Archives de catégorie : Morale

Il duce ha sempre ragione ! (sur l’autorité, 1)

Je commence ici une série de divagations concernant la question centrale de l’autorité. Qui, bien qu’étant centrale dans tout projet humain, n’est pourtant jamais posée. Et qui, du même coup, n’est pas près d’être réglée. Cela vous semble lointain ? Regardez en ce cas l’histoire dérisoire, mais essentielle, concernant un certain Christophe Hondelatte, un homme de télé dont je vous ai déjà entretenu dans le passé (ici). Il est mêlé, ces jours-ci, à une autre affaire sinistre. Ce pauvre monsieur a imaginé une émission – il n’était pas seul, certes – où de pauvres couillons croient envoyer des décharges électriques à des gens qui ne parviennent pas à répondre à des questions (ici).

Ce n’est pas très neuf. Le tout est en effet tiré d’un livre – il est chez moi, il est remarquable – de Stanley Milgram, La soumission à l’autorité (Calmann-Lévy). Ce psychologue et sociologue américain a mené vers 1960 des expériences inouïes. Sous couvert de la blouse blanche de l’université – l’autorité légitime -, il a demandé à des cobayes humains ordinaires de mener l’expérience que l’on retrouve dans l’émission proposée par Hondelatte. De mémoire, seuls 10 % environ des participants refusent net, sans hésitation et tout de suite l’idée d’envoyer de l’électricité dans un corps humain. Les deux tiers, environ, administrent des doses théoriquement mortelles.

Donc, l’autorité. La soumission à l’autorité. L’aveuglement face à elle. La prosternation devant elle, dès qu’elle présente une face séduisante, parfois et même souvent à l’insu de soi. Regardons d’un peu plus près le cas Mussolini. Benito (Amilcare Andrea) Mussolini est né en 1883, dans la région italienne de l’Émilie-Romagne. Une région rouge. Une région de révoltes paysannes et de soulèvements ouvriers. De braccianti – des journaliers agricoles -, de muratori – des maçons – et de metalmeccanici, des métallos. L’Émilie-Romagne de Bologne, Modène, Ferrare et Parme, aura vu naître Mussolini et Pasolini.

Bon, et puis ? Et puis Benito fut jusqu’à l’âge de 31 ans un extrémiste, mais de gauche. Un agitateur infatigable, expulsé je ne sais combien de fois de Suisse, créateur ou animateur de journaux aussi violents que Lotta di classe, écrivant des textes incendiaires sous le pseudonyme de Il vero eretico – le véritable hérétique -, fleuretant avec l’anarchie sous sa forme syndicaliste révolutionnaire, finissant plus souvent qu’à son tour en prison. Je passe. Cet homme-là est encore de ce côté-ci des barricades en septembre 1914, tandis qu’éclate la Première Guerre mondiale. Il la refuse absolument, avant de l’accepter absolument.

Alors, il devient un autre. Mais est-il un autre ? Il accepte l’argent des patrons, organise des milices chargées de cogner sur les cortèges ouvriers ou pacifistes, devient même un agent – c’est attesté – des services secrets britanniques pendant un an, après le déclenchement de la révolution russe. La suite vous est, dans les grandes lignes, connue. La marche sur Rome – 1922 -, le pouvoir, le fascisme, la gloire, la chute. Le titre de ce papier signifie en français : « Le Chef a toujours raison ». Et il aura été prononcé des millions de fois par des foules en délire. Qui y croyaient. Et qui ajoutaient à l’envi des cris de guerre comme : « Credere, Obbedire, Combattere ! ». La traduction n’est pas bien nécessaire, ce qui n’est pas le cas de « Boia chi molla ». Cette dernière expression veut dire, littéralement, que celui qui abandonne et lâche pied est le plus vil des assassins. En fait, ce slogan fasciste a toujours été compris ainsi : « Celui qui recule est une merde ». J’y ajoute une dernière saillie des amis de Mussolini, « Me ne frego », qui veut dire à peu près : « Je m’en tape ».

Et tel est bien ce qui aura réuni ces braves imbéciles et ces immondes salauds. Ils s’en foutaient. Ils s’en cognaient. Peu leur souciait que le monde s’effondrât. Ce qui comptait, hommes et femmes fascistes confondus, c’était, et qu’on me pardonne l’expression, la bandaison. Bander comme triquer sont des mots violents, je le sais bien, mais ils désignent une réalité qui ne l’est pas moins. Une réalité qui n’est pas seulement masculine. Qui a vu des images de femmes allemandes sur le parcours – en voiture décapotable – du petit caporal Adolf Hitler me comprendra certainement. Le fascisme comme l’hitlérisme auront été des manières détournées, avantageuses pour l’État et le programme des chefs, de baiser. Sur le visage des femmes dont je parlais à l’instant, je le précise pour ceux qui n’ont pas accès à ces images, on voit des visages en transe sexuelle, la langue passant sur les lèvres. Je n’invente pas. Je dis.

Je ne doute pas que cette tension a été présente, de même, dans l’ignoble aventure du stalinisme et la dévotion au chef qui a dominé pendant des décennies, tant en Union soviétique que chez nous. Personne n’a intérêt à se souvenir qu’en décembre 1949, pour le 70ème anniversaire du tyran de Moscou, des milliers de cadeaux, souvent baroques, ont été rassemblés par le parti communiste dans toutes les régions de France, avant d’être envoyés par trains spéciaux au Kremlin. Personne. Je vous pose la question qui tue, et qui justifie ce déjà long papier : comment des millions de gens ont-ils soutenu chez nous un homme qui martyrisait son peuple au nom de l’égalité universelle ? Comment comprendre que des militants communistes attachés, pensaient-ils du moins, à la liberté et à la fraternité, se couchaient devant l’antithèse complète de leur engagement ?

J’ai davantage de questions que de réponses, je m’empresse de vous le dire. Et je résume. Dans l’Allemagne nazie, dans l’Italie fasciste, dans l’Union soviétique stalinienne, des foules géantes ont bel et bien adoré, adoré, la figure autoritaire, tutélaire mais cruelle, du chef. Sans ce mouvement de l’âme, qui surgit, à l’évidence, des profondeurs de la psychologie de masse et individuelle, ces abominations n’auraient jamais existé. Je pense que nous sommes d’accord. Je l’espère.

De tels phénomènes se retrouvent-ils en démocratie ? Eh bien, je le crois. Il va de soi que les conséquences en sont différentes. Il est évident que je ne mettrai jamais sur le même plan Léon Blum, président du Conseil français en juin 1936, et Adolf Hitler, chancelier allemand au même moment. Vous aurez remarqué que j’ai volontairement choisi deux personnalités totalement opposées, pour que les choses soient claires. Et pourtant ! Et pourtant, François Mitterrand. Avant que de vous récrier, retenez que je ne confonds pas tout, buvez un verre d’eau si le besoin s’en fait sentir, et revenez donc vers moi. François Mitterrand.

Nous sommes, tiens donc, en 1936. Mitterrand, après avoir milité aux Volontaires nationaux, mouvement protofasciste des Croix-de-feu, et manifesté contre « l’invasion métèque » en février 1935, continue son combat d’extrême-droite, en défilant – nous sommes en janvier 1936 – contre le professeur de droit Gaston Jèze, dont le tort est de conseiller le roi – nègre – d’Éthiopie. Ensuite, Mitterrand aura un si fort penchant pour Vichy que le maréchal Pétain en personne le décorera de la Francisque, l’équivalent, chez cette vieille crapule, de la Légion d’honneur. Chemin faisant, Mitterrand aura noué des liens indéfectibles avec d’authentiques ordures, comme le secrétaire général de la police de Vichy, René Bousquet, et des membres de la Cagoule, groupe armé clandestin, fasciste, décidé à abattre la Gueuse, c’est-à-dire la République.

Il fut  aussi résistant ? Oui, sans l’ombre d’un doute. Certains y voient une rupture, d’autres une évolution, et quelques-uns un vulgaire opportunisme. Ne tranchons pas. Après la guerre, il apporte un précieux témoignage en faveur d’un ancien chef cagoulard, Eugène Schueller, fondateur du groupe L’Oréal. Ce même groupe industriel fera de Mitterrand un éphémère  président-directeur général des Éditions du Rond-Point. J’ai laissé de côté bien d’autres histoires du même acabit. Mitterrand et le défunt Robert Hersant. Mitterrand et la guerre d’Algérie, quand ce preux ministre de la Justice – vous aviez oublié, hein ? – faisait guillotiner des indépendantistes, dont l’ouvrier Fernand Iveton. Ou quand, ministre de l’Intérieur – oui, il commanda aussi aux flics -, il s’écriait : « Je n’admets pas de négociations avec les ennemis de la Patrie. La seule négociation, c’est la guerre ». Mitterrand et le procès fait au général putschiste de l’OAS, Raoul Salan, où il déposa à décharge. Mitterrand et les repas dans sa maison landaise, jusque dans les années 70 au moins, avec Bousquet, l’homme de la déportation des Juifs en France, l’homme de la rafle du Vel’ d’hiv. Mitterrand et la réhabilitation de plein droit de huit généraux OAS en 1982, tandis que les mutins de 1917 – ceux qui refusèrent la boucherie – étaient encore au ban de la nation.

C’est cet homme-là, arrivé au pouvoir en 1981, à 65 ans, que l’on considéra donc comme le champion de la gauche. Celui qui mettrait fin aux inégalités. Celui qui règlerait la question des banlieues, et qui donnerait évidemment le droit de vote aux immigrés. Celui qui aimait tant les arbres qu’il mènerait forcément une politique proche de celle prônée dès 1974 par René Dumont. Et cætera, et cætera.

Je n’entends pas régler ici une question aussi complexe. Au mieux, je place un caillou le long d’une route qui jamais ne sera terminée. Ce que j’ai voulu dire et vous dire, c’est que la liberté est un violent combat contre soi-même, qui s’achève bien souvent par une vilaine défaite. Mais elle est et restera la plus belle, l’une des plus belles demeures où puisse habiter notre esprit. Je n’y fais pour ma part que des incursions, mais alors, comment l’exprimer ? J’ai le sentiment d’être enfin arrivé.

Espagne, castagnettes et dominos

Après la Grèce, l’Espagne ? Je n’ai pas le temps, hélas, de rechercher quelques perles égrenées par nos économistes-en-chef, nos politiques princiers, de droite et de gauche bien sûr. Il y a une poignée d’années, l’Espagne était LE modèle que nos élites proposaient à une France jugée malade, en tout cas assoupie. Son taux de croissance faisait chavirer le cœur de tous les abrutis qui croient penser, quand ils ne font que braire. Le problème est que tout reposait sur un château de cartes, un lointain château en Espagne que personne ne possèderait un jour.

La politique criminelle des élites espagnoles tient en peu de mots : corruption de masse, destruction de la nature, délire immobilier. On a détruit là-bas ce qui restait de rivage après la stupéfiante flambée franquiste des années soixante du siècle passé. Et construit, souvent au bord de l’eau, mais aussi dans d’improbables banlieues, des milliers de programmes immobiliers qui jamais ne trouveront acquéreurs. Jamais. Certains sont achevés, mais sans aucune adduction. D’autres sont commencés, et se trouvent à divers stades. Mais le cochon de client s’est évaporé. Il s’agissait d’une chaîne de Ponzi, la même pyramide que celle qui a conduit l’escroc Madoff en taule. Tant que les gogos achètent et que d’autres gogos se lancent à leur suite, tout marche à la perfection. Mais dès que le doute s’installe, c’est l’effondrement.

Cela fait longtemps que j’ennuie mon entourage en répétant que l’Espagne est d’une fragilité de verre. On conspue aujourd’hui les gouvernements grecs dans les rues d’Athènes. Il n’est pas exclu que l’on fasse pire demain avec ceux du Parti populaire (PP) espagnol et du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Car ils ont mené la même politique et créé les conditions du chaos. Je vous, je nous le demande : qui paiera pour ces appartements morts-nés ? Qui paiera le prix de la corruption et de la dévastation écologique ? N’oubliez pas que des banques ont massivement prêté aux margoulins pour faire leurs galipettes monétaires. Je vous l’annonce, pour le cas où vous ne le sauriez pas : celles de France sont plombées par le désastre immobilier espagnol. Pas toutes, non, et pas à la même échelle. Mais si mes informations sont bonnes, on peut s’attendre à des surprises. Et elles seront mauvaises.

Tiens, je vous remets pour le même prix un article de Planète sans visa, qui n’a, après tout, qu’un an. Il renvoie à un article qui en a deux.

Zapatero, Zapatera, socialauds d’Espagne et d’ailleurs

Je souhaite ardemment que personne ne vienne prendre leur défense, ici tout au moins. Car ailleurs, je sais combien ils sont choyés, aimés, cajolés. Madame Ségolène Royal – dite la Zapatera – ne s’est-elle pas excusée il y a quelques jours, au nom de nous tous, auprès de son si cher ami José Luis Rodríguez Zapatero, Premier ministre espagnol en titre ? Ne lui a-t-elle pas demandé de pardonner des propos prêtés à notre Sarkozy national ? Si.

Or que font donc les socialistes espagnols ? Ils détruisent avec frénésie ce qui reste de ce pays de légende. En janvier 2008, avant donc l’annonce de la crise économique que vous savez, j’ai écrit (ici) sur quoi reposait le soi-disant miracle espagnol, avec ces taux de croissance admirés d’un bout à l’autre de notre Europe si malade. Tenez, je me cite : « Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ?

Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (www.batiweb.com). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.

Pourquoi ce rappel ? Mais parce que les socialistes au pouvoir à Madrid s’attaquent aujourd’hui au grand joyau ornithologique de la péninsule, l’Estrémadure. Je connais ce lieu, qui est rude au regard et au corps. Froide l’hiver, brûlante l’été, la région abrite une sorte de savane arborée méditerranéenne, la dehesa. Comme un compromis entre la nature et l’homme, immémorial, sur fond de chênes verts, d’oliviers sauvages, de genêts, d’arbousiers et de troupeaux. C’est aussi le pays des oiseaux. Des grandes outardes. Des vautours fauves, moines, percnoptères. Des grues. Des oies. Des canards. L’Éstrémadure est si pauvre que les bureaucrates madrilènes l’ont laissée en paix, tout occupés qu’ils étaient à ronger les côtes sublimes du pays.

Fini. Le gouvernement vient de décider une série de mesures scélérates au dernier degré. La plus extravagante est peut-être le cadeau fait à une transnationale étasunienne, Florida Power and Light (ici), qui pourra construire deux usines solaires cette année à Casas de Hito, en Estrémadure. 600 millions d’euros d’investissement – on ne sait rien d’autres arrangements éventuels, qui peuvent se produire néanmoins – et 100 emplois à la clé. 100 emplois en échange d’un paradis des oiseaux. En 2007, on a dénombré à Casas de Hito 11 325 grues. Et sept espèces d’oies, et 140 000 canards hivernant à trois kilomètres, sur le lac de barrage de Sierra Brava. Je dois vous avouer que je n’ai pas regardé de près les dangers que feront peser sur les oiseaux sauvages ces installations. Et vous renvoie à une pétition des naturalistes espagnols de SEO (ici). Ils sont déprimés. Moi aussi.

D’autres projets simplement criminels menacent l’Estrémadure. Une raffinerie de pétrole à Tierra de Barros, des centrales électriques, des parcs éoliens lancés dans des conditions douteuses de légalité, et qui sont apparemment dangereux pour des oiseaux comme les vautours. Lesquels sont magnifiques, à la différence de ceux qui traînent dans les bureaux des promoteurs d’Ibérie comme de France.

Je vois bien que naît sous nos yeux encore ébahis un capitalisme vert censé nous clouer le bec. Si vous avez le moindre doute, jetez un œil ici, je crois que nous nous comprendrons. Eh bien ? Au risque flagrant de me répéter, il n’est pas question de considérer ces gens-là, qui incluent évidemment nos socialistes comme de vagues cousins un (long) temps égarés. Ce sont des adversaires. Ce sont des ennemis. Et je vous jure que je les exècre. Zapatero, Zapatera, toutes ces camarillas, tous ces sbires, tous ces fifres et sous-fifres, tous ces petits marquis, ces Dray, Mélenchon, Royal, Hollande, Fabius, Weber, Bartolone, Aubry, Rebsamen, Le Guen, Hamon, Delanoé, Désir, Bloche, ad nauseam. J’ai pris le parti des oiseaux et du vol libre au-dessus des cimes, celui des migrations, celui de Nils Holgersson, celui de la beauté. J’ai pris le parti du soleil, de la lune, de la pluie et des arbres. Et ce n’est pas le leur.


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Michel Onfray le transhumaniste (suite de l’article précédent)

Je n’ai jamais lu un seul livre de Michel Onfray, et on me pardonnera donc – ou pas – cette incursion sur son territoire. Bon, nul n’attend par ailleurs, je l’imagine, que je dresse ici un portrait de cet écrivant si prolifique. Combien de saisissants ouvrages à son actif ? Si je ne me trompe, 43 depuis 1989, soit au moins deux par an en moyenne. C’est bien. Peut mieux faire, mais c’est bien.

Pour le reste, si j’ose évoquer ce grand auteur, c’est d’abord parce qu’il vient d’écrire un livre sur Freud. Où il présente le précurseur de la psychanalyse comme un compagnon de route du fascisme mussolinien, qui n’aurait par ailleurs jamais soigné personne. Encore moins guéri quiconque. Au reste, son « travail » relèverait d’une « hallucination collective appuyée sur une série de légendes ». Ma présentation est, je vous l’affirme, modérée au regard de ce que j’ai pu lire, ici ou là, dans les gazettes. Et là-dessus, Élisabeth Roudinesco, auteure d’une histoire de la psychanalyse en France, que j’ai lue en partie, sort un fusil-mitrailleur qui ne doit guère la quitter, et réplique partout où elle le peut (ici, entre autres).

Je n’aime guère Roudinesco, probablement parce qu’elle semble toujours être la gardienne du temple. Mais elle sait ce dont elle parle, et quand elle accuse Onfray, exemples à l’appui, de multiples erreurs et contre-sens, de raccourcis ineptes, d’accusations graves sans le moindre fondement sérieux, je vous le dis calmement : je la crois. On ne peut pas tout lire, tout ingurgiter, et il faut savoir déléguer sa confiance. Roudinesco a la mienne, et quand elle attaque Onfray, je ne peux m’empêcher de songer à ce terrible imposteur qu’est Claude Allègre, qui a truffé son dernier opus minus sur le climat de trucages et manipulations. Onfray, Allègre, même combat ? J’en jurerais.

Et voilà qui m’embête d’autant que ce “philosophe” entend incarner des combats universalistes, qu’il a soutenu la campagne Bové aux présidentielles, qu’il a écrit dans Siné-Hebdo, que tant de naïfs présentaient comme l’antidote à la soumission. Non content d’être en faveur des OGM, du nucléaire, des nanotechnologies, il paraît bien proche d’un courant que je juge pour ma part insupportable : le transhumanisme. Il s’agit d’utiliser toutes les armes de la technoscience pour « améliorer » les capacités mentales et physiques de l’homme. De le changer peu à peu en un trans-humain. En un homme au-delà de ce qu’il est. J’ai eu l’occasion de signaler la percée de ce mouvement anti-écologique radical il y a quelque chose comme huit ou neuf ans, il faudra que je retrouve mon article d’alors. Depuis, ces ennemis – je les considère comme tels – ne font qu’avancer. Pour cause : ils promettent la lune, et sous peu l’immortalité.

Quoi qu’il en soit, le succès phénoménal d’un Onfray me fait peur. Après avoir soutenu Bové et le NPA, signé donc dans Siné-Hebdo, il s’est rapproché depuis peu du Front de Gauche, avec Mélenchon et consorts. Qu’ils le gardent, notez bien. Mais il y a un mais. Jusqu’à maintenant, à quelques exceptions près tout de même, personne n’a osé appeler les choses et les gens par leur nom. Onfray n’est évidemment pas un penseur. C’est un poseur, un manipulateur hors-pair de l’univers médiatique, en dépit des apparences contraires. Faut-il ajouter qu’il n’a rien à voir avec ceux qui cherchent, de bonne foi, des solutions à la crise écologique planétaire ?

Pesticide mon amour (oh oui, encore)

Vous avez vu ? Vous avez lu ? L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) vient de publier un rapport sur les pesticides (ici). Restez avec moi jusqu’au bout de ce papier, je crois que cela mérite un quart d’heure. Je n’ai cessé de dénoncer ici même, et depuis septembre 2007, les lamentables palinodies du Grenelle de l’Environnement. Il suffit d’aller voir ce que j’ai alors écrit, quand tous les écologistes officiels criaient au triomphe et à la « révolution écologique » made in Borloo and Kosciusko-Morizet. Alors, j’étais seul. Non pas dans l’opinion vivante, je ne sais que trop – triple hourra ! – que vous existez, mais chez les journalistes, sûrement. Il serait cruel de relire aujourd’hui la prose de certains, et cela n’aurait, au reste, aucun intérêt, car les choses sont ainsi de toute éternité.

Il n’empêche que je suis tout de même soufflé par ce rapport parlementaire. En mars 2007, j’ai publié avec mon ami François Veillerette un livre qui est devenu ce qu’on appelle un best-seller (Révélations sur un scandale français, Fayard). Il contient, je le dis sans forfanterie, nombre d’informations jamais publiées. Il démontre l’extrême dangerosité des pesticides, à partir de centaines d’études publiées dans les meilleures revues scientifiques de la planète. Il rapporte l’histoire de la diffusion de ces produits en France. Il raconte comment l’industrie a pu copiner de très, très près avec l’administration française chargée des autorisations et des contrôles. Il examine en détail des affaires comme celles du Gaucho, du Régent, du chlordécone. Il cite des noms, beaucoup de noms, et d’une manière telle que nous aurions pu, François et moi, nous retrouver devant les tribunaux de la République.

Pas une fois, mais dix, mais cent fois. Or rien. Rien du tout. Aucun démenti, aucune contestation sur aucun point. Aucune réponse de l’industrie ou, tiens, de la surpuissante Direction générale de l’alimentation (DGAL) – sévèrement étrillée – et de ses dirigeants successifs. Au passage, je signale que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), née début 2002, est dirigée par madame Catherine Geslain-Lanéelle, qui fut la patronne de la DGAL en pleine tourmente du pesticide Gaucho, accusé de massacrer les abeilles. Ceux qui disposent d’un accès au livre pourront s’y reporter, ils ne seront pas déçus du voyage. Venons-en au rapport de l’Opecst. Il n’aurait pas été incongru d’être entendus parmi d’autres, François et moi. Car nous connaissons tous les deux, et globalement à la différence de tant de spécialistes, la question des pesticides. Mais nous avons été oubliés, comme c’est bête.

Les deux auteurs du rapport s’appellent Claude Gatignol, député UMP de la Manche, et Jean-Claude Étienne, sénateur UMP de la Marne. Ah quels cocos ! Le premier, Gatignol, a été militaire professionnel – garde-à-vous ! – et vétérinaire. Ce qui l’a nécessairement mis au contact de l’industrie de l’agriculture, pesticides compris, pendant des décennies. Est-ce un crime ? Nullement. Mais nous avons encore le droit de savoir deux ou trois bricoles, non ? Gatignol est par ailleurs un amoureux, un fervent de l’industrie nucléaire. Sa circonscription parlementaire comprend notamment la Hague, et il a milité sans aucune cesse pour que Flamanville – toujours sa circonscription – accueille le premier prototype du type EPR.

Ajoutons qu’une plainte a été déposée contre lui en 2005, au motif qu’il aurait détourné 10 000 euros du Fonds de développement économique de l’après-chantier de La Hague (FDEACH). Malgré le non-lieu de 2007 – Gatignol est donc blanchi -, le président UMP du conseil général de la Manche, Jean-François Legrand, a décidé de se mettre en congé de parti. Pour protester contre la bienveillance de l’UMP à l’endroit de Gatignol. Allez comprendre. Ultime détail : à l’automne 2008, Mediapart révélait que Gatignol acceptait des invitations à des chasses payées par l’assureur Groupama. Du lobbying ? M’enfin, voyons, cet homme est député de la République, non ?

L’autre rapporteur, Jean-Claude Étienne, est donc sénateur de la Marne. Il est lui un constant défenseur des biotechnologies et des biocarburants, cette ignominie morale. Voici ce que je lis sur son site personnel (ici) : « Lorsqu’il était premier Vice-président du Conseil régional (1996) et Président de la Commission Enseignement Supérieur, Recherche Scientifique, Vie sociale et culturelle, le Professeur Etienne a été à l’origine de nombreux programmes scientifiques appliqués au développement de l’économie ; rechercher de nouveaux débouchés alimentaires et surtout industriels permettant le maintien à très haut niveau de productivité des entreprises agricoles de la région ». Le gras est dans le texte d’origine, évidemment. J’ajoute, ce qui classe ce type au plus bas dans ma hiérarchie personnelle, qu’il recherche des débouchés « surtout industriels » à l’agriculture. Un professeur de médecine – sa profession première -, dans un monde qui compte un milliard d’affamés chroniques.

La suite. Le 21 octobre 2009, à 23 heures, parlant probablement devant trois vieillards ressemblant aux Assis de Rimbaud  – Oh ! ne les faites pas lever ! C’est le naufrage… -, il déclame :  « Aujourd’hui, on le sent avec les perspectives qui se dessinent, le monde industriel n’est plus étranger au monde de l’agriculture. Il arrive même à ceux-ci d’entrer en résonnance : on parle parfois d’agro-industrie ! Voilà que la nouvelle industrie, intimement liée à la problématique de l’agriculture, apparaît (…) Regardez la nouvelle industrie ! La chimie, par exemple, est une chimie verte. Adieu la chimie du charbon et de l’acier ! Adieu, probablement, les tours de cracking distillant du pétrole : c’est la production agricole qui sera « enfournée » dans ces nouvelles tours. On voit ainsi bouger la nature de l’industrie, qui revient vers la production agricole. La syncrétie entre les mondes agricole et industriel se trouve ainsi créée, régénérant la ruralité ». J’ai laissé les fautes de syntaxe et d’orthographe, dont je ne me sens pas responsable. Pour le reste :  tant d’inepties et d’horreur en si peu de phrases !

Ce sont ces deux hommes, croisés de l’industrie, militants de l’atome et des biocarburants, qui viennent donc de rendre public un rapport sur les pesticides qui va à l’encontre de tout ce qui se publie de sérieux sur le sujet depuis vingt ans. Ils auront même oublié en route l’expertise de l’Inra de 2005, qui pour la première fois mettait lourdement en cause ces poisons hélas certains. Mais nos deux hommes sont ailleurs, en compagnie qui sait, et notent sans état d’âme qu’ils « souhaitent rappeler les bénéfices de l’usage des pesticides et invitent les pouvoirs publics à anticiper les conséquences d’une diminution trop brutale de l’utilisation des pesticides en France ».

Encore faut-il entrer dans le détail de ce texte qui ouvre sur une forme d’aveu. Lisons ensemble une petite partie de l’introduction du rapport. Voici ce qu’ils écrivent dès la page 9, à l’entrée dans un texte de 195 pages : «  Les pesticides ont constitué un progrès considérable dans la maîtrise des ressources alimentaires. Ils ont grandement contribué à l’amélioration de la santé publique en permettant, d’une part, d’éradiquer ou de limiter la propagation de maladies parasitaires très meurtrières (lutte contre les insectes, vecteurs de ces maladies) et en garantissant, d’autre part, une production alimentaire de qualité ». C’est tout simplement extraordinaire. Avant que de développer leur « travail », ils savent. Les pesticides, c’est bon. Après une telle pétition de principe, que peut-on espérer de ce qui suit ? Exact : rien.

La suite n’est là que pour montrer tout le sérieux de l’entreprise. Et nous voici déjà rendus en page 189, pour la conclusion, dont je vous propose les premiers mots : « La mise sur le marché, au milieu du XXe siècle, de produits phytopharmaceutiques a permis aux agriculteurs de disposer de moyens efficaces et rentables pour lutter contre les diverses pressions parasitaires que subissent les cultures. L’augmentation significative des rendements des terres agricoles en résultant, bénéficie également au consommateur de produits frais ou transformés, qui se voit proposer une nourriture abondante et peu chère ». Relisons, chers lecteurs de Planète sans visa. L’introduction et la conclusion ne sont-elles pas proprement identiques ? Ite missa est. Je dirais même plus : Cum tacent, consentiunt. Ce qui veut dire : celui qui se tait consent.

PS : Pour écrire Révélations sur un scandale français, j’ai demandé et obtenu un entretien avec Jean-Charles Bocquet, directeur à Paris de l’Union des industries pour la protection des plantes (UIPP). Derrière ce gentil sigle se dissimule – mal – 98 % du chiffre d’affaires des pesticides en France. Ce charmant monsieur Bocquet m’a reçu le 30 août 2006, et après une petite heure d’entretien, il s’est levé, et m’a dit en souriant : « Vous m’excusez ? Je dois aller faire du lobbying au Sénat ».

Barbares aux couteaux étoilés (un oeillet à la boutonnière*)

Je n’ai guère le droit, je le crains et je le crois, d’aborder la question réelle de la ville réelle. C’est-à-dire cette incroyable violence faite aux femmes, aux hommes et aux enfants condamnés à la Géhenne pour être nés au mauvais endroit. Je n’ai pas le droit, je le prends. Fin mars, une bureaucratie de l’ONU – ONU-Habitat – réunissait à Rio de Janeiro un conclave douillet censé réfléchir à l’avenir des villes du monde (ici). Notre beau pays était représenté, c’est dire à quel point nous nous sentons concernés, par le sénateur Yves Dauge, urbain urbaniste, et socialiste s’il vous plaît. Si. L’ouverture. L’un des ultimes feux follets de cette belle idée sarkozyenne.

De quoi a-t-on discuté à Rio ? De ceci, et c’est rigoureusement sic : « le droit à la ville, l’accès au logement, la diversité culturelle et l’identité dans les villes, gouvernance et participation, urbanisation durable ». Je ne crois pas que les braves personnes de l’ONU aient déposé leurs bagages au Morro da Providência ou au Complexo do Alemao, car ce sont des bidonvilles. Il y pue, il y pleut des balles, on y attrape la grippe et le typhus. Pour la seule année 2007, la police de Rio a abattu 1260 personnes, dont la quasi-totalité vivaient dans des bidonvilles. Et comme vous le savez sans doute, des trombes d’eau sans précédent à Rio depuis quarante ans ont donné naissance à des fleuves de boue, lesquels ont englouti des pans de collines, et donc des morceaux de bidonvilles. Oui, les bidonvilles sont loin des plages de Copacabana, cela se comprend. Combien de morts cette fois ? Je vous l’annonce en exclusivité : on ne le saura jamais. Il y a les morts qu’on dénombre et qui passent à la télé. Et les autres.

Revenons-en à nos bureaucrates du « Forum urbain mondial », réunis par milliers entre le 20 et le 26 mars dernier. Pour la façade et le décorum, on aura donc parlé de la ville. Et pour de vrai, de la succession de la directrice du machin, la Tanzanienne Anna Tibaijuka. Oui, la pauvre s’en va, après dix ans de petits fours et de réunions internationales. Mais par qui diable la remplacer ? Le choix semble d’une grande clarté. D’un côté l’Ougandaise Agnes Kilabbala; de l’autre le Catalan et ancien maire de Barcelone Joan Clos. Une femme, un homme. Une Noire, un Blanc. Le Sud, le Nord. Oui, tout paraît limpide. D’où vient alors ce sentiment de détestation des deux, et du reste ?

La ville est perdue. Voilà l’explication que je me donne. Le mythe puissant et presque indéracinable de la ville résiste encore à toutes les réalités. Pourtant, quoi de commun entre Uruk, la ville de Gilgamesh et – peut-être – de l’écriture, et disons Lagos, capitale nigériane devenue proprement invivable pour les pauvres ? Quoi de commun entre Sumer, les Amorrites, les milliers d’années de pensée et de civilisation et le désastre de tant de millions de personnes qui n’ont plus aucun ailleurs à imaginer ? Les villes ont perdu la partie, définitivement. Et les bureaucrates internationaux qui maintiennent la fiction d’un « progrès » perpétuellement remis à demain sont des tricheurs. Des arnaqueurs.

En 1950, le monde comptait 30 % d’urbains. Et 50 % en 2007. Et sûrement 60 % en 2030 ou avant. Et probablement 70 % en 2050 ou avant. Ou jamais, qui sait ? Les chiffres officiels, qui sont burlesques – qui décide, et comment ? -, sont aussi les seuls disponibles. L’ONU estime donc que 777 millions d’humains vivaient dans des bidonvilles en 2000, et qu’ils étaient 830 millions en 2010. On voit l’amélioration. L’avenir est encore plus prometteur, car l’on estime que la quasi-totalité des trois milliards d’humains supplémentaires attendus d’ici 2050 seront des bidonvillois. Des Bidonvillais. Des merdes.

Comme la parole appartient en totalité à ceux qui roulent en bagnole et vivent dans des centre-villes, on ne sait pratiquement rien du sort des pauvres. D’ailleurs, le saurait-on qu’on ne pourrait se mettre à la place de qui doit faire vingt kilomètres à pied pour vendre deux bricoles sur la place d’un marché. C’est impossible. C’est impossible. Mon ami Patrick me racontait ces derniers jours un voyage qu’il vient de faire à Bamako, au Mali. Cette ville comptait 2500 habitants en 1884. 100 000 en 1960, au moment de l’indépendance. Trois millions aujourd’hui, répartis sur 40 km de longueur. Patrick me parlait des vapeurs d’essence frelatée qui embrument et empuantissent jusqu’à la nausée le centre improbable de cette ville impossible. Des mamas assises sur le trottoir vendent un ou deux colifichets chaque jour, le nez dans cette horreur pendant des heures.

Qui dira ? Personne. J’ai voyagé dans le Sud, naguère, et j’ai vu. Il n’y avait pas besoin d’être grand clerc pour saisir l’impasse tragique dans laquelle les villes du monde s’engloutissaient. Je me souviens par exemple de Dakar, ancienne capitale – mais si ! – de l’Afrique occidentale française (AOF). De Constantine. De Managua. Je me souviens de ma tristesse d’alors, qui n’a jamais disparu. En 1975, il y avait cinq villes de 10 millions d’habitants et plus. Il y en a 19, qui regroupent 275 millions d’habitants. Il y en aura 23 dans cinq minuscules années. Mumbai – Bombay – dépassera alors les 26 millions, Lagos les 23. J’ai toujours su, je crois, en tout cas ressenti, que ces espaces étaient maudits. Qu’il n’y aurait jamais de vraies routes, de médecins, d’égouts, d’eau potable, de chiottes présentables. Je l’ai toujours su.

Tous ceux qui prétendent le contraire mentent, par intérêt ou sottise. La seule voie est (probablement) à rechercher du côté des habitants des bidonvilles eux-mêmes. Il existe dans ces lieux oubliés de la conscience une immense jeunesse, qui pourrait sans doute se mobiliser. L’argent existe, on le sait, chez ces ignobles salauds de spéculateurs et d’agioteurs. Il faudra bien qu’ils rendent gorge, de gré ou de force, mais en attendant, il manque cruellement une connexion essentielle entre eux et nous. Entre notre destin de petits-bourgeois de la planète et celui de ces frères si lointains. Avez-vous entendu l’une de nos Excellences de droite ou de gauche seulement évoquer cette question pourtant capitale ? Non, certes. Et pourtant, nous continuons à leur accorder nos voix, comme si.

Comme si quoi ? Nous ne changerons pas volontiers. Nous ne nous mettrons en mouvement que contraints, poussés en avant par les baïonnettes du monde. Mais nous pouvons, mais nous devons au moins réfléchir et mettre en ordre nos pensées avant ce moment désormais fatal. Les réorganiser. Les hiérarchiser. Cesser de croire qu’un pet de madame Royal ou un rot de monsieur Sarkozy pèsent davantage que le sort de milliards d’autres que nous. Pour commencer, je suggère d’ouvrir les yeux sur ce que nos villes à nous sont devenues. Car elles sont hideuses. Car l’entrée par la route dans Saint-Brieuc, Strasbourg, Toulouse, Montpellier, Orléans, Bordeaux, Paris lève le cœur. L’immondice de la marchandise – zones industrielles, centres commerciaux, panneaux publicitaires – a détruit ce qui fut vivant. Ce qui a été nôtre âme commune pendant des siècles.

Bien entendu, ce désastre bien réel n’a rien à voir avec l’épouvante des slums, des gecekondus, des bustee, des kachi abadi, des ranchos, des ciudades perdidas, des mudduku ou des favelas. Bien sûr. Reste que le premier mouvement consiste à regarder autrement. À parler différemment. À chasser le bidonville de nos cerveaux. Car tel est bien le malheur général : la « bidonvillisation » de l’esprit humain.

*Il m’est revenu cette image, empruntée à Bernard Lavilliers. Celle de l’extrême violence, celle de l’extrême contraste.