Archives mensuelles : mai 2013

OGM sans frontières, d’Obama à Hollande

Paru dans  Charlie Hebdo le 22 mai 2013

En Amérique, Monsanto fait la loi, jusqu’à la Cour suprême. Si on veut planter du soja, il faut payer la taille et la gabelle. En France, l’Inra fait joujou dans le Loiret et veut changer des peupliers OGM en biocarburants. C’est la fête transgénique.

L’Amérique d’Obama. Il ne faut pas dire du mal, on va se gêner. Début avril, des petits malins glissent dans un projet de loi budgétaire ce qu’on appelle ici un cavalier législatif. C’est-à-dire un amendement qui n’a pas de rapport direct avec le texte présenté. C’est classique et sans vaseline.

Le cavalier, aussitôt appelé « Amendement Monsanto », interdit à la justice de suspendre la vente et la culture de plantes OGM, même dans le cas où l’homologation légale leur serait retirée. Une pétition de 250 000 signatures est apportée, en manif, jusqu’aux abords de la Maison-Blanche. Obama, qui doit bien y trouver son intérêt, s’assoit sur les protestations et donne son feu vert au projet de loi, amendement compris, quelques jours avant le vote.

Et ça continue le 13 mai, sous la forme d’une décision de la Cour suprême des Etats-Unis. Certes oui, les vieux birbes qui y siègent sont « indépendants », mais ils semblent sacrément sensibles à l’air du temps. En gros, la Cour condamne un pedzouille de l’Indiana – Vernon Hugh Bowman, 75 ans aux fraises -, confirmant un jugement de 2009 l’obligeant à refiler à Monsanto, le maître du monde, 65 000 euros. Qu’a fait Bowman ? De 1999 à 2007, il a replanté des graines de soja issues de sa propre récolte, ce que font tous les paysans de la Terre depuis l’invention de l’agriculture.

Sauf que le soja était OGM et que les semences appartenaient, par brevet commercial, à l’ami de la nature, Monsanto soi-même. Le groupe interdit qu’on réutilise les semences qu’il vend, car selon lui – et la Cour suprême désormais – ce serait du vol. Les contrats signés avec les paysans les contraignent à racheter chaque année des semences à Monsanto, ce qui peut se révéler pratique. Dans un rapport publié en février (1), on apprend que planter du soja transgénique coûte bonbon : entre 1995 et 2011, l’augmentation moyenne, à l’hectare, est de 325 %. Or l’Amérique compte à elle seule 60 millions d’hectares de cultures OGM (toutes plantes confondues), soit plus que la surface entière de la France.

C’est donc pas chez nous qu’on verrait ça. Et de fait, grâce notamment aux Faucheurs volontaires (http://sans-gene.org/), qui zigouillent les plants OGM de plein champ depuis 1999, Limagrain, le petit frère auvergnat de Monsanto, n’est jamais parvenu à ses fins. Un à un, tous les essais de terrain ont reculé, ne laissant place qu’à un seul et unique survivant : la plantation de 1 000 peupliers OGM de l’Inra, à Saint-Cyr-en-Val (Loiret). Depuis 1995, nos excellents amis ingénieurs agronomes regardent pousser les arbres, et ils aimeraient continuer.

Une consultation publique, pas qu’un peu bidon, est ouverte jusqu’au 27 mai, portant sur « la prolongation d’une expérimentation en plein champ de peupliers génétiquement modifiés ». Comme on se doute, les ennemis du progrès essaient, de leur côté, d’empêcher la poursuite de cette belle aventure scientifique. Dans un communiqué (2), les Amis de la Terre, la Confédération paysanne, Greenpeace, les paysans bio de la Fnab piquent une crise, car ils redoutent un coup de Jarnac. Selon la dernière autorisation, celle de 2007, les peupliers OGM auraient dû être coupés au printemps 2013. Mais les gens de l’Inra semblent concocter un autre projet.

Conçu au départ pour tester la capacité des arbres OGM à faire du papier – sur ce plan-là, échec complet -, l’essai de l’Inra pourrait bien servir à la fabrication à terme, d’un biocarburant. Depuis l’apparition de cette vérole – on transforme des plantes, essentiellement alimentaires, en carburant automobile -, des dizaines de rapports ont démontré ses liens avec la faim. Ce n’est pas bien compliqué : dans un monde qui compte près d’un milliard d’affamés chroniques, si on distrait une partie des récoltes au profit des biocarburants, il y a fatalement moins à bouffer pour les plus pauvres.

Est-ce que l’Inra se fout à ce point-là de ces questions morales élémentaires ? Et Le Foll, le ministre de l’Agriculture ? Et Hollande, son bon maître ? C’est possible. On va voir.

(1)  http://www.centerforfoodsafety.org/reports/1770/seed-giants-vs-us-farmers
(2)  http://www.amisdelaterre.org/Plusieurs-associations-appellent-a.html

Un auditeur mécontent de moi (sur le Loup)

Comme je vous cache tout, je ne vous ai pas dit que je passais hier vendredi sur France Culture, dans l’émission Le magazine de la rédaction (ici). Sujet du soir : le Loup. J’ai dit ce que j’avais à dire, et ce matin, M.Plumelle m’adresse sur Planète sans visa le courrier qui suit. Ma foi. Il a bien le droit de penser ce qu’il pense. Mais j’ai moi aussi le droit de lui répondre. Non sur le fond, car sur le fond, que dire ? M. Plumelle aime randonner et voir, chemin faisant, des chamois. Mais pas de loups, présents sur notre territoire pendant des centaines de milliers d’années. En somme, M. Plumelle est un écologiste, mais un écologiste à la carte. Je prends, je laisse, je décide.

Mais comme je n’entends pas répondre au fond – les 1400 articles de Planète sans visa sont là pour cela -, passons donc à la forme. Il est plaisant de constater combien il est facile de fabuler. Je mets au défi M. Plumelle de prouver, par mes propos d’hier, que je défends « une montagne pure et originelle où il n’y aurait plus que des animaux sauvages, débarrassée de toutes présences humaines ». La vérité est, plus prosaïquement, qu’il m’attribue des pensées imbéciles pour mieux pouvoir me critiquer. Le procédé est connu depuis au moins l’Antiquité. Mais il a sûrement existé avant. Voilà pour le premier point.

Le deuxième point : le Loup n’a jamais, JAMAIS été réintroduit. Il est revenu naturellement, depuis les monts Apennins d’Italie. Mais le fabliau de la réintroduction continue sa route, car il est censé prouver que des écologistes « extrémistes » ont créé une situation impossible.

Le troisième point : parce que j’ai écrit un livre sur l’industrie de la viande, et que je ne l’ai pas dit, je serais malhonnête ? J’espère vivement avoir mal compris, car franchement, et dans ce cas, faut-il encore en rire ?

Quoi qu’il en soit, et pour sûr, je défends et défendrai la présence du Loup en France, où il est chez lui. Bienvenue chez toi, Grand Méchant Loup !

                                                     LE COURRIER DE MONSIEUR PLUMELLE

Plumelle Claude |

Bonjour,

J’ai écouté hier vendredi 24 mai l’émission de France Culture “loup es tu là” et j’ai été abasourdi par vos propos. Décidément il y a des ayatollahs partout.

Pour que mon message soit clair je ne suis ni éleveur, ni boucher … j’ai seulement été Professeur des Universités en Science et Technique et plus sérieusement grimpeur puis randonneur dans les Alpes depuis 40 ans. Et je pense être aussi écologiste que vous.

A vous écouter il faudrait revenir à une montagne pure et originelle où il n’y aurait plus que des animaux sauvages, débarrassée de toutes présences humaines. Au départ j’étais favorable à la réintroduction du loup si comme on nous l’avait dit le loup allait assurer l’équilibre biologique du milieu montagnard en mangeant les vieux chevreuils et les chamois malades; mais l’animal est remarquablement intelligent, il préfère aller au plus facile et croquer les agneaux. Et malheureusement ce sont 6000 bêtes tuées, un coût de 35 000€ par loup, en période de crise c’est un peu cher pour complaire à quelques écologistes extrémistes. Il faudrait donc être réaliste et revenir à un nombre de loups réduit.

Pour être honnête il aurait été correct que vous disiez que vous militez contre l’industrie de la viande, ce qui est tout à fait recevable. Et vous avez été violent envers les éleveurs en disant que de toute façon ils étaient “foutus”, le mouton de Nouvelle Zélande étant au moins 2 fois moins cher. Cher Monsieur, vous pouvez à ce compte là trouver pour chaque produit fabriqué en France quelque part dans le monde un coût beaucoup moins cher, par exemple vous pouvez acheter des tee shirts fabriqués au Bangladesh pour quelques euros. Alors délocalisons tout!
Je pense qu’il y a des combats écologiques plus importants, l’emploi massif de pesticides, les OGM, les élevages industriels (de moutons aussi?)comme en Bretagne qui polluent rivières et mers malgré les centaines de millions d’euros dépensés pour dépolluer et je crois que sur ces sujets on sera d’accord. Mais ne vous trompez pas de combat, personnellement je préfère le berger au loup espèce protégée), désolé!
Je retourne dès fin juin randonner en Ubaye, pour profiter de la montagne, pour croiser les troupeaux, les chamois …et pour en profiter avant que la montagne soit vide, car contrairement à ce que vous disiez à la fin de l’émission c’est vous qui gagnerez, l’époque est aux extrémismes.

Salut.

Les salopards sont vraiment des vautours

La haine de la nature est un phénomène aussi passionnant qu’angoissant. Je n’entends pas m’étendre sur le sujet aujourd’hui, mais je tiens à dire mon sentiment sur un point : selon moi, on ne détruit pas le monde qui vous porte seulement par ignorance ou indifférence. Pour des raisons psychiques d’un considérable mystère, de nombreux humains haïssent réellement le vivant et les formes si fabuleuses qu’il revêt. Indiscutablement, cela ressemble fort à du suicide. On sait que l’attrait de la mort existe chez l’individu. On découvre depuis quelques décennies qu’il peut concerner une espèce entière.

Je viens de recevoir de Raymond Faure – merci – une mise au point de deux merveilleux naturalistes, Michel Terrasse et Roger Mathieu. Vous lirez. Il n’y a pas à commenter.

                                              Mise au point sur les Vautours fauves en Pyrénées

Délires consternants autour d’un triste accident de montagne

Le 14 avril 2013 dans les Pyrénées (commune de Larrau) une randonneuse de 52 ans a fait une chute mortelle de plus de 300 m dans un couloir neigeux.

Les gendarmes du peloton de haute montagne et un médecin du SMUR, arrivés sur les lieux environ deux heures après l’accident, n’ont pu que constater le décès. Les secouristes ont signalé la présence de vautours fauves à proximité de la victime.

Les corps de personnes mortes, quelle qu’en soit la cause, séjournant dans la nature ont toujours été consommés par la faune sauvage ou/et domestiques à régime charognard exclusif (1) ou partiel (2). Il n’y a rien de plus naturel et c’est même la forme de sépulture exigée en Asie par certaines religions.

Certes, nos moeurs sont tout autres. Mais, aussi choquant que ce soit pour certains, ces animaux ne peuvent pas percevoir un cadavre autrement que comme de la nourriture disponible, sans manifester le moindre comportement de prédation.

A la différence des mammifères, les vautours comme tous les autres oiseaux à régime charognard, utilisant l’espace aérien pour se déplacer, peuvent intervenir rapidement auprès d’un cadavre.

Les médias soucieux d’une information objective, ont rendu compte des faits rapportés par les gendarmes et le médecin ; ces derniers ne laissant aucun doute quant à la mort de la victime avant l’arrivée des vautours.

D’autres médias ont pratiqué un sensationnalisme sans scrupule, déformant les faits ou leur donnant un éclairage tendancieux, instrumentalisant le malheur de la victime et des ses proches au service d’une stratégie douteuse, notamment :

• blog d’un agitateur local, anti-faune obsessionnel et depuis longtemps décrédibilisé ;
• une revue de chasse en ligne en profite pour lancer une attaque personnelle contre une
spécialiste des vautours ;
• enfin, la presse populaire britannique exploite ce fait divers pour vilipender une fois de
plus l’Union Européenne.

Il n’y a pas lieu de réagir outre mesure à cette accumulation de mauvaise foi et d’incompétence.

Les animaux à régime charognard, comme les vautours fauves, sont largement répartis sur tous les continents du globe. La vérité est qu’ils éliminent efficacement et sans frais les innombrables animaux morts et autres déchets organiques. Ils jouent ainsi un rôle sanitaire essentiel et indispensable en tant qu’équarrisseurs naturels.

Michel TERRASSE et Roger MATHIEU

(1 )Vautours et certains insectes.

(2) Corbeaux, pies, milans, pygargues, renards, loups, sangliers, chiens, porcs…

À l’assaut du maïs mexicain

Paru dans Charlie Hebdo le 15 mai 2013

Le maïs est la première céréale mondiale, avant le blé ou le riz. Et cette plante est née au Mexique, où les paysans font vivre des milliers de variétés résistant à tout. Les transnationales, Monsanto en tête, veulent y planter des millions d’hectares d’OGM, aidés par Bill Gates et Carlos Slim.

Carlos Slim. On ne connaît pas ici ce Mexicain, désigné en mars 2013 comme l’homme le plus riche du monde selon le classement de Forbes. Il pèse 10 % de la Bourse de Mexico, et il est aussi, car le monde est merveilleux, le deuxième actionnaire du New York Times. Comment règne-t-on sur une fortune personnelle de 73 milliards de dollars ? En vivant dans un pays où tout s’achète. Où les présidents couchent avec les caïds de la came, où l’on décapite à la machete ceux qui se mettent en travers de la route.

Mais Slim est un philanthrope, et parmi ses nombreux amis, il fréquente un certain Bill Gates, qui jongle avec les centaines de milliards de sa Fondation depuis qu’il a largué Microsoft. Le 12 février dernier, les deux hommes se retrouvent au siège du Centre international d’amélioration du maïs et du blé (CIMMYT, selon l’acronyme espagnol), à Mexico. Et signent à cette institution de l’agriculture industrielle un chèque de 25 millions de dollars, devant les caméras. Mais que cherchent-ils ? Pour bien comprendre la manœuvre, il faut dire un mot de l’histoire de ce centre, d’où est partie la soi-disant Révolution verte. Il y a 50 ans, sous couvert de lutte contre la faim, l’agrobusiness a pu répandre dans une bonne part des pays du Sud, Inde en tête, les engrais, les pesticides, l’irrigation industrielle, les gros engins. Slim et Gates auraient-ils l’intention de récidiver, à commencer par le continent africain, où la Révolution verte n’a pas pénétré la première fois ?

C’est plausible et c’est même probable, car une bagarre d’une ampleur surprenante, dont Charlie a déjà parlé (le 28 novembre 2012), a lieu en ce moment au Mexique. L’enjeu s’appelle le maïs, né dans ce territoire, et dont la souche historique est désormais menacée par les OGM, notamment ceux de Monsanto. Le 11 février 2013, deux scientifiques mexicains spécialistes du maïs, Alejandro Espinosa Calderón et Antonio Turrent Fernández, signent une tribune dans le quotidien La Jornada. Ils y expliquent le rôle essentiel de la diversité génétique des maïs cultivés au Mexique depuis des milliers d’années, et mettent en garde contre un projet simplement crapuleux. Le gouvernement envisage sérieusement de filer des millions d’hectares à des transnationales comme Monsanto pour y semer du maïs OGM. Dans ce cas, écrivent les deux auteurs, « il deviendrait impossible d’empêcher la contamination » du maïs non-OGM.

Sur place, ainsi que le raconte l’association Grain (www.grain.org), c’est l’effervescence. D’innombrables réunions publiques, articles, films et spots sur Internet, ont lieu depuis des mois, coordonnés par le Red en Defensa del Maíz (http://redendefensadelmaiz.net), un réseau social et politique très efficace. L’Indienne Vandana Shiva a même fait le déplacement à Oaxaca, terre zapatiste, où elle a donné le 30 avril une conférence de presse.

Les Slim et autres Gates ont oublié d’être cons, et avancent sous couvert de la Cruzada contra el Hambre, ou Croisade contre la faim, un grand plan lancé dans l’enthousiasme préenregistré par le gouvernement mexicain. Tout se déglingue ? Le dérèglement climatique s’ajoute à l’épuisement des sols et des nappes phréatiques alors que nous serons bientôt dix milliards ? Pas si grave, car il y a des solutions. Enrique Martínez y Martínez, ministre de l’Agriculture mexicain : « Les biotechnologies sont nécessaires pour faire face aux famines, au Mexique et dans le monde (…), nous devons chercher les semences génétiquement améliorées qui nous permettent de faire face aux sécheresses, aux pestes agricoles, aux gelées ».

Mais revenons une seconde à Slim et Gates, qui ont donc donné 25 millions de dollars au Centre de recherche qui a lancé la Révolution verte. Le quotidien britannique The Guardian (15 février 2013) a eu la curiosité d’interroger à ce sujet Thomas Lumpkin, le directeur du Centre. Non seulement le fric va permettre de travailler davantage sur le maïs OGM, mais en plus, des programmes sont en cours au Kenya et dans plusieurs pays africains, premières cibles, à l’évidence. Pendant qu’on se passionne pour Hollande et Sarkozy, le monde bascule.

Comment le gouvernement s’assoit sur le ventre des abeilles

Publié dans Charlie Hebdo le 7 mai 2013

Les abeilles, assurent par la pollinisation le tiers de l’alimentation humaine, mais elles meurent par milliards. L’Europe fait un geste contre les pesticides qui les butent, et Charlie raconte les coulisses.

Résumons, car cette histoire en a bien besoin. La semaine passée, la Commission européenne a décidé de suspendre pendant deux ans l’usage de trois pesticides, ou plutôt de trois matières actives entrant dans leur composition : l’imidaclopride, la clothianidine et le thiaméthoxame. La grande folie, c’est qu’on sait depuis quinze ans que ces charmants personnages butent les abeilles par milliards. Ces abeilles qui garantissent, par la pollinisation, environ un tiers de l’alimentation humaine.

Résumons donc. En 1991, les chimistes du groupe Bayer touchent le gros lot. Leur nouvelle invention pour liquider les insectes dans les champs industriels de tournesol ou de maïs est dite systémique. En appliquant sur la semence le petit nouveau, on « protège » la plantule puis la totalité de la plante, via la sève. Le truc s’appelle imidaclopride et sera commercialisé sous le nom de Gaucho. De 1994 à 1997, les apiculteurs voient crever leurs abeilles par milliards, mais chut. L’hécatombe devient telle qu’en janvier 1999, Jean Glavany, ministre socialo de l’Agriculture, suspend l’utilisation du Gaucho pendant un an, sur le seul tournesol. Mais ce n’est qu’une gentille farce.

En janvier 2002, une main très inspirée, au ministère, donne un coup de tampon sur l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) du Gaucho. Cette dernière est prolongée de dix ans, malgré la mort des abeilles. Alors arrive le petit juge Ripoll, saisi par une plainte d’un syndicat d’apiculteurs. Le voilà qui perquisitionne l’une des citadelles les mieux protégées du ministère de l’Agriculture, la Direction générale de l’alimentation (DGAL). Il tombe sur la directrice, Catherine Geslain-Lanéelle, qui l’envoie chier direct. Elle lui refuse communication des documents ayant permis l’Autorisation de mise sur le marché. Bien qu’ayant frôlé la garde-à-vue, la Catherine tient bon, et le juge repart la queue basse. Ripoll sera muté peu après à Papeete, là où le lagon est si bleu.

On ne peut raconter ici la suite, pourtant si éclairante, mais on va retrouver au coin de la rue Geslain-Lanéelle, ne quittez surtout pas. D’autres pesticides du même genre inondent le marché français : le Régent, le Cruiser (thiaméthoxame), le Poncho (clothianidine). Les abeilles disparaissent sans laisser de trace, car parties butiner, elles ne parviennent plus à retrouver leur ruche. Leur système nerveux est simplement anéanti. Et les apiculteurs suivent le mouvement : de 2004 à 2010, leur nombre a baissé de 40 % (chiffres officiels FranceAgriMer).

Mais revenons à Geslain-Lanéelle. Officiellement proche des socialos, elle devient en 2006 la directrice de l’Agence européenne de sécurité des aliments (Efsa, selon son acronyme anglais). En 2010, on apprend – grâce à José Bové – que la nouvelle présidente du Conseil d’administration de l’Efsa, la Hongroise Diána Bánáti, bosse en loucedé pour un lobby industriel comprenant notamment Bayer et BASF, les propriétaires du Gaucho et du Regent. Or Geslain-Lanéelle s’en accommode si bien qu’elle défend le maintien de Bánáti à la tête du Conseil d’administration de l’Efsa jusqu’en mai 2012, date de sa démission.

Est-il possible que ces micmacs expliquent l’inertie française – et européenne – de ces quinze dernières années ? Notons en tout vas, avec une vive surprise, que l’agrochimie a mis le paquet pour tenter d’empêcher l’interdiction des trois pesticides par l’Europe. Dans un hallucinant rapport, Corporate Europe Observatory (CEO), spécialisé dans la surveillance des lobbies industriels, révèle la teneur de courriers adressés à la Commission européenne (1). Les lettres, dont certaines signées Bayer (le Gaucho), varient entre plan com’, dénigrement des études scientifiques, menaces de poursuite. Extrait impeccable d’une lettre de Bayer, le 12 juin 2012, adressée au commissaire européen (Santé et Consommation) John Dally : « Soyez bien assuré que pour notre entreprise, la santé des abeilles est notre priorité numéro 1 ». Dally, malheureux homme, a dû démissionner, lui aussi, en octobre 2012, à cause de son implication dans une affaire de corruption par l’industrie du tabac.

Et nous là-dedans, braves couillons que nous sommes ? Le 30 avril 2013, l’Institut national de veille sanitaire (InVS) rend public un rapport sur « l’imprégnation » aux pesticides des Français (2). Notre sang et notre urine sont farcis de résidus de PCB et de pesticides organophosphorés ou organochlorés, parfois plus que les Amerloques, que l’on croyait champions du monde. Rien sur les trois molécules suspendues pour deux ans : les études viendront plus tard, dans vingt ans, quand tout le monde aura Alzheimer.

(1) http://corporateeurope.org/publications/pesticides-against-pollinators

(2) http://www.invs.sante.fr/Publications-et-outils/Rapports-et-syntheses/Environnement-et-sante/2013/Exposition-de-la-population-francaise-aux-substances-chimiques-de-l-environnement-Tome-2-Polychlorobiphenyles-PCB-NDL-Pesticides

ENCADRÉ PARU LE MÊME JOUR

Tout bouge mais rien ne change (ritournelle)

Est-ce que cela va mieux ? Est-ce que les pesticides sont mieux surveillés en France depuis l’affaire du Gaucho (voir ci-dessus) ? Dans un livre paru en 2007 (1), l’essentiel avait été rapporté, à commencer par cette consanguinité totale entre l’industrie des pesticides et les services d’État qui donnent les précieuses Autorisations de mise sur le marché (AMM) de ces si bons produits chimiques.

Depuis, malgré la cosmétique –  industrie en vogue -, il se passe dans les arrière-cours des arrangements entre amis qui réchauffent le cœur. Le 27 août 2012, ainsi que le révèle l’association Générations futures (www.generations-futures.fr), Marc Mortureux écrit une bafouille à Patrick Dehaumont. Pour bien apprécier la saveur de ce qui suit, précisons que Mortureux est le patron de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), créée après la faillite opérationnelle et morale de deux autres agences d’État, l’Afssa et l’Afsset. Mortureux est chargé, comme indiqué, de notre sécurité. Quant à Dehaumont, il est aux manettes de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), qui s’est lourdement illustrée dans la « gestion » des pesticides massacreurs d’abeilles.

Mortureux : « Par courrier du 7 octobre 2009, j’avais attiré l’attention de votre Direction sur les problèmes posés par le fait que les avis de l’Agence relatifs aux dossiers de produits phytopharmaceutique… » et bla-bla-bla. Ce que Mortureux veut dire, qu’il présente de manière diplomatique, c’est que la DGAL s’assoit avec volupté sur les mises en garde sanitaires. Malgré des avis détaillés de l’Anses qu’il dirige, l’administration française a autorisé la mise sur le marché de dizaines de pesticides inquiétants. Mortureux met en cause « le maintien sur le marché de produits pour lesquels avait été émis un avis défavorable ou un avis favorable avec restrictions ». En matière criminelle, aucun doute, il s’agirait d’un flag.

Tête du ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll, qui aimerait tant faire croire qu’il est en train de terrasser le monstre industriel avec ses petites mains à lui. Comme contraint, le ministre a finalement donné plus qu’un petit peu raison à Générations futures en commandant un audit dont les résultats doivent être connus entre le 7 et le 10 mai 2013. Problème de CM1 : s’il a fallu quinze ans pour s’en prendre au Gaucho, et compte tenu que Le Foll avance d’un millimètre par mois, combien faudra-il de millénaires pour se débarrasser des pesticides ?

(1) Pesticides, révélations sur un scandale français (Fayard)