Sur Soljenitsyne et les juifs (Une réponse pour Hacène)

Ce texte est une réponse à l’un des lecteurs de ce blog, Hacène. Comme il parle de Soljenitsyne et de questions qui ne traitent pas du sujet de ce rendez-vous avec vous – la crise écologique -, je souhaite vous en prévenir.

Hacène a envoyé un commentaire à la suite d’un papier récent sur Soljenitsyne, et j’ai jugé bon de mettre ma réponse ici même, pour que chacun la connaisse. Mais d’abord, le petit mot d’Hacène : « Fabrice, parmi vos lecteurs, il y a des ignards, comme moi. Notamment sur le cas Soljenitsyne. On trouve beaucoup d’infos peu développées sur le Net, qui effectivement nous disent qu’il était antisémite. Et d’autres qui nous disent que tout n’était pas si simple. A l’occasion, en quelques phrases, pourrais-tu nous éclairer un peu ? ».

Je comprends très bien que mon éloge de ce vieux barbu, qui a en effet serré la main de Poutine, paraisse un tantinet bizarre. Je l’ai même présenté comme un frère. Alors ? D’abord, on peut sentir une présence fraternelle sans tout apprécier d’elle. Nous sommes d’accord, n’est-ce pas ? Je ne partage rien de certaines pensées et de plusieurs écrits de Soljenitsyne. Il avait la foi – orthodoxe – chevillée au corps. Pas moi. Il fantasmait une Russie ancienne qui aurait été détruite par le bolchevisme à la racine. Il y a beaucoup de vrai dans cette pensée-là : une structure sociale bien plus intéressante que ce que la vulgate marxiste en a dit pendant des décennies, a bel et bien été broyée par l’expérience révolutionnaire de 1917. La paysannerie, notamment, qui recelait des trésors pour un avenir meilleur de la Russie, a disparu sous le knout de la Tcheka, puis du KGB. Or elle était la colonne vertébrale de ce pays-là, qui ne s’en est jamais remis.Mais Soljenitsyne allait plus loin. Il croyait à une sorte de « génie national » russe, qui n’excluait d’ailleurs pas le respect pour des traditions différentes. Il estimait en tout cas que son pays avait été moqué, sacrifié, calomnié, massacré comme peu d’autres dans l’histoire, et que l’Occident donneur de leçons s’en était désintéressé.

Il est par ailleurs certain qu’une partie des juifs habitants la Russie ont joué un rôle essentiel dans la destruction de l’ordre ancien tsariste. Venons-en donc à l’antisémitisme. C’est pour moi une sorte d’horreur suprême. Je vomis pour sûr le racisme, mais l’antisémitisme, dans un monde où existent encore des contemporains de la tentative de destruction des juifs, me rend instantanément brutal et même violent. J’ai mené le combat contre le racisme toute ma vie, et à certains moments en utilisant sans hésiter des méthodes illégales autant que singulières. Il y a des témoins de ce que je vous écris. Et je ne regrette rien.

Soljenitsyne avait un problème avec certains des juifs de son pays. Pour la raison que j’ai indiquée : le parti bolchevik, la Tcheka dès sa naissance, les « organes », comme on appelait alors l’appareil de répression, ont compté de nombreux juifs dans leurs rangs. Comme sa pensée se déroulait dans un autre espace-temps que le nôtre, celui des vieilles frontières et des nations anciennes, il parlait sans cesse de la Russie et des Russes, comme s’il s’agissait d’une entité. Ou des juifs, de même. N’oublions jamais que l’histoire que nous connaissons, celle de 1789 par exemple, n’a jamais traversé réellement la conscience de beaucoup de Russes de l’époque de Soljenitsyne. Et de bien de ses compatriotes d’aujourd’hui.

L’écrivain avait le sentiment écrasant de la perte, qui se confondait au reste avec une foi religieuse que, pour ma part, je juge obtuse. Pour lui, une immense richesse morale et spirituelle avait été purement assassinée par Lénine, Staline et consorts. Or, des juifs ont concouru à ce désastre, bien plus nombreux dans les hauts échelons, en proportion, que les non-juifs. Cela s’explique aisément, à mes yeux en tout cas. Le juifs de Russie, de nombreux juifs de Russie cherchaient au début du 20ème siècle les moyens d’une émancipation qui leur permettrait d’échapper à la menace des pogroms et des numerus clausus qui leur interdisaient tant de professions.

Excusez, je suis bien long. J’abrège donc. Soljenitsyne a écrit dans la dernière partie de sa vie un livre en deux tomes sur les liens unissant juifs et Russes, Deux siècles ensemble. Mon Dieu, c’est un peu beaucoup barbant, et la deuxième partie, que je n’ai d’ailleurs pas achevée, est chiante. Et il est certain que Soljenitsyne écrit bien des choses désagréables sur les relations entre ces deux peuples. MAIS ! Mais voici aussi ce qu’il écrit sans aucune hésitation : « J’en appelle aux deux parties – russe et juive – pour qu’elles cherchent patiemment à se comprendre, à reconnaître chacune sa part de péché ».

Certes, on peut détester ce ton de religiosité. Mais ces mots sont fondamentaux dans la vision qu’avait Soljenitsyne des juifs de son pays. Il considérait l’histoire comme un affaissement des consciences, dont il fallait constamment ranimer la flamme, une flamme pour lui divine. Il était Russe, d’autres étaient juifs. Mais les deux avaient gravement fauté. Gravement.

J’ajouterai pour finir deux points. Un, Georges Nivat. Il est le traducteur principal de Soljenitsyne, et sans doute est-il le meilleur connaisseur en France de son oeuvre. Car ne l’oublions jamais, ceux qui aboient devant le cercueil n’ont le plus souvent rien lu de l’écrivain, sauf parfois ses tout premiers romans. Nivat est un homme de vaillance, de coeur et d’érudition, et il note (ici) : « Non, Soljenitsyne n’a pas écrit un livre antisémite. Il en est incapable ».

Deuxième point qui n’a (presque) rien à voir : sa seconde épouse est juive, et suivant certaine tradition, ses enfants le sont. Cela ne prouve rien ? Certes, mais signifie quand même quelque chose. Soljenitsyne s’est trompé à de très nombreuses reprises, et son esprit n’était exempt ni de contradictions ni même (parfois) d’injustice. Il serait aisé de pointer ici ou là, notamment à propos des juifs, ce qu’il devait au temps qu’il avait vécu, à l’espace d’où il venait, au cauchemar qu’il avait enduré. Mais je vous le dis, mais je te le dis Hacène, et par pitié, réservons le sceau de l’infamie à ceux qui le méritent vraiment.

PS : Notre France chérie a formé, entraîné, financé l’armée du Rwanda pendant de longues années. Nos officiers présents sur place ont permis au régime génocidaire de contrer plusieurs offensives du FPR, parti de Paul Kagamé aujourd’hui au pouvoir, avant l’offensive finale. Nos services de renseignement sur place avaient toutes commodités pour savoir tout ce qui se disait parmi les initiés – car ils ont existé – de l’immense crime de masse de 1994. Mais nous n’avons rien fait ni tenté, car nous ne savions  rien. Crédible, non ? Qui irait accuser MM.Mitterrand et Balladur d’un quelconque racisme, dites-moi ? Vous ?

8 réflexions sur « Sur Soljenitsyne et les juifs (Une réponse pour Hacène) »

  1. Fabrice,
    Grand MERCI ! J’ai désormais une idée plus juste de la polémique, je veux dire de ce qui la sous-tend sans l’étayer. Demander l’opinion d’une personne qui n’est certes pas d’un cercle intime, mais dont on sait les engagements, dont on apprécie les idées et les mots, ce n’est pas laisser les autres penser pour soi-même. Hein Sylvie 😉 ?
    Diantre, je ne pensais pas recevoir une telle réponse! Si c’est l’idée que tu te fais, Fabrice, de « quelques phrases », alors j’espère que tu nous gratifieras encore de « quelques » livres…
    MERCI

  2. Salut Fabrice, par la même occasion tu pourrais peut être nous expliquer ce qu’est le fascisme? parce que en dehors du fait qu’un facho( d’ailleurs la différence avec nazi?)est un gazeur de juifs,une intelligente bête à tuer, un cancer qui voulait anesthésier et faire ramper l’humanité sous sa botte ,le mal personnifié etc… en fait c’est quoi…

  3. Bonjour,

    Pardonne-moi à l’avance, mais je ne suis pas, ni ne veux devenir professeur de quoi que ce soit. Je dis cela sans vouloir me montrer désagréable, mais enfin, c’est un point nécessaire. Et puis, malgré certaines incursions qui me mènent ailleurs, ce blog est destiné à parler de la crise écologique. Si, sur ce chemin, je dois préciser ce qu’est – à mes yeux – le fascisme, tu penses bien que je le ferai. Mais là, non, désolé.

    Fabrice Nicolino

  4. Rebonjour Fabrice,
    avec tout le respect ,je sais qu’il y a des questions auxquelles tu n’aimes pas ou ne veux pas ou ne peux tout simplement pas répondre.Je me permettais de te poser directement cette question puisque ce mot de fasciste a été utilisé par un commentateur de ton blog ;un peu à la légère,un peu comme nombre de ces mots clichés qui servent plus d’insultes , on va dire même qu’ils créent des camps,les pour et les contres, les salauds et les purs, les bons à abattre et ceux à glorifier.Parce que j’ai vraiment l’impression qu’en fait beaucoup sont incapables de répondre à cette question, et je trouve que c’est grave. »qu’est ce que le fascisme »;c’est tout, et tu n’es en effet pas un enseignant, même si tout homme l’est quelque part ou devrait l’être dans ce qu’il sait;je pensais que tu te serais fait un plaisir d’expliquer,si tu savais bien sûr.Je vais donc me renseigner et continuer ma culture générale.J’ai lu dans un livre d’histoire de terminal que les trentes dernières années du XX è siècles se caractérisent par une acculturation dans notre pays en tout cas.Vu mon immense ignorance ,je confirme.

  5. Pour Hacène : je suis d’accord. Simplement – parce que j’ai eu des parents staliniens peut-être? – je me méfie instinctivement de tout ceux qui de près ou de loin, et parfois tout à fait inconsciemment, se posent ou que l’on fait poser comme maîtres à penser.

  6. Je viens de terminer le 2ème tome de « Deux siècles ensemble ».
    Je vous attendais au virage,et mon attente a été déçue car force m’a été de reconnaître la pertinence,l’honnêteté,la recherche d’objectivité de votre « abstract »,même si vous vous êtes arrêté en cours de chemin.Je me permets de vous conseiller de reprendre la route en compagnie de celui qui aurait du être (sans le goulag)le plus grand des écrivains russes de tous les temps.Si le tome 2 peut paraître par moment « chiant »,c’est du à la méthode historique que Soljenitsyne s’est imposée pour écrire cette somme, en se fondant UNIQUEMENT sur des textes OFFICIELS,de » quelqu’origine qu’ils fussent !D’où les références en bas de CHAQUE PAGE des 2 ouvrages qui feront certainement date,plus tard,lorsque les nouvelles générations de juifs seront sortis de la « shoah business »,mais c’est pas demain la veille !

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