Archives mensuelles : octobre 2021

Le Loup a atteint l’océan Atlantique

Vous avez peut-être vu ? Un loup a été trouvé mort le long d’une route. Où ? Près de Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique), où j’étais en colo quand j’avais dix ans. On n’avait plus vu de loup dans la région si proche du grand océan depuis au moins un siècle.

On ne sait pas de quoi l’animal est mort, et j’espère, contre certaine évidence, que l’homme n’y est pour rien. Mais en attendant les résultats d’analyses, je me dois de saluer une fois de plus l’exploit physique qui pousse des loups revenus d’Italie il y a trente ans à réoccuper leur Empire de jadis. Il faut tâcher d’imaginer le travail ! On envoie quelques éclaireurs depuis les Apennins, arête centrale de l’Italie, qui forment une à une des meutes dans l’arc alpin. Et puis, par un phénomène naturel de dispersion – celui-là même qui les a conduits en France -, ils repartent à l’assaut de leurs territoires historiques, franchissent le Rhône, l’autoroute dite du soleil, la ligne TGV, et foncent vers les Cévennes, le Gévaudan, le Jura, les Vosges, la Marne, la Vendée, la Loire-Atlantique, etc.

Combien sont-ils ? Autour de 600, ce qui est tout à la fois prodigieux et si peu. On sait qu’ils furent des milliers. D’évidence, ils posent des problèmes de cohabitation, et seuls de doux rêveurs sont capables de le nier. L’homme, dans le meilleur des cas, ne peut que tolérer la présence du grand prédateur, concurrent direct pendant des dizaines de siècles qui ont fatalement imprimé leur marque dans la psyché humaine.

Et c’est là toute l’affaire : tolérer cet autre indésirable et potentiellement menaçant. La chute vertigineuse de la biodiversité impose des changements dans l’âme humaine, les changements les plus complexes, les plus incertains, les plus douloureux. Peut-on changer l’âme ? J’avoue que je n’en sais rien, l’espérant de toutes mes forces. Mais je sais aussi qu’il n’est pas d’autre voie que celle du partage de l’espace entre eux et nous. Je ne pense pas seulement aux loups, de loin, mais à tout ce qui vit, plantes et arbres compris. Et quand je parle d’espace, c’est surtout à un espace intérieur que je pense. Nous devons entendre et montrer que cette terre ridiculement petite est à tous. Faute de quoi, et vous le savez, l’homme se retrouvera in fine avec lui-même seulement, et se mordra, et s’égorgera. L’altérité essentielle est l’un des fondements vrais d’une politique de civilisation de la sauvagerie humaine.

Ce programme paraît hors d’atteinte, je le vois bien. La route est si étroite, les précipices si nombreux, le goût du sang si constant qu’on aurait le droit de refermer la porte sur des problèmes d’une telle dimension. Mais tel est notre rôle, à nous qui défendrons le vivant jusqu’à périr. Il faut. On peut nommer cela un devoir. On doit tenir ce dernier pour l’impératif catégorique de Kant. Inconditionnel.

Franchement, les abeilles seulement ?

Vous le savez, ou non. La récolte de miel 2020, en France, est la pire depuis des décennies. 7000 à 9000 tonnes ont pu être récupérées. Deux fois moins que l’année d’avant, et le tiers seulement de ce qu’on obtenait il y a trente ans. Il existe donc des causes profondes à ces désastres à répétition, même si la météo exécrable du printemps et de l’été a pu jouer son rôle. Je ne vous apprends strictement rien : les pesticides sont les grands coupables. Et parmi eux, ces néonicotinoïdes réintroduits l’automne passé par une coalition unissant Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et amoureux fou de l’industrie agricole d’une part, et Barbara Pompili, ministre de l’Écologie, si je puis dire ce qui n’est pas.

On attend d’un jour à l’autre un arrêté prétendant protéger les abeilles contre les pulvérisations de poisons chimiques. Comme les associations et groupements d’apiculteurs n’ont seulement pas été consultés, on sait le résultat : la FNSEA, dans la main de laquelle Denormandie – et Pompili, oui – mangent, a gagné. J’en suis profondément triste, mais je ne vous lâche pas sans vous signaler cet article très bien fait qui mérite lecture : cliquer ici.

Il renvoie à un article scientifique signé par deux entomologistes et, fait plus rare, un journaliste, Stéphane Foucart, du journal Le Monde (c’est ici). Que dit -il ? Il en appelle à la responsabilité des entomologistes, ces spécialistes des insectes. Qui est grande, qui est immense, car ils disposent de clés permettant d’établir une vérité globale sur l’effondrement des pollinisateurs, essentiels à la vie, à l’évolution des plantes sauvages, mais aussi à l’alimentation des humains. Or beaucoup de spécialistes se laissent embobiner par les communicants de l’industrie des pesticides, qui produisent, comme tant d’autres avant eux « la fabrique de l’ignorance ». Il faut qu’ils se hissent au niveau d’une responsabilité historique.

L’article met en avant le plus grand phénomène de cette sinistre histoire. Les abeilles domestiques, sur lesquelles on concentre son attention, ne sont pas seules, de loin. Est-ce à cause de leur intérêt économique direct et visible que l’on ne parle que d’elles ? En tout cas, le sort des abeilles sauvages et de ces innombrables pollinisateurs qui ne sont pas des abeilles, est finalement plus funeste encore. Car ceux-là ne sont pas câlinés de main d’apiculteurs, éventuellement soignés et nourris. Or il s’agit de la clef de voûte.

Un sursaut ? Sait-on jamais. Mais pas demain. Dès ce matin du 28 octobre 2021, ce serait bien.

Et la Cop 26, au fait ?

Nous sommes le 25 octobre 2021, et la COP 26 devrait commencer le 1er novembre en Écosse. Si l’on en est à la COP 26, c’est qu’il y en a eu 25. J’en ai suivi plus d’une à distance, et à chaque fois, j’ai dû rappeler l’évidence que nul n’entendait renoncer au moteur atomique de la crise climatique : l’orgie de pétrole, de gaz, de charbon, et la prolifération démente d’objets matériels qui sont au centre de la vie de milliards d’humains. Faites la liste vous-même, mais j’y inclus pour ma part le téléphone portable, et d’une manière générale, tout ce qui concourt à la numérisation accélérée du monde.

Que dire qui garde du sens ? Je lis un rapport du Fonds Monétaire international, ce FMI honni qui joue un si grand rôle dans la destruction des écosystèmes. Avant de détailler, rappelons que tant de commentateurs bavards, sur les gazettes, dans les radios, les télés, tiennent le FMI pour un oracle. Je pense à des gens comme Dominique Seux, sur France-Inter, et tant d’autres en tant d’autres lieux. Or ils ne parlent pas de ce rapport, qu’on peut trouver en anglais, j’en suis désolé.

L’affaire est simple. Analysant 191 pays, le FMI estime que les subventions accordées aux combustibles fossiles représentent environ 10 millions d’euros par minute au plan mondial. Soit chaque année quelque chose comme 5100 milliards d’euros. Finaud, le FMI note que ces sommes gigantesques “are adding fuel to the fire”. C’est-à-dire qu’elles ajoutent du combustible au feu climatique en cours. Pardi ! 5100 milliards d’euros, cela fait, tenez-vous bien, 6,8% du PIB mondial. Aujourd’hui. Car demain, en 2025, ce sera 7,4 % de la richesse planétaire. Autrement exprimé, tandis que des armées de gogos vont en Écosse pleurnicher devant la COP 26, les affaires continuent. Pour dire le vrai, elles flambent.