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Hollande, sa Conférence, son foutage de gueule

Cet article a paru dans Charlie Hebdo le 25 septembre 2013

Même pas drôle. Le gouvernement a organisé la semaine passée une Conférence environnementale avec des écolos au pied. Au programme : rien. À l’arrivée : que dalle.

Conférence environnementale. Commencée vendredi, terminée samedi, oubliée dimanche. C’est plus chiant qu’on ne croit à écrire, mais le raout convoqué la semaine passée par Hollande n’aura été que petite politicaillerie. La planète crame pour de vrai, et nos zozos socialos la jouent Quatrième République, donnant un peu à tout le monde. Quelques miettes ici, trois rogatons là. Dernière trouvaille en date : une invention technocratique présentée comme une taxe sur l’énergie, qui pourrait rapporter des merveilles à la saint-glinglin, à moins qu’elle ne disparaisse dans le trou noir du budget de l’État. Ça s’est vu ? Pardi ! c’est la règle.

Commençons par le cadre : ce vendredi 27 septembre, le GIEC devrait rendre public son cinquième rapport sur l’état du climat planétaire. Des fuites annoncent ce qu’on savait déjà : les semblants de digue n’ont pas tenu, les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, de même que le niveau des mers et les extrêmes climatiques. On va droit au bordel géant, avec des centaines de millions de réfugiés chassés de chez eux par la montée des eaux ou des températures. Le petit père Pachauri, prix Nobel de la paix et président du GIEC : « Il est minuit moins cinq ».
Pas pour Hollande. Pour notre bon président, ce sera toujours l’heure de lire L’Équipe, dont on sait que c’est une priorité matinale. À côté du classement de la Ligue 2, rien ne vaut. Tout le microcosme « vert » sait qu’il ignore tout, absolument tout, des questions de base posées par la crise écologique. Et que, par-dessus tout, il s’en tape. Ayrault de même. Les Verts idem, qui sont mieux accrochés à leurs banquettes que la patelle à son bout de granit.

La vérité, approximative, est ailleurs que dans les salons. Pour être sûr de bien tenir sa Conférence de pépères, Hollande a fait lourder les rares qui auraient pu gêner les images pour TF1. Le « Rassemblement pour la planète » a ainsi été exclu sans explication, alors qu’il réunit tous les bons connaisseurs des liens évidents entre santé et environnement.

Exeunt l’association « Générations futures », qui est derrière toutes les mobilisations contre les pesticides, ainsi que le « Réseau Environnement Santé » (http://reseau-environnement-sante.fr), en pointe sur tous les sujets. À la place, on a invité huit associations, dont quatre appartiennent à France Nature Environnement (FNE), des gens bien élevés dont 70 % des recettes viennent de l’État et des collectivités locales. Pas de « Générations futures », mais un siège pour les surfeurs si gentillets de Surfrider.

Toute la Conférence aura été du même tonneau. Pendant qu’on faisait semblant de parler agriculture et eau, les vraies décisions étaient prises ailleurs. Le 14 septembre, à Rennes, Ayrault annonçait que les porcheries de moins de 2 000 bêtes n’auraient plus besoin d’enquête publique, ni d’étude d’impact. Avec une simple déclaration, on peut désormais conchier tous les environs. Pour ne pas faire de jaloux, le sous-ministre à l’Agriculture Guillaume Garot rendait visite le 19 septembre au « restaurant » KFC de Paris-Alésia. KFC, rappelons-le, c’est Kentucky Fried Chicken, une chaîne de fast-food qui a une ribambelle de casseroles au cul. Et alors ? Garot était sur place pour contresigner un partenariat.

Même cohérence à propos de la biodiversité. Tandis qu’une table ronde blablatait sur le sujet à la Conférence environnementale, on chantait sur le terrain une autre chanson. Le 15 septembre, le ministère de l’Écologie autorisait les chasseurs à buter des loups dans le Var et les Alpes-Maritimes au cours de leurs simples battues au gibier. Or le Loup est protégé par une convention internationale, et ce feu vert aux tueurs ramène en fait, et tranquillement, au XIXème siècle. Pareil ou presque dans les Pyrénées, où les défenseurs de l’ours en sont réduits à lancer un appel à la surveillance des braconniers (contact : vigie@ferus.org), qui gueulent de plus en plus forts, assurés qu’il sont de l’impunité.

La place manque et manquera toujours pour le reste. Sarkozy avait inventé le Grenelle de l’Environnement. Hollande a sa Conférence. Rien de neuf sous l’implacable soleil. Vert.

Le monde a choisi la cécité (sur le climat)

Pour moi, une journée de deuil, et je ne m’épancherai pas. La crise climatique s’aggrave, elle est peut-être hors de contrôle (ici), nul ne sort dans les rues pour hurler. Cinquième rapport du Giec. Le désastre est déjà là. France-Inter consacre trois minutes à ce drame absolu dans son journal de 13 heures, et puis passe aux choses sérieuses. Madame Duflot surjoue une indignation à propos des Roms qui, si elle était vraie, l’aurait conduite à annoncer sa démission. Voulez-vous que je vous dise ? Sa loi sur le logement, elle peut se la mettre quelque part. Ça vous choque ? Tant pis. Il est bon de temps à autre de vider son sac. L’heure est de toute façon aux ruptures franches, délaissant les susceptibilités. Et quand je parle d’Inter et de Duflot, il s’agit bien entendu des deux premiers exemples auxquels j’ai pensé. Il en est des centaines.

La dernière fois qu’on a osé parler dans ce pays, ce fut à propos de la torture de masse en Algérie. La dernière fois qu’il a fallu risquer sa vie, ce fut contre le fascisme. La dernière fois que l’on a volontairement omis une vérité essentielle, ce fut sur le stalinisme. C’est à cette aune qu’il faut juger l’indifférence de notre époque au vaste dérèglement en cours du climat. Sauf que la stabilité du climat était la condition première de l’existence des sociétés humaines. Sauf que la menace sur tout et sur tous n’a jamais été aussi grande, de fort loin.

Noël Mamère, cocu volontaire et définitif (sur les Verts)

J’ai lu, comme certains d’entre vous, l’entretien accordé par le député-maire de Bègles, Noël Mamère, au journal Le Monde (ici). Il quitte Europe Écologie-Les Verts, mouvement auquel il a appartenu 15 ans. En dénonçant ce qu’il nomme La Firme, groupe supposément soudé par l’intérêt politicien autour de Cécile Duflot, ministre en titre du Logement. Mon premier mouvement, je dois le confesser, est de pure et simple moquerie.

Car tout de même ! Je me dois de rappeler que Mamère a commencé sa carrière politique en 1988, comme suppléant aux élections législatives du fils Mitterrand, Gilbert. Après avoir beaucoup grenouillé avec les socialistes, il fonde avec Brice Lalonde,en 1990, le mouvement Génération Écologie. Un groupe politique inventé par l’Élysée de François Mitterrand pour contrecarrer l’influence croissante des Verts de cette époque. Ce n’est nullement un secret : Mamère lui-même l’a raconté dans l’un de ses livres.

Avec Brice Lalonde, Borloo et Tapie 

Est-ce anecdotique ? Je ne crois pas. Génération Écologie a été une invention politicienne de bout en bout, qui a compté dans ses rangs cet excellent Jean-Louis Borloo. Lequel Borloo copinait de près, depuis le début des années 80 avec un certain Bernard Tapie. Le grand bonheur des deux hommes, pendant près d’une décennie, fut de racheter les entreprises faillies pour le franc symbolique, directement à la barre des tribunaux de commerce. Je m’égare ? Mais pas du tout !

Je vous parle d’un monde auquel vous n’aurez jamais accès. On s’y tape sur le ventre. On rit de la dernière pitrerie de tel ou tel, qui a baisé machin en beauté. On se moque de tel autre, qui n’a décidément rien compris au film des événements. On est entre initiés, pas ? Mitterrand, Mamère, Lalonde, Borloo, Tapie. Tiens, Tapie. En 1994, Mamère devient député européen sur la liste Énergie Radicale conduite par Tapie, téléguidé par un Mitterrand agonisant pour empêcher Michel Rocard de s’emparer du parti socialiste. Je n’y insiste pas : la manœuvre réussit à la perfection. Et dans la suite, Mamère entre chez les Verts.

Bon, je ne peux ni ne souhaite tout raconter. Mamère fait carrière, représente les Verts à l’élection présidentielle de 2002, juste après avoir annoncé son « irrévocable décision » de ne pas accepter le job. Bref. Il se comporte comme un politicien absolument ordinaire. Qu’il est. J’ajoute pour faire bon poids deux éléments. Le premier : chez les Verts, il s’est toujours entouré de porte-flingues qui, je pense, pourront se reconnaître. J’ai connu l’un dans une autre vie, et le cynisme avait emporté chez lui toutes les digues il y a déjà trois bonnes décennies. Quant au second, qui a taillé sa route, je ne saurai rapporter ici toutes les horreurs pures et simples entendues sur son compte. Et notez bien que je ne fréquente aucun de ces personnages. Aucun ! je le jure bien.

Petit-déjeuner à la brasserie de République

Le seul contact direct que j’ai eu avec Mamère doit se situer vers 2003. Pour une raison que j’ai oubliée, il avait souhaité prendre un petit-déjeuner avec moi dans une brasserie de la place de la République, à Paris. Je suis sorti de ce rendez-vous abasourdi par le bas niveau de connaissances et de réflexion de Mamère, à qui j’avais eu l’idiotie de dire que la crise écologique était une crise de la vie. Je le revois mâchouiller cette phrase, et la répéter comme s’il avait eu une quelconque révélation. Et puis plus rien. Jamais plus rien. Je n’ai plus jamais eu la moindre nouvelle, sans que cela m’ait enlevé, je crois, la moindre chose.

On croira après cela que j’en veux à ce grand garçon, et ce n’est pas vrai. Le pire que je puisse dire de son – désormais – ancien mouvement, c’est qu’à mon sens, Mamère était un de ses membres les moins dégénérés. L’un des plus sincères. L’un des plus sympathiques. Cela ressemble à un grand écart, mais c’est comme ça. Seulement, il se barre comme un nigaud, qui sera aspiré par le vide, sauf s’il se rallie à Mélenchon – peu probable – ou au parti socialiste, éventuellement après un  détour. Il est simplement lamentable que Mamère sorte de son mouvement sans seulement oser citer le nom du grand ordonnateur de toute ligne politique, à savoir Jean-Vincent Placé. Par peur ? Moi, j’ai réalisé ce printemps un long entretien avec Jean-Paul Besset (JPB) et Daniel Cohn-Bendit (DCB) , paru dans Charlie Hebdo (ici), qui n’aura intéressé personne, alors qu’il est d’une rare clarté. En voici un bout :

——-Extrait

Charlie : Vous étiez donc refaits. Mais par qui, dites-moi ?

DCB : Par  le bureau exécutif des Verts. L’appareil.

Charlie : Mais encore ? En dehors de Jean-Vincent Placé et de Cécile Duflot, on ne connaît personne.

DCB : Ce n’est pas parce que personne ne les connaît qu’ils n’existent pas. Ils ont la mainmise sur les Verts. Disons que Placé et quelques autres avaient la mainmise sur l’appareil national, mais aussi régional, par l’intermédiaire des bureaux exécutifs régionaux.

JPB : Qui ? Le bureau exécutif, avec à sa tête Cécile Duflot, dont le bras droit s’appelle aujourd’hui encore Jean-Vincent Placé. Au total, cela doit représenter moins de cinquante personnes.

Charlie : Mais qui est donc Jean-Vincent Placé ?

DCB : Je dirais volontiers qu’il est l’apparatchik qui nous a manqué. Personne, parmi nous, ne pouvait jouer ce rôle-là, car il est d’un cynisme absolu. Il se dit de gauche, mais tous ses comportements sociaux font penser qu’il est tout sauf de gauche. Par exemple, la manière dont il se comporte avec les autres. Dont il s’habille. Dont il va au restaurant. Et son cynisme est à l’œuvre jusque dans le contenu politique. Il voulait aller au gouvernement, bien sûr, mais s’il avait été ministre, il aurait tout défendu sans état d’âme, y compris le pacte budgétaire européen. Mais comme il n’a pas réussi, son message aux socialistes est aujourd’hui de dire : « Vous allez me le payer ». Placé peut vendre n’importe quel positionnement d’Europe Écologie Les Verts.

Charlie : Distribue-t-il, comme on le dit, des postes ?

JPB : Oui. Des postes de sénateurs, de députés, de conseillers régionaux. Bien sûr ! Nous avons autour de 250 conseillers régionaux, plus de 50 conseillers généraux. Mais bien au-delà de sa personne, Placé représente une face de l’engagement politique. Il ne s’agit plus pour lui et ses proches d’aider à la transformation sociale.  Il s’agit d’une affaire de gestion des élus et des postes. Ces gens-là, qui ont construit un univers clos, ne vivent plus que de la politique politicienne depuis des années. Comme ils sont toujours là, à la différence des simples militants, ils finissent par l’emporter. L’objectif final n’existe pas. Il faut conquérir toujours plus de parts de marché, ou en tout cas ne pas en perdre. Un type comme Dany n’a pas sa place là-dedans, car cela lui arrive de lire un livre, de s’occuper de son fils, d’aller au stade voir un match de foot (rires).  Placé y va aussi, au stade, mais dans la tribune des VIP. Pour s’y faire voir, pour nouer des contacts, pour activer des liens. L’écologie n’est pas davantage leur problème. La grande affaire, c’est de gérer la boutique, de négocier des places, d’avoir du pouvoir.

——-Fin de l’extrait————————–

La chute des maisons Besset, Cohn-Bendit, Durand et Mamère

Reprenons. Mamère omet de désigner le vrai chef du parti, dont chacun sait qu’il ne s’intéresse aucunement à l’écologie. Pourquoi ? Outre la peur déjà évoquée, il n’est pas impossible que quelques cadavres communs se trouvent dans les placards. En tout cas, c’est un désastre total. Les deux « inventeurs » d’Europe Écologie, Besset et Durand, sont sur la touche. Besset finit son mandat de député européen, et ne rempilera pas. Durand est viré comme un domestique de son poste de secrétaire national. Mamère est out, comme l’est Cohn-Bendit. La route est dégagée comme jamais pour Placé et sa camarilla. On ne peut nier l’évidence : c’est bien joué. Et les autres, tous les autres, se seront comportés comme les couillons qu’ils sont.

L’histoire du mouvement Vert, désolante depuis les origines, est à faire. Si je croyais davantage à cette politique-là, je l’aurais écrite. Mais n’y croyant pas même une seconde, je ne m’y collerai pas. M. Placé peut dormir sur ses deux oreilles. Je puis simplement dire, pour l’avoir observé en son temps, que le pouvoir démesuré d’un Placé et de son clan n’est jamais que répétition. Il y a vingt-cinq ans, lorsque Dominique Voynet affrontait Antoine Waechter en un combat dérisoire, la pièce était de même contour. Un groupe pour le moins étrange cornaquait Waechter et lui assurait de confortables victoires électorales au cours d’Assemblées générales du mouvement, soigneusement préparées. Des départements entiers – le Var, les Hauts-de-Seine – acquittaient rubis sur l’ongle des centaines de cartes d’adhérents fantômes, qui changeaient la donne. Et personne ne s’en souciait pourtant. Les amis d’Antoine Waechter s’appelaient entre eux La Famille, mot qui a la sympathique résonance que l’on sait, à peine mois sympathique que La Firme des proches de Duflot, évoquée par Mamère.

Au service de la bureaucratie

Certes, il y a eu de nombreux changements de personnes. Certains sont morts, d’autres ont abandonné la politique ou gagné d’autres rives. Mais fondamentalement, la pourriture morale a perduré. Une bureaucratie impayable – indifférente à la crise écologique, ô combien ! obsédée par les nombreux postes mis à disposition et la combinazione, ô combien ! – a fait son trou, profitant de statuts et règlements rendus volontairement abscons pour mieux contrôler l’appareil. Tous les chefs verts, de Bennahmias à Cochet, de Voynet à Blandin, de Hascoët à Buchmann, de Lipietz à Dessessard, et plus tard, de Contassot à De Rugy, de Coronado à Joly ont eu à connaître de ces mœurs, sans jamais oser moufter de peur de perdre pied, et de bientôt disparaître.

Je sais, pour en avoir discuté, de loin en loin, avec certains des acteurs de cette tragicomédie, combien la conscience de cette mascarade est partagée. Mais vu qu’aucun ne bouge ni ne bougera. Mais vu qu’aucun n’a fait ni ne fera l’histoire de cette longue descente aux enfers, j’en arrive à penser que M. Placé et Mme Duflot auraient grand tort de se gêner. Faut-il conclure que je n’attends rien d’un mouvement de cette sorte, dévoré de l’intérieur par des feux qui n’ont rien à voir avec l’écologie et la morale élémentaire ? C’est si évident que c’en est inutile. Planète sans visa se situe aux antipodes mêmes de cette démission de tous pour le service de quelques-uns.

Naomi Klein à son tour (sur la critique de l’environnementalisme)

Je viens de piquer ce qui suit au site Reporterre (ici), animé par Hervé Kempf, qu’il faut évidemment soutenir. Cela m’amuse un peu – pas beaucoup, un peu – de voir que je suis rejoint par Naomi Klein, que la mouvance altermondialiste porte aux nues. Quand j’ai écrit Qui a tué l’écologie ?, en 2011, la plupart en France ont détourné le regard, et refusé net toute discussion. Fallait pas fâcher les ONG de la place, si solidement assises sur leur confortable postérieur.

Peut-être en sera-t-il autrement cette fois ? C’est tout le mal que je nous souhaite. Et je précise que je ne partage pas les vues politiques de Naomi Klein, qui se rejoue une fois de plus la chanson bien connue de toutes les gauches depuis un siècle. Elle pense que l’ennemi, c’est le capitalisme. Je juge que le capitalisme n’est qu’une forme d’un phénomène bien plus complexe, que j’ai nommé à de nombreuses reprises : la destruction du monde.

Bonne journée.

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 « Les environnementalistes sont plus dangereux que les climato-sceptiques ! »

Le coup de gueule de Naomi Klein

Les grandes organisations d’environnement ont une responsabilité aussi grande que les climato-sceptiques dans le présent reflux de la politique écologique : c’est la forte thèse défendue par la journaliste altermondialiste Naomi Klein. Selon elle, le choix de collaborer avec les grandes compagnies et l’idéologie néo-libérale a conduit à l’échec. Ses propos provoquent un vif débat aux Etats-Unis.


La célèbre journaliste canadienne, militante altermondialiste connue pour ses livres No Logo et La Stratégie du choc, vient de déclencher une furieuse polémique au sein du mouvement écologiste nord-américain.Il y a deux ans, Klein avait écrit dans le journal The Nation que le militantisme climatique et le capitalisme étaient incompatibles. Elle observait que les climato-sceptiques l’étaient pour des raisons idéologiques : ils comprennent très bien que si le changement climatique se produit, la seule façon d’échapper à ses conséquences est de remettre en cause le système économique actuel, le capitalisme. Selon elle, la seule réponse adaptée à la menace climatique résidait « dans la pulvérisation de l’idéologie du marché libre, laquelle a dominé l’économie depuis plus de trois décennies ».Elle poursuit dans cette voie en accusant cette fois les principaux groupes environnementalistes de n’avoir pas compris cette vérité élémentaire, ce qui les a conduit à nouer des alliances coupables avec les grandes corporations.

Les « Big Greens », mauvais leaders

Voici une traduction partielle des propos de Naomi Klein, tirés d’un long entretien publié par le Earth Island Journal :

« Le mouvement écologiste fait preuve d’un déni profond quand il s’agit des « Big Greens », « les principales organisations environnementales. Selon moi, celles-ci ont fait plus de dégâts que les négationnistes climatiques de droite. Si on a perdu tellement de temps, c’est bien à cause d’elles, qui nous ont tous entrainés dans une direction débouchant sur des résultats déplorables.

Si on examine ce qui s’est passé sous l’égide du protocole de Kyoto dans la dernière décennie– les mécanismes de l’ONU, ceux mis en place par l’Union européenne – , on voit combien tout cela a été désastreux. (…)

La droite avait combattu les échanges de permis d’émission en prétendant qu’ils allaient nous mener à la faillite, qu’on distribuait des aumônes aux grandes compagnies, et qu’en plus ça n’allait pas marcher. La droite avait raison ! Non pas pour la faillite de l’économie, mais pour le fait qu’il s’agissait de cadeaux énormes consentis aux grandes sociétés. Elle avait raison aussi de prévoir que ces mécanismes ne nous rapprochaient pas de ce que souhaitaient les scientifiques, à savoir baisser les émissions. Alors, pourquoi les groupes verts se sont-ils obstinés dans cette voie ? »

Naomi Klein observe que « le niveau de réduction des émissions dont nous avons besoin dans les pays développés est incompatible avec la croissance économique ».

Elle rappelle que, dans les années 1970, le mouvement environnemental était très puissant, et avait réussi à imposer un fort appareil législatif pour réduire la pollution. Mais avec l’élection de Ronald Reagan comme président des Etats-Unis, une politique opposée à l’environnement s’est mis en place. Et plutôt que d’y résister, les mouvements environnementaux ont choisi de chercher à collaborer avec les grandes entreprises. Elle cite Fred Krupp, le président d’Environmental Defense Fund, une importante ONG états-unienne, pour avoir clairement énoncé cette politique. Il se trouve, ce qu’elle ne dit pas, que Fred Krupp est un participant régulier du groupe Bildelberg, qui réunit chaque année des grands patrons et des responsables politiques pour définir la politique néo-libérale à appliquer dans le monde.

Ainsi, explique Naomi Klein, «  pour les environnementalistes, il s’agissait d’établir des alliances avec les entreprises. Ils n’étaient pas sur la ligne : « Attaquons ces salauds ! », mais sur la ligne : « Oeuvrons ensemble, les salauds et nous ! » Cela revient à désigner les corporations comme acteurs volontaires de la solution. »

«  Nous avons globalisé un modèle économique insoutenable d’hyperconsommation. Il se répand dans le monde avec succès, et il nous tue. (…) Les groupes environnementalistes n’ont pas été les spectateurs de ce phénomène, ils en ont été les partenaires. Ils voulaient en faire partie. »

Les grandes ONG d’environnement ont ainsi accepté, voire soutenu, le traité de libre-échange entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique, dit Alena, malgré son l’abaissement des protections de l’environnement qu’il impliquait.

« Je ne dis pas que tous les groupes ont été complices : ni Greenpeace, ni les Amis de la terre, ni, globalement, le Sierra Club. Et ni 350.org, qui n’existait pas encore. Mais cela remonte aux racines du mouvement. (…)

Ces élites historiques avaient décidé de sauver la nature, elles étaient respectées pour cela. Si donc le mouvement environnementaliste avait décidé de les combattre, leurs élites auraient risqué perdre leur aura, et personne n’était vraiment prêt à assumer cela. Je pense que cette situation est largement à l’origine du niveau actuel des émissions de gaz à effet de serre. (…)

La stratégie du soi-disant win-win (gagnant-gagnant) a lamentablement échoué. C’était l’idée générale des échanges de permis d’émission. Les groupes verts ne sont pas aussi malins qu’ils ne le croient. Ils ont joué à trop grande échelle. Nombre de leurs partenaires avaient un pied dans le Climate Action Partnership, et un autre à la Chambre de commerce. »

Naomi Klein observe qu’en Europe, les choses bougent dans un autre sens. Plus de cent organisations ont ainsi pris position pour en finir avec le marché du carbone. « C’est le genre de choses que nous devons faire maintenant. Nous n’avons plus le temps de perdre du temps. »

Les premières réponses outrées – et argumentées – commencent à tomber. Le site ClimateProgress écrit notamment :

« Elle n’a pas seulement tort, elle a profondément tort. Son approche révisionniste est fausse, et contredite par ses propres prescriptions politiques. »

Il souligne notamment qu’en Europe, les émissions de gaz carbonique ont diminué, ce qu’il attribue au marché des émissions, dit ETS (European trading system) :

Evolution des émissions de CO2 et du produit intérieur brut dans l’Union européenne.

A quoi Naomi Klein a répondu à son tour sur son propre site, conseillant d’attendre la parution de son prochain livre, promis pour 2014.

La critique des grandes ONG environnementales a déjà été menée en France. Dans Qui a tué l’écologie ? (éd. Les liens qui libèrent, 2011), le journaliste Fabrice Nicolino a mené une vive charge contre le WWF, FNE et Greenpeace pour leur politique de collaboration avec les grandes entreprises et le gouvernement. De même, dans Comment la mondialisation a tué l’écologie (éd. Les Mille et une nuits, 2012), Aurélien Bernier a montré que l’idéologie néo-libérale a fortement influencé le mouvement écologiste à partir des années 1980.


Source : Hélène Crié-Wiesner et Hervé Kempf pour Reporterre.

Le transhumanisme de Politis (pourquoi je ne suis pas de gauche)

Lecteur, je ne vais pas te prendre en traître : l’article ci-dessous est démesurément étiré. Je n’avais pas prévu, mais c’est écrit, et si tu as mieux à faire que te perdre dans mes méandres personnels, je crois pouvoir t’assurer que je comprends. J’insiste : c’est long.

J’avais pensé ne rien dire sur un extravagant dossier de l’hebdomadaire Politis (ici, le texte complet), en kiosques de fin juillet à fin août pour cause d’été. Mais j’ai finalement changé d’avis. Le groupe grenoblois de critique sociale Pièces et main d’œuvre (PMO) et le groupe lillois Hors-sol (ici) en ont fait une critique acerbe, que j’approuve, mais à laquelle je crois devoir ajouter mon grain de sel.

Une chronique oubliée

De quoi s’agit-il ? De transhumanisme. C’est un courant idéologique qui représente à mes yeux un grand danger. Je l’ai dit de nombreuses fois, et le drôle, c’est que j’ai écrit sur le sujet une chronique parue en janvier 2002 dans … Politis (n°682). Il y a dix ans et plus, je peux vous assurer que nous n’étions que très peu à en parler. Trois, deux, un ? Passons.  Voici un extrait de cette chronique : « Avec les transhumanistes, vous ne risquez pas de vous ennuyer, soyez-en sûr. Qui sont-ils ? Une poignée pour l’heure, mais dont tout permet de penser qu’ils forment l’avant-garde d’une armée immense. Le transhumanisme est une sorte de théorie, née chez certains scientifiques et concepteurs de nouvelles technologies. Selon eux, la nature humaine, loin d’être inaltérable, ne cesse d’être modifiée en profondeur par les découvertes, le changement, le neuf. Elle est malléable, à volonté ou presque.
> Or de glorieux horizons se découvrent, grâce notamment aux nanotechnologies moléculaires, aux machines intelligentes, aux « médicaments de la personnalité », à la vie artificielle, à l’extension devenue possible du corps par la machine, etc. Qu’allons-nous faire de ces miraculeuses vendanges ? Mais en profiter, bien entendu, pour sortir de nous-mêmes. C’est là l’occasion d’aller au-delà –
trans – de notre misérable enveloppe. De l’audace, de l’audace ».

Et encore ceci : « Les plus allumés [des transhumanistes ]envisagent de coloniser l’espace, de réanimer des gens tenus congelés pendant des dizaines d’années, de repousser la mort si loin qu’on ne la verrait plus ou presque. Les limites, la limite n’existeraient plus : l’anti-écologie ». Et enfin cela  : « Et place à l’homme nouveau. Supérieur ? On aimerait se tromper, mais on croit retrouver des effluves transhumanistes chez des auteurs comme Maurice G. Dantec – récemment encensé, jusqu’au grotesque, dans Le Monde – ou Michel Houellebecq. Annoncent-ils une nouvelle poussée de régression ? Ce serait une mauvaise nouvelle, mais elle n’étonnerait guère ».

Un autre transhumanisme est possible

Presque douze ans plus tard, comme le notent PMO et Hors-sol, Politis se fend donc d’un dossier consacré au transhumanisme. Je l’ai lu, bien entendu. Et je comme je connais un peu la chanson, je vois bien quel en est le sens général. Malgré quelques précautions jetées ici ou là en travers des textes, ce qui domine est bien une fascination. Le titre de couverture résume d’ailleurs au mieux l’état d’esprit de ce magazine-là : « L’homme augmenté, c’est déjà demain ». Oui, une fascination, mais aussi l’acceptation d’un fait présenté comme inévitable.

La roue tourne, la machine avance, la science et la technique commandent aux sociétés humaines. Même s’il n’est pas formulé explicitement, je distingue sans mal une sorte de mantra progressiste. L’homme n’accepte pas sa condition, depuis le début de sa réflexion, et recherche en conséquence de nouveaux outils. « Serions-nous tous déjà un peu transhumains ? », se demande avec un petit frisson Politis. Pardi ! Les jeux sont faits. Dès lors, comme avec toutes les saloperies passées, il s’agit de composer, d’entraîner le fatal progrès dans la bonne direction supposée. Laquelle est clairement indiquée par un personnage inouï, Marc Roux, président de l’association française de transhumanisme Technoprog (AFT). Attention les yeux ! Roux est de gauche. Bien sûr ! C’est un fier « technoprogressiste » qui ne s’interdit rien « en matière de progrès » et clame pour finir : « Un autre transhumanisme est possible ! ». Tu l’as dit, bouffi.

À ce stade, il convient de préciser la nature de mes relations avec Politis. J’ai fait partie de l’équipe qui a fondé ce journal en 1988. Je suis celui qui, avec Jean-Paul Besset, a tenté, en 1990, de le changer, lui faisant quitter les rives de la gauche – plutôt radicale – pour lui faire aborder celles de l’écologie. Nous y avons échoué, pour des raisons trop longues à détailler ici. J’ai quitté l’hebdomadaire à l’été 1990, et j’ai repris une collaboration extérieure en 1994, réalisant chaque semaine une page consacrée à l’écologie. Et je me suis barré dans un grand éclat au printemps 2003. L’amusant, c’est que Hervé Kempf, qui vient de quitter Le Monde, où il estimait ne pouvoir travailler librement, a consacré un article aux conditions de ma rupture avec Politis, totale et définitive (ici, l’article de Kempf en 2003).

Un avis sur Bernard Langlois et Denis Sieffert

Tout cela, bien qu’anecdotique, mérite quelques lignes supplémentaires. Certains d’entre vous lisent ou, plus sûrement encore, ont lu Politis. Je ne garde aucune amertume de ces années-là, car à la vérité, j’ai toujours pu écrire ce que je voulais, sauf à la fin. Et c’est rare. Mais je savais, et il ne s’agit pas d’un anachronisme de la pensée, que deux cultures radicalement différentes cohabitaient. La première, hégémonique, était représentée par Bernard Langlois, talentueux éditorialiste et très discutable directeur. Bernard est un homme de gauche, indécrottablement de gauche, et c’est bien son droit. C’est son univers, son passé, son avenir. Certes oui, l’écologie compte à ses yeux, mais comme une pièce rapportée, un ajout qui enrichirait les vieilles pensées. Et non pas comme une façon vraiment neuve de penser le monde  et ses si nombreux problèmes.

De même chez Denis Sieffert, l’actuel directeur de la rédaction. Sur un plan personnel, je l’ai toujours trouvé humain – sous ma plume, un vrai compliment -, malgré quelques vrais défauts personnels que je n’appréciais pas. Je suis sûr qu’il en a autant à mon sujet. En ce qui concerne sa vision du monde, c’est autre chose. Formé à la terrible école des lambertistes (OCI, Jospin, Mélenchon et tous autres), il voit la plupart des questions sous leur angle tactique, pour être gentil. L’écologie n’existe pas. Le courant écologiste, si. Tout, chez lui, est passé à la moulinette du rapport de forces et des vieux schémas. Là encore, c’est bien son droit. Comme c’est le mien d’être aux antipodes.

Seul contre tous (humour)

Voilà pour l’idéologie dominante de Politis. Une éternelle resucée de propos tenus depuis des décennies dans des milliers de gymnases et préaux, dans des centaines d’émissions télévisées ou radiodiffusées. Le public de ce journal est connu : des gens respectables mais vieillissants qui, ayant cru dans la gauche, parfois extrême, ne parviennent ni ne parviendront à renoncer à leurs illusions. Surtout ne pas les réveiller ! Oh ne les faites pas lever ! C’est le naufrage. L’autre culture, à Politis, c’était moi. Du moins après le départ définitif de Jean-Paul Besset et malgré le soutien de la journaliste Véronique Lopez. Je ne dis pas cela pour me vanter : il s’agit d’un fait.

Mais ce n’avait rien d’un enfer : je crois devoir parler d’une coexistence (le plus souvent) pacifique. On me foutait une paix royale, fortement teintée d’indifférence pour mes articles. Et je faisais semblant de croire que nous étions d’accord sur l’essentiel, ce qui n’est pas vrai. Car, et j’ai eu l’occasion de le dire au moment de mon départ en 2003, je ne suis pas de gauche. Eh oui ! c’est comme cela, amis lecteurs : vous lisez la prose d’un qui n’est pas de gauche. Avant que de mettre ma tête dans la lunette de la guillotine, je réclame deux minutes supplémentaires au(x) bourreau(x). Franchement, la gauche, c’est quoi ?

Aussi rude que doive être la secousse, je dois dire tout de suite que la gauche est une création humaine. Elle a son point de départ historique. Elle disparaîtra, fatalement. Pendant les deux millions d’années de son existence – plus ou moins, le débat ne sera jamais clos -, l’Homme s’est totalement passé de cette invention, qui ne date que de…1789. Au cours d’une séance de l’Assemblée constituante, cet été brûlant-là, les opposants au veto royal se placent sans y penser à gauche du président; et les partisans du roi à sa droite. Il faudrait donc remercier la Révolution française ? Pas réellement. Car la distinction se perd dès les origines, pour ne s’imposer en France qu’à la fin du XIXème siècle, au moment de l’Affaire. Dreyfus, évidemment.

Et avant la gauche, les gars ?

Ne serait-ce pas un peu fâcheux pour ceux qui se drapent dans le drapeau au moindre souffle d’air neuf ? La Commune de Paris s’est totalement foutue de la gauche, dont elle ignorait l’existence. Fourier, Proudhon, Marx, Bakounine s’en sont tapés tout autant. Certes, ils n’arrivent pas à la cheville de M. Mélenchon, mais tout de même, n’est-ce pas incroyable ? Cessons de rire un instant : la gauche est un mythe, une croyance. Je crache d’autant moins sur cette évidence que je sais la nécessité de fondations psychiques dans toute action humaine d’importance. Donc, une croyance. Une croyance qui a la peau exceptionnellement dure, je m’empresse de l’écrire. Car quoi ?

Si l’on regarde l’histoire concrète de la social-démocratie – française, pour mieux me faire entendre -, on voit avec facilité que ce courant a pactisé avec le pire sans le moindre état d’âme. La politique de ce bon M. Hollande vient de là. Je cite sans hiérarchie ni exhaustivité la défense de l’Empire colonial et le racisme institutionnalisé qui l’a toujours accompagné ; le soutien forcené, par le biais de l’Union sacrée, à la vaste boucherie continentale déclenchée en septembre 1914 ; le refus d’armer le gouvernement légal de l’Espagne républicaine, en 1936 ; d’innombrables massacres dans des pays soumis, comme à Madagascar ; la torture de masse en Algérie, etc. Je passe volontairement sur les années Mitterrand, sommet de la manipulation de masse, au cours desquelles tant de bons couillons auront cru, successivement, et en quelques mois, dans la rupture avec le capitalisme puis dans la réhabilitation de celui-ci, sous la forme d’embrassades avec l’excellent Bernard Tapie et le formidable Silvio Berlusconi. Question imbécile : un mouvement à ce point éloigné de ses nobles buts constamment proclamés mérite-t-il encore le respect ?

L’autre branche de ce mouvement socialiste s’appela, à partir de 1920 la Section française de l’Internationale communiste (SFIC), autrement dit le parti communiste. Comme je ne fais pas une histoire du communisme français – de nombreux livres disent l’essentiel -, j’en reste à une généralité : le parti communiste a une histoire honteuse, indéfendable. Pour ne considérer que l’exemple de la lutte contre le fascisme hitlérien, qui fait pourtant la fierté des vieux de la vieille, il est sans conteste que le parti communiste a commencé par pactiser avec l’occupant à l’été 1940. Sur ordre de Staline, on s’en doute. Comme on se doute que, si Hitler n’avait pas envahi l’Union soviétique en juin 1941, les staliniens ne seraient jamais entrés en résistance. Tout le reste n’est que propagande. Un mot sur Jacques Duclos, dont la biographie n’a jamais été écrite, mille fois hélas.

Jacques Duclos et l’Espagne stalinienne

Duclos a été dirigeant du parti communiste pendant un demi-siècle, de 1926 à sa mort en 1975. C’était un homme de l’Apparat international, comme les staliniens appelaient leur vaste appareil policier. Je ne sais pas s’il fut, comme des gens sérieux le pensent – et parmi eux des historiens – un pur et simple agent du Guépéou/NKVD. Cela expliquerait bien des choses. Et jetterait sur son rôle en Espagne une ombre encore plus terrible. Car Duclos fut l’homme en France  de l’Espagne stalinienne, aux côtés de l’ordure appelée André Marty, qui gagna au passage le surnom de boucher d’Albacete. À partir de 1930 – cette date est importante, car elle montre que, dès cette année, Duclos cornaque l’alors groupusculaire parti communiste espagnol – jusqu’au triomphe franquiste de 1939, le chef stalinien multiplie les voyages au-delà des Pyrénées. Qui connaît l’histoire de l’Espagne de ces années noires – et c’est mon cas – sait ce que signifient ces missions à répétition. Car le parti communiste espagnol a été pendant tout ce temps l’auxiliaire de la politique soviétique stalinienne en Europe. Laquelle passait, entre 1936 et 1939 par l’enlèvement, la torture, l’assassinat de centaines de militants espagnols, poumistes ou anarchistes notamment, qui déplaisaient au grand Manitou du Kremlin.

J’entends déjà les soupirs. Encore ces vieilleries ! Mais ce type est malade ! Eh bien, je m’en moque totalement. J’ai vécu à Montreuil, dans la banlieue parisienne, où une station de métro porte encore le nom maudit de Jacques Duclos, cette canaille. Et, tenez, l’ancien maire de Montreuil, qui entend bien reconquérir son bien éternel en 2014 – Dominique Voynet a gagné l’élection de 2008 -, s’appelle Jean-Pierre Brard, ancien député. Qui est-il ? Un apparatchik du parti communiste, lui aussi, d’une époque plus récente que celle de Duclos il est vrai. Il a fait l’école des cadres du parti, qui était dans les années soixante, quand il y fut, le tremplin des carrières bureaucratiques. Et il a séjourné en Tchécoslovaquie entre 1969 et 1971, au pire de la répression contre le Printemps de Prague. Avant de s’installer en Allemagne de l’Est, patrie de la Stasi et des tirs dans le dos des passeurs de Mur. En bref, quel talent ! C’est cet homme qui s’est présenté aux élections législatives de Montreuil l’an passé. Sur une liste Front de Gauche, ce rassemblement de M. Mélenchon. Mais quelle surprise !

En mémoire des massacrés

Passons au-delà de nos si petites frontières. Je plains – je plains et je maudis – ceux qui, ici, ailleurs, hier, aujourd’hui comme demain, osent absoudre sans rien en connaître les crimes sans nom du stalinisme. On ne cesse de me reprocher ce qui serait une obsession, vaguement malsaine. Seulement, il y a erreur : je REVENDIQUE mon obsession de tous ces massacres oubliés. Je pense, moi, oui je pense aux millions de morts de la famine organisée par Staline après 1933. Je pense aux peuples innombrables du Goulag. Je pense aux dizaines de millions de morts de l’époque maoïste. Il n’y a pas, il ne saurait y avoir la moindre prescription, car je vous rappelle que les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. Libres à vous, alzheimériens volontaires, de vous sentir quittes de ces flots de sang. Libre à moi de vous considérer comme complices.

Il m’est plaisant de constater que les hommes de gauche, et par exemple ceux qui dirigent Politis, se sont toujours réclamés d’une philosophie de l’Histoire – dans le passé, elle se voulait scientifique – sans seulement comprendre ses leçons les plus évidentes. Parmi elles, la différence constante, flagrante, indiscutable entre l’adhésion à des valeurs et la soumission à l’idéologie. Je le répète : la gauche est toute récente, mais les combats émancipateurs sont de tout temps. Aussi bien, comment classer la révolte somptueuse des paysans de Münster (ici), qui a commencé en 1524 ? La vulgate progressiste, c’est-à-dire cette manière tellement de gauche de considérer l’Histoire comme la marche plus ou moins linéaire du progrès, cette vulgate considère toujours le luddisme (ici), ce mouvement anglais des briseurs de machines industrielles, comme régressif. Pardi ! Il s’opposait à la prolétarisation des paysans et artisans, annonciateur, selon les Saintes Écritures, de la prise du pouvoir par la classe ouvrière. Il était donc réactionnaire, pas vrai ?

Un mouvement et des valeurs

Où veux-je en venir ? Mais voyons, n’est-ce pas évident ? J’ai constamment défendu, au long de ma vie, des valeurs qui m’accompagneront au tombeau. Et ce sont, je le crois, des valeurs universelles, qui m’auront aidé à vivre dignement. M’auraient-elles conduit à mourir ? En tout cas, je suis vivant. Et bien plus, je le crains pour eux, que tant de pantins et de polichinelles qui se réclament de la gauche chaque fois qu’ils ouvrent la bouche. Non, décidément non, je ne suis pas de gauche. J’appartiens à une vaste Internationale confuse, qui trouvera ou non sa voie. Qui se cherche en tout cas, qui se reconnaît parfois en ce qu’elle remet en cause la totalité des formes politiques nées de l’industrialisation du monde. La droite, cela va sans dire. Mais la gauche tout autant, qui fait semblant d’aller en direction de l’écologie, comme M. Mélenchon chez nous, alors qu’elle ne fait que passer une couche de peinture verte sur les vieilles harangues. N’est-il pas évident que les mélenchonistes – et nul doute que Politis est mélenchoniste – font du greenwashing, de même que la Shell ou EDF ?

Je résume, et que personne ne rie, car je résume vraiment. La gauche est une vieille chose, associée étroitement au processus de la destruction du monde. Une autre culture émerge des décombres, qui suit un chemin difficile, hésitant, fatalement long. La première est morte. La seconde reste fragile, mais elle déborde d’énergie, et comme elle est le seul avenir concevable, pour le moment du moins, il faut lui souhaiter de grandir au point de dominer culturellement le monde. Car c’est de la culture profonde des humains que surgiront d’éventuelles solutions. J’ai choisi depuis longtemps, et ma rupture avec Politis, si ancienne déjà, ne saurait être plus totale.

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L’article paru dans Le Monde au moment de mon départ de Politis en 2003

Le regard écologiste sur les retraites déchire « Politis »

Article paru dans l’édition du 19.06.03

Le départ du chroniqueur écologiste, un des fondateurs de l’hebdomadaire de la gauche mouvementiste, révèle la résistance de la culture de gauche à l’écologie. Croissance à tout prix contre environnement ?

PEUT-ON critiquer dans un journal de gauche l’opposition à la réforme des retraites ? C’est apparemment difficile, comme le manifeste la crise ouverte à Politis par son chroniqueur écologiste, qui s’est traduite par son départ volontaire, expliqué dans le nº 755 de l’hebdomadaire de la gauche mouvementiste. Mais l’affrontement entre caractères fougueux est, bien plus qu’une péripétie de rédaction, le révélateur d’un fossé entre la gauche et l’écologie.

Tout part du 8 mai, quand Fabrice Nicolino, un des journalistes de Politis depuis sa fondation en 1989, aborde dans sa chronique hebdomadaire le débat sur les retraites : « Nous sommes – grosso modo 500 millions d’habitants du Nord – les classes moyennes du monde réel. Nous consommons infiniment trop, et précipitons la crise écologique, jusqu’à la rendre peut-être – probablement – incontrôlable. Tandis que quatre à cinq milliards de ceux du Sud tiennent vaille que vaille avec deux ou trois euros par jour, nous vivons de plus en plus vieux, et ne travaillons pour de vrai qu’à partir de 23 ou 25 ans. La conclusion s’impose : ne touchons surtout à rien ! » Et d’enfoncer le clou : « Le syndicalisme, fût-il d’extrême gauche ou prétendument tel, est devenu réactionnaire. Où trouve-t-on la moindre critique de la prolifération d’objets inutiles et de l’hyperconsommation chère à tant de retraités ? »

L’article agit comme une décharge électrique sur nombre de lecteurs, qui envoient des lettres indignées, publiées dans le numéro du 22 mai : « Croyez-vous que la paupérisation des retraités va permettre de résoudre le dérèglement climatique ? », interroge Marlène Ribes. « En quoi serait-il préférable, pour se questionner et agir sur l’avenir de la planète, la situation des pays du Sud, etc., de travailler plus longtemps, d’avoir des revenus diminués de 30 à 40 % ? », questionne Chantal Jouglar. Et d’autres de pester : « C’est déplaisant de lire dans Politis des propos dignes du Figaro », regrette Odile Horn.

Discussions enflammées

Dans le même numéro, Fabrice Nicolino précise sa position, sans l’affadir : « Je ne serai plus jamais solidaire avec ceux qui, ayant «conquis» la télé, la voiture individuelle, le magnétoscope, la chaîne hi-fi, le téléphone portable et le lecteur DVD, se préparent à de nouvelles campagnes d’hyperconsommation. » Evoquant la crise écologique globale, le journaliste affirme : « Le mouvement syndical, en étant incapable de relier ses revendications, que je ne conteste pas dans leur principe, à ce drame qui domine et conditionne l’époque – les menaces sur la vie -, est devenu fondamentalement réactionnaire. (…) Ceux qui se battent pour le maintien de leur situation personnelle, souvent privilégiée sur le plan personnel, sans remettre en cause nos manières concrètes de vivre et de gaspiller ont tort. »

En interne aussi, le débat a provoqué des discussions enflammées en comité de rédaction. Denis Sieffert, directeur de la rédaction, a expliqué avoir dit au perturbateur que les termes de « “criailleries corporatistes” ressortissaient au vocabulaire libéral ». La discussion a été vive et elle a conduit Fabrice Nicolino à choisir de quitter l’hebdomadaire. Politis a publié une nouvelle explication de son ex-collaborateur, ainsi que des lettres de lecteurs approuvant son approche. L’un d’eux, Philippe Drion, « salue son courage pour oser aller à l’encontre d’une sorte de pensée unique, commune à presque toute la classe politique française, qui affirme que notre bonheur doit impérativement passer par plus de croissance, plus de productivité, plus de pouvoir d’achat et donc plus de consommation. »

La figure tutélaire du journal, Bernard Langlois, ironise par contre sur « les adieux de Fontainebleau d’un collaborateur de ce journal qui s’érige en porteur de la vraie croix écologiste », tout en reconnaissant que la gauche est « encore beaucoup trop marquée par le culte du progrès, de la croissance ». Mais cette gauche peut-elle accepter de proclamer la nécessité de réduire la consommation matérielle, un impératif qui reste au coeur de l’approche écologiste ?

Hervé Kempf