Archives mensuelles : juin 2008

Vite, ils vont s’envoler !

Pascale – merci, merci, merci – m’envoie une adresse électronique, que je vous offre en retour : c’est ici.

Je déteste en général les intrusions dans les univers où ne sommes pas invités, mais je dois dire que cette caméra planquée dans un nid de faucons crécerelles prêts à l’envol me plaît énormément. J’ai peur que le spectacle soit impossible pour ceux qui ne disposent pas de l’ADSL et d’une machine plutôt récente. Qu’on me pardonne !

Je vais faire au passage un aveu qui compte : je rêve très souvent que je vole. Mieux : je ressens alors de sensations que je suis bien certain de ne pas connaître dans cette pauvre vie réelle du matin suivant. Est-ce normal ?

Il continue à faire beau

Incroyable mais vrai. Il est près de sept heures du soir, et le soleil ne décroche pas. S’il savait le bien qu’il me fait, je crois qu’il reviendrait demain. Car je soupçonne Phébus, sous ses airs clinquants, d’être un bon garçon.

Bon, et puis ? Je suis allé à France Inter, dans l’émission de Philippe Bertrand, et je me suis retrouvé face à une énigme. Toute relative, certes : un certain Philippe Tillous-Borde m’apportait la contradiction sur les biocarburants. Qui est-il ? Le président de Diester Industrie, et Directeur Général de Sofiproteol. Un ponte de cette industrie qui juge morale de faire rouler une bagnole avec des plantes alimentaires.

Bah ! Il m’a semblé parfois qu’il me prenait pour un intrus, qui aurait occupé indûment la place qui lui revenait de droit. Je peux me tromper, mais en tout cas, comme il m’a énervé ! Vous savez quoi ? Surtout, ne prenez pas cela pour de la prétention, mais cet homme qui nous entraîne à sa suite dans une aventure abjecte en sait cent fois moins que moi sur le sujet. Ce qu’il a dit aurait pu être préenregistré, et figure sur tous les dépliants publicitaires en faveur des biocarburants.

Il ne sait rien. Il n’a lu aucun livre. Il ignore tout des travaux de Crutzen, Pimentel, Patzek et tant d’autres. Mais il a le pouvoir. C’est ce que j’appellerai une leçon de choses, en direct. Je vous en prie solennellement, pas pour la raison que j’ai écrit un livre sur le sujet. Non, solennellement, je vous demande de continuer à parler de l’industrie criminelle des biocarburants. Et de la combattre de toutes vos forces. Cette bataille est pour l’honneur de l’homme. Et tant pis si cela paraît grandiloquent aux cyniques et aux imbéciles.

Sur ce, je crois pouvoir attraper un rayon et faire glisser dans ma gorge un liquide contenant sa part d’alcool. J’y vais donc.

Il fait beau

Rien ? Non, rien, comme a écrit Louis XVI dans son journal, à la date du 14 juillet 1789. Rien. Il fait très beau, là où je suis ce matin à 8 heures. Et il va faire chaud, j’en jurerais. Des martinets ont fait un nid en haut du toit de la maison d’en face, et jamais je ne me lasserai de leur vol et de leur cri. Savez-vous qu’ils s’emparent en plein vol d’une quantité démentielle d’insectes, qu’ils placent aussitôt dans une sorte de poche sous la langue ?

David, s’il te plaît, ajoute quelques commentaires sur ces merveilleux siphonnés. Ce qui me fait hurler de bonheur, c’est qu’à pleine vitesse dans le ciel, ils savent éviter les bestioles qui pourraient les rendre malades. Eux et leur progéniture. Tant qu’il y aura des martinets, il me restera assez de joie pour me lever le matin.

Tout à l’heure, de midi à une heure, je suis sur l’antenne de France Inter, pour parler de biocarburants. C’est déjà moins plaisant, mais enfin, j’y vais de bon coeur. On verra. Si j’en ai le courage dans l’après-midi, je vous en dirai deux mots. En attendant, je vais ouvrir la fenêtre, boire un café d’exception en regardant le ciel, et bayer aux corneilles martinets.

BHL, Roger Anet, la Côte d’Ivoire (une salade au jatropha)

Un pays peut disparaître. Si, je vous jure bien. Ou en tout cas changer si totalement qu’il est devenu autre. Je connais un homme que j’estime au plus haut point, Pierre Pfeffer. C’est à mes yeux un grand naturaliste, spécialiste notamment de l’éléphant, anciennement attaché au Muséum national d’histoire naturelle. Il y a quelque chose entre lui et moi, qu’il est malaisé de définir. Nous ne nous voyons pas, ou plutôt, quand nous nous voyons, nous sommes contents.

Pfeffer a eu un destin que je ne peux raconter, sauf sur le point suivant. Après guerre, jeune, aventureux, il est parti en Afrique en bateau, et s’est retrouvé vivre dans un village forestier de Côte d’Ivoire, partie de ce qu’on appelait alors l’Afrique occidentale française (AOF). Là, il servait de tireur appointé, chargé d’abattre dans les environs les éléphants énervés ou franchement misanthropes. Ce qui ne l’a jamais empêché d’être leur défenseur acharné, hier comme aujourd’hui. Il était un sniper, qualité qu’il avait déployée contre la soldatesque allemande et nazie, dans la Résistance.

Pour en avoir discuté avec lui, je peux vous dire ce que tous les connaisseurs savent : il y a cinquante ans, la Côte d’Ivoire était couverte d’une splendide forêt tropicale. Primaire, bruyante, habitée par quelques hommes et quantité de bêtes. Les chiffres varient beaucoup, car nul ne ait jamais de quoi l’on parle réellement. Une forêt primaire n’est pas une forêt secondaire, qui elle-même ne ressemble pas à ces horribles zones surexploitées où ne subsistent que quelques arbres.

Il est probable qu’en 1900, la Côte d’Ivoire comptait 16 millions d’hectares de vraie forêt. Soit plus de la moitié de la surface totale du pays. Il n’y en aurait plus que 3 millions. Peut-être moins de deux. Et le massacre continue.  Je vous signale au passage que cette déforestation doit beaucoup à un certain André Lévy, patron-fondateur de la Becob en 1946. La Becob, qui emploiera plus tard le chroniqueur bien connu Guy Carlier, a fait fortune en détruisant la forêt. Officier de l’ordre national ivoirien pour services rendus – mais à qui ? -, André Lévy était le papa de Bernard-Henri Lévy, spécialiste des droits de l’homme, tels que vus de Saint-Paul de Vence. Ce dernier vit donc des rentes de cette noble activité, et s’en va répétant à quel point les méchants ne sont pas de gentils garçons. Sauf l’ami Lagardère (défunt). Sauf l’ami Pinault (vivant).

Comme on ne se refait pas, ce qui précède n’était qu’une introduction. J’exagère, ce me semble. Je voulais vous signaler dans ce long préambule que la Côte d’Ivoire, concédée à Félix Houphouët-Boigny par la France coloniale, est l’archétype du pays à la botte. Houphouët, ministre d’État français dès juin 1957, sous la Quatrième République, grand ami d’un certain François Mitterrand, a refusé l’indépendance de son pays jusqu’au moment fatal où il a dû l’accepter. Mais à contrecoeur, croyez-moi !

Dans ce pays soumis, deux cultures d’exportation ont permis de payer les fonctionnaires locaux et d’engraisser jusqu’à l’indécence le clan au pouvoir après « l’indépendance » de 1960 : la cacao et le café. Inutile de préciser que le tout était entre les mains d’industriels de chez nous. Pendant des décennies, la propagande a présenté ce pays comme une réussite exemplaire, un pôle de stabilité au milieu d’un continent chaotique. La preuve que tout restait possible à qui courbait l’échine dans les plantations destinées au Nord.

Houphouët, toujours aussi sympathique, a fini par transformer son village natal de Yamoussoukro, situé à 240 km au nord d’Abidjan, en capitale administrative. C’est joyeux. On y a bâti avec l’argent de la corruption un Institut polytechnique, un aéroport international, et surtout la basilique Notre-Dame de la Paix. Entre 1985 et 1989, la société française Dumez y a réalisé une superbe affaire, car cette chose est une réplique en béton de Saint-Pierre de Rome. Le dôme pourrait contenir sans problème Notre-Dame de Paris. Et ne parlons pas du prix, cela serait insultant pour les mânes d’Houphouët. 250 millions d’euros ? 300 ?

Dans ces conditions, on s’étonnerait presque que la guerre civile, commencée en 2002, n’ait pas débuté bien plus tôt. Mais elle est là, aujourd’hui, divisant la zone tenue par Abidjan au sud, et celle aux mains de Bouaké, la ville du nord. Bouaké ! Voilà où je voulais en venir. Un excellent homme, Français d’origine ivoirienne – un petit Houphouët, quoi -, est le président des anciens élèves du lycée municipal de Bouaké. Il s’appelle Roger Anet, et vit en France tant qu’il n’a pas de belles affaires à monter là-bas, en Côte d’Ivoire. Or c’est le cas en ce moment.

Anet a créé une société pleine d’allant qui s’appelle Jatroci (Jatropha alternatifs tropicaux Côte d’Ivoire). Son but unique : planter massivement du jatropha dans le pays, pour en faire un biocarburant. Le jatropha, dont l’huile n’est pas alimentaire, a peu d’exigences écologiques et parvient à se satisfaire de conditions climatiques semi-arides. Les promoteurs des biocarburants actuels le vantent comme un miracle.

Anet aussi. À ce stade, fascinant, deux informations circulent. Selon l’AFP (ici), l’entreprise Jatroci a « déjà planté 5.000 ha de jatropha dans les régions de Toumodi, Taabo et Dimbokro (centre de la Côte d’Ivoire), dont 100 ha servant de banques semencières ». Et 100 000 hectares de plus seraient convoités. Mais d’après le quotidien d’Abidjan Fraternité Matin (ici), pour l’essentiel, rien n’est fait encore. Il n’importe : M. Anet ne semble pas né de la dernière pluie, et il réussira certainement.

Au-delà des ces menues contradictions, je me dis, je vous dis que tout est possible. Oui, on peut, avec l’entregent voulu – à vous d’imaginer, sans que j’insiste – arriver dans un pays ruiné et dévasté, et lancer ex nihilo, sans aucune étude préalable, la culture d’une plante venue d’Amérique latine, que beaucoup de spécialistes jugent invasive. Car elle peut s’échapper, proliférer, menacer la flore locale et d’autres cultures, y compris vivrières. Laissez-moi vous citer un extrait d’une dépêche consacrée à une réunion scientifique importante, qui s’est tenue à Bonn en mai dernier (ici) : « A l’heure où l’Union européenne veut imposer 10 % de biocarburant dans les transports, un nouveau rapport apporte un argument supplémentaire aux opposants à ce projet. En effet, à l’occasion de la conférence sur la biodiversité de Bonn, en Allemagne, le Programme Mondial sur les Espèces Invasives (GISP) a présenté une analyse du niveau de risque, en tant qu’espèce invasive potentielle, de l’ensemble des plantes qui sont actuellement utilisées ou pressenties pour produire des agro-carburants.
Sur les 70 plantes recensées, 59 sont considérées comme envahissantes (elles croissent vite et se multiplient facilement) si elles sont introduites dans de nouveaux habitats, 2 le sont très faiblement tandis que 9 ne présentent pas de risque particulier. Or, selon le GISP, peu de pays ont mis en place des procédures appropriées pour évaluer le risque potentiel, et limiter les dégâts si nécessaire.
Pourtant, pour Sarah Simmons, directrice du GISP, les plantes invasives ‘…sont l’une des principales causes de la perte de biodiversité et constituent une menace pour le bien-être et la santé humaine’. Aussi, le GISP appelle les pays à évaluer les risques avant de se lancer dans la culture de nouvelles variétés et à utiliser des espèces à faible niveau de risque »
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Dans cet autre extrait, tiré d’un bon article du New York Times, (ici), traduit par mes soins, on lit ceci : «Le jatropha, qui est la petite chérie des promoteurs de biocarburants de deuxième génération, est désormais largement cultivé dans l’est de l’Afrique, dans de toutes nouvelles plantations pour biocarburants. Mais le jatropha a été récemment interdit par deux États d’Australie parce qu’il est une espèce invasive. Si le jatropha, qui un poison, envahit les champs et las pâturages, il pourrait être désastreux pour l’accès local à la nourriture sur le continent africain ».

J’ajoute que ce toxique secrète un vrai poison, dangereux pour les animaux. Mais pensez-vous que de si menus questionnements vont arrêter la main du commerce ? Croyez-vous naïvement qu’après avoir détruit un pays entier à la racine, les marchands vont faire la pause sur le bord de la route, et réfléchir ne serait-ce qu’une seconde aux conséquences de leurs actes ? Ce serait bien mal les connaître. Tout merde ? Alors, accélérons, et tentons d’éviter les éclaboussures.

La prochaine fois que vous entendrez parler de la Côte d’Ivoire à la télé, ayez une pensée pour Roger Anet. Et pour ce grand philosophe éternel appelé Bernard-Henri Lévy.

Oiseaux cherchent arbres (désespérément)

Est-ce bien raisonnable ? Le dérèglement climatique en cours pousse « conservationnistes » et chercheurs à réfléchir à l’avenir. C’est bien le moins, et le problème n’est pas là. Mais je me demande. Prenez l’exemple de l’arbre. En France, il ne fait pas de doute que nous allons vers une révolution des paysages. En quelques décennies. Nul ne sait jusqu’où ira le réchauffement, mais les instituts, qui ont besoin d’un plancher sous leurs pieds, font comme si. Comme si les projections – du GIEC, essentiellement – prédisaient le futur.

Admettons. Retenant le scénario optimiste d’une augmentation de 2,5 % de la température moyenne française en 2100, l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) a tenté de voir ce que cela donnerait pour cinq espèces d’arbres (ici). Et, mazette, cela fait son effet. Ainsi le chêne vert – on peut y ajouter le pin d’Alep, l’olivier, le cyprès – ferait un bond spectaculaire. Il est pour l’heure l’hôte du sud-est méditerranéen, et de quelques stations de la façade atlantique. En 2100, il atteindrait la Normandie !

Le hêtre ? Présent à peu près partout dans notre pays, cet arbre de mon coeur – oh ! quand ce tronc gris s’élance de pierres grises et moussues – ne ne maintiendrait que dans le quart nord-est. Et notre chêne national, cet arbre des arbres, vénéré par tant de peuples qui ont habité notre territoire ? Il y a 10 000 ans, après la dernière période glaciaire, le chêne a commencé de recoloniser ce que nous appelons la France. Au rythme lent de la chaleur revenue. Eh bien, il lui aura fallu environ 2 000 ans pour monter du sud au nord, pour notre plus grand bonheur d’humains.

Seulement voilà : le bouleversement en cours exige de lui un miracle. Qu’en l’espace d’un temps qui ne représente pas même la durée de vie d’un arbre, il fasse son baluchon, et se mette en route, vers des contrées meilleures. Le chêne, ce nouveau réfugié écologique. Un programme européen tente de son côté d’y voir plus clair, qui s’appelle Evoltree (ici).

Sur les arbres, il arrive parfois qu’il y ait des oiseaux. Un pic noir tambourine un tronc, et y creuse une loge qui servira – qui peut savoir ? – à une chouette de Tengmalm. La sittelle torchepot, corps en fuseau, dos gris-bleu, gorge blanche, descend d’un autre, la tête en bas. Vous saviez que la sittelle sait descendre la tête en bas ? Vous saviez qu’elle raconte des choses comme tuituittuittuit … tuffit …?

Je m’égare. Lisez, si cela vous intéresse, le dossier du journal Le Monde 2 de cette semaine (ici). Il est consacré aux oiseaux, en tant qu’indicateurs du changement climatique en France. Et j’ai été frappé par ces quelques mots d’un (vaillant) chercheur du Muséum, Romain Julliard : « Alors que le soir envahit le Jardin des plantes, et que les pas des visiteurs s’allongent pour rejoindre les grilles du parc, les moineaux prennent possession des lieux. Romain Julliard ajuste ses lunettes avec l’index :  « Nous avons été formés à une écologie de la restauration. Image d’un idéal perdu qu’on essaye de conserver, de maintenir. Ce n’est plus pertinent. Il est bien plus judicieux de penser à préserver la biodiversité du futur que de s’accrocher à celle du passé. Aujourd’hui l’enjeu est de trouver les outils qui nous permettront de vivre demain, quand il fera plus chaud ! Et certaines espèces d’oiseaux y jouent un rôle essentiel. Ne serait-ce que dans la pollinisation des plantes… Face aux mouvements extrêmes de la nature, les êtres vivants résistent en s’adaptant : à nous de nous assurer que nous leur avons bien laissé les moyens et l’espace de le faire ».

Pourquoi en ai-je été interloqué ? Parce que je me demande si certains, avec les meilleures intentions du monde au départ – pour les forêts comme pour les oiseaux, en attendant le reste – ne sont pas en fait des gestionnaires de la catastrophe. Au milieu des ruines, ne servent-ils pas d’amortisseurs ? Et même de « facilitateurs » ? Ne permettent-ils pas à la coalition des barbares de continuer leur oeuvre tranquillement, en banalisant l’extraordinaire métamorphose en cours ? C’est une question.

PS : l’ami Jean-Paul Brodier me signale deux problèmes que j’ai négligés. Un, la taille de mes papiers ici. Et leur rythme quasi-quotidien. Je vais y réfléchir d’autant plus que je vais être absent la plus grande part de juillet. J’essaierai de me manifester de loin en loin, mais rien n’est sûr.