Archives mensuelles : janvier 2008

Pourquoi je vote (parfois)

Juste trois mots, entre deux portes. Certains lecteurs de ce blog ont été frappés par l’annonce faite ici que je ne vote pas. Je le comprends, bien entendu. Et même si je persiste, je me dois d’être plus précis que je ne l’ai été.

En fait, j’ai déjà voté. Jusqu’en 1981, il me semble. J’avais 25 ans. Puis non, car je ne voyais réellement plus à qui donner mon modeste vote. J’ai désappris l’acte civique par excellence. Par la suite, cette abstention est devenue un refus de vote, appuyé sur cette évidence : ce système de représentation ne mène nulle part où nous puissions aller ensemble.

Je ne vais pas détailler ici, mais j’aurai bien l’occasion d’y revenir. La totalité de la classe politique, y compris donc les Verts et l’extrême-gauche, vit dans un monde qui n’est plus le mien. Leurs propos me parviennent d’un au-delà de plus en plus lointain, qui non seulement ne disent plus rien d’utile, mais pis encore répètent les sornettes les plus pénibles qui soient.

Tous, au-delà de leurs divergences, font comme si le temps ne nous était pas compté. Comme si nous pouvions discuter de la couleur des murs quand l’édifice entier menace de s’écrouler sur nos têtes. Selon moi – et si je me trompe, sachez que je me soûlerai au champagne – ils sont perdus et nous perdent. Tout le temps passé à faire semblant que le cadre ancien sert encore les intérêts humains est gaspillé.

Il n’y a qu’une urgence, et ce n’est pas celle de voter. Ce qu’il faut, c’est construire une pensée et tracer des perspectives. Je vous renvoie à deux textes que j’ai écrits ici. Non pas qu’ils règlent quoi que ce soit – hélas – mais cela m’évitera provisoirement de faire plus long (fabrice-nicolino.com) (fabrice-nicolino.com).

Cela va finir à ressembler à confesse, mais je dois pour finir admettre que j’ai voté au second tour des présidentielles de 2002. Contre Le Pen et donc pour Chirac. Quelle ironie ! Mais je ne regrette rien, et je recommencerai même à l’occasion. Car le vote, dans la situation où nous sommes, garde à mes yeux une importance réelle. Celle de contribuer, si peu que ce soit, à la lutte contre la régression, menace permanente. C’est une chose de ne plus miser un centime sur les élections en général. C’en est une autre de ne pas participer au refus du pire.

Sarkozy, au fait ? Je dois reconnaître qu’une nouvelle question pourrait bien surgir autour du personnage drolatique, foutraque et angoissant que le destin nous a offert. On en reparlera.

Mais où vont le WWF ?

Exceptionnellement, ce papier figure à la fois sur les deux blogs que j’ai créés.
Attention, grand danger. Si j’ai écrit ce titre bancroche, c’est que je veux croire qu’il existe encore deux lignes à l’intérieur du WWF à propos des biocarburants. Mais je suis loin d’en être sûr.

Ce qui est certain, c’est qu’une orientation scandaleuse a été adoptée par la haute hiérarchie mondiale de l’association. Elle consiste, sommairement résumée, à accompagner le mouvement. Question : peut-on s’interroger sur les modalités d’un crime, ou faut-il tenter, par tous moyens disponibles, de l’éviter ?

À Bruxelles, dans les couloirs de la Commission européenne, les lobbies s’affrontent comme à leur habitude. Et parmi eux, le WWF. Car l’association a fait le choix d’être un lobby parmi d’autres. Concernant l’affaire des biocarburants, le WWF avance à pas comptés, se camouflant autant qu’il est possible. Ce qu’il réclame est exactement ce que souhaite la partie la plus intelligente de l’industrie des biocarburants : une certification dite environnementale, qui serait sanctifiée par le WWF.

Je sais, par des confidences, que ce dernier affronte à Bruxelles une opposition sur le sujet, encore discrète, mais résolue, surtout de la part des Amis de la terre. J’extrais du site Internet du WWF en Inde (www.wwfindia.org) un extrait saisissant qui mange le morceau sans détour : « « WWF is working with business and industries to develop sustainable palm oil purchasing policies and practices, to help combat tropical forest loss globally and to secure livelihoods for local people”, said Mr Ravi Singh, Secretary General and CEO of WWF India ». C’est donc bien un fait : s’appuyant sur la faribole de la RTSPO (Roundtable on Sustainable Palm Oil, ou tour de table sur l’huile de palme soutenable), le WWF vend son âme.

Le mouvement écologiste français est touché lui aussi. Le Comité de liaison des énergies renouvelables (Cler), qui abrite des partisans de cette certification bidon, et des adversaires, ne sait plus comment trancher publiquement la dispute. Comme je connais et apprécie Serge Orru, directeur du WWF-France, comme il m’a soutenu au moment de la sortie de mon pamphlet contre les biocarburants, La faim, la bagnole, le blé et nous, je lui adresse personnellement un message. Le voici :

Serge,

Mon amitié pour toi n’a rien de secret. Mais ce qui se passe en ce moment autour des biocarburants, cette filière criminelle qui affame les peuples et détruit la vie, est décisif. On ne peut pas être un écologiste, un ami de l’humanité et de la diversité, et soutenir la « certification » d’un tel désastre annoncé. Si même 10 % de la production de biocarburants devaient être obtenus dans des conditions « acceptables » – acceptables pour qui ? – il y aurait le reste. Et ce reste, désormais attesté par des d’innombrables sources, englobe famines de masse, atteintes directes aux droits élémentaires des communautés paysannes, destruction d’écosystèmes uniques, dont des forêts tropicales, dérèglement aggravé du climat.

Serge, il y a des moments où l’on doit dire. Et se distinguer si nécessaire. Même si c’est difficile pour toi, et parce que c’est difficile, je te garde ma confiance.

Fabrice

Madame Royal en monsieur (presque) Loyal

C’est dur, mais je me sens obligé d’ajouter un mot à mon premier envoi du jour sur le froid. Je découvre avec intérêt, mais sans surprise hélas, le propos de Ségolène Royal à l’endroit du rapport sur la croissance remis par Jacques Attali au président Sarkozy. Je le redis ici, à mes yeux, Attali est un pitre doublé d’un paltoquet (fabrice-nicolino.com). Son objectif unique, misant sur la destruction accélérée, est de parvenir à hisser la croissance à 5 % par an en France. Les conséquences ? Quelles conséquences ?

La suite est adressée à ceux qui misent sur le parti socialiste dans les années à venir. Pardonnez si je ne ris pas, j’ai les lèvres gercées depuis des décennies. Ségolène Royal a dit tout le bien qu’elle pensait d’Attali et de son travail au service de la déréliction. Je ne commente pas, lisez si le coeur ne vous vient pas au bord des lèvres (afp.google.com). En tout cas, ne comptez pas sur moi les jours d’élection, car vous seriez déçu. Et pas la peine de m’engueuler, car j’assume sans état d’âme.

Je ne vote pas.

Mais où est donc passé le froid ?

Je ne sais plus l’hiver qui brûlait les lèvres et les doigts. Oh, je l’ai très bien connu. Je me souviens par exemple des tranchées ouvertes dans le bitume de mon enfance. Pour réparer l’eau ou installer le gaz, je ne sais plus. Certaines nuits, la neige en recouvrait le fond, sur 20 centimètres, et avec les Mechiche, mes voisins, nous sautions dedans comme sur un long serpent de ouate. Et la bagarre commençait, amortie, assourdie, comme amusée. Et ce n’était pas au Kamchatka, mais à Villemomble, à dix kilomètres de Paris.

Plus tard, j’ai vécu à Montréal, où la vie se rencognait dès octobre dans les maisons surchauffées. Les entrées étaient des boutiques, d’authentiques débarras où les humains tombaient la pelisse. Et le reste. Je n’ai jamais, je crois, autant aimé cette relation tendue entre le dedans et le dehors.

Dans une autre vie, j’ai connu l’ivresse complète des traîneaux à chiens, dans le grand nord canadien. Il y faisait moins 35 degrés, et le monde entier était devenu désert et blanc. On ne voyait jamais que des traces sur la neige, de loin en loin, qui rappelaient que des êtres habitaient le pays. Des animaux. Sauvages. Mais qui ? Mais où ? On ne voyait que l’air.

Il y a quelques années, j’ai vu de près l’hiver, dans le Jura. Quand on veut éprouver la crainte de geler sur pied, c’est là qu’il faut aller. Je me rappelle la tourbière du Creux du Croue, et le son des raquettes sur la neige glacée. Et les chamois du crêt des Danses, qui sortaient un à un du brouillard givré. J’étais seul, comme à mon habitude, heureux bien sûr, à ma place. Mais quelle température !

Je ne devrais pas vous embêter avec ces fadaises, mais ce mardi 29 janvier, alors que je vous écris de la banlieue parisienne, je me sens pris d’une folle nostalgie. Chaque matin, j’entends à la radio des innocents qui vantent la douceur du temps. Comme ils ne savent plus quoi dire, ils inventent et empilent absurdité sur absurdité. Je ne suis pas seulement inquiet d’être le contemporain d’un tel changement, qui en annonce tant d’autres. Je suis aussi follement triste de ne plus être saisi. De ne plus être arrêté net. De ne plus devoir regretter, jusqu’à rebrousser chemin, cette paire de gants salvatrice oubliée chez un ami.

J’ai tant aimé le froid et l’hiver. Tant !

Considérations sur l’imbécillité (en Espagne et ailleurs)

Avouons que ce papier s’adresse d’abord à ceux qui croient encore dans la politique. Je veux dire la politique ancienne, celle qui émet les signaux que nous connaissons tous, celle de madame Royal, de monsieur Sarkozy. Celle venue en droite ligne de 200 ans d’histoire tourmentée.

On le sait, ou l’on finira par le savoir, je ne porte plus guère attention aux acteurs de ce jeu de rôles, mais je ne cherche pas à convaincre. Je ne fais qu’exprimer un point de vue. Et voici pour ce jour : j’aimerais vous parler d’Andrés Martínez de Azagra Paredes. Un Espagnol. Cet ingénieur, également professeur d’hydraulique, propose un néologisme : oasificación. Pour nous, Français, ce n’est pas très difficile à comprendre : il s’agit de créer des oasis. Martínez est un homme très inquiet de l’avenir de son pays, menacé par des phénomènes de désertification dont nous n’avons pas idée. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà, comme aurait dit Montaigne. Mais nous avons grand tort, en l’occurrence, de ne pas tendre l’oreille.

Martínez, en tout cas, a des solutions ( attention, en espagnol : www.oasification.com). Cela consiste, sommairement résumé, à récupérer l’eau, de pluie surtout, et à restaurer un couvert végétal là où il a disparu. En mêlant savoirs ancestraux et technologies nouvelles. J’avoue ne pas en savoir bien plus. Est-ce efficace ? Peut-être.

Mais la vraie question est autre : l’Espagne devient un désert. Bien entendu, il est plus que probable que nous ne serons plus là pour admirer le résultat final. Le processus est pourtant en route (afp.google.com) : le tiers du pays est atteint par des formes sévères de désertification, et le climat comme la flore et la faune seront bientôt – à la noble échelle du temps écologique – africains. J’ai eu le bonheur, il n’y a guère, de me balader sur les flancs de la Sierra Nevada, cette montagne andalouse au-dessus de la mer. Je me dois de rappeler que nevada veut dire enneigée. De la neige, en ce mois de novembre 2005, il n’y en avait plus.

Pourquoi cette avancée spectaculaire du désert en Europe continentale ? Je ne me hasarderai pas dans les détails, mais de nombreux spécialistes pensent que le dérèglement climatique en cours frappe davantage l’Espagne que ses voisins. Et comme le climat se dégrade aussi en Afrique, notamment du nord, il va de soi que les humains qui ont tant de mal à survivre là-bas ont tendance à se déplacer plus au nord, au risque de leur vie quand ils tentent la traversée vers les Canaries ou le continent.

Et que fait le gouvernement socialiste en place ? Eh bien, avec un courage qui frise la témérité, il vient de décider la création d’un Plan national contre la désertification. Tremblez, agents de la dégradation écologique ! Je ne vous surprendrai pas en écrivant que les choix faits depuis 50 ans n’ont jamais qu’aggravé les choses. La surexploitation des ressources en eau, la déforestation, l’agriculture intensive et l’urbanisation sont les points les plus saillants d’une politique d’autant plus efficace qu’elle est évidente, et rassemble tous les courants qui se sont succédé au pouvoir.

Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ?

Donc, Zapatero. Il me fait penser à DSK. Ou à Moscovici. Ou à Delanoé. Ou à tout autre, cela n’a pas la moindre importance. Il se vante donc de l’état de l’économie sous son règne, espérant bien remporter les élections générales du 9 mars prochain. Comme je m’en moque bien ! Car il y a tout de même un peu plus important. Certes, le socialistes locaux ont stoppé – pour combien de temps ? – le démentiel Plan hydrologique national de la droite, qui entendait détourner une partie des eaux de l’Èbre – fleuve du Nord qui a donné son nom à la péninsule – jusque vers l’extrême sud et les côtes touristiques.

Certes. Mais la soi-disant bonne santé du pays repose, pour l’essentiel, sur la construction. Qui n’est bien entendu que destruction. Jusqu’à la crise des subprimes, ces damnés crédits immobiliers américains, l’Espagne était considérée comme un modèle (www.lemonde.fr) à suivre partout en Europe. Écoutez donc cette nouvelle chanson, dans la bouche de Patrick Artus, gourou financier bien connu : « La crise récente risque de montrer qu’il s’agissait de « faux modèles » à ne pas suivre. Que reste-t-il du dynamisme de ces pays, une fois enlevés l’expansion des services financiers et de la construction, qui y représentaient 50 % à 80 % des créations d’emplois ? ».

Zapatero est un grossier imbécile. Je vous le dis, vous pouvez le répéter. Imbécile, je pense que cela va de soi. Grossier, car dans le même temps que sa ministre de l’Environnement faisait semblant d’agir contre l’avancée du désert, on apprenait la teneur de quelques chiffres officiels. L’an passé – de juin 2006 à juin 2007 -, les mairies du littoral espagnol reconnaissaient l’existence de projets immobiliers plus nombreux que jamais. Soit 2 999 743 nouveaux logements, 202 250 lits dans l’hôtellerie, 316 terrains de golf et 112 installations portuaires avec 38 389 places neuves pour les jolis bateaux. Sans compter 90 cas de corruption établis, impliquant 350 responsables publics (attention, en espagnol : www.glocalia.com).

Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (www.batiweb.com). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.