Je commence ici une série de divagations concernant la question centrale de l’autorité. Qui, bien qu’étant centrale dans tout projet humain, n’est pourtant jamais posée. Et qui, du même coup, n’est pas près d’être réglée. Cela vous semble lointain ? Regardez en ce cas l’histoire dérisoire, mais essentielle, concernant un certain Christophe Hondelatte, un homme de télé dont je vous ai déjà entretenu dans le passé (ici). Il est mêlé, ces jours-ci, à une autre affaire sinistre. Ce pauvre monsieur a imaginé une émission – il n’était pas seul, certes – où de pauvres couillons croient envoyer des décharges électriques à des gens qui ne parviennent pas à répondre à des questions (ici).
Ce n’est pas très neuf. Le tout est en effet tiré d’un livre – il est chez moi, il est remarquable – de Stanley Milgram, La soumission à l’autorité (Calmann-Lévy). Ce psychologue et sociologue américain a mené vers 1960 des expériences inouïes. Sous couvert de la blouse blanche de l’université – l’autorité légitime -, il a demandé à des cobayes humains ordinaires de mener l’expérience que l’on retrouve dans l’émission proposée par Hondelatte. De mémoire, seuls 10 % environ des participants refusent net, sans hésitation et tout de suite l’idée d’envoyer de l’électricité dans un corps humain. Les deux tiers, environ, administrent des doses théoriquement mortelles.
Donc, l’autorité. La soumission à l’autorité. L’aveuglement face à elle. La prosternation devant elle, dès qu’elle présente une face séduisante, parfois et même souvent à l’insu de soi. Regardons d’un peu plus près le cas Mussolini. Benito (Amilcare Andrea) Mussolini est né en 1883, dans la région italienne de l’Émilie-Romagne. Une région rouge. Une région de révoltes paysannes et de soulèvements ouvriers. De braccianti – des journaliers agricoles -, de muratori – des maçons – et de metalmeccanici, des métallos. L’Émilie-Romagne de Bologne, Modène, Ferrare et Parme, aura vu naître Mussolini et Pasolini.
Bon, et puis ? Et puis Benito fut jusqu’à l’âge de 31 ans un extrémiste, mais de gauche. Un agitateur infatigable, expulsé je ne sais combien de fois de Suisse, créateur ou animateur de journaux aussi violents que Lotta di classe, écrivant des textes incendiaires sous le pseudonyme de Il vero eretico – le véritable hérétique -, fleuretant avec l’anarchie sous sa forme syndicaliste révolutionnaire, finissant plus souvent qu’à son tour en prison. Je passe. Cet homme-là est encore de ce côté-ci des barricades en septembre 1914, tandis qu’éclate la Première Guerre mondiale. Il la refuse absolument, avant de l’accepter absolument.
Alors, il devient un autre. Mais est-il un autre ? Il accepte l’argent des patrons, organise des milices chargées de cogner sur les cortèges ouvriers ou pacifistes, devient même un agent – c’est attesté – des services secrets britanniques pendant un an, après le déclenchement de la révolution russe. La suite vous est, dans les grandes lignes, connue. La marche sur Rome – 1922 -, le pouvoir, le fascisme, la gloire, la chute. Le titre de ce papier signifie en français : « Le Chef a toujours raison ». Et il aura été prononcé des millions de fois par des foules en délire. Qui y croyaient. Et qui ajoutaient à l’envi des cris de guerre comme : « Credere, Obbedire, Combattere ! ». La traduction n’est pas bien nécessaire, ce qui n’est pas le cas de « Boia chi molla ». Cette dernière expression veut dire, littéralement, que celui qui abandonne et lâche pied est le plus vil des assassins. En fait, ce slogan fasciste a toujours été compris ainsi : « Celui qui recule est une merde ». J’y ajoute une dernière saillie des amis de Mussolini, « Me ne frego », qui veut dire à peu près : « Je m’en tape ».
Et tel est bien ce qui aura réuni ces braves imbéciles et ces immondes salauds. Ils s’en foutaient. Ils s’en cognaient. Peu leur souciait que le monde s’effondrât. Ce qui comptait, hommes et femmes fascistes confondus, c’était, et qu’on me pardonne l’expression, la bandaison. Bander comme triquer sont des mots violents, je le sais bien, mais ils désignent une réalité qui ne l’est pas moins. Une réalité qui n’est pas seulement masculine. Qui a vu des images de femmes allemandes sur le parcours – en voiture décapotable – du petit caporal Adolf Hitler me comprendra certainement. Le fascisme comme l’hitlérisme auront été des manières détournées, avantageuses pour l’État et le programme des chefs, de baiser. Sur le visage des femmes dont je parlais à l’instant, je le précise pour ceux qui n’ont pas accès à ces images, on voit des visages en transe sexuelle, la langue passant sur les lèvres. Je n’invente pas. Je dis.
Je ne doute pas que cette tension a été présente, de même, dans l’ignoble aventure du stalinisme et la dévotion au chef qui a dominé pendant des décennies, tant en Union soviétique que chez nous. Personne n’a intérêt à se souvenir qu’en décembre 1949, pour le 70ème anniversaire du tyran de Moscou, des milliers de cadeaux, souvent baroques, ont été rassemblés par le parti communiste dans toutes les régions de France, avant d’être envoyés par trains spéciaux au Kremlin. Personne. Je vous pose la question qui tue, et qui justifie ce déjà long papier : comment des millions de gens ont-ils soutenu chez nous un homme qui martyrisait son peuple au nom de l’égalité universelle ? Comment comprendre que des militants communistes attachés, pensaient-ils du moins, à la liberté et à la fraternité, se couchaient devant l’antithèse complète de leur engagement ?
J’ai davantage de questions que de réponses, je m’empresse de vous le dire. Et je résume. Dans l’Allemagne nazie, dans l’Italie fasciste, dans l’Union soviétique stalinienne, des foules géantes ont bel et bien adoré, adoré, la figure autoritaire, tutélaire mais cruelle, du chef. Sans ce mouvement de l’âme, qui surgit, à l’évidence, des profondeurs de la psychologie de masse et individuelle, ces abominations n’auraient jamais existé. Je pense que nous sommes d’accord. Je l’espère.
De tels phénomènes se retrouvent-ils en démocratie ? Eh bien, je le crois. Il va de soi que les conséquences en sont différentes. Il est évident que je ne mettrai jamais sur le même plan Léon Blum, président du Conseil français en juin 1936, et Adolf Hitler, chancelier allemand au même moment. Vous aurez remarqué que j’ai volontairement choisi deux personnalités totalement opposées, pour que les choses soient claires. Et pourtant ! Et pourtant, François Mitterrand. Avant que de vous récrier, retenez que je ne confonds pas tout, buvez un verre d’eau si le besoin s’en fait sentir, et revenez donc vers moi. François Mitterrand.
Nous sommes, tiens donc, en 1936. Mitterrand, après avoir milité aux Volontaires nationaux, mouvement protofasciste des Croix-de-feu, et manifesté contre « l’invasion métèque » en février 1935, continue son combat d’extrême-droite, en défilant – nous sommes en janvier 1936 – contre le professeur de droit Gaston Jèze, dont le tort est de conseiller le roi – nègre – d’Éthiopie. Ensuite, Mitterrand aura un si fort penchant pour Vichy que le maréchal Pétain en personne le décorera de la Francisque, l’équivalent, chez cette vieille crapule, de la Légion d’honneur. Chemin faisant, Mitterrand aura noué des liens indéfectibles avec d’authentiques ordures, comme le secrétaire général de la police de Vichy, René Bousquet, et des membres de la Cagoule, groupe armé clandestin, fasciste, décidé à abattre la Gueuse, c’est-à-dire la République.
Il fut aussi résistant ? Oui, sans l’ombre d’un doute. Certains y voient une rupture, d’autres une évolution, et quelques-uns un vulgaire opportunisme. Ne tranchons pas. Après la guerre, il apporte un précieux témoignage en faveur d’un ancien chef cagoulard, Eugène Schueller, fondateur du groupe L’Oréal. Ce même groupe industriel fera de Mitterrand un éphémère président-directeur général des Éditions du Rond-Point. J’ai laissé de côté bien d’autres histoires du même acabit. Mitterrand et le défunt Robert Hersant. Mitterrand et la guerre d’Algérie, quand ce preux ministre de la Justice – vous aviez oublié, hein ? – faisait guillotiner des indépendantistes, dont l’ouvrier Fernand Iveton. Ou quand, ministre de l’Intérieur – oui, il commanda aussi aux flics -, il s’écriait : « Je n’admets pas de négociations avec les ennemis de la Patrie. La seule négociation, c’est la guerre ». Mitterrand et le procès fait au général putschiste de l’OAS, Raoul Salan, où il déposa à décharge. Mitterrand et les repas dans sa maison landaise, jusque dans les années 70 au moins, avec Bousquet, l’homme de la déportation des Juifs en France, l’homme de la rafle du Vel’ d’hiv. Mitterrand et la réhabilitation de plein droit de huit généraux OAS en 1982, tandis que les mutins de 1917 – ceux qui refusèrent la boucherie – étaient encore au ban de la nation.
C’est cet homme-là, arrivé au pouvoir en 1981, à 65 ans, que l’on considéra donc comme le champion de la gauche. Celui qui mettrait fin aux inégalités. Celui qui règlerait la question des banlieues, et qui donnerait évidemment le droit de vote aux immigrés. Celui qui aimait tant les arbres qu’il mènerait forcément une politique proche de celle prônée dès 1974 par René Dumont. Et cætera, et cætera.
Je n’entends pas régler ici une question aussi complexe. Au mieux, je place un caillou le long d’une route qui jamais ne sera terminée. Ce que j’ai voulu dire et vous dire, c’est que la liberté est un violent combat contre soi-même, qui s’achève bien souvent par une vilaine défaite. Mais elle est et restera la plus belle, l’une des plus belles demeures où puisse habiter notre esprit. Je n’y fais pour ma part que des incursions, mais alors, comment l’exprimer ? J’ai le sentiment d’être enfin arrivé.
je ne sais pas si il ya des as en informatique qui passent par là, mais l’article : mortalité des abeilles : le multifactoriel est confirmé, vaudrait son pesant de groces bits!
http://alerte-environnement.fr/?p=2834&cpage=2#comment-14395
C’est toujours intéressant de remettre l’histoire en perspective ou les pendules à l’heure, c’est comme on veut.
Grazie fabrice Nicolino
Je pense en suivant tes écrits qu’effectivement tu dois y arriver, et ces lectures font du bien à ceux qui cherchent cette voie, vraiment, encore merci.
Voici le lien d’une asso qui agit en déposant des questions directement à l’assemblée nationale,( comme chaque citoyen en a le droit. ).
Cela parle de l’alignement de la retraite des députés sur le régime général, par exemple…
http://www.pour-une-democratie-directe.fr/_BLOG/?p=351
Une anecdote marrante à propos d’autorité (désolée de casser l’ambiance):
Lors de cette émission, précisément, l’animateur dit à une candidate « Vous avez deux enfants » elle répond oui. Quel âge? Elle donne les âges. Or, elle n’a pas deux, mais UN SEUL enfant, elle n’a pas OSÉ (!!!) contredire publiquement l’animateur. Elle s’est INVENTÉ un enfant et lui a même donné un âge.
Ce n’est pas seulement comique. Ça ouvre d’étranges perspectives sur le pouvoir du pouvoir, non?
Même type d’anecdote, avec des conséquences éventuelles moins comiques: Dans un service hospitalier, un chef de service pérore devant la radio d’une hanche qu’il a précédemment réparée. Très fier, parce qu’on ne voit plus aucune trace de lésion. Et pour cause, il s’agit de L’AUTRE jambe. Mais aucun des membres de son service ne moufte: le grand patron est terrible, l’humilier ainsi est INIMAGINABLE.
France-Inter aussi croayait être arrivée à un certain degré de liberté. Mais… on ne s’attaque pas à un ami du Président !
C’est ici :
http://www.liberation.fr/medias/0101633998-france-inter-condamne-pour-avoir-diffame-le-groupe-bollore
A bien regarder dans l’histoire, les élites humaines ont généralement plutôt choisi le coté obscur. Reste à savoir si cela est inné dans l’esprit des élites ou si cela s’acquiert au fur et à mesure de la confrontation de leur supériorité à la soumission des dominés. Il semble plutôt qu’il n’y ait de tyran que parce qu’il y a des soumis.
Suite de mon premier message :
voici un cas concret , ou comment mettre son grain de sable…..
Le dossier :
Pourquoi les deputes et senateurs ont-ils encore un regime tres special de retraite
Le courrier :
Lettre ouverte aux deputes regimes speciaux de retraite
Le billet :
Le minimum vieillesse seul n’est pas constitutionnel
Les textes de référence :
UN AUTRE DROIT
Merci monsieur Lebreton !
Mitterrand, comme tous les opportunistes a senti d’où le vent venait, le vent qui mène au pouvoir. Il fait partie des orateurs de talent, comme les Castro, Mussolini, Hitler. Quand ce dernier parlait aux foules, les commentateurs présents signalaient un immense frisson qui parcourait la foule. Une pointe de démagogie, un zeste de populisme, un discours simpliste, et la foule suit…Le problème ensuite est de se maintenir au pouvoir en faisant des tours de passe-passe jusqu’à ce que le peuple se rende compte qu’il a été berné, et puis un autre prend la place avec les copains…
J’ai même entendu dernièrement un sénateur de gauche qui défendait son régime de retraite parce que » la fonction qu’il occupait était une des plus honorables de la République… »
C’est vous dire si le reste de la nation est méprisable !
Il faut tous les payer au SMIC sans renouvellement de mandat de plus de 3 ans, alors on verra si ils ont encore la flamme pour défendre le bon peuple !
Bonjour,
Je ne ferai pas de commentaire sur ce billet car cela me demanderait de gros efforts de réflexion ce matin d’autant que je viens d’en déposer un sur les psys en réponse à « cultive ton jardin »…
(Mais le sujet est passionant…)
Les liens du message précédent ne sont pas activés.
J’essaye d’une autre manière.
Le dossier :
Pourquoi les deputes et senateurs ont-ils encore un regime tres
special de retraite [1]
Le courrier :
Lettre ouverte aux deputes regimes speciaux de retraite [2]
Le billet :
Le minimum vieillesse seul n\’est pas constitutionnel [3]
Les textes de référence :
UN AUTRE DROIT [4]
Un grand merci pour ce texte. Quant au dernier paragraphe, tu sais quoi? Il me rend heureuse en ce début de journée
Passionnant ! En vrac et très rapidement, quelques grains de sable moulinés à l’instant pour cheminer avec ton caillou.
Dans la fascination, il y a l’autorité – être subjugué, se délivrer du fardeau de sa responsabilité, redevenir enfant peut-être, inconscient ? Et s’épargner l’effort (et c’en est un) d’examiner, de réfléchir, de douter, de voir ?
Il y a aussi, dans la façon dont un pouvoir se met en place, le choc. Naomi Klein, dans « La Stratégie du choc » a décortiqué cela pour expliquer le traitement auquel l’humanité se laisse soumettre.
Oui, le ressort psychologique est puissant – voir Edward Bernays qui inventa le marketing moderne en s’inspirant très directement de son oncle psychanalyste, un certain Freud.
Tu dis que les conséquences sont différentes en démocratie, je n’en suis pas si certaine. A lire Naomi Klein justement, je n’en suis plus certaine. Le schéma de domination est moins franc, moins grossier, moins rapide en démocratie qu’en stalinisme, fascisme ou nazisme, mais les principes de destruction sont là, bien à l’oeuvre. Est-ce que quelqu’un a osé comparer les morts des guerres « glorieuses » (14-18 et Seconde) avec ceux « autres » ? La destruction écologique ? L’aliénation ? Le coût de la soumission consumériste à la satisfaction de plaisirs artificiels ?
Jusqu’où sommes-nous manipulables ? Consentants ?
Je viens de penser à quelque chose.
« Le mariage romain était une ‘societas’, une association de procréation » (p. 31) « Le désir fascine. Le ‘fascinus’ est le mot romain pour dire le phallos. » (p. 74) c’est dans « Le sexe et l’effroi » de Pascal Quignard, un livre qui parle de la Rome antique, du désir, de l’amour, de la peinture. « L’homme n’a pas le pouvoir de rester érigé. Il est voué à l’alternance incompréhensible et involontaire de la ‘potentia’ et de ‘l’impotentia’. Il est tour à tour pénis et phallos (‘mentula’ et ‘fascinus’). C’est pourquoi le pouvoir est le problème masculin par excellence parce que c’est sa fragilité caractéristique et l’anxiété qui préoccupe toutes ses heures. » (p.85)
C’est une question de désir.
Dans vénérer, il y a Vénus.
C’est une question d’amour ?
Je pose que toute personne, de quelle que culture qu’elle soit, aimée, aimante, apaisée à l’endroit de l’amour connait nécessairement l’empathie avec le vivant, fait partie des 10% qui refusent de traiter inhumainement un humain, trouve là le courage de ne se soumettre à aucune autorité puisqu’elle reçoit précisément de l’amour qui l’habite la confirmation de son existence. L’amour libère et échappe à toute autorité.
Qu’est-ce que ça donne ce que je raconte ? Est-ce que ce n’est pas une vérité millénaire sans cesse oubliée ? Sans cesse retrouvée ?
Est-ce que quelqu’un a des exemples de pouvoir au féminin ? Je veux dire, non pas des femmes qui font comme des hommes et jouent sur le même registre (Laurence Parisot, Rachida Dati ou Hillary Clinton) mais des femmes qui font comme des femmes et règlent la question du pouvoir différemment ? Est-ce que ça a existé ? Est-ce que ça existe ?
Si ça existe, est-ce que quelqu’un voudrait écrire quelque chose d’un peu documenté là-dessus ? Ou proposer des lectures ? On peut le mettre en ligne sur le site des Natural Writers par exemple. C’est juste une idée.
Il y a des moments de profonde humanité, de concordance, dans l’histoire. Très peu mais il y en a. Le royaume d’Al Andalus, la cour de Roger à Palerme, une république aussi chez les Indiens des Plaines, et quelques autres, des moments, des moments d’humanité où les ressorts de société et de pouvoir ne furent pas les mêmes. C’est donc possible !!!
Hasta !
Intéressant article. Pourquoi suivons-nous aveuglement une figure autoritaire? Je pense que l’ignorance de ce que nous sommes réellement en est la cause principale. A peine nés, nous subissons déjà les influences de la société, qui presque systématiquement dans la nôtre sont la peur et le divertissement. La peur de perdre ce qu’on a si difficilement acquis, de l’Autre qui viendra piquer notre travail, de la Nature qu’on n’arrive jamais à totalement dominer. Mais qui voudrait vivre sans cesse dans la peur? Personne. D’où le divertissement: à la télévision surtout, mais aussi dans les nombreux gadgets qui ont envahi notre vie. C’est ce savant mélange qui régit la vie des hommes… « tiens, voilà une offre exceptionnelle pour tes vacances », « attention, des Roms arnaquent les passants », « ne manquez pas le nouvel Aphone », « 39 morts dans des attentats », et ainsi de suite… J’ai entendu quelque part que les 2 branches qui feront les plus gros bénéfices à l’avenir seront celles des assurances et du divertissement…
Dès lors il est facile pour une figure d’autorité de diriger les foules, qui n’aspirent qu’à maintenir leur petit confort, qu’à leur propre sécurité. « je vais réduire le chômage et expulser les dealers! » Attirant programme, non?
Finalement, les mystiques des temps passés avaient déjà trouvé le moyen de se libérer de ce faux « moi », modelé par l’extérieur, par les croyances, par les traditions. « Connais-toi toi-même ». Tout est là. Oui Fabrice, « la liberté est un violent combat contre soi-même », mais une fois ce soi-même vaincu, quelle paix alors!
Et j’ajouterai ce mot du Bouddha: « Le riche n’est pas celui qui possède beaucoup, mais celui qui a besoin de peu ».
A propos d’autorité, la ligne de défense des accusés du procès de Nuremberg a été essentiellement: « Nous avons obéi aux ordres. » Cet argument est repris par Eichmann dans le livre d’Hannah Arendt » Eichmann à Jérusalem « . On peut aussi se référer » Discours sur la servitude volontaire » d’Etienne de La Boétie.
Au sujet de de ceux qui » s’en tapent « , actuellement les Sarkozy, Berlusconi et leurs affidés, pour ne citer qu’eux, font bel et bien partie de ceux qui se soucient comme d’une guigne que le monde s’effondre.
Ne pas oublier aussi que tout pouvoir est violence.
Il existe encore de part le monde des formes de société matriarcale (Trobriandais, Moso …), mais je n’en sais pas plus.
Au sujet d’ Etienne de La Boëtie, cette phrase tirée de son « Discours sur la servitude volontaire »: « Ce qui fait la force de l’injustice ce n’est pas la loi injuste, c’est l’obéissance à la loi injuste ».
Eva,
L’amour n’est pas seul à habiter notre conscience. Il y a la raison et l’interet. La volonté et parfois le courage. Et souvent, les consciences sont vides…
Une gentille maman enverra quelques décharges électriques en pensant à ce qu’elle pourra acheter à ses enfants avec l’argent gagné au terme de l’expérience.
Le poids de certaines charges peut gommer tout désir de désobéissance.
Pour désobeir, il faut connaitre les règles qu’on va transgresser et puiser son information aux sources les plus claires.
Désobeir, ça s’apprend.
Coté autorité, je ne crois pas que le pouvoir soit sexué. Il y a differentes façons de l’exercer et les femmes ont les leurs. La séduction en est une. Tatcher n’était pas séduisante mais elle n’a pas hésité aux Malouines..
Jo,
Tu as raison et le vide des consciences dont tu parles rejoint ce que Greg disait de l’ignorance.
Toutefois je me dis que la gentille maman que tu évoques est une maman qui ne va pas très bien si elle torture en pensant à ce qu’elle achètera pour ses petits. Une maman qui ne va pas bien dans une situation qui ne va pas bien née dans un monde qui va mal. Certes, nécessité fait loi mais uniquement dans une société organisée selon la loi de la nécessité matérielle.
« Le poids de certaines charges peut gommer tout désir de désobéissance. » dis-tu, c’est très vrai. De même que la fatigue chronique, l’abrutissement mental, l’addiction au divertissement qui encourage la lâcheté, sans compter les frustrations qui font le lit de tous les racismes, etc.
Le pouvoir n’est pas « que » masculin c’est certain mais je crois qu’il est « masculin par excellence ». Je précise que je ne suis pas du tout intéressée par les oppositions frontales hommes/femmes mais force est de constater que quelque chose de masculin domine singulièrement depuis 2000 ans, non ?
Je ne sais pas si la séduction est un vraiment pouvoir. C’est puissant, certes, mais combien de femmes séduisantes ont (ou ont eu) un pouvoir réel sur des peuples ? La séduction ne pèse pas lourd face à la force. La vérité marche mieux.
La preuve en est que toute personne, homme ou femme, qui va dans le sens d’une vérité altruiste est emprisonnée ou assassinée (de Gandhi à Martin Luther King en passant par Aug San Suu Kyi). Que les marges de nos sociétés sont remplies de ces chercheurs, moins connus mais tout aussi efficaces à leur échelle.
Je te rejoins complètement sur désobéir, tout est là. Peut-être que cela t’intéressera de découvrir l’histoire de notre ami Jeff (ici : http://www.legrandsoir.info/Jeff-Knaebel-un-homme-libre.html).
Je me souviens de cette jeune militaire américaine qui avait été prise en photo en train d’humilier des prisonniers, je crois que c’était à Abou Grabi. Ce jour-là j’ai arrêté de croire qu’il y avait une nature féminine, une nature masculine et même une nature humaine. Je me dis qu’il y a juste des êtres plongés dans des environnements, sous influences comme disait Greg, et que par une série de rencontres, hasards, chocs, routes et déroutes, un chemin de liberté se trace, vaille que vaille et au cas par cas.
Que voilà un sujet passionnant ! Autorité renvoyant à hiérarchie, à inégalité, à sentiment d’infériorité (ou de supériorité), à délégation de pouvoir, nous sommes au coeur de ce qui peut expliquer que le monde bouge, un jour, ou au contraire qu’il demeure, alors même qu’on le déteste.
Beaucoup de pistes intéressantes à creuser. L’aspect sexuel de la chose, développé par Fabrice. L’aspect séduction, donc. Le sexe, il est là, aussi, face aux artistes qui nous fascinent, pour peu que leurs mots ou leur musique (je pense, par exemple, à la chanson) aient touché en nous une corde essentielle. Et nul besoin pour ça d’être Elvis Presley ou Johnny Halliday : Ferré ou Debronckart remuaient aussi les tripes de leur public. L’intelligence, ça excite aussi, n’est-ce pas ?
Aimer en restant lucide, donc. Savoir que même celui qui semble avoir toujours raison peut se tromper, que nous avons tous des défauts, des fragilités. Refuser les maîtres à penser. Se méfier de l’admiration (c’est si bon, d’admirer !). Ne pas se sous-estimer. Au contraire, s’aimer. Tout le contraire de ce qu’en général on nous apprend, dans l’enfance. Le p’tit chef au boulot, le député, Monsieur le Maire, l’époux ou l’épouse, le délégué syndical viennent prendre tout naturellement la place de Papa-Maman.
S’en remettre à l’autorité, c’est pouvoir aussi tirer sa flemme. Il faudrait faire quelques efforts pour, refusant la délégation de pouvoir, assumer au quotidien sa vie, dans un monde où l’on ne voterait pas pour élire ses « représentants ».
Quant à l’expérience décrite par Stanley Milgram, je me dis que, peut-être, les gens qui ont accepté de délivrer les secousses électriques, ont ressenti un contentement à avoir ce pouvoir de punir. Ils se soumettent à la terrible injonction mais aussi ils soumettent leurs victimes. De la même manière, mon supérieur hiérarchique me domine mais je domine le p’tit nouveau, la stagiaire…
On se soumettra à l’autorité tant qu’on pensera « qu’il faut forcément un chef ».
Enfin, en ce qui concerne les hommes et les femmes, je ne crois pas que le problème du pouvoir soit un problème masculin. Tout le monde, d’ailleurs, veut avoir du pouvoir et c’est bien normal. Du pouvoir sur soi-même, sur sa vie, c’est vital ! Sans ça, pas de liberté ! Rien à voir avec le pouvoir qu’on a sur les autres. Quant à penser que l’homme bandant (ou pas) est puissant (ou im) donc concerné par le problème du pouvoir, c’est jouer avec les mots et prendre le langage pour la réalité.
En fait, c’est parce que nous considérons le sexe de l’homme (enfin, ce n’est pas mon cas !) comme source de puissance, au sens de celle qui s’impose aux autres pour leur nuire (ne dit-on pas « se faire baiser » pour « être perdant »… que je déteste cette manière de voir les choses !) que nous appelons impuissant celui qui ne bande pas.
Quant aux femmes exerçant ou ayant exercé le pouvoir, l’Histoire dit assez bien qu’elles n’ont pas fait mieux que les hommes. Y avait pas de raison. Je crois fondamentalement à l’égalité des sexes, fut-ce dans la connerie ou la cruauté.
A chacun selon son mérite : un bon début pour les histoires de pouvoir, de violence et d’esclavage. C’est celui qui se croit plus méritant, qui hiérarchise. Et comme on est rarement impartial quand on s’auto évalue, c’est le début de la fin. Et aussi le début de la faim comme dirait Jean Ziegler.
Hommes/femmes mode d’emploi et patriarcat, quel est le problème ? Car force est de constater qu’il y en a bien un. Un livre vient de sortir au constat troublant : « Chaque année dans le monde, on compte 2 millions de filles en moins que de garçons, car dans beaucoup de pays pauvres, le garçon est nourri et soigné en priorité sur la fille. Au total dans le monde, cela fait entre 50 et 110 millions de femmes qui manquent. C’est plus que le nombre de victimes de tous les génocides du XXe siècle. » (article : http://www.liberation.fr/monde/0101634246-il-manque-100-millions-de-femmes)
@Éva. C’est un vrai problème, tragique. Mais il faut être prudent sur les chiffres. En France, le sex-ratio à la naissance est de 105 garçons pour 100 filles. Si l’on garde le même ratio pour une population de deux milliards de personnes, en imaginant que garçons et filles survivent dans les mêmes proportions, ça fait 50 millions de filles de moins. Donc prudence. Néanmoins, il est vrai que la différence se creuse dans certains pays, comme le Chine et l’Inde, à cause d’avortements sélectifs et d’infanticides passant pour des naissances d’enfants morts-nés. Plus, en effet, une moins bonne prise en charge des enfants filles, ce qui augmente parfois considérablement, à l’âge adulte, le « déficit » en femmes.
Rompre avec les idéologies, dénoncer la barbarie, partir en guerre contre les multinationales… c’est bien… mais il ne faut pas oublier que le mal est en d’abord en chacun de nous.
Si vous discutez avec un moine, il vous dira qu’un tueur et un violeur sommeillent en lui. Dans d’autres circonstances, il pourrait devenir un Marc Dutroux ou un Jérôme Kerviel. Peut-être que moi j’aurais soutenu Hitler ou condamné Jésus…
Je pense que le meilleur moyen de ne pas céder à la barbarie, c’est d’être convaincu qu’on n’est pas à l’abri de commettre les pires actes. (Les psychanalystes appellent « l’ombre » cette partie de nous que nous avons refoulée).
Est-ce à dire qu’il faille rester les bras croisés ? Se taire devant ceux qui nous gouvernent ? Non, il faut bouger, mais en ayant à l’esprit plusieurs choses :
– être dans le réel. Je crois en l’action du milieu associatif (les petits ruisseaux font les grandes rivières), des élus… Mère Teresa disait : « je ne soigne pas des foules, sinon je ne commencerais jamais ; je m’occupe d’une personne, puis d’une autre… ». Les belles idées, c’est bien, mais concrètement ? Et puis n’oublions pas que les plus nobles intentions ont donné lieu aux pires atrocités.
– préférer le dialogue à la confrontation : dans l’association de commerce équitable dont je fais partie, certains mangent de la viande tous les jours, d’autres font leurs courses en grandes surfaces, d’autres encore partent systématiquement à l’étranger pendant leurs vacances… et ils n’en demeurent pas moins très sympas. J’aime cette « biodiversité ». Parfois, nous discutons. Le dialogue est plus efficace que la radicalité. Et surtout moins dangereux (une « dictature de la sobriété », très peu pour moi…)
– changer avec les autres, non contre eux : croire que même ceux qui ont les mains engluées dans la corruption peuvent changer. Cynthia Fleury déclare dans Libération que « Les lâches sont toujours ceux qui désespèrent des autres »… Bien vu !
Comment « défendre » la démocratie ?
Où est la frontière entre le bien et le mal ?
Il n’y a certainement pas de piste bien tracée… mais certains principes me semblent vertueux :
– Informer :
Il est nécessaire de connaître au mieux un sujet pour le comprendre et arriver à se forger sa propre opinion
– S’exprimer :
Ce que j’affirme n’est pas forcément vrai, ni forcément faux d’ailleurs. Et sans l’autre, ma pensée tourne en rond : le débat contradictoire doit permettre aussi bien de changer d’avis que de se conforter dans sa propre opinion.
– Agir :
Comment défendre mes opinions dans le respect des autres ? Agir est certainement le plus périlleux des trois principes énoncés car, étant irréversible, il est parfois irrémédiable. Le mieux est certainement de faire au mieux de ce que l’on pense en acceptant qu’il est possible de mal faire avec la meilleur volonté du monde. Car si on ne fait rien, on cautionne, on oublie son libre-arbitre, on accepte que les autres décident à notre place, on vit à genoux… N’oublions pas qu’au final, la vérité est dans l’action.
Pour ce qui est des dérives actuelles ou du passé, je vous invite à relire l’article 3 de notre constitution, qui fixe une frontière à ne pas dépasser en démocratie :
« La souveraineté appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum.
AUCUNE SECTION DU PEUPLE NI AUCUN INDIVIDU NE PEUT S’EN ATTRIBUER L’EXERCICE… »
Même le Président de la République française ne peut pas dire (constitutionnellement parlant) « Le peuple m’a élu pour… ». Mais il peut dire, par exemple, « Lors de mon élection où j’ai été élu, j’ai proposé de… ». La nuance, qui a première vue semble infime, pose à mon avis la limite de la légitimité de celui qui a l’autorité.
Cordialement
M. LEBRETON
Tout de même il y en a un qui avait vu ce qui se cachait derrière Mussolini, c’est l’anarchiste Malatesta, qui dès le début des années 1900 mettait ses camarades en garde dans une lettre célèbre écrite de son exil anglais: « Méfiez-vous de Mussolini, ce n’est pas un vrai socialiste ».
Sans pour autant tout nous dévoiler du livre, Fabrice, peut-être pourrais-tu, à titre de pistes de réflexion, nous dire ce que pense Stanley Milgram de la soumission à l’autorité ? Qu’est-ce qui, selon lui, l’explique ?
À Gilles-Olivier,
Quel plaisir de trouver là ton nom, et de si belle manière ! Amitiés, amitiés,
Fabrice Nicolino
Madame Guiader,
Je n’ai pas ouvert le livre depuis quelque chose comme…vingt ans. Et je ne suis pas chez moi. De mémoire, et parce que c’est toi, je crois me souvenir que l’autorité jugée légitime – là, une blouse blanche, l’université, l’aura du professeur – joue un rôle clé. C’est contre elle, et donc contre toute une vie de soumission qu’il faut se lever. C’est apparemment trop dur. Une pensée pour le Cap. Bises,
Fabrice Nicolino