Archives de catégorie : Journalisme

Faut-il créer autre chose ?

Ce n’est qu’une ébauche, et même pas. Une rêverie dont je vous laisse juge. Faut-il imaginer autre chose pour que l’information réelle sur le monde réel circule réellement ? Je parle de cela avec bien des gens depuis bien du temps. Pas très nombreux, il est vrai, mais vaillants. Tous. Et l’évidence, c’est que nous avons besoin de quelque chose.

Mon ami, mon cher ami Patrick Herman a déjà un nom qu’il me jette à la face en rigolant chaque fois que nous nous voyons. Ce serait un journal, appelons cela un journal. Qui sélectionnerait cinq ou six questions jugées essentielles et qui garantirait à ses lecteurs une sorte de contrat. En nous lisant – chaque semaine, chaque mois ? -, vous auriez la garantie complète de recevoir l’information la plus fondamentale qui soit sur les thèmes sélectionnés à l’avance. Vous auriez l’assurance de recevoir sous forme papier, ou électronique peut-être, le meilleur disponible sur terre au moment de la parution. Je sais, c’est ambitieux. Mais tel serait le jeu.

Il pourrait s’agir d’une veille ardente sur l’agriculture/alimentation; la crise climatique; les alternatives déjà à l’oeuvre; la biodiversité, etc. Ma question de ce jour, que je vous demande de méditer, c’est celle-ci : selon vous, existe-t-il un public décidé à lire un journal de cette sorte, rigoureusement hiérarchisé, agréablement présenté, professionnel au bon sens du terme ? Il va (presque) de soi qu’une telle offre aurait un coût, pouvant tourner autour de 5 euros par mois. Mais ce n’est que théorie, vous le comprenez.

Bref. À titre exceptionnel, je sollicite de bon coeur votre participation. Envoyez en commentaire ce qui vous passe par la tête. Même si cela vous semble déphasé. Même si cela vous semble sans intérêt. Car le public visé par un (très) éventuel projet neuf, c’est vous. Vous êtes des milliers – oui, il faut bien que je vous le dise un jour – à venir visiter ce blog. Et aujourd’hui, j’ai besoin de votre sentiment direct. Pas de faux-semblant ! Dites sans détour ce que vous pensez. Avons-nous besoin d’autre chose ? Je vous avoue que je ne sais.

PS : Je suis absent de Paris et de ce blog jusqu’à dimanche 27 avril inclus. Il est possible que des commentaires attendent jusqu’à cette date, mille excuses. À bientôt !

Laurent Cabrol dans le rôle de Zeus (et de Don PaTillo)

Je sais qu’il y a plus drôle, mais je suis bien certain qu’il faudrait chercher longtemps. Car les adieux de Laurent Cabrol aux téléspectateurs de TF1 relèvent d’un burlesque total, prodigieux, hilarant. Quel as !

Je n’ai pas la télé et ne la regarde donc pas, mais j’ai beaucoup, beaucoup donné, inutile de mentir. J’y ai vu les pires absurdités, et je situe parfaitement Cabrol, ci-devant monsieur Météo de la grande chaîne privée. Je le situe, mais je l’avais comme qui dirait perdu de vue, et le retrouve tout décati, vieillard tremblotant essayant de fourguer encore quelques friteuses aux Alzheimer qui ont oublié qu’ils et elles en ont déjà cinq. À ce qu’il semble, l’émission Téléshopping, qu’il animait depuis quinze ans, ne marchait plus assez bien au goût immodéré de Martin Bouygues pour le béton et le blé réunis.

Exit donc le pauvre Cabrol, lourdé et tôt remplacé par une Marie-Ange Nardy que je connais aussi, hélas. En tout cas, je vois très bien la tête qu’elle a(vait) et me souviens même qu’un jour, et en direct, un lion s’est jeté sur elle et lui a mordu sévèrement le bras. Je jure que c’est vrai.

Donc, combat de titans. Le vieux Cabrol rejoint le cimetière des éléphants d’opérette. La (plus) jeune dompteuse entre en piste, tout cela est déjà bien distrayant. Mais il y a encore mieux. J’ai dit ici à de nombreuses reprises l’admiration que je voue à Claude Allègre, ce grand révisionniste que nul ne nous envie.

Eh bien, Laurent Cabrol suit la voie. Par un livre. Sur le climat, bien sûr. Paru au Cherche-Midi, une maison que je vous recommande chaudement, d’autant qu’elle a édité le grand ami d’Allègre, le Danois Lomborg qui dit que tout va mieux et de mieux en mieux.

Je n’ai pas lu le livre de Cabrol, non, je ne compte pas rire aux éclats plus d’une heure aujourd’hui. Mais j’ai regardé pour voir ce que je trouvais sur le net. Quel observateur, ce Laurent ! Dans un entretien avec le grand Morandini, compère d’Europe 1, il dit notamment, et c’est du mot à mot : « J’ai été le premier à parler du réchauffement climatique il y a vingt ans, mais j’ai décidé de prendre du recul. En gros, on nous dit que le réchauffement, c’est le C02 des voitures. En emmenant nos enfants à l’école le matin, nous réchaufferions la planète. Mais moi, en lisant tous les auteurs, je me suis rendu compte qu’y avait pas que le CO2. Y a le rôle du soleil, dont on ne sait que peu de chose. Y avait le rôle des nuages, dont on ne sait rien. Y avait les océans, dont on ne parle pas… ».

Je prends un exemple, pour rendre plus accessible la profondeur de la pensée cabrolienne, tiré du même entretien, un peu plus loin : « Il n’y a aucune certitude. Un nuage, c’est un parasol ou une couverture ? ». Je vous laisse méditer, car cela vaut la peine, je le crois. Et je passe dans la foulée à un autre entretien du même, mais avec un(e) autre. Et là, Cabrol, qui n’oublie pas qu’il est un vaillant journaliste, nous livre pleine poire un scoop mondial. Comme ça, sans prévenir, en grand pro de l’information : « C’est vrai qu’on a tendance à occulter le fait qu’un tel réchauffement s’est déjà produit dans l’histoire entre l’an 900 et l’an 1300, à l’heure de l’optimum médiéval ». Cabrol contre le reste du monde, cela vaut Intervilles, non ?

Enfin, concernant cette fois l’inégalable Allègre, Cabrol se montre généreux : « Je suis tout à fait en phase avec lui lorsqu’il dit qu’avant de nous rendre coupables, il faudrait en savoir plus sur la mécanique climatique. Et j’avoue qu’il a eu beaucoup de courage d’apporter la contradiction dans un domaine où la pensée unique fait des ravages… ».

Et ainsi, et au-delà, sans vraie limite discernable. Je vous laisse tirer les conclusions de cette pantalonnade sublime, car je vous en sais capables. Les plus grands médias de masse français. TF1, Europe1, pour commencer. Une maison d’édition ayant pignon sur rue, où travaillait – travaille encore ? – un anarchiste de salon bien connu, justement, dans les salons. Et au beau milieu, le drame. Non d’un siècle, mais d’une épopée, celle de l’humanité. La crise du climat, et un Cabrol, qui ne vendra plus d’aspirateurs à la télé, car il part à la casse. Nous en sommes là, exactement à ce point où tout doit recommencer. Je parle de la pensée.

PS1 : un ajout concernant le titre, pour les plus jeunes d’entre nous. De mémoire, Don PaTillo est un personnage de pub télé qui imite le Fernandel de la série de films Don Camillo et Peppone. Le tout est en faveur des pâtes Panzani.

PS2 : J’ai rectifié le titre de ce papier grâce à Patric Nottret. Qu’il en soit remercié ! J’avais nommé Don PaTillo Don PaPillo, comme un idiot…

Cet étrange univers des journaux

Nous sommes le mardi 15 avril 2008, il est 15h40, j’attends chez moi une équipe de la télévision publique, pour un bout d’entretien. Lequel devrait être présenté ce soir au journal de 20 heures de France 2. À moins que madame Bruni n’annonce une nouvelle fracassante. Ou que monsieur Sarkozy ne se soit malencontreusement enrhumé. Nous verrons bien. Vous. Car moi, je n’ai pas même la télé.

Bon, pourquoi ? Eh bien, comme certains d’entre vous ne peuvent plus l’ignorer, pour la raison que j’ai publié en octobre 2007 un pamphlet intitulé : La faim, la bagnole, le blé et nous, chez Fayard. Il s’agit d’une enquête sur les biocarburants, qui rapporte très exactement ce qui se passe ces jours-ci dans le monde réel : des émeutes liées au prix du pain ou des céréales. La relation avec le déferlement des biocarburants est évident. Complexe, mais évident.

Dans le monde fini qui est le nôtre, les surfaces agricoles sont par force limitées. Le rendement des récoltes peine à augmenter comme il le faisait jadis à coup d’irrigation folle, d’engrais et de pesticides. Nous approchons clairement de certaines limites dont se sont toujours moqués les marchands qui décident de tout.

Or la population augmente, chacun le sait, et une fraction des populations chinoise et indienne – entre autres – change de régime alimentaire à mesure qu’elle voit son pouvoir d’achat augmenter. En clair, ces anciens pauvres-là mangent plus de viande, ce qui exige davantage de céréales. L’augmentation de la demande est la première cause structurelle de la tension du marché alimentaire mondial. Et le dérèglement climatique en cours, qui pèse toujours plus sur le niveau des récoltes, en est la deuxième. Nul pays n’est plus sûr de rien.

Ce serait suffisant, mais l’irruption des biocarburants a renversé un équilibre on ne peut plus précaire. Les États-Unis, plus grand exportateur mondial de maïs, consacrent 30 % de leur immense production de cette plante à la fabrication d’un bioéthanol destiné à la bagnole. C’est colossal ! 70 millions de tonnes sont ainsi soustraites chaque année au marché mondial. Le prix du maïs a bien entendu flambé, mais par des effets de contagion et de substitution, celui des autres céréales a suivi.

Bien entendu, vous l’imaginez bien, le phénomène est fatalement plus compliqué que ce que je viens de simplifier. Mais enfin, l’essentiel est là, je vous demande de me croire. Et c’est pour cette raison que j’attends France 2. Que j’attendais France 2, plutôt, car il est 16h44, et l’équipe de télé vient de passer. Ceux qui regardent la télé le soir me verront peut-être.

Ces jours sont pénibles, car je recommence à être interrogé par les journaux, comme en octobre dernier. Et ne croyez pas que j’en suis heureux. Je suis sincèrement accablé. J’ai parlé au journal de Jean-Jacques Bourdin de RMC ce matin, sur Radio-Vatican tout à l’heure, j’enregistre un débat pour RFI lundi, et je suis triste.

La presse est et restera la presse. Aucun de mes interlocuteurs ne sait de quoi je parle. Aucun n’a la moindre idée de ce que sont les biocarburants. Ou la faim. Ou la biodiversité. Ou la crise du climat. Ils sont prêts à entendre tout et son contraire, dans l’entrechoquement habituel de points de vue opposés qui se valent tous. Et l’on voudrait que les auditeurs, les téléspectateurs comprennent un peu ? Je ne suis même pas sûr qu’il fallait accepter ce rendez-vous télé. Soyez gentils, vous me direz. Moi, je tire le rideau.

Quand monsieur Le Boucher avoue qu’il ne sait rien

Il y a des jours où plus rien ne passe. Mais rien. Comme ce samedi 12 avril, où je découvre dans le quotidien Le Monde la chronique hebdomadaire d’Éric Le Boucher. Inutile d’en rajouter, inutile. Ce libéral convaincu ose aborder l’infernale question de la crise alimentaire mondiale. Et du coup, car l’homme est sérieux – si, sérieux -, celle de l’agriculture. Et même, chemin faisant, l’écologie.

Or, il est ignorant. Gravement, irrémédiablement. Les sujets qu’il évoque l’ennuient, et ne l’ont jamais poussé à lire le moindre ouvrage sérieux à eux consacré. Je n’en ai pas la moindre preuve, non. Mais je sais lire, oui. Le Boucher parle de la faim comme d’une variable dans des calculs qui resteront de salon. Et le pire n’est pas là, bien que cela soit déjà affreux.

Le pire est sa suffisance. Première citation : « Sur le moyen terme, la terre, généreuse nourricière, est capable de doubler ses productions pour alimenter les 9 milliards d’êtres humains de 2050. Mais les clés sont l’investissement, la science, la génétique ». Ces deux phrases sont si absurdes qu’elles me tordent l’estomac : elles expriment, en concentré, ce que veulent croire les maîtres du monde. La crise des sols – dont leur érosion massive -, celle de l’eau, la poussée des déserts, le dérèglement climatique, l’augmentation du nombre des humains, l’affaissement prévisible d’écosystèmes géants n’existent plus et n’ont même jamais existé. Car Le Boucher l’écrit. Car il le croit, et avec lui la quasi-totalité des élites du Nord, qui y ont tant intérêt.

Deuxième citation : « Demain, il faut continuer de transformer les enfants de paysans en ouvriers des villes, mais aussi les transformer sur place en agriculteurs-entrepreneurs. Il faut remembrer, introduire la technologie, moderniser tous les circuits de financement et de distribution ». Faut-il réellement commenter un tel monument ? Remembrer, moderniser, changer les paysans en ouvriers. Pauvre monsieur. Nous l’avons déjà fait, savez-vous ?

Pauvre monsieur, mais écrivant dans le grand journal français. Incapable de nous parler de l’état réel du monde, la presse se perd dans le détail, les chimères et autres plumes d’oiseau. Vendue une fois de plus  – comme dans les années trente du siècle passé, peut-être en pire – à l’intérêt privé, acceptant sans broncher que la publicité paie les factures et les vacances à la neige des familles méritantes de journalistes, la presse ne sert plus la cause publique de l’avenir. Ne cherchez pas, ne croyez pas à l’exception. La presse, fût-elle prestigieuse, est à la dévotion de la marchandise, donc de la destruction.

Seuls les moments historiques, par définition rares, permettent de déserrer cet étau, et d’informer sur ce qui se passe réellement. Dans l’époque moderne de la France, et malgré le poids écrasant alors de la presse stalinienne, la Libération de 1944 demeure un moment de grâce. 68, à sa manière tordue, en a été un autre. Il faudra donc attendre le prochain rendez-vous, ce qui n’interdit pas d’imaginer, et même de créer. Qui sait ? On en reparlera peut-être.

Christophe Hondelatte est-il respectable ? (Suite)

Le 17 janvier dernier, j’ai écrit ici même un article qui n’a rien à voir avec la crise écologique, objet de ce rendez-vous. Il s’agissait d’un texte sur Christian Marletta. Cet homme a passé un quart de siècle en prison pour un crime insupportable. Il se trouve que j’ai enquêté sur le crime et que je me suis convaincu qu’il était innocent. Que j’aie tort – cela reste possible – ou raison, c’est ainsi : je ne le crois pas coupable. J’ai non seulement écrit sur cette histoire publiquement, au printemps 1989, mais également entrepris bien d’autres démarches plus discrètes, pour tenter de faire rouvrir ce dossier infernal.

La question de l’innocence de Marletta n’a plus le même sens depuis qu’il a recouvré la liberté. Désormais, nous parlons d’un homme en règle avec les lois de ce pays, qui tente de reconstruire ce qui peut l’être d’une telle vie. Si j’ai écrit sur lui en janvier dernier, c’est qu’un homme de télé et de radio, Christophe Hondelatte, a réalisé une émission sur Marletta. Il savait qu’il risquait de ruiner ses chances de réinsertion dans le petit village où il a trouvé refuge, mais cela ne l’a pas arrêté. Lui qui quitta la présentation du journal télévisé de France 2 en une heure, pour la raison qu’un papier de Libération évoquait un élément délicat de sa vie privée.

Il y a du nouveau. Les voisins de Marletta, suite à ce film de Hondelatte, menacent le maire du village de « mettre le bordel » s’il ne les débarrasse pas du « monstre ». Et l’homme qui devait l’embaucher vient de renoncer à le faire, car sa petite entreprise dépend des commandes de la mairie et du maire, soumis comme j’ai dit aux pressions des bons citoyens.

Je ne ferai pas de commentaire sur Hondelatte, car cela n’a plus le moindre sens. Disons que les questions ont leurs réponses.