Archives de catégorie : Biocarburants

Raoni en vitrine publicitaire de Macron-le-petit

Qui est derrière la belle photo ? Le 4 juin, Macron-le-petit reçoit à l’Élysée le chef amérindien du Brésil, Raoni. Embrassades, effusion, énième engagement solennel pour la sauvegarde de l’Amazonie. Et si l’entremetteur Robert Dardanne était à la manœuvre ? C’est ce qu’affirme l’association Maïouri Nature Guyane (1) et disons d’emblée que cela tient la route. Dardanne s’est en effet décerné le titre de président de l’association « Forêt Vierge », et a réussi un coup de maître en approchant Raoni dès 2016, lui faisant faire une tournée européenne en 2019. Il a bel et bien joué son rôle dans la rencontre Macron-Raoni.

Est-il sincère ? Passons à la question suivante, et démêlons les fils. La Guyane dite française – 285 000 habitants – manque d’électricité. Actuellement, pour en produire, il faut compter sur le fioul – la centrale de Cayenne – le barrage du Petit-Saut, divers petits ouvrages. Sans oublier ce dont on va parler, c’est-à-dire les centrales à biomasse. Retenons à l’arrière-plan l’existence de la base de fusées de Kourou, qui consommerait, selon des chiffres officiels, 18% de l’électricité guyanaise. Insistons sur l’adjectif officiel, car tout ce qui concerne Kourou est le plus souvent secret d’État.

Revenons à Dardanne. Il se présente comme un écologiste, mais son itinéraire vrai montre un businessman opportuniste, constamment à la recherche d’un coup. Dans l’immobilier, dans le transport aérien, dans l’informatique, dans le soin aux vieux dans les maisons de retraite. En 2005, il crée avec d’autres la société Voltalia – il en était le P-DG et y reste influent -, qui entend développer la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables (2). Dont en Guyane la biomasse. En deux mots, on crame du bois et des déchets végétaux, dont la combustion chauffe de la vapeur d’eau. Cette dernière, sous pression, actionne une turbine qui fait tourner un alternateur. Chouette, hein ?

Ben non. Les opposants locaux parlent d’une opération qui menace l’équilibre agricole et forestier d’un joyau : la Guyane est couverte à 96 % d’une forêt équatoriale humide. Voltalia possède deux des trois centrales à biomasse de Guyane, et se bat avec des concurrents comme Idex, qui en installe deux nouvelles à…Kourou l’insatiable. Les gens d’Idex présentent leur groupe (3) comme « un acteur indépendant engagé depuis 60 ans dans la décarbonation des territoires ». Soit depuis…1963. Bien inventé.

Maintenant, l’essentiel. Un lobby informel d’une rare intensité travaille depuis des années, qui réunit notamment, côté public, l’Ademe, l’Agence française de développement (AFD), la Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la Forêt (DDAF). Soutenant comme de juste l’industrie par des subventions, il a obtenu l’incroyable : l’Europe a accepté le maintien d’une dérogation scélérate (4). Résumé incomplet : on pourra, en Guyane, utiliser 15% de la surface agricole pour « faire » de la biomasse, contre 3% en France métropolitaine. Ce que ne disent pas les lobbyistes, c’est qu’on produira massivement des biocarburants, en détournant du marché alimentaire des plantes comestibles. En Guyane, les « plantations à vocation énergétique » pèsent 70 000 tonnes, mais pourraient atteindre 160 000 tonnes en 2030.

Qui va morfler ? D’évidence, la forêt. Tous les gens intéressés à cette belle aventure le nient, mais l’engrenage finira par emporter le bras, et le reste. La Guyane dispose de politiciens de classe, comme ce monsieur Thibault Lechat-Vega, qui se prétendait l’an passé proche de la France insoumise. Devenu vice-président de la Communauté territoriale de Guyane (CGT), il soutient à fond l’usage de la biomasse. Citation : « Quand est-ce que l’on va arrêter de nous mettre sous cloche alors qu’un quart des Guyanais n’a pas accès à l’électricité ? ».

Il y aurait bien une solution ou plutôt deux. Le soleil, omniprésent – à quand des chauffe-eau solaires pour tous les habitants ? – et le vent, fort et stable, au moins sur le littoral. Ne manque que le courage politique.

(1)https://blogs.mediapart.fr/maiouri-nature-guyane/blog/040623/les-pyromanes-de-lamazonie-guyanaise-profitent-de-limage-du-leader-raoni

(2)https://www.voltalia.com/fr

(3)https://www.idex.fr/

(4)https://www.euractiv.fr/section/energie/news/biomasse-en-europe-l-exception-guyanaise-qui-fait-grincer-des-dents/

Connaissez-vous l’agrivoltaïsme ?

Figurez-vous que je découvre l’ampleur de ce nouveau problème. Son nom est un défi à la langue, et même à la beauté, mais en tout cas, l’agrivoltaïsme – et même agri-photovoltaïsme – se répand partout en France. Sur le papier, c’est assez simple : il s’agit de produire de l’électricité solaire au-dessus d’une surface agricole qui continuera(it) d’être cultivée. Les panneaux sont en effet installés à quatre ou cinq mètres de hauteur.

Marginal ? Je crois qu’on ne peut plus dire cela. Le Japon a lancé les premières expérimentations dès 2004, l’Autriche dès 2007, l’Italie en 2009, etc. En France, le lobby – car il y a bien sûr lobby – affirme que des dizaines de milliers de projets existent, mais pour l’heure, seuls quelques dizaines sont aboutis ou en passe de l’être. Antoine Nogier, président de la fédération France Agrivoltaïsme affirme tranquillement que cette trouvaille pourrait représenter jusqu’à 60% de la promesse gouvernementale de produire en France 100 GW d’électricité solaire en 2050. Avec moins de 1 % de la surface agricole utile. Les optimistes font par ailleurs valoir que 500 000 hectares de systèmes “agrivoltaïques” en France représenteraient la totalité de la production d’électricité nucléaire. Sur 2% de la surface agricole utile. L’agriculteur reçoit aujourd’hui, en louant ainsi ses terres à l’industrie photovoltaïque, entre 1500 et 2000 euros par an. Parfois bien moins. Parfois bien plus.

Si je vous parle de ce sujet que je ne connais pas, c’est parce que je compte sur vous pour m’éclairer. Intuitivement, j’ai le sentiment que naît sous nos yeux un nouveau lobby industriel, comme il y a un peu plus de quinze ans celui des bionécrocarburants, détournant avec la complicité de la FNSEA une production alimentaire au profit de la sacrosainte bagnole. Mais j’avoue ne pas avoir assez creusé. Un indice cependant : la composition des membres de France Agrivoltaïsme, où l’on retrouve les chambres d’agriculture et les SAFER, la FNSEA, la Compagnie nationale du Rhône (CNR) – terrible destructeur des écosystèmes -, Iberdrola – l’industrie multinationale.

Je ne vais pas plus loin ce jour. Sincèrement, éclairez-moi. Avec des bougies si nécessaire.

L’état réel du monde (l’enfumage de l’entreprise Wilmar)

Ce papier ne concerne pas notre quotidien. Mais un écologiste sincère peut-il détourner son regard de ce qui se passe ailleurs, au loin, qui touche les hommes, les bêtes, les arbres ? Vous avez comme moi la réponse, et c’est pourquoi je souhaite que vous lisiez ce qui suit avec l’intérêt que cela mérite. Mais commençons par planter le décor : Wilmar.

Wilmar est une énorme entreprise asiatique, qui fait son chiffre d’affaires – près de 45 milliards de dollars en 2011 – dans l’agriculture industrielle. Et plus précisément encore grâce au palmier à huile, dont on tire non seulement des matières grasses à bon marché, mais aussi des biocarburants, autrement appelés nécrocarburants. La si précieuse Emmanuelle Grundmann a écrit il y a peu un livre bourré d’informations rares sur le sujet (Un fléau si rentable, Calmann-Lévy, 262 pages, 16,90 euros, 2013). Je ne me souviens pas d’y avoir lu mention des surfaces plantées en palmier à huile, mais le chiffre doit y être. Celui qui me tombe sous la main, qui date de 2009, parle de 15 millions d’hectares dans le monde. Nous devons en ce cas avoir dépassé les 20 millions, car cette culture industrielle est une peste qui se répand comme telle.

Inutile de m’appesantir : le palmier à huile n’est comparable, dans les temps présents, qu’au désastre total engendré par le soja transgénique, qui a changé la structure physique de pays comme le Paraguay, l’Argentine (au nord), le Brésil (au sud). Et comme lui, il détruit tout : les cultures paysannes locales, les animaux, les forêts bien sûr. Parler de crime paraît modéré, compte tenu de l’extrême violence des destructions. Mais si l’on doit s’accorder sur le mot, disons alors qu’il s’agit d’un crime majeur.

Wilmar, donc. Le 9 décembre dernier, je reçois un message des Amis de la Terre, association pour laquelle j’ai une sympathie mesurée, mais réelle. Son titre est un cri de triomphe : Huile de palme : la multinationale Wilmar cède sous la pression de la société civile et de ses financeurs. Une telle annonce est si inattendue qu’immédiatement, et contre l’évidence, j’espère une vraie bonne nouvelle. Ce que dit le communiqué, c’est que « les Amis de la Terre ont interpellé BNP Paribas, la Société Générale, le Crédit Agricole et Axa. Seule la BNP Paribas a réellement pris au sérieux la gravité des pratiques dénoncées et reconnu sa responsabilité en tant que financeur de Wilmar. Alertée, la banque française a à son tour fait pression sur Wilmar pour leur demander de rendre des comptes ».

Wilmar, rendre des comptes, et sous la pression des Amis de la Terre ? Dès la lecture de cette phrase, je savais qu’on se trouvait en pleine fantasmagorie, celle qui préside aux communiqués triomphants d’autres associations, comme Greenpeace ou le WWF, qui ont un besoin vital de prouver à leurs chers donateurs que l’argent est bien employé. Oui, une complète fantasmagorie. Et le reste était pire encore : « Lucie Pinson, chargée de campagne Finance privée pour les Amis de la Terre conclut : “L’annonce de Wilmar montre que notre stratégie de pressions sur les banques peut être très efficace et entraîner des changements au sein des entreprises. Nous avons pu le constater lors des différents entretiens avec BNP Paribas. Il est donc plus que jamais utile que les citoyens se mobilisent pour interpeller leur banque” ».

Oh ! des changements au sein des entreprises ? Wilmar la vertueuse aurait décidé de ne plus s’approvisionner auprès de fournisseurs d’huile travaillant dans l’illégalité. Fantastique ! Je profite de l’occasion pour dire aux Amis de la Terre qu’en Indonésie et en Malaisie, terrains privilégiés de profits pour Wilmar, la loi, c’est eux, représentée sur place par leurs amis. Inverser un tel rapport de forces nécessite un peu plus qu’agiter ses petits bras. Croyez-en un vieux cheval fourbu comme moi.

Ce n’est pas tout, car j’ai reçu dans le même temps que ce communiqué une information accablante de l’association Grain, l’une des plus chères à mon âme (c’est ici). Vous lirez, je l’espère, mais je dois en faire un commentaire, qui conclura mon propos. Nous sommes cette fois au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique avec ses 170 millions d’habitants. Je ne sais évidemment pas ce que cette poudrière va devenir, mais il faudrait être bien sot pour espérer qu’elle n’explosera pas. Les affrontements entre chrétiens, animistes et musulmans ne sont que l’une des faces d’une dislocation générale, sur fond de folie écologique.

Dans ce pays ne subsistent que des confetti de forêts tropicales, et ces confetti se changent en poussière rouge latérite. Le village d’Ekong Anaku, dans le sud-est du pays, conserve – conservait ? – l’usage d’un lambeau de quelques milliers d’hectares. Et puis les corrompus de Lagos, la capitale, se sont emparés de ce que les villageois avaient accepté de transformer en réserve. 10 000 hectares d’un seul tenant. Un vol pur et simple dans ce pays dirigé par des kleptocrates. En 2011, le voleur, qui n’avait pas payé un centime son butin, décide de le revendre à une opportune société étrangère, empochant un nombre indéterminé de millions de dollars. Et cette entreprise, c’est Wilmar International, celle qui s’achète une belle conscience auprès des naïfs des Amis de la Terre.

Le point de vue d’un chef villageois : « Obajanso [le voleur] n’avait absolument pas le droit de vendre ces terres. Si vous achetez un bien volé, vous ne pouvez pas dire qu’il vous appartient. » Si. Au Nigeria comme en Malaisie, c’est possible, et c’est même certain. Wilmar a commencé de planter des palmiers et on voit mal cette transnationale rendre le bien si mal acquis à ses légitimes propriétaires.

Quelle morale à tout ce qui précède ? J’en vois une : faire semblant d’agir et d’obtenir des résultats est encore pire que de ne rien faire du tout. Cela détourne, cela assoupit, cela trompe. J’en vois une autre : qui n’a pas envie d’affronter les monstres doit rester à la maison. La bataille contre la destruction du monde fait partie d’une guerre de tranchées dans laquelle nous avons le grand privilège d’être à l’arrière, buvant du champagne et festoyant, tandis que d’autres meurent. Je n’ai aucune envie de mourir, mais il serait temps de se mettre d’accord sur les enjeux du combat et les risques que nous décidons en conscience de courir. En attendant, qu’on nous foute la paix avec les bluettes. Les activités d’une transnationale sont par définition amorales. Et quand elles s’attaquent ainsi, frontalement, aux être vivants, à tous les êtres vivants, arbres compris, il faut avoir le courage élémentaire de désigner un ennemi. Pas un adversaire. Un ennemi.

communique-amis-de-la-terre.pdf

Les beaux mystères de l’écotaxe

Ce texte a été publié par Charlie Hebdo le 30 octobre passé. Mais il a été écrit le 24 du même mois, soit voici deux semaines. À cette date, pour ce que je sais en tout cas, nul ne parlait de l’un des dessous cinglés de l’affaire de l’écotaxe : la dévolution du contrat à Écomouv. C’est à cette aune, me semble-t-il, qu’il faut lire ce qui suit.

—————————————————————————-

Les paysans. Baladés par la droite, qui leur a fait miroiter formica, bagnole et télé, ils sont bananés par la gauche, qui poursuit sur la même route. Dernière trouvaille : l’écotaxe. Inventée par Sarkozy, elle plonge Hollande dans la fosse à lisier.

Le bordel ne fait que commencer, car l’écotaxe prélevée sur les camtars de plus de 3,5 tonnes ne peut pas être acceptée. Autrement dit, les manifs paysannes de la semaine dernière reprendront, sous une forme ou sous une autre, si le gouvernement ne modifie pas en profondeur le dispositif du nouvel impôt. Et s’il le fait, il sera encore un peu ridicule qu’il n’est, ce qui paraît presque impossible.

Mais reprenons dans l’ordre. En 2007, le grand Sarkozy réunit sur la photo une palanquée de dupes, pour la séance « Grenelle de l’environnement ». En 2009, le Parlement à sa botte vote à la suite une loi instituant une taxe sur les camions, qui devra s’appliquer en 2011, avant d’être retardée à 2012, puis 2013, puis janvier 2014. On en est là, et le très cocasse est bien sûr que la taxe est un pur héritage de Sarkozy, qui se foutait totalement et de l’écologie, et des pedzouilles, et de l’état des routes.

La bouffonnerie ne s’arrête pas là, car Sarkozy a laissé aux socialos un deuxième cadeau : Écomouv’. Sur le papier, cette charmante société écolo est chargée par l’État de « la mise en œuvre efficace et correcte du projet », ce qui ne semble pas tout à fait gagné. Nom du proprio d’Écomouv, qui n’est jamais qu’une filiale : Autostrade per l’Italia. Cette dernière, ritale comme son nom le suggère, a construit et gère une grande part du réseau italien d’autoroutes. Depuis 1999, elle fait partie de l’empire Benetton.

Et c’est là qu’on s’autorise un pouffement, car l’écotaxe mise en musique par Écomouv’ épargne totalement les autoroutes françaises. Imaginons un gros-cul de 38 tonnes espagnol qui va livrer ses fraises frelatées au Danemark, passant par l’A9, l’A7, l’A6, l’A4. Il ne paiera pas un rond de taxe, car seules sont concernées les routes nationales et départementales. En revanche, comme cela a été calculé, le bon couillon qui va livrer ses tomates de Chailly-en-Brie (Seine-et-Marne) au marché de Rungis – la distance est de 40 kilomètres – devra banquer 15 euros. Hum, cela sent bon la grosse connerie.

En veut-on un peu plus ? Promenons-nous un trop court instant sur le site internet d’Écomouv’ (http://www.ecomouv.com). La pédagogie y est reine, et les explications sont par conséquent limpides. Par exemple, concernant la tarification : « Le réseau taxable est découpé en sections, à savoir des tronçons de route taxée compris entre deux intersections successives avec d’autres voiries publiques. Lorsque ces intersections sont très proches l’une de l’autre, les sections de tarification peuvent faire l’objet d’un regroupement ».

Qui paiera ? Là encore, la joie domine le tableau. La facture sera acquittée par le routier, obligé de s’équiper d’un boîtier GPS relié à Écomouv’. Mais le payeur sera à l’arrivée le donneur d’ordre, car le transporteur répercutera intégralement le montant de la taxe sur la douloureuse. Est-ce bien clair ? Le tout est censé inciter les « acteurs économiques » à privilégier le transport fluvial ou le train, ce qui est évidemment une blague grandiose, puisque dans la presque totalité des cas, nul n’a le moindre choix. En 2011, la route représentait 88,3 % des transports de marchandises, contre 2,2 % par péniches et 9,5 % par le train.

Dans ces conditions délirantes, où ira le fric collecté ? L’écotaxe pourrait rapporter 1,2 milliard d’euros par an, ce qui n’est plus une goutte d’eau. En toute certitude, ce tas d’or ne servira pas à changer de système de transport. Mais comme le fisc a horreur du vide, on peut parier qu’une partie sera donnée aux collectivités locales pour éternellement refaire le macadam. Quant au reste, il y a d’autres trous à boucher, dans le budget général cette fois. On parie ?

Un dernier point qui laisse songeur. On se rappelle peut-être la privatisation des autoroutes sous le règne Chirac-Villepin, en 2005. Le cadeau fait à Eiffage, Vinci et Abertis était si somptueux qu’à l’époque, Bayrou y avait vu un vol pur et simple. Et il avait raison. La rente que l’État pourrait toucher chaque année avec les péages est grossièrement de 1,2 milliard d’euros. Comme cette foutue écotaxe.

Encadré

L’écœurement des pedzouilles

Honneur aux ancêtres. Dans L’identité de la France, livre paru en 1986, un an après sa mort, le grand historien Fernand Braudel raconte : « Le chambardement de la France paysanne est, à mes yeux, le spectacle qui l’emporte sur tous les autres (…) La population a lâché pied, laissant tout en place, comme on évacue en temps de guerre une position que l’on ne peut plus tenir ».

C’est simple : il y avait 10 millions d’actifs agricoles en 1945, sur une population de 40 millions d’habitants. Il en reste moins d’un million pour 66 millions d’habitants. Entre les deux, une entreprise parfaite, qui a conduit des millions de pedzouilles – surtout leurs enfants – des champs à l’usine, via la banlieue. Ce qu’on appelle le progrès.
Boostée par le plan Marshall en 1947, puis la volonté de « grandeur » chère à De Gaulle, à partir de 1958, l’industrialisation a totalement remodelé les campagnes, à coup de remembrement, de pesticides et de tracteurs. Il fallait produire pour nourrir, avant de produire pour faire du fric, par exemple avec les sinistres biocarburants.

Les pedzouilles ont avalé toutes les couleuvres. Ils ont intensifié, dégueulassé les sols et les eaux, et les voilà autant à poil que l’Empereur du conte d’Andersen. La Bretagne, que Pisani avait promis en 1965 de transformer en « atelier à viande et  à lait », est proche de la faillite. On parlait d’un « miracle économique », et voilà qu’on découvre un vaste désastre écologique. Les pedzouilles sont endettés, écœurés. L’écotaxe, bâclée, jamais expliquée, est la goutte d’eau de trop. On les plaint ? Ouais, quand même, on les plaint.

Le Brésil a la tête pleine de merde

Cet article a paru dans Charlie Hebdo le 26 juin 2013

Le pays de Lula est devenu un repaire de beaufs et de bœufs, qui ne rêvent que de nucléaire, de barrages et d’avions de combat. L’écologiste Marina Silva sauve l’honneur et réclame un vrai changement.

Nul ne sait comment va tourner la mobilisation en cours au Brésil. Quand s’arrêteront les manifs ? Selon la version officielle, la merveilleuse croissance d’un pays devenu la septième « puissance économique mondiale » a créé des tensions, des contradictions, et de nouvelles exigences. Une partie des classes moyennes voudrait consommer davantage, à moindre prix. Le certain, c’est que derrière le rideau de scène se joue une tragédie.

Premier détour par Marina Silva, qui aura sa statue, aucun doute. Plus tard, quand elle aura été flinguée par des pistoleiros, cette joyeuse engeance au service du fric et des propriétaires terriens. En attendant, elle fait bien chier la présidente en titre, Dilma Roussef. Car Marina, longtemps membre du Parti des travailleurs (PT) de Lula et Roussef, n’a pas supporté la corruption massive de ses anciens copains et la destruction systématique des grands écosystèmes du pays, à commencer par les fleuves et la forêt amazonienne.

Ancienne très pauvre, proche du syndicaliste Chico Mendes, buté en 1988 par des tueurs à gage, elle est devenue écologiste, dans le genre sérieux, c’est-à-dire radical. Et populaire. Toute seule ou presque, elle a obtenu 19,33 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle du 16 mai 2010, contraignant Dilma Roussef, qui succédait à Lula, au ballottage. Ce qui ne s’oublie pas chez ces gens-là.

Si Marina Silva a tant cartonné, c’est parce qu’elle incarne une autre vision du Brésil. Ministre de l’Environnement de 2003 à 2008, elle s’est progressivement fâchée avec tous les apparatchiks du parti de Lula. Par exemple à propos du sort des Indiens, dont 500 ont été assassinés depuis 2003 selon les chiffres de l’Église catholique. Marina Silva n’a pas hésité à prendre position pour ceux qui s’opposent au barrage géant de Belo Monte sur le rio Xingu, en pleine Amazonie, dont le coût pourrait dépasser 20 milliards de dollars. Dans le Brésil d’aujourd’hui, c’est une déclaration de guerre à toutes les élites, à commencer par celles du Parti des travailleurs.

D’autant qu’elle s’oppose aussi au soja transgénique, dont les dizaines de millions d’hectares envahissent et trucident le cerrado, une savane d’une incroyable biodiversité, qui abriterait 160 000 espèces de plantes, de champignons et d’animaux. Selon les chiffres du gouvernement, la moitié du cerrado – environ 2 millions de km2 au total – aurait disparu en cinquante ans.

Pour faire bon poids, Silva critique aussi la transformation d’une part énorme de la canne à sucre en éthanol, un biocarburant destiné à la bagnole, et la déforestation de l’Amazonie, redevenue massive ces dernières années. On imagine la réaction des patrons, des bureaucrates et des politiques de toute couleur, qui misent tout sur le « développement », autre nom de la destruction.

On ne s’en rend pas compte en Europe, mais les rêves de grandeur de Lula et Dilma se paient au prix fort. Comme la Chine à une autre échelle, le Brésil dévaste ses territoires les plus beaux et bousille un à un ses équilibres les plus essentiels. Le maître-mot est : puissance. Dès 2008, le Brésil avait annoncé sa volonté de construire 60 centrales nucléaires au cours des cinquante prochaines années. Et de construire des dizaines de barrages sur les plus belles rivières du pays. Et d’exploiter au plus vite des gisements de pétrole off shore, au large de ses côtes. Et d’augmenter encore la production d’éthanol, qui représente déjà le quart de la consommation nationale de carburant.

Le Brésil est un pays devenu fou de son énergie et de ses réalisations. Et comme tout autre de sa taille, il entend désormais être un gendarme continental. En avril 2013, au moment du salon de l’armement de Rio de Janeiro, le gouvernement de Roussef a lancé cinq appels d’offres internationaux en vue d’acheter 15 milliards d’euros d’avions, de navires de guerre, de satellites. 15 milliards, à rapprocher des 11 milliards que pourraient coûter la coupe de foot des Confédérations – en cours – et le Mondial l’an prochain.

Le Brésil est un géant dont la tête est pleine de merde.