Sur le gâtisme intellectuel (de Pascal Bruckner à Jacques Julliard)

Je précise de suite que je ne vise pas l’âge des personnes que je vais attaquer. Mais leur état d’esprit, ce qui n’est déjà pas si mal. Voyons le premier. Pascal Bruckner. Je n’ai rien lu de lui, sauf ce si mauvais livre intitulé Le Sanglot de l’homme blanc (Tiers-Monde, culpabilité, haine de soi), au tout début des années 80. Je me souviens de la prose grotesque d’un homme blanc bien né, qui ne supportait plus, pauvre ange, que l’on s’interroge sur un monde où une fillette peut vendre son cul à dix ans tandis qu’un bavard du Nord peut gagner tout l’argent qu’il veut en refilant quelques lignes à un journal obèse.

Bruckner attaquait – je n’ai pas rouvert le livre – le tiers-mondisme, idéologie très prégnante dans les années soixante du siècle passé. Et elle avait ses (nombreux) ridicules, je n’en disconviens pas. Et elle devait être critiquée, et elle devait disparaître, j’en suis d’accord. Mais le fond est ailleurs. Le fond est que beaucoup de ses tenants étaient révulsés par le sort fait aux miséreux. Et voilà ce qui n’aura jamais effleuré un Bruckner. Il officie dans ce pitoyable journal qu’est devenu Le Nouvel Observateur, et vient, dans le numéro 2376 du 20 mai 2010, de rendre compte d’un livre sur le climat, écrit par le mathématicien Benoît Rittaud (Le mythe climatique, Le Seuil). Bah ! ce n’est que prétexte à dire que toute cette affaire climatique n’est que billevesée. Car, rions, rions, pour le Giec et ceux qui croient en sa « climatomancie », le « réchauffement, c’est le refroidissement ».

Il est assez incroyable tout de même que la parole soi-disant intellectuelle soit offerte à de tels sots, à de si considérables ignorants. Bien sûr, Bruckner ne sait rien. Mais comme les autres non plus, et que notre homme a son rond de serviette posé en travers des colonnes de l’hebdomadaire, on lui laisse tout écrire. Le livre de Rittaud a été lu par Sylvestre Huet, journaliste scientifique sans tache, et voici ce qu’il en dit: « Les sources de Claude Allègre sont de plus en plus fantaisistes, comme le livre de Benoit Rittaud (Le mythe climatique au Seuil) qui n’a rien d’une publication scientifique (il suffit de lire les pages 98 et 99 pour se rendre compte que ce mathématicien ne sait même pas que les cycles de Milankovitch sont considérés par les paléo climatologues comme la clef explicative des bascules climatiques depuis le début du quaternaire, et que les GES ne font qu’amplifier ces bascules mais ne les provoquent pas. C’est pure invention que de prétendre qu’ils ont dit le contraire, pourquoi Rittaud reprend-il ce mensonge de Claude Allègre ?). En outre, Benoit Rittaud invoque le « Rasoir d’Occam » pour traiter ce sujet et donc propose de « choisir » entre l’influence de la mécanique céleste (donc de l’ensoleillement) sur le climat de la Terre et celle de l’effet de serre modifié (naturellement dans le passé ou par l’homme aujourd’hui) pour expliquer un changement climatique. Qu’il ne lui vienne pas à l’esprit que la seule climatologie scientifique est celle qui prend les deux phénomènes en compte et tente de quantifier leurs parts respectives dans l’évolution du climat démontre son absence totale de crédibilité. Mais ce mathématicien ne sait peut-être pas que l’effet de serre est un phénomène physique reproductible en laboratoire et mille fois vérifié ».

Vous pensez bien qu’un Bruckner se contrefout des cycles de Milankovitch. Que ferait-il d’un tel fardeau ? Dans Libération, en janvier 2010, il signait une tribune pour dire la même chose, en plus crétin peut-être, ce qui frôle l’exploit. Citation : « Depuis quelques semaines, l’Europe, l’Amérique du Nord, la Chine subissent les assauts d’un hiver glacial. Le thermomètre est descendu à – 20° près de Paris, à – 41° en Norvège, à – 21° en Ecosse, à – 45° aux Etats-Unis, la Floride grelotte, le Royaume-Uni est paralysé par des chutes de neige comme il n’en a pas connu depuis trente ans, partout les transports sont paralysés ou retardés, de nombreuses personnes décèdent, les réseaux d’électricité peinent à fournir l’énergie. Bref, nous n’avons jamais eu aussi froid depuis qu’on nous alerte sur les effets dramatiques du réchauffement ».

Ce n’est pas même le café du Commerce, où il se dit des choses plus intéressantes. C’est madame Michu, son cabas sous le bras, et qui peste contre le retour du froid en hiver. Mon Dieu ! si bas. Un autre qui vaut bien Bruckner – peut-être se seront-ils causé ? -, c’est Jacques Julliard, l’un des directeurs du Nouvel Obs. Il est considéré, je vous le jure bien, comme une autorité morale et politique. Et dans le monde tel qu’il est, tombant en miettes explosives sous nos yeux, c’est un fait qu’on juge clairvoyant celui qui n’est que pauvre borgne au royaume des aveugles. Que voit un borgne ? C’est la bonne question. Il est certain que Julliard n’a jamais pris le temps de lire un seul ouvrage sérieux sur la crise écologique. Cela se saurait, il en aurait fatalement parlé. Julliard nie par le silence, l’ignorance et finalement l’incompétence l’événement le plus important de l’histoire humaine.

Lui aussi a ses côtés madame Michu. Dans le même numéro 2376 du Nouvel Observateur, il reprend l’antienne de Bruckner, qui doit bien être un « cher ami ». Voici : « Duflot, la gaucho-centriste environnementale, qui ne parle plus actuellement de réchauffement climatique, parce qu’en ce printemps pourri elle risquerait de se faire lyncher ». On aura remarqué comme moi que c’est écrit sans y toucher. Il ne dit pas que.  Il laisse le lecteur faire le travail. Il ne prétend rien, il constate. Moi, j’affirme qu’il lance un clin d’œil à ses lecteurs les plus béotiens. Si le printemps est pourri, hein, qu’est-ce que c’est que cette histoire de réchauffement, hein ?

Mon Dieu ! j’aimerais les plaindre. Mais enfin, et pour être franc, je les exècre. Ces intellectuels que l’on nous présente comme des universalistes ne sont que de pauvres « provincialistes » de la pensée, qui n’auront jamais franchi le périphérique entourant leur lot de connaissances. La science, l’écologie et les écosystèmes, la biodiversité, les océans, les animaux ? Pouah ! Parlons plutôt de l’individu-roi – avec Bruckner – ou de la préparation des élections de 2012, 2017, 2045, 2125 et 2748, avec Julliard. Ces grands personnages, donc, regardant de leur fenêtre le temps qu’il fait, pensent à quel point nous avons froid. Et donc à quel point on nous raconte des salades. On n’ira pas beaucoup plus bas dans la sottise accomplie. Car nous ne sommes plus depuis longtemps dans la pensée. Un homme « cultivé », ayant accès aux livres, qui ne sait pas faire la différence entre le temps qu’il fait à Paris, ou en France, ou même en Europe, et la température moyenne du globe telle qu’exprimée par des mesures objectives prises depuis 130 ans, mérite-t-il la moindre considération intellectuelle ? Moi, je crois sincèrement que non.

Selon les données du National Climatic Data Center (NCDC), le mois d’avril 2010 a été le plus chaud sur terre depuis 1880, année des premiers relevés. Je précise que nul ne conteste ces chiffres, pour la raison qu’il s’agit de relevés automatiques, ne dépendant d’aucune volonté humaine. Ce qu’on appelle des faits. Mais de quel poids comptent des faits en face des fulgurances d’un Pascal Bruckner ? 2010, année des intellectuels.

Socialisme et peau de lapin (sur DSK, bis repetita)

On va me traiter de feignant, ça ne saurait tarder. C’est le second texte que je publie ici pour la deuxième fois, à la suite. Celui-ci concerne Dominique Strauss-Kahn, DSK pour ses nombreux intimes. Je crois qu’il faut savoir dire les choses. Moi, ma voie est nette. Je ne vote pratiquement pas, pour des raisons de fond dont j’ai déjà souvent parlé. Mais DSK est un cas. Et moi qui déteste tant Sarkozy, je vous le dis dès maintenant : si le choix des élections de 2012 devait se limiter à voter DSK ou Sarkozy, je les enverrais tous deux se faire rhabiller chez plumeau. Je sais que la haine ne se porte plus. Je sais qu’il faut désormais se montrer présentable en toute circonstance. Mais moi, que voulez-vous ? je hais pour de bon DSK, l’homme du Fonds Monétaire International (FMI). Pas tant lui, du reste, que l’institution criminelle qu’il dirige, et qui saigne les peuples et les pauvres.

Je souhaite, de toute mon âme, qu’un tel homme, s’il osait se présenter, soit aplati comme il le mérite. DSK, mais c’est Millerand ! Mais c’est Noske ! Mais c’est l’ennemi de toujours ! Je viens de lire (ici) ce que cet imbécile pense de la question des retraites dans Le Figaro. Dieu du ciel ! Il a notamment déclaré : «On vit 100 ans, on ne va pas continuer à avoir la retraite à 60 ans». Voilà ce qu’un homme de sa taille fait d’une question aussi essentielle que celle du droit historique à la retraite. On vit 100 ans ? Bien sûr, c’est faux. Puis, dans quel état réel sont ceux qui passent les 80 ans ? Combien d’Alzheimer ? Combien de Parkinson ? Combien de maladies neurodégénératives, de cancers, de hanches pourries, de dos pliés ? Combien, monsieur le richissime ?

Je n’ai ni le temps ni l’envie de détailler son parcours scolaire, qui me semble plus ridicule que bien d’autres. Pour aller vite, et comme des milliers de son genre, il aura obtenu un doctorat en économie, qui le fera aussi aveugle sur la marche des événements que n’importe lequel de ses clones. Il faut croire qu’il aura déployé d’autres talents pour devenir ce qu’il est. Avez-vous entendu dire une seule fois que DSK se serait montré plus futé, plus conscient, plus prescient ? Vous souvenez-vous avec quelle morgue il traitait ceux de la taxe Tobin, qui entendaient il y dix ans et plus imposer le capital ?

En attendant, voici ce texte qui date des tout débuts de Planète sans visa. Il a paru le 29 septembre 2007. Toutes ses dents.

On ne descendra pas beaucoup plus bas. Et c’est déjà cela. La nomination de Dominique Strauss-Kahn à la tête du Fonds Monétaire International (FMI) restera, quoi qu’il advienne, le sommet inversé de la fin d’une époque, celle de la gauche. Ce mot ancien, ce mot de cimetière, ce mort-vivant éclaire comme le font les étoiles disparues.

L’affaire est certes entendue depuis des lustres, mais je dois avouer qu’une telle clarté de cristal éblouit les yeux. D’abord, quelques mots sur ce monsieur DSK. Il est avant tout l’ami de l’industrie, nationale ou transnationale. Avocat d’affaires, il a conduit un grand nombre de deals – ces gens aiment l’anglais – pour de très puissantes entreprises. J’oublie, car ne n’est que détail, sa mise en examen mouvementée dans l’affaire de la mutuelle des étudiants, la MNEF.

Sachez, ou rappelez-vous, que DSK a présidé entre 1993 et 1997 un lobby appelé le Cercle de l’Industrie, regroupant une sorte de gotha des (grandes) affaires. Dans le but exclusif de favoriser ses clients auprès de la Commission européenne, à Bruxelles. Mais quel beau métier, vraiment ! En 1994, car l’appétit vient en mangeant, DSK devient un lobbyiste appointé du nucléaire. Il signe un contrat avec EDF, et puis s’en va faire son travail occulte chez ses amis du SPD allemand, qu’il travaille au corps. Sa mission consiste à convaincre Siemens de rejoindre Framatome et EDF dans le vaste chantier de l’EPR, le nouveau réacteur nucléaire français. C’est beau, la gauche.

Après avoir ainsi copiné, DSK n’hésite pas une seconde quand le devoir l’appelle au gouvernement de la France, en 1997. Taper sur le ventre de Vivendi, Renault et Areva durant tant d’années, puis devenir ministre de l’Économie et retrouver les mêmes en face de soi, avec pouvoir d’État en sus, cela s’appelle la classe. La classe internationale.

DSK a-t-il la moindre idée réelle de ce qu’est la pauvreté ? Non, bien sûr. Quand il était le maire de Sarcelles, sa voiture avec chauffeur le ramenait chaque soir dans son bel appartement parisien. Connaît-il la misère ? Bien sûr que non. Du Sud, il ne connaît que son riad de Marrakech. Une superbe maison traditionnelle, dans un quartier de superbes maisons traditionnelles où il peut recevoir dignement ses superbes clients traditionnels.

Non, DSK ne sait rien du monde réel, et je crains qu’il ne veuille guère en entendre parler. Il vient en tout cas d’être nommé patron du FMI, institution majeure de la destruction du monde et de la dévastation écologique. Tout va bien. Ses amis socialistes, de Pierre Moscovici à Jean-Christophe Cambadelis – défense de rire – applaudissent. Le FMI. Les plans d’ajustement structurel. Les pressions sur les grouvernements mafieux, pour qu’ils serrent davantage la gorge de leurs peuples. La faillite organisée de l’Argentine, en décembre 2001. La fin programmée des forêts, des agricultures, des paysans. Le FMI.

Je me rassure comme je peux. Je n’ai rien, RIEN à voir avec ces gens-là, ces socialistes en peau de lapin. Les mêmes qui beuglaient Nach Berlin en septembre 1914, après avoir promis d’empêcher la guerre. Les mêmes qui lâchèrent la République espagnole aux abois, en 1936. Les mêmes qui menèrent l’ignoble guerre algérienne, au son du canon et de la gégène. Je me rassure. RIEN. RIEN.

Ma tata Thérèse à moi (le livre tant attendu)

Il se trouve que ma tata Thérèse (rien qu’)à moi a un fan club parmi vous. Cinq membres, huit ? À distance, c’est difficile à évaluer. J’ai glissé ici même au fil des mois des histoires concernant ma tante, telle que je la voyais quand j’avais entre six et douze ans. Je l’aimais ! Ô comme j’aimais cette vieille folle ! J’ai donc raconté quelques souvenirs on ne peut plus véridiques, qui rapportent cette passion sans limites de ma tata pour les animaux. C’est destiné aux enfants, et jusqu’aux archi-vieillards dans mon genre. Si je vous colle ci-dessous une des aventures de ma tata, déjà publiée sur Planète sans visa, c’est que ce matin même, j’ai topé pour en faire un livre, qui devrait paraître aux éditions Sarbacane, où j’ai déjà publié deux bouquins pour les gosses.

J’ai topé. Avec Emmanuelle et Fred, les patrons de Sarbacane, des gens délicieux. Et puis avec une dessinatrice dont je ne donne pas le nom, parce que je ne lui ai pas demandé la permission. Sachez qu’elle est fameuse, excellente, et qu’elle saura faire revivre ma chérie de tante. Bon. C’est tout. Je crois que je n’oublie rien. Le texte ci-dessous est pour ceux qui l’auraient loupé la première fois. Qu’on se le dise, le livre contiendra plein d’inédits. Et voilà.

Thérèse et le perroquet

Ma tante Thérèse pensait à chaque seconde aux animaux. Ceux qu’elle avait, ceux qu’elle aurait, ceux qui étaient vivants, ceux qu’elle guérirait, ceux qui étaient morts, ceux qu’elle ressusciterait, ceux qu’elle arracherait pour finir aux griffes des affreux et des méchants. Comme tu le sais peut-être, ces deux dernières catégories sont assez nombreuses. Un jour, en se mettant à la fenêtre d’une des deux minuscules chambres, qui donnait sur la cour des immeubles de la rue Larrey, Thérèse a vu un perroquet qui volait, en liberté. Elle savait bien qu’il allait mourir, tôt ou tard. De froid ou de faim. Car un perroquet du Gabon ne mange pas des croûtes de pain de Paris, ou alors seulement en apéritif.

Alors Thérèse s’est mise à la fenêtre et elle a commencé à parler à l’oiseau. Au début avec sa voix à elle, comme un roucoulement grave de biquette qui se terminait neuf fois sur dix par une explosion de rire. Le perroquet paraissait se moquer d’elle, tu ne peux même pas imaginer. Il volait, disparaissait vers la Grande Mosquée, revenait, et repartait. Je crois qu’il avait décidé de la faire mariner. Mariner comme les sardines au fond de leur boîte pleine d’huile.

Alors ma tante a décidé d’utiliser les grands moyens. Elle a commencé à siffler comme un pinson, puis à parler du nez, un peu je dois dire comme un perroquet enrhumé. Rien à faire. L’oiseau échappé continuait à voler. Et cela a duré un jour, une nuit, un jour. Libre à toi de ne pas me croire. Je ne dis pas que Thérèse ne dormait pas, je jure qu’elle ne dormait presque plus. Elle veillait l’animal. Et le troisième jour, elle a choisi d’appeler le perroquet, tout simplement. En utilisant le prénom de son fils, Coco, ce qui tombait bien, non ? “ Coco ! Coco ! rentre à la maison ! ”. Comme ça. Cent fois. Deux cents fois. “ Allez, mon Coco ! viens voir maman ! tu vas attraper froid ! ”. Deux cents fois, trois cents fois. Si je peux me permettre, les voisins en avaient assez, tu peux en être sûr et même certain.

Dans l’après-midi du troisième jour, Thérèse piquait du nez contre le rebord de sa fenêtre, et elle ne savait plus où elle habitait. Elle continuait de temps en temps à lancer ses appels dans le vide, avec de moins en moins de conviction. C’est sans doute parce qu’il avait bon cœur que vers les cinq heures, sans s’annoncer, le perroquet a fait son entrée triomphale chez ma tante Thérèse. En une seconde fatale, il était entré dans la chambre, passant au-dessus de sa tête. Pour un peu, il serait reparti aussi vite. Mais ma tata savait être rapide comme l’éclair. À croire qu’elle faisait semblant de sommeiller, pour mieux l’amadouer : d’un coup, elle s’est relevée, et a fermé la fenêtre. Toc ! Coco venait d’entrer dans la grande famille de la rue Larrey.

Coco et le bruit de la banane

Le perroquet Coco s’était enfui de chez son ancien propriétaire, qui était un grand patriote. Ma tata Thérèse l’a compris le jour où il a commencé à siffler la Marseillaise, hélas en faisant des fautes terribles au passage. Le début était splendide, tonitruant, et j’accompagnais avec un vif plaisir l’animal. À pleins poumons, je hurlais sans aucune hésitation : “ Le jour de gloi-oi-r’ est arrivé ! ”. Mais cela se gâtait aux environs de : “ Entendez-vous, dans nos campagnes, mugir ces féroces soldats ? ”. Coco sautait carrément deux notes, et toute la chanson dérapait.

La Marseillaise devenait la Paimpolaise, ou pire encore, on ne reconnaissait plus rien. Autour de cette grave question, il y avait deux interprétations. Certains jours, Thérèse défendait bec et ongles le Coco. Pour elle, le perroquet avait appris la chanson sur un disque, qui était rayé, car à l’époque, mais oui, les disques pouvaient être rayés et radoter comme des petits vieux. Mais quand elle était furieuse contre sa ménagerie personnelle, ou pire encore contre Coco, l’infâme, l’insupportable Coco, elle disait que l’oiseau perdait la tête. La boule. Qu’il n’avait aucune mémoire.

Et là, je suis bien obligé de faire un commentaire, car c’est faux. Coco avait une mémoire d’éléphant, ce qui n’est pas si fréquent chez les volatiles. Un jour, j’étais assis à la table de la salle de séjour de tata Thérèse, et j’ai entendu dans mon dos un petit bruit que je n’ai pas reconnu tout de suite. Avant même que je me retourne, ma tante m’avait dit : “ Tiens, je t’ai épluché une banane ”.

Là, j’étais plutôt content, car j’aime bien les bananes, et j’avais justement reconnu le bruit étrange et délicat d’une peau qu’on casse avec le pouce avant de tirer sur les fines lanières pour manger le fruit. Avant de continuer à lire, pense à ce bruit dans ta tête, juste une seconde : tu casses la banane à la tête, et tu tires sur les rubans de sa peau. Tu y es ? Bon, on continue : je me suis donc retourné, et je n’ai pas vu de banane. Car il n’y en avait pas. En revanche, la tante Thérèse était là, elle, avec un rire de hyène tachetée qui barrait son visage. Il faut dire qu’elle imitait très bien ce carnassier, dans ses grands jours.

Thérèse a ricané, au moins trois ou quatre fois, vraiment très fort, et elle a dit : “ Et alors, elle est où, la banane ? ”. Moi, qui avais sept ou huit ans, pas plus, je ne savais absolument pas quoi lui répondre. Il n’y avait rien sur la table. Rien. Thérèse s’est tournée vers la cage de Coco – oui, elle lui avait trouvé une cage – et elle a annoncé, comme si elle présentait un artiste sur la scène : “ La banane, c’est lui ”. Et le plus incroyable, c’est que c’était vrai. Le bruit de la banane qu’on épluche, c’est Coco qui le faisait. À la perfection. Ce bruit phénoménal, je l’ai entendu des dizaines ou des centaines de fois. Et à chaque fois, j’ai aussitôt vu une banane dans mon imagination. Coco, lui aussi, était un magicien. D’ailleurs, je n’étais pas le seul à être trompé par lui. Quand l’envie lui prenait, il imitait la voix de ma tante Thérèse, sans trembler. Ce perroquet n’avait pas froid aux yeux, pour un perroquet. Et celui qui tombait dans le panneau, c’était un minuscule chien appelé Riri qui traînait toujours dans les pattes de ma tante, surtout dans la cuisine.

Voilà comme les choses se déroulaient. Ma tante préparait à manger dans la cuisine réservée aux fennecs et aux chats. Le chien Riri se frottait là-bas à ses jambes, car il adorait Tata. Pendant ce temps, j’étais assis à la table de la salle de séjour en train de lire les aventures de Blek le Roc, le grand héros de mon enfance. Entre les deux pièces, je te le rappelle, il n’y avait qu’un couloir. Eh bien, sans prévenir, avec exactement la voix de ma tante, Coco faisait : “ Riri, viens voir le susucre ”. Et aussitôt le chien arrivait en frétillant de la queue et tournicotait pendant trois minutes en attendant que tata lui donne une friandise.

Allez, je recommence pour ceux qui n’ont pas bien suivi. Le chien était dans la cuisine avec ma tante. Et donc, si la voix de Thérèse l’appelait dans la salle de séjour, c’est qu’elle avait trouvé le moyen de se couper en deux morceaux, l’un pour la cuisine, et l’autre pour la salle de séjour. Ou bien que le chien Riri n’avait qu’un tout petit pois dans la tête. Qu’il était bête comme un pou. Réellement couillon sur les bords. Mais ça, jamais je ne le penserai, car il ne faut pas dire du mal des morts, et Riri, qui m’aura tant fait rire, n’est plus de ce monde. Qu’il repose en paix !

Un autre trou de mémoire (sur l’eau et l’aluminium)

Il est temps que je vous prévienne, vous les bouffeurs de curés. Je suis chroniqueur au quotidien La Croix depuis 2003, et j’en suis très heureux. J’y écris dans le supplément du mardi, Science et éthique, au rythme d’une fois toutes les six semaines, ce qui n’est pas harassant. Un grand nombre d’entre vous semble avoir regardé le documentaire Du poison dans l’eau du robinet ?, qui vient de passer sur France 3. Cela m’a rappelé quelques souvenirs. Dont la chronique qui suit, et que j’avais écrite dans La Croix du mardi 28 septembre 2004. La voici, cash.

On arrive un peu tard, après la bataille, après en tout cas l’annonce d’un vaste plan ministériel contre la maladie d’Alzheimer, cette terreur moderne. On arrive un peu tard, mais peut-être bien trop tôt quand même. Pour mieux se faire comprendre, il faut évoquer l’itinéraire saisissant d’un homme rare autant que précieux, Henri Pézerat. Qui est-il ? Un toxicologue, directeur de recherche honoraire au CNRS. Au milieu des années 1970, lorsqu’il travaillait à l’université de Jussieu, il mena un combat acharné, avec quelques autres, contre le flocage par l’amiante des bâtiments, et de proche en proche, pour l’interdiction de son usage.

Nul ne fit davantage que lui pour parvenir à ce résultat, obtenu en 1997, alors qu’on connaissait les dangers du matériau depuis des dizaines d’années. Plusieurs milliers d’hommes et de femmes continuent de mourir chaque année en France d’avoir été exposés à ce poison au cours de leur vie.Pézerat est une sorte de Juste, un homme qui a été bousculé, tout au long de sa vie, par les pouvoirs et les institutions. Et qui le leur a bien rendu. Depuis qu’il est à la retraite, il est à lui tout seul un service public. On le questionne, on le sollicite d’un peu partout. Ici – à Commentry, dans l’Allier -, un syndicat lui demande d’éclairer le mystère de 10 ouvriers d’un même atelier atteints d’un cancer rare. Là – à Vincennes – des mères de famille vivant au-dessus d’un ancien site industriel cherchent à comprendre pourquoi plusieurs enfants, parfois très jeunes, sont atteints d’affections exceptionnelles. Il répond, quand il peut, quand il sait, avec prudence, sans jamais oublier qu’il est un scientifique.

Alzheimer, donc : 800 000 personnes touchées, 165 000 nouveaux cas par an, un cataclysme sanitaire, social, psychologique. Qui ne peut, à court et moyen terme, que s’aggraver : d’ores et déjà, 30 % des plus de 90 ans sont atteints. Henri Pézerat n’est évidemment pas un spécialiste d’Alzheimer, mais il lit à peu près tout ce qui est publié dans le monde sur les liens entre contaminations au sens large et santé publique. En février 2004, il a rédigé une note de six pages qui a aussitôt été adressée à la Direction générale de la santé et à l’Institut de veille sanitaire. Restée sans réponse.

Que dit-il ? Surtout rien d’arrogant ou de définitif. Il se contente, si l’on ose dire, de rapporter une série d’études épidémiologiques, faites dans six pays différents, et qui concluent à une augmentation notable de l’incidence de la maladie d’Alzheimer quand l’eau de boisson, celle du robinet, contient trop d’aluminium.

Pas de malentendu : Pézerat ne prétend nullement que l’aluminium serait la cause d’Alzheimer. S’appuyant sur ces études, qui comportent des éléments de preuve, il signale que l’aluminium pourrait être l’un des cofacteurs de la maladie, ce qui serait déjà une nouvelle fracassante. Et il recommande en conséquence l’adoption d’une norme européenne fixant par exemple la concentration maximale d’aluminium dans l’eau de boisson à 50 µg (microgrammes) par litre. Telle était d’ailleurs la valeur guide retenue dans une directive européenne de 1980, jetée depuis aux oubliettes. Le retour à 50 µg d’aluminium par litre au maximum obligerait les deux industries concernées (celles de l’aluminium et celle de la distribution de l’eau) à de considérables efforts : une grande partie de l’eau distribuée en France dépasse largement cette limite toute théorique.

Que penser de ces menus événements invisibles ? D’abord se souvenir du tabac inoffensif, et du paisible amiante dont des générations de « communicateurs » nous parlaient jadis. Ensuite, se poser des questions, encore et toujours. C’est conforme à la science, c’est nécessaire à l’éthique.

Allègre et Courtillot s’aiment d’amour tendre (séquence émotion)

Faites ce que vous voulez, exactement comme Claude Allègre et son élève et adorateur Vincent Courtillot. Le premier ne se présente plus. Quant au second, il est le directeur du prestigieux Institut de physique du globe de Paris. Le premier est le gros balourd que l’on sait, qui a écrit un livre stupéfiant sur le climat, L’imposture climatique. Stupéfiant, car comme l’a décortiqué le journaliste scientifique Sylvestre Huet (ici), il est truffé d’erreurs, d’inventions, de trucages. Jusqu’ici, Allègre était le « climatosceptique » bourrin, qui écrasait tous les parterres de fleurs et d’arguments à portée de ses lourds sabots. Et Courtillot, comme dans une mauvaise série policière, jouait le bon personnage, souriant et pondéré, avec qui on pouvait aller boire un verre en terrasse sans se déshonorer.

Fini. C’est fini. Dans un portrait signé Édouard Launet, publié le 13 mai (ici), Vincent Courtillot déclare exactement ceci, qui pèse quelques milliers de tonnes : «Lui [Allègre], c’est lui et moi c’est moi. Chacun son style. Ceci dit, son livre [l’Imposture climatique, ndlr] ne me paraît contenir que des choses exactes».

Autrement dit, et il n’y a plus aucun doute, Courtillot partage les vues d’Allègre et les grossières falsifications – je m’en tiens à deux exemples – des courbes et graphiques de Grudd et Sime. Je crois pouvoir dire que c’est un moment clé du débat vicié et vicieux sur le dérèglement climatique en France. Les deux compères principaux de cette énorme manipulation se retrouvent aussi nus que l’empereur du conte d’Andersen. Pour défendre les thèses de ces braves camarades qui s’aiment tant, il ne reste plus guère debout que Laurent Cabrol, le présentateur météo à la retraite. Ah ! que vienne enfin la tempête.