Archives mensuelles : janvier 2009

Élisabeth Badinter est-elle furieuse (contre moi) ?

Avant toute chose, cet aveu : je suis ignorant de bien des choses. Et peut-être n’est-ce qu’une alerte imbécile de ma part. En ce cas, et à l’avance, toutes mes excuses à qui me lira. Mais enfin, il se passe quelque chose de curieux sur le Net, le grand réseau de la liberté mondiale, comme chacun sait.

Il y a quelques jours, j’ai écrit ici un article très désagréable à l’encontre de madame Élisabeth Badinter. J’ai eu la curiosité deux jours plus tard de regarder si ce texte était référencé par Google, l’ami de l’homme, lorsque l’on tapait sur le clavier : « elisabeth badinter ». Et cela m’a fait rire, au point que j’y suis retourné. Le texte ne cessait de grimper, figurez-vous ! Il était environ dans les quinze premiers quand on cherchait à se renseigner sur la dame. Diable !

Et puis je suis passé à autre chose, car j’ai des occupations réelles, il ne faut pas croire. Mais ce matin du 12 janvier, j’ai recommencé, et là, surprise. Ô surprise ! Le texte avait disparu. Zou. Qui cherche des renseignements sur notre grande philosophe ne saura pas que je me suis moqué d’elle. Hasard des rencontres entre constellations ? Peut-être. Mais il y a cette mention au bas de la page Google, qui n’y figurait pas, et que je recopie : « En réponse à une demande légale adressée à Google, nous avons retiré 1 résultat(s) de cette page. Si vous souhaitez en savoir plus sur cette demande, vous pouvez consulter le site ChillingEffects.org. ».

En l’état, rien ne prouve qu’il s’agisse de mon article. Mais enfin, que penseriez-vous à ma place ? Je précise que nul ne s’est attaqué à l’article lui-même, que vous pouvez lire ou relire ici. Non. Simplement, il semble bien que Google, dûment avisé, ait décidé de ne plus associer une demande concernant madame Badinter et ma critique de sa pensée. Voilà qui pourrait faire réfléchir. Notre philosophe des Lumières aurait-elle des problèmes à régler avec la liberté de penser et de s’exprimer ? N’hésitez pas à m’aider, car j’en ai besoin.

Et au risque de me répéter, si je me trompe, mes excuses dès maintenant.

Rachida Dati la barbare (et ses chers amis)

Vous savez quoi ? La gerbe. On appelle cela vulgairement et justement la gerbe. Quand les aliments mal digérés remontent irrépressiblement et que tout finit à vos pieds. J’y suis, exactement. L’accouchement de Rachida Dati n’a rien à voir avec la crise écologique ? Il me semble que si. Je suis sûr que oui, à la réflexion.

Donc, la dame accouche par césarienne, selon un plan média particulièrement affûté. Et après cinq jours, laisse sa petite à une domestique – je doute qu’il faille écrire un – et puis s’en va comme si de rien assister au Conseil des ministres. Après avoir déclaré au journal Le Parisien : « Je reviens, mais avec pour moi une priorité qui est aussi ma fille ».

Je crois qu’il n’est pas injuste de souligner l’inventivité de madame Dati dans le domaine de la rhétorique. Paraissant dire quelque chose, elle nous livre son contraire en une seule et même phrase. Car qu’est-ce qu’une priorité ? Justement ce qui passe en premier. Or la ministre évoque deux priorités, sa charge et sa fille. Cette dernière, notez avec moi est “aussi” une priorité. Donc une affaire seconde.

J’ajouterais de manière peut-être injuste : seconde et infime. Voilà une femme de 43 ans qui donne naissance à une minuscule mouflette qui n’a rien demandé et commence pourtant sa vie avec le poids sur elle des pages les plus noires de Balzac. Nous sommes dans La Comédie humaine, pour sûr. Vautrin, alias l’abbé Herrera, rôde dans les parages de ce qui se transformera, tôt ou tard, en drame. Imaginez seulement, dans quinze ans, la petite Zohra découvrant par la lecture de la presse de ces jours les conditions folles de sa naissance. La question du père, dont tout porte à croire qu’elle n’est, pour madame Dati, qu’une affaire de pouvoir parmi d’autres. Imaginez.

Au-delà, cette fuite hors de la maternité – dans tous les sens du terme – est la négation même de la vie, du lien, du bébé, de la mère. Du corps des deux – pensez à ce qu’est une césarienne -, de cette relation qui ne se fera pas. Elle est la proclamation provocatrice de l’individu, qui aurait donc tous les droits. Dont celui de rembarrer l’histoire de l’espèce, l’amour pour ses petits, les règles sociales les plus élémentaires. Madame Dati est une barbare. Et il est donc logique qu’elle se trouve en poste dans un gouvernement barbare désigné par un chef barbare, inculte, insignifiant et pourtant puissant, monsieur Sarkozy.

On ne peut rien attendre de gens qui, comme eux, ne considèrent que l’instant, la microseconde, la parade, le reflet dans le miroir, le téléphone portable allumé en toute occasion, même au cours d’une audience papale (ce fut le cas pour notre président l’an passé). Je me souviendrai longtemps de la petite histoire suivante : il y a dix-huit mois, quand Cécilia s’appelait encore Sarkozy, madame Dati trompettait dans tout Paris que la femme du président était sa « soeur ». Avant de la jeter aux chiens dès que le maître courut à d’autres fantaisies.

Je plains de toute mon âme la petite Zohra. Je lui souhaite le meilleur, tout en craignant le pire. Le rapport de tout cela avec la crise écologique ? Mais voyons, vous le savez tout comme moi. Pour affronter l’incroyable destruction de la vie sur terre, il faut tresser sans relâche. Entre individus, tribus, peuples et sociétés. Il faut du temps, de l’altruisme, de l’amour, de la tendresse, de l’attention, de la réflexion, il y faut, il y faudra, il y faudrait tout le génie de l’homme, et davantage encore. Les tristes sires qui règnent sur notre monde malade n’ont pas cela en rayon. Tout ce qu’ils ont à nous offrir, c’est eux. I don’t buy it. Et je les maudis.

PS : Madame Dati est une grande amie de notre sous-ministre à l’Écologie, madame Kosciusko-Morizet, celle qui fait des bises à Bové, lequel le lui rend bien. Extrait d’un article récent du journal Le Monde : « C’est l’acte de naissance du « G2 ». Cette appellation a surgi lors d’un entretien croisé donné par les deux femmes au quotidien Sud-Ouest à la faveur de l’université d’été des jeunes UMP à Royan, à la fin de l’été. Au journaliste qui leur demandait si elles n’étaient pas déçues de ne pas appartenir au « G7 » qui réunit chaque semaine sept ministres autour de Nicolas Sarkozy, les deux femmes ont répondu en substance : « On s’en moque, nous on fait notre G2 ! » Dont acte. Une fois par mois, les deux femmes partent ensemble pour une demi-journée « sur le terrain » à la rencontre de leurs électeurs ». Tellement chou.

Élisabeth Badinter, Publicis et les Précieuses ridicules

Ce qu’est l’esprit d’escalier. Acte un : il y a quelques jours, j’entends sur France-Inter un matin la philosophe Élisabeth Badinter. Et je dresse l’oreille, bien que n’ayant jamais lu le moindre livre d’elle par le passé. J’ouvre l’oreille, car je sais qu’elle représente au mieux l’idéologie « progressiste » de gauche – caviar, s’entend – et féministe. En outre, comme il s’agit apparemment d’une émission consacrée à sa personne, madame Badinter s’en donne à cœur joie sur elle-même et son destin sur terre.

N’ayant pas pris de notes alors, il est possible que je me montre imprécis, mais l’essentiel est dans ce qui suit, il n’y a pas de doute. Madame Badinter disait combien elle regrettait le Siècle des Lumières et des salons intellectuels. Comme cette époque avait été brillante. Comme on y avait pensé pour le plus grand bien de l’homme et des sociétés. Elle déclarait même une flamme posthume à D’Alembert, ce philosphe co-auteur de l’Encyclopédie. Bref, elle avait le sentiment que vivaient alors des géants.

Et maintenant ? Ah, maintenant. Madame Badinter trouvait notre temps et ses usagers médiocres. Très médiocres. Elle se sentait, elle la philosophe quasi-officielle, comme un borgne au royaume des aveugles. Cette dernière expression est d’elle, je l’assure. Elle estimait que notre siècle aurait dû savoir penser la mondialisation – au moins – et qu’il s’en montrait incapable. On lui aurait offert un remontant.

Acte deux, Kempf. Hervé Kempf, journaliste au Monde. C’est un homme que je connais depuis vingt ans et que j’apprécie beaucoup sur le fond, même s’il m’arriva plus d’une fois de me heurter à lui. Hervé est un excellent homme, et un journaliste de grande qualité. Je viens de recevoir son dernier livre ( « Pour sauver la planète, sortez du capitalisme », Le Seuil), dont j’essaierai de faire la critique plus tard. Je précise, et c’est une incise, que c’est un bon livre, très agréable à lire par ailleurs. Un bon livre, même si je pense très différemment de lui.

Kempf, donc. Page 62 de son livre, il attaque madame Badinter. Il y écrit exactement ceci : « On ne verra pas une coïncidence dans le fait qu’une philosophe favorable à la liberté de prostitution, Élisabeth Badinter, se trouve détenir 10,32 % du capital d’une des plus grandes compagnies de publicité du monde – Publicis – au conseil d’administration duquel elle a sa place ». Pour Kempf, que je rejoins intégralement, la publicité a joué un rôle clé dans la marchandisation du corps humain, exploitation sexuelle y compris. Je me souviens de ces féministes qui défilaient aux cris de : « Notre corps nous appartient ». Je criais alors avec elles. Je ne le ferai plus, car nos corps appartiennent désormais à TF1, à Coca, à la pub en général, à tous ces foutus salopards ivres d’eux-mêmes.

Acte trois : je découvre avec près de cinq ans de retard un échange épistolaire entre l’association écologiste Les Amis de la Terre – salut, au passage – et madame Badinter. Il s’agit d’une polémique et je vous invite à lire les courriers (ici), car ils ne manquent pas d’intérêt. En deux mots, nous sommes au début de 2004 et Métrobus – Publicis – réclame un million d’euros à 62 rebelles qui ont osé tagguer quelques saloperies publicitaires dans le métro parisien au cours de l’automne 2003. Un million d’euros. Publicis, où madame Badinter joue un rôle premier. Les Amis de la Terre envoient un courrier précis à la philosophe, dans lequel ils notent « la disproportion manifeste entre les sommes plusieurs fois supérieures aux revenus de toute une vie qui leur sont réclamées et la situation matérielle de ces citoyens souvent très modestes (…) Ce harcèlement judiciaire est d’autant plus choquant que les “barbouillages” qui justifieraient, selon Publicis, cette action, posent des questions légitimes sur la dégradation croissante du service public des transport en terme de cadre de vie, de développement durable et de liberté d’expression ».

C’est net, n’est-ce pas ? Le 1er mars 2004, madame Badinter répond. Et c’est beau comme l’antique. Pas comme D’Alembert, mais presque : « Quand vous parlez de dégradation de la qualité de vie dans le métro, note–telle, je suis obligée de vous répondre, que la Régie, depuis quelques années, rénove l’ensemble de ses stations et modernise de manière évidente, pour qui les utilisent, les transports en commun, les matériels comme les stations. Je ne crois pas par ailleurs que les voyageurs de la ligne Météor trouvent que le cadre de vie du métro se dégrade ».

Un premier commentaire : génial. Madame Badinter, qui n’a pourtant aucun rapport autre que commercial – les affiches – avec la RATP, se sent obligée de prendre la défense de l’entreprise. Deux, et même si je n’ai pas la moindre preuve, j’avancerais audacieusement l’hypothèse que madame Badinter ne prend jamais le métro. Ou peut-être de temps à autre entre Saint-Placide et Odéon ?

Deuxième extrait : « De manière plus générale, votre courrier manifeste un rejet de la publicité pour tout ce qui ne convient pas à votre éthique personnelle. On peut certes regretter que notre société produise des biens jetables plutôt que durables. Je pense contrairement à vous, que le consommateur n’est pas dénué de discernement, qu’il a le sens de ses intérêts et sait très bien choisir ce dont il a besoin. Enfin, il me semble qu’il faille rendre grâce à la liberté du commerce et de l’industrie car je ne connais pas de pays démocratiques où elle n’existe pas, même si l’inverse n’est pas toujours vrai ».

Deuxième commentaire, et derechef : génial. Sans publicité, sans désorganisation voulue et accélérée de l’esprit humain, pas de démocratie. N’ouvrez plus la bouche, petits imbéciles des Amis de la Terre, car vous n’êtes en réalité que des fantoches au service de l’entreprise totalitaire. Et comme c’est moi qui vous le dis, moi l’icône du Nouvel Observateur et de toute la gauche bien-pensante, eh bien c’est vrai. Quelqu’un aurait-il l’audace d’ajouter un mot ?

Oui, quand même. Cette pauvre madame Badinter fait franchement pitié. Elle qui aimerait tant que les gens bien élevés réfléchissent ensemble, dans le VIème arrondissement de Paris, à ce que signifie la mondialisation, n’est pas même capable de seulement évoquer la crise écologique. L’événement le plus colossal de l’histoire de l’homme se déroule sous son nez même, et elle ne l’entrevoit pas ! Seulement borgne, vraiment ? On se rapproche ainsi, sans bien s’en rendre compte soi-même, de la sottise la plus fate qui se puisse concevoir.

Je vous invite à relire, madame – à lire, peut-être ? -, une pièce de l’admirable Jean-Baptiste Poquelin, alias Molière. Je sais, il n’est pas du siècle de votre gôut. Il a cent ans de moins. N’importe, Molière a assez bien décrit le monde réel, ce me semble. Quelle pièce ? Mais Les Précieuses ridicules, bien entendu ! Je vous raconte, pour le vif plaisir de me remémorer les scènes elles-mêmes. Soit ce couillon de Gorgibus, père de Magdelon et oncle de Cathos, deux jeunes filles en âge de se marier. Mais les deux se moquent cruellement de leurs prétendants officiels, La Grange et Du Croisy.
Ils ne conviennent pas, car comme elles sont influencées par les salons littéraires qu’elles fréquentent, Magdelon et Cathos attendent mieux. Et trouvent, en la personne du marquis de Mascarille et du vicomte de Jodelet. Lesquels sont faux, faux, FAUX. Ce sont en réalité les valets de La Grange et Du Croizy, que leurs maîtres ont déguisés pour mieux tromper les Précieuses ridicules, qui s’amourachent donc d’ectoplasmes.

Toute ressemblance avec madame Badinter, grande, noble, haute, admirable, miraculeuse figure de l’intelligentsia française de ce début du XXIème siècle, serait à n’en pas douter une curiosité. Mais le monde n’est-il pas curieux, ces temps-ci ?

Massacre à la française en Nouvelle-Calédonie

Imaginez, un instant seulement, que nous ne soyons pas les personnages d’une grandiose farce médiatique. Une seconde, le temps de lire ce qui suit. Les associations écologistes dûment agréées – France Nature Environnement, LPO, WWF, Greenpeace, Fondation Hulot – n’auraient pas vendu leur âme à monsieur Sarkozy en échange de risettes. Le Grenelle de l’Environnement, l’une des plus belles entourloupes que je connaisse, n’aurait pas eu lieu. Bref, rêvons un court moment.

Alors, une grande bataille commencerait aussitôt. Alors, une pétition de deux à trois millions de signatures au moins flamberait d’un bout à l’autre du pays. Des milliers d’activistes, au lieu de pratiquer du matin au soir le fundraising et autres fundmailing lists *, qui transforment les hommes en spectateurs de la destruction du monde, sauteraient d’une cage d’escalier à l’autre pour alerter sur une énorme, HÉNAURME – merci, cher vieux Jarry – saloperie française.

Je veux parler de la Nouvelle-Calédonie, qui est à nous, puisque c’est écrit dans les livres. La Nouvelle-Calédonie est ce que l’on appelle un « point chaud » ou hot spot de la biodiversité mondiale. Brûlant, même. La notion de hot spot n’est pas une guignolade de plus. Le biologiste Norman Myers l’a introduite dans l’univers scientifique en 1988 en croisant trois données : la richesse en espèces d’un territoire, sa surface, et les menaces que les hommes lui font subir. Et Myers a retenu dans son classement mondial dix-huit « points chauds ». Dix-huit pour la planète entière, dont la Nouvelle-Calédonie.

Étonnant, n’est-il ? Cette île du Pacifique ne fait après tout que 18 000 km2 environ, soit trois fois le département de la Corrèze. Ce n’est donc pas une immensité, je crois que nous serons d’accord. Et pourtant, cette île est « notre » archipel des Galápagos, une merveille si impressionnante que j’en frissonne un peu en écrivant son nom.

Pour bien comprendre, considérons ensemble l’histoire, géologique s’il vous plaît. Vestige de l’ancien continent appelé le Gondwana, dont elle s’est séparée il y a 70 millions d’années, la Nouvelle-Calédonie a embarqué au cours de sa lente dérive une sorte d’Arche de Noé de la flore de cette lointaine existence. Certains pensent qu’elle a pu être engloutie à certaines époques, d’autres qu’elle a toujours eu au moins une partie émergée, ce qui expliquerait qu’elle ait conservé de telles reliques du temps des dinosaures. Pendant un temps immensément long, la Nouvelle-Calédonie a vécu dans un isolement complet.

Presque complet. Certaines espèces de la faune et de la flore ont pu atteindre les côtes kanakes depuis l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. Mais pour l’essentiel, l’héritage provient du Gondwana. Des espèces, mais aussi des genres, et mêmes des familles – au sens taxonomique – n’habitent que la Nouvelle-Calédonie. Elles sont dites endémiques : on ne les trouve nulle part ailleurs sur terre. J’arrête là le cours, ou plutôt je l’abrège : parmi ces merveilles, l’Amborella, vieille d’au moins 130 millions d’années et considérée souvent comme la plus archaïque des plantes à fleurs sur terre.

Donc, une merveille comme on n’en retrouvera jamais, quoi qu’on fasse. Quoi que veuille notre immense Nicolas Sarkozy. Et elle est saccagée d’une manière innommable et scandaleuse. Par nous, les Français qui aimons tant donner des leçons à l’univers. Cela n’a pas commencé avec la droite, pensez, et cela ne s’arrêtera pas à son départ. Le nickel, cette malédiction, est en train de détruire ce que l’évolution a mis des millions d’années à imaginer, dans sa folie créatrice.

Le nickel. La Nouvelle-Calédonie contient environ 20 % des réserves mondiales. Un Eldorado pour transnationales. Un enfer pour la nature. Je viens de recevoir une étude passionnante de deux chercheurs, Bertrand Richer de Forges et Michel Pascal. Elle a paru dans Le Journal de la Société des Océanistes, mais ne sera mise en ligne qu’en 2011 (ici). D’ici là, je crains qu’il ne faille me faire confiance sur son contenu. Que révèlent ces deux vaillants chercheurs – je les salue, ils le méritent – sur le drame en cours ? D’abord, la stupide exploitation forestière a fait disparaître, en un siècle, les deux tiers de la couverture d’origine. Combien d’espèces à jamais disparues ? Des centaines, des milliers ?

Ensuite, l’exploitation minière, dont les sites mais aussi les prospections fragmentent et font disparaître des habitats entiers. La Nouvelle-Calédonie est en effet le paradis du micro-endémisme. Une espèce unique au monde peut exister sur seulement quelques km2. Une piste, un trou suffisent à la condamner à mort. La seule mine de Goro, au sud, a conduit à la destruction des habitats sur plusieurs dizaines de km2, et les zones potentiellement perturbées au sud d’une ligne Yaté-Mont Dore pourraient atteindre 600 km2. Le bilan général est pour l’heure impossible à faire, mais il est épouvantable. La France, notre pays, commet l’irréparable. Je vous livre quelques mots de la conclusion de Richer de Forges et Pascal, qui se passent de tout commentaire : « On est bien loin de la “ bonne gouvernance” prônée par le Grenelle de l’environnement. Il faut, en effet, beaucoup de cynisme pour qualifier ces exploitations minières de “développement durable” car il n’y a rien de moins durable que les espèces qui disparaissent de la planète ! ».

Je vous le dis, je vous en prie, si vous pouvez, criez. Hurlez. TOUT DE SUITE.

* il s’agit de méthodes marketing qui permettent de lever des fonds auprès des particuliers. Par démarchage, notamment électronique, par la grâce d’Internet. Avec variantes jusque sur les places publiques. Le résultat est connu : des milliers de gens paient pour regarder des salariés (et quelques bénévoles) d’ONG mimer la contestation du monde. Faut-il applaudir ce triomphe du spectacle et de la délégation ?

Ça se passe comme ça chez McDonald’s

Je ne vous ferai pas l’injure de penser que vous ignorez tout de lui. Lui. François Villon. Mon Dieu, ai-je le droit de l’écrire ? Il est pour moi un frère lointain. Un voyou. Un authentique truand du XVe siècle. Un incroyable et frénétique rebelle à l’ordre en place. Né en 1431, il blesse mortellement, au cours d’un duel, celui qui – peut-être – lui aurait disputé le cœur d’une belle. Je le reconnais, cela ne se fait pas.

Pour parler sans détour, Villon n’aura jamais fait que le con, tout au long de sa vie repérable. Il est probable qu’il s’acoquina avec les Coquillards, une bande connue de malfrats, mais les preuves réelles manquent. Le sûr, l’à-peu-près certain, c’est qu’après 1463, Villon disparaît définitivement. Qu’est-il devenu ? A-t-il vécu ? A-t-il été pendu quelque part ? Mystère. À trente-deux ans, rideau.

C’est à lui que j’ai pensé tout à l’heure, de façon acrobatique, j’en conviens. Je découvrais un entretien avec Steven Chu, le nouveau secrétaire d’État à l’énergie des États-Unis. Prix Nobel de physique 1997, Chu a dirigé le Laboratoire national Lawrence Berkeley, en Californie. On le sait très sensible à la question climatique. On le pense même écologiste. Certains, dois-je aussitôt ajouter.

Eh bien, pourquoi ce cher Villon ? L’un de ses poèmes les plus connus, La Ballade des pendus, commence de la sorte :

Frères humains qui après nous vivez
N’ayez les cœurs contre nous endurciz,
Car, ce pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merciz.

Il y a un rapport, en tout cas pour moi. J’y lis la considération réelle d’un homme – il est alors en prison, si je ne me trompe – pour ceux qui viendront après lui. Et comme il sait ce que nous sommes, il ne demande que peu. Que le cœur de nos descendants ne soit pas trop endurci contre nos innombrables faiblesses. Qu’on nous pardonne un peu, un tout petit peu. Que l’on nous prenne en pitié, s’il le faut !

Chu, donc. L’essentiel de la presse mondiale, fût-elle (autoproclamée) sérieuse, prétend que la nomination de Steven Chu change la donne. Eh bien, ce n’est pas vrai. Chu est, à sa manière, qui diffère du commun, un scientiste. Un scientifique profondément convaincu que la technologie sauvera le monde de ses insupportables contradictions. Il ne sait ce qu’est une société. Il ignore ce qu’est la justice. Il est incapable de comprendre qu’un monde qui ne lève pas ses milliards de gueux pour changer le cours des choses n’a pas une chance devant lui. Bref, ce très brillant esprit est un imbécile. Mais chut ! il ne faut pas dire cela. Un Villon, je vous le jure, aurait sans douté écrit cette vérité plus entière : Chu est un connard. Il l’est.

Il l’est. Voici un extrait d’un entretien accordé au journaliste du Nouvel Observateur Claude Soula quelques jours avant d’être nommé par Obama. Lisez lentement. Moi, j’en souffre lentement, je vous le dis (ici) :

Le Nouvel Observateur – On dit que vous avez réorienté le Berkeley Lab sur l’environnement ?

Steven Chu – Depuis les années Carter, la recherche sur les énergies non fossiles était au point mort. Il fallait donc inciter nos meilleurs cerveaux à se pencher sur la question. Avec le projet Helios, nous travaillons sur les biocarburants de deuxième génération, les panneaux solaires avancés, les matériaux de construction écologiques, la capture et la séquestration du carbone… Cela représente plus du quart de notre budget annuel (650 millions de dollars).

N. O. – A vous entendre, l’environnement est « la question la plus importante que la science et la technologie aient jamais eu à résoudre »…

S. Chu – Il est bien sûr important de faire progresser la science médicale. Si nous n’arrivons pas, par exemple, à soigner tel cas de cancer du cerveau, certains malades mourront. Mais si on ne résout pas la question environnementale, c’est l’humanité entière qui souffrira. S’il y a, comme le prédit le rapport Stern, 50% de chances pour que la température augmente de 5 °C dans cent ans, des millions de gens mourront, des milliards deviendront des réfugiés climatiques, des espèces disparaîtront…

N. O. – Vous avez signé avec British Petroleum un contrat de recherche à 500 millions de dollars sur dix ans. Pour quel objectif ?

S. Chu – Nous travaillons sur les biocarburants dérivés de plantes, à la fois à travers ce partenariat et dans un nouveau centre de recherches financé par le ministère de l’Energie. Les biocarburants de première génération, comme l’éthanol de maïs, n’ont pas un bilan énergétique satisfaisant. Ils entrent en compétition avec les cultures alimentaires. Les biocarburants de demain seront fabriqués à partir de la cellulose de déchets végétaux ou de plantes dédiées, utilisant peu d’eau, pas de fertilisants, sans vocation alimentaire. Par exemple les pailles de riz, les résidus forestiers, ou certaines graminées tropicales comme le miscanthus. Produire ces biocarburants à un coût intéressant demande des percées scientifiques majeures, notamment en biologie synthétique.

N. O. – C’est-à-dire ?

S. Chu – II faut fabriquer de nouvelles formes de communauté microbienne, capables de déstructurer la cellulose des plantes et d’optimiser le processus de fermentation des sucres libérés. Nous étudions de près les micro-organismes qui prolifèrent à la surface des marais tropicaux ou colonisent l’estomac des termites.

Vous ferez le commentaire qui vous convient. Vous êtes assez grands, ma foi. Mais voici le mien, qui pourrait emplir un livre. Rassurez-vous, ce sera plus court. Cet excellent M. Chu note comme en passant que les biocarburants actuels « entrent en compétition avec les cultures alimentaires ». Et non pas pour clamer cette évidence humaine qu’on ne peut admettre leur déferlement. Qu’on ne peut admettre qu’Obama soutiendra de toutes les forces de l’Empire la culture de maïs destiné au réservoir des SUV et autres 4X4 de là-bas (ici). Oh non, M. Chu est bien trop intelligent pour laisser parler son cœur et son âme. Pensez donc.

M. Chu songe déjà aux biocarburants de deuxième génération, pour l’heure purement virtuels. Qui ne servent qu’à la propagande en faveur de ceux de la première génération. Ceux qui affament les vrais pauvres du monde. M. Chu, comme tous les gens de sa misérable caste, nous promet donc que, dès demain, on rasera gratis. On séquestrera le carbone, on capturera l’énergie du soleil au lasso, et l’on continuera à bouffer du McDo sans faire progresser l’artériosclérose.

Ô Frères humains qui après nous vivez.

PS 1 : Je dois ajouter que l’orthographe de la Ballade des pendus est fluctuante, ce qui n’étonnait personne à cette époque. J’en ai donné une version, il en est d’autres. J’ai par exemple écrit cœurs, alors que j’aurai pu mettre cuers. Mais alors, on n’aurait plus rien compris. Il me semble.

PS2 : Je viens de changer un mot dans le texte qui précède. Par une terrible erreur – de bonne foi -, j’ai attribué le mot de marlou à ce diable de Villon. Or marlou – remplacé depuis par truand – est un mot parfaitement déshonorant puisqu’il désigne un proxénète. Ce que Villon ne fut jamais, à ma connaissance en tout cas. Je dois avouer que j’avais oublié dans un premier temps le sens du mot marlou. Je pensais qu’il voulait dire louche et même pire. Mais certainement pas maquereau. J’ai ainsi calomnié Villon par un épouvantable lapsus scriptae. Qu’il veuille bien me pardonner.