Que vous dire au sujet de ce putain de barrage de Sivens ? À l’heure où j’écris ces mots, rien ne garantit que Rémi Fraisse, ce gosse de 21 ans, soit mort d’une main policière. Tout le montre, rien ne le garantit encore. C’est d’une tristesse à pleurer, et je crois que nous ferions bien de pleurer un peu. Il n’y a rien de plus humain.
Au-delà, quoi ? Moi, je prétends qu’il faut faire un bilan complet des politiques de la gauche quand elle a été au pouvoir de 1981 à 1986, de 1988 à 1993, de 1997 à 2002, de 2012 à aujourd’hui. Et ce bilan inclut évidemment l’action du parti communiste – au pouvoir de 1981 à 1984, de 1997 à 2002 – et de Jean-Luc Mélenchon, inscrit au PS pendant 31 ans, qui ne cesse aujourd’hui encore de vanter les mérites de ses grands hommes à lui, François Mitterrand et Lionel Jospin.
il faudrait un livre pour faire réellement cela. On verrait sans nul doute que les socialistes ont pris la place du parti radical et des Clemenceau de jadis, et qu’ils n’ont jamais combattu pour les idées qu’ils proclamaient pourtant. En premier lieu, c’est cela qu’on doit leur reprocher. De s’être montrés incapables d’infléchir si peu que ce soit le cours des choses. Ils se disent sociaux-démocrates et ne l’ont jamais caché qu’aux imbéciles qui croyaient dans les fables. Mais un social-démocrate sincère, courageux, sûr de sa force et de ses valeurs, peut et doit agir pour le bien commun. Dans un cadre qui n’est certes pas le mien, mais qu’importe ? Les socialauds ont eu quantité de cartes en mains. Ils pouvaient tenter de sauver les banlieues, en commençant par donner le droit de vote aux étrangers, promesse datant de…1980. Ils pouvaient tenter d’endiguer la marée automobile, la marée publicitaire, l’invasion de tant de merdes via les écrans. Ils auraient même pu essayer de limiter la prolifération des objets, leur obsolescence programmée, l’hyperconsommation si folle qui relie tous les fils ou presque. Et s’attaquer, fût-ce à la marge, à cette « noblesse d’État » décrite par Bourdieu, qui contient tous les grands corps techniques. Les Ponts, les Mines, le Génie rural des eaux et forêts. On doit à ces « grands » personnages une bonne part de la laideur ambiante : le nucléaire, les autoroutes, les villes nouvelles, le remembrement, et jusqu’aux barrages comme celui de Sivens. Et qu’on fait les socialauds au pouvoir ? Ils ont tout ratifié, tout accepté, tout accéléré.
Mais au fait, sont-ils bien des sociaux-démocrates ? Point. Ils ne sont rien. Des supplétifs du monde tel qu’il est, peut-être. Absorbés par leurs sempiternelles, pathétiques, microscopiques ambitions personnelles, qui sont le seul moteur hoquetant de leur pauvre vie. Dans ces conditions, il n’y avait rien à attendre d’eux sur le plan essentiel, celui de la crise de la vie sur Terre. Le dérèglement climatique ? L’effondrement des écosystèmes marins ? La disparition des sols ou leur empoisonnement ? La sixième crise d’extinction des espèces ? Ils ne savent rien. Ils ne lisent pas. Ils ne se posent pas de questions. Ils avancent vers le vide. Plutôt, ils parlent comme s’ils étaient déjà morts. Mais ne le sont-ils pas ?
La plupart des contemporains, piégés par le vocabulaire, opposent encore la gauche et la droite. Grand bien leur fasse. Moi, je suis convaincu- et n’est-ce pas évident ? – que les formes politiques ont leur histoire. Qu’elles ont un début et une fin, laquelle peut malheureusement s’étendre sur des décennies, ce qui ne fait pas nos affaires, à nous qui vivons si peu d’années. À notre échelle, et compte tenu des enjeux vrais, il est crucial d’au moins ne pas perdre un temps si précieux. Pour ce qui me concerne – il est vrai que cela fait déjà un bail -, c’est fini. Je vois les socialistes comme de bien pauvres gens, qui n’apportent aucun bien à personne. En revanche, ils savent à la perfection incarner le mal, en excellents et définitifs socialauds qu’ils sont. Il est grand temps de rompre avec ce passé qui ne passe pas. Il est grand temps de choisir les chemins de la liberté.