé envoyer comme ambassadeur un certain Maurice Robert, vieux pilier de ce qu’on n’appelait pas encore la DGSE (ici). Je vous laisse divaguer librement sur les méthodes sympathiques de ces hommes, qui mirent par exemple le Cameroun à feu et à sang, faisant sur place quelque chose comme 100 000 morts (ici).

Total, donc, mais aussi ces multinationales de l’eau bien de chez nous, qui ont su opportunément changer de nom. Ni vu ni connu, j’t’embrouille. Veolia – 187 000 salariés – s’appelait la Compagnie générale des Eaux à la belle époque où son P-DG, Guy Dejouany, était mis en examen pour corruption active. Si on veut en savoir plus, grâce à Jean-Luc Touly, c’est ici. Assurément, les choses ont changé, mais je note à ce sujet, avec une évidente surprise, que Veolia a été mise en cause dans la construction d’un tramway en Cisjordanie, en compagnie de notre bon ami Alstom (ici). Total, donc, et Veolia, et bien entendu la Lyonnaise des Eaux, qui préfère aujourd’hui se présenter sous le nom de son patron, Suez Environnement.

Alain Carignon en « visiteur du soir »

Je n’insiste pas sur la Lyonnaise, dont le P-DG d’il y a vingt ans, Jérôme Monod, fut pris dans la tourmente Alain Carignon à Grenoble. En deux mots, Carignon, maire RPR de Grenoble entre 1983 et 1995, a été condamné en 1996 à cinq ans de taule pour corruption et subornation de témoins. Le drôle avait vendu l’eau municipale de la ville à la Lyonnaise, qui avait renvoyé l’ascenseur. Monod, avant de prendre la tête de la Lyonnaise, avait en toute simplicité été le secrétaire général du RPR. Quant à Sarkozy – il est rare qu’il ne soit pas dans le coin -, il a fait de Carignon, lorsqu’il était notre président, un « visiteur du soir ». C’est-à-dire un mec qui passe prendre un verre après les heures de bureau, pour donner des conseils. On apprécie.

Total, donc, et Veolia et la Lyonnaise et j’arrête là. Il va de soi que le schéma vaut pour toutes les entreprises qui jouent au gigantesque Bingo de la mondialisation capitaliste. Toutes ? Toutes. La vérité de ce monde, l’une de ses vérités les plus enracinées, c’est qu’il faut acheter les consciences avant que d’exterminer les formes de vie. Ne croyez surtout pas que les pauvres et moins pauvres du Sud réclament à grands cris les productions de ces salauds. On leur fait avaler de force une mixture concoctée au moment des deals entre corrompus et corrupteurs. Marche ou crève, petit d’homme !

Le nucléaire français aux mains de General Electric

Imaginez une seconde avec moi. On met autour d’une table des décideurs. Un gars – ou une fille – de la Banque Mondiale, un sous-patron d’Alstom, un ou deux ou trois ministres du pays-cible, quelques techniciens capables de lire une carte et d’affirmer la main sur le cœur que tel fleuve est insupportablement sous-équipé en hydro-électricité. En quoi la décision finale pourrait-elle être un problème ? Il suffit de pouvoir puiser dans une caisse noire, et justement, comme cela tombe bien, il y en a à tous les étages. Ainsi marchera le monde à l’abîme tant que nous ne serons pas capables d’une révolte tout à fait radicale. On verra donc.

Dernière info : selon le journaliste Jean-Michel Quatrepoint – un gars tout ce qu’il y a de sérieux -, la France a vendu sans nous prévenir le contrôle des réacteurs nucléaires aux États-Unis. À une boîte privée – General Electric – qui peut décider demain ce qu’elle veut, ou à peu près. Citation : « On peut dire ce que l’on veut, mais c’est désormais le groupe américain qui décidera à qui et comment vendre ces turbines [nucléaires]. C’est lui aussi qui aura le dernier mot sur la maintenance de nos centrales sur le sol français. La golden share que le gouvernement français aurait en matière de sécurité nucléaire n’est qu’un leurre. Nous avons donc délibérément confié à un groupe américain l’avenir de l’ensemble de notre filière nucléaire…». L’entretien complet est ici.

L’éloquent silence de Mélenchon

Je crois avoir déjà largement abusé de votre temps. J’ai commencé avec ce si sympathique Chevènement, mais avec lui, c’est presque trop simple. En vérité, toute la classe politique française s’est vautrée dans un soutien patriotique à Alstom, quand General Electric montrait ses dents acérées. Ne parlons même pas des clampins qui nous gouvernent. Ni de la droite qui aspire tant à prendre leurs places. Voyons plutôt du côté de Mélenchon : notre Great Leader Chairman – façon villages Potemkine – a réclamé pendant toute la crise la nationalisation d’Alstom, présentée mille fois comme un « fleuron national ». Extrait de son blog : « Après avoir laissé General Electric piller Alstom, [le gouvernement] doit défendre les intérêts fondamentaux de la nation ».

Lui si prolixe, lui si enflammé, lui si rigoureux dans la défense des principes, ne trouve rien à dire à la corruption massive assumée par son petit chéri de groupe capitaliste. La leçon, bien qu’un peu morose, est limpide : ces gens sont indifférents au sort des peuples qui pleurent, gémissent et meurent sous le knout des puissants. Ces gens, tous ces gens au-delà d’apparentes bisbilles, sont d’accord avec l’organisation du monde. Le paysan chinois, le paysan indien, le paysan brésilien, le paysan égyptien, le paysan éthiopien peuvent aller se faire foutre. Et c’est d’ailleurs ce qu’ils font, dans le silence de mort des médias. Mais moi, bien que cela n’aille pas loin, je maudis tous ceux qui donnent la main au désastre. Ou qui se taisent. J’aimerais réellement beaucoup traîner toute cette canaille au tribunal de la conscience humaine que j’appelle tant de mes vœux. Allez, cela viendra. L’horreur, c’est de devoir attendre.

La Chine est morte (mais elle bouge encore)

Toujours à l’hosto. Avec des bains de piscine chaque matin, qui sont un délice. La seule certitude, c’est que tout ce merdier aux jambes durera longtemps. Peut-être toujours. Mais ne suis-je pas infernalement chanceux ? Si. Par ailleurs, je n’ai pas beaucoup de temps, et je prends du retard. Amis – je pense à Martine V. ou à François N. -, je répondrai dès que ce sera possible.

———————————-

Je l’ai dit et ne fais que me répéter : la Chine est un nœud. Le nœud central et même gordien de nos contradictions. Un nœud coulant qui ne cesse de se resserrer autour de nos cous à tous, sans qu’on y songe réellement. Il manque à notre connaissance un livre direct, qui raconterait ce que le soi-disant « développement » de ce monstre est en train de provoquer. Il devient aisé de voir ce que donne une croissance maintenue de 7, 8 ou 10 % chaque année dans un pays doté de tant de moyens, et de besoins.

Sur place, c’est déjà l’Apocalypse. Vous avez le droit de penser que j’exagère, mais enfin, les faits sont les faits. Des dizaines de milliers de rivières ont d’ores et déjà disparu, victimes d’une surexploitation de leurs eaux (ici). Le désert avance et s’approche dangereusement de mégapoles comme Pékin. L’air des villes est un toxique mortel, et les normes légales de pollution sont pulvérisées. Des milliers d’usines atrocement dangereuses empoisonnent leur entourage, au point qu’une carte du cancer a été dressée, qui compte des centaines et des centaines de points incandescents. Le charbon, sur quoi repose encore la plupart de ces drames, aggrave dans des proportions qu’on ignore en détail – mais qu’on sait lourdes en tout cas – le dérèglement climatique.

Que penser de cette puissance de feu ? Vous le savez aussi bien que moi. Mais je me dois de mettre mon grain de sel. Quand l’Europe s’empara des Amériques, et d’une bonne part de l’Asie, et du plus grand de l’Afrique, les équilibres écologiques fondateurs étaient toujours là. La destruction avait déjà commencé, mais d’une manière qui demeurait invisible. Il y avait pour sûr un vaste hinterland – un arrière-pays – disponible pour l’expansion. Songez avec moi, et ce n’est qu’un exemple, aux prairies sans rivage du continent nord-américain. On « pouvait » dévaster, surtout au pays des Indiens, dont le nombre avait été opportunément réduit par une série d’épidémies, dont la variole.

En cette époque si vaporeuse qu’elle semble n’avoir jamais existé, il y avait de la place. Du poisson. Des bêtes. Si vous voulez avoir une idée du paradis que nous avons piétiné, je vous conseille le récit de la première traversée de l’Amérique du Nord, sous la conduite des capitaines Clarke et Lewis (deux tomes chez Phébus, en poche). Des imbéciles qui nous ressemblent tant ont tout ruiné en quelques maigres générations. Et voilà que la Chine est en train d’imposer au monde sa propre accumulation du capital, aux dimensions inconnues.

Mais le monde a bel et bien changé de base et la Chine est obligée de s’en prendre à une planète épuisée, en outre plus peuplée qu’elle n’a jamais été. Je vous demande de penser quelques minutes à ce que je vais vous raconter en quelques phrases : la Chine n’est rien d’autre qu’un incendie aux dimensions bibliques. Les forêts du Cambodge, du Laos, du Vietnam, de Sibérie, du Guyana, du bassin du Congo, crament à des rythmes variés dans la folle chaudière.

Le pétrole d’Afrique – ô Soudan ! – et de dizaines d’autres pays est préempté à coup de bakchichs pour couvrir les démentiels besoins du pays. Les barrages poussent au Tibet, pour tenter de calmer une crise de l’eau sans issue, mais au risque de la guerre avec l’Inde. Des millions d’hectares de terres agricoles ont déjà été volées dans les pays du Sud pour assurer l’alimentation – y compris carnée – de près d’1,5 milliard d’habitants. La Chine est partout, construit des routes, des villes, vend des voitures dans les pays les plus pauvres, corruption massive en bandoulière. Ses chalutiers ruinent, à jamais peut-être, les si merveilleuses pêcheries d’Afrique de l’Ouest. Des systèmes aussi choquants que notre sinistre Françafrique sont d’ores et dépassés, et de loin.

La fabuleuse gueule avale et recrache par millions de tonnes des produits qui inondent les marchés, dont les nôtres. Attention ! il ne s’agit plus depuis longtemps que de cotonnades et joujoux. La Chine exporte des objets hautement manufacturés – télés, bagnoles, ordinateurs, électroménager – et nous les achetons avidement parce qu’ils sont moins chers. Et que nous sommes désespérément cons. Toute l’économie, ici en France, tourne autour de l’existence de marchés porteurs en expansion, et donc la Chine en tête. Si nous étions un poil plus responsables, nous lancerions de vastes campagnes visant à briser ce cercle vicieux. Ce cercle où l’on trouve notre soif inextinguible de colifichets, l’insupportable croissance chinoise et la destruction de plus en plus accélérée du monde. Inutile de me le dire, nous en sommes tristement loin.

Le saviez-vous ? Vers Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, on trouve aujourd’hui des centaines d’entrepôts où ne travaillent que des Chinois. Écrivant cela, je ne cède évidemment pas à une quelconque récrimination xénophobe contre eux. Le problème est NOTRE problème, à eux comme à nous. Lisez ou relisez si l’occasion se présente les cinquante premières pages du livre de Roberto Saviano, Gomorra (Folio, 2009). Vous y verrez où nous en sommes déjà. Et peut-être penserez-vous autrement à Aubervilliers, Le Havre (le port), Toulouse (l’aéroport).

Je vous laisse ci-après quelques liens d’articles sur la Chine, publiés ici. Mais avant cela, ce formidable documentaire chinois (sous-titres français), Sous le dôme. Avant que les bureaucrates de Pékin ne comprennent le danger et n’agissent en empêchant son téléchargement, ce film a été vu par près de 160 millions de Chinois ! Le voici : https://www.youtube.com/watch?v=ZS9qSjflwck

DES ARTICLES DE PLANÈTE SANS VISA :

Une leçon d’économie (en chinois)

Un bouchon de camions, jusqu’à la fin des temps (in)humains

Quelques barrages en travers de la route (en Chine)

Le lac Poyang et l’élection présidentielle française

La Chine, Hollande et Le Monde de Natalie Nougayrède

Les tripatouillages des EPR chinois

La Chine au bord du collapsus

Mais comment changer d’air (en Chine) ?