Archives mensuelles : octobre 2014

Les socialauds sont au pouvoir

Que vous dire au sujet de ce putain de barrage de Sivens ? À l’heure où j’écris ces mots, rien ne garantit que Rémi Fraisse, ce gosse de 21 ans, soit mort d’une main policière. Tout le montre, rien ne le garantit encore. C’est d’une tristesse à pleurer, et je crois que nous ferions bien de pleurer un peu. Il n’y a rien de plus humain.

Au-delà, quoi ? Moi, je prétends qu’il faut faire un bilan complet des politiques de la gauche quand elle a été au pouvoir de 1981 à 1986, de 1988 à 1993, de 1997 à 2002, de 2012 à aujourd’hui. Et ce bilan inclut évidemment l’action du parti communiste – au pouvoir de 1981 à 1984, de 1997 à 2002 – et de Jean-Luc Mélenchon, inscrit au PS pendant 31 ans, qui ne cesse aujourd’hui encore de vanter les mérites de ses grands hommes à lui, François Mitterrand et Lionel Jospin.

il faudrait un livre pour faire réellement cela. On verrait sans nul doute que les socialistes ont pris la place du parti radical et des Clemenceau de jadis, et qu’ils n’ont jamais combattu pour les idées qu’ils proclamaient pourtant. En premier lieu, c’est cela qu’on doit leur reprocher. De s’être montrés incapables d’infléchir si peu que ce soit le cours des choses. Ils se disent sociaux-démocrates et ne l’ont jamais caché qu’aux imbéciles qui croyaient dans les fables. Mais un social-démocrate sincère, courageux, sûr de sa force et de ses valeurs, peut et doit agir pour le bien commun. Dans un cadre qui n’est certes pas le mien, mais qu’importe ? Les socialauds ont eu quantité de cartes en mains. Ils pouvaient tenter de sauver les banlieues, en commençant par donner le droit de vote aux étrangers, promesse datant de…1980. Ils pouvaient tenter d’endiguer la marée automobile, la marée publicitaire, l’invasion de tant de merdes via les écrans. Ils auraient même pu essayer de limiter la prolifération des objets, leur obsolescence programmée, l’hyperconsommation si folle qui relie tous les fils ou presque. Et s’attaquer, fût-ce à la marge, à cette « noblesse d’État » décrite par Bourdieu, qui contient tous les grands corps techniques. Les Ponts, les Mines, le Génie rural des eaux et forêts. On doit à ces « grands » personnages une bonne part de la laideur ambiante : le nucléaire, les autoroutes, les villes nouvelles, le remembrement, et jusqu’aux barrages comme celui de Sivens. Et qu’on fait les socialauds au pouvoir ? Ils ont tout ratifié, tout accepté, tout accéléré.

Mais au fait, sont-ils bien des sociaux-démocrates ? Point. Ils ne sont rien. Des supplétifs du monde tel qu’il est, peut-être. Absorbés par leurs sempiternelles, pathétiques, microscopiques ambitions personnelles, qui sont le seul moteur hoquetant de leur pauvre vie. Dans ces conditions, il n’y avait rien à attendre d’eux sur le plan essentiel, celui de la crise de la vie sur Terre. Le dérèglement climatique ? L’effondrement des écosystèmes marins ? La disparition des sols ou leur empoisonnement ? La sixième crise d’extinction des espèces ? Ils ne savent rien. Ils ne lisent pas. Ils ne se posent pas de questions. Ils avancent vers le vide. Plutôt, ils parlent comme s’ils étaient déjà morts. Mais ne le sont-ils pas ?

La plupart des contemporains, piégés par le vocabulaire, opposent encore la gauche et la droite. Grand bien leur fasse. Moi, je suis convaincu- et n’est-ce pas évident ? – que les formes politiques ont leur histoire. Qu’elles ont un début et une fin, laquelle peut malheureusement s’étendre sur des décennies, ce qui ne fait pas nos affaires, à nous qui vivons si peu d’années. À notre échelle, et compte tenu des enjeux vrais, il est crucial d’au moins ne pas perdre un temps si précieux. Pour ce qui me concerne – il est vrai que cela fait déjà un bail -, c’est fini. Je vois les socialistes comme de bien pauvres gens, qui n’apportent aucun bien à personne. En revanche, ils savent à la perfection incarner le mal, en excellents et définitifs socialauds qu’ils sont. Il est grand temps de rompre avec ce passé qui ne passe pas. Il est grand temps de choisir les chemins de la liberté.

De profundis pour les Patagons (sur la mort de Margerie)

Je n’ai hélas pas le temps, car je ne suis pas chez moi, car je suis en vadrouille. Bien entendu, je me m’associe pas une seconde au deuil national (officieusement) décrété pour la mort du patron de Total, Margerie. Peut-être était-il un bon père, un excellent époux, un grand buveur de bordeaux, et toute autre chose dont je me fous royalement.

Avant que de me prosterner devant lui – et dans ce registre, le chef des Verts, Placé, a pulvérisé tous les records en saluant « un grand capitaine d’industrie français très lucide sur la situation de la planète » -, je préfère penser aux innombrables victimes des exactions planétaires de toutes les entreprises pétrolières. D’immenses territoires ont été tués – oui, on peut parfaitement massacrer pour des siècles une contrée, comme en témoigne l’exemple du delta du Niger, où Total officie depuis des décennies – des peuples peuvent être réduits à mendier leur survie, des animaux et des plantes perpétuellement sacrifiés pour que sortent le pétrole et le gaz.

Je préfère penser aux vraies victimes. Margerie a joué, il s’est bien amusé, et jamais aucun tribunal des crimes industriels ne lui demandera le moindre compte. À une autre échelle, qui montre combien les prétendues élites de ce pays sont misérables, Total est l’un des grands acteurs du dérèglement climatique en cours, qui conduit droit à la dislocation des sociétés humaines. J’ai presque scrupule à rappeler pareille évidence : Total gagne ses milliards d’euros en envoyant dans l’atmosphère des quantités astronomiques de gaz à effet de serre. Et soutient presque aussi directement un mode de vie qui s’attaque à nos équilibres les plus élémentaires.

Que penser de nos si pitoyables dirigeants qui, de Hollande à Valls, pleurent leur petit chéri à eux ? Je ne cherche pas les mots, car je sais trop bien qu’ils n’existent pas encore. Si vous entendez encore parler de la mort de Margerie, pensez plutôt à ceux qui meurent écrasés sous la meule ou cramés dans les torchères aux quatre coins du monde. Je ne pleurerai jamais tous les morts.

Une volée de livres et de lectures

ATTENTION, NE PAS FAIRE CONFIANCE AVEUGLÉMENT ! LE LIVRE COÛTE CHER, ET IL VAUT MIEUX HÉSITER QUE SE TROMPER.

Dès qu’il est question de mes lectures, je m’y prends comme un cornichon. Je n’ai jamais le temps, je repousse, je repasse, et finalement je prends un tel retard que je ne fais rien. Pas cette fois, car je viens de prendre de bonnes résolutions qui ne passeront pas la nuit. On commence.

cliquer-ici.jpg D’abord la belle revue dirigée par Thierry Jaccaud (ici). Ce fut au lancement – en 2000 – une traduction-adaptation de la revue-culte britannique The Ecologist. Elle s’est imposée comme une belle revue française, et publie chaque trois mois un dossier et nombre d’articles originaux. Le dernier numéro est consacré à « l’enjeu vital » des océans. C’est un bon dossier, mais à mon sens, il y manque quelque chose. Une perspective susceptible de réunir toutes les forces disponibles dans le monde. Et le but est évident pour moi : il faut se battre pour une interdiction complète de la pêche industrielle, et un soutien décidé aux communautés humaines qui vivent et font vivre des pêches artisanales. Cela semble impossible ? Pas plus que de rêver arrêter un jour la machine à tout détruire.

Le sommaire est bien plus riche que cela, et je dois confesser un plaisir particulier à la lecture de la chronique d’Alain Hervé, qui fait figure – et qu’il me pardonne – de patriarche. N’a-t-il pas fondé en 1973 la revue Le Sauvage ? Je ne m’étends pas sur les critiques que je pourrais faire et les réserves sur tel ou tel article. Il y en a. Je ne le ferai pas, car tel qu’il est, cet Écologiste-là est une très grande réussite. Franchement, quand on voit le fric englouti dans tant d’imbécillités, y compris par nous, amis de Planète sans visa, on ne peut que clamer : ABONNEZ-VOUS, nom de nom !

(Précision : je tiens Thierry Jaccaud pour un ami, mais il est certain que je ne défendrais pas sa revue si elle n’était aussi bonne)

Autre ami, mais je ne le fais pas exprès : Marc Giraud, formidable naturaliste, et joyeux déconneur. Il publie coup sur coup deux livres, et tous les deux valent le détour par le porte-monnaie.

Safari dans la bouse et autres découvertes bucoliques D’abord le truculent et succulent Safari dans la bouse (Delachaux et Niestlé, 12,90 euros). De manière (très) marrante, épaulé par le dessinateur Roland Garrigue, Marc nous fait découvrir les incroyables mystères de la bouse. Je vous le jure, votre regard sur la merde, en tout cas celle des vaches, pourrait bien changer. On apprend quantité de choses difficilement croyables, mais toutes vraies.

couverture-marc-giraudEnsuite, ce bouquin très concret, Comment se promener dans les bois (Allary, 16,90 euros). Sous la forme de 48 questions-réponses, Marc – aidé en la circonstance par l’indispensable Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS, www.aspas-nature.org) – entreprend de dire l’essentiel sur la chasse, du point de vue de nous autres, qui ne chassons pas. Combien de chasseurs ? Quels droits de poursuite des animaux ont-ils vraiment ? Y a-t-il ou non des jours de non-chasse ? Quels animaux peut-on chasser ? Mais aussi, et par exemple : J’ai trouvé un animal pris dans un piège, que dois-je faire ? Du tout bon.

Eloge des mangeurs d'hommes : loups, ours, requins... : sauvons-les ! - Yves PaccaletDans Éloge des mangeurs d’hommes, Yves Paccalet, ancien de premier plan des équipes Cousteau, m’a bien diverti (Arthaud, 15 euros). Paccalet me plaît, car il prend sans détour, avec humour, le parti des animaux. On le suit sans hésiter quand il rapproche le sort fait aux requins – 100 millions absurdement tués par nous chaque année – et les si rares attaques sur l’homme – autour de 10 morts dans le même temps. Et je le suis aussi à propos du Loup, bien sûr, même si j’eusse préféré une place plus juste pour le remarquable travail d’historien de Jean-Marc Moriceau, qui a documenté plusieurs milliers d’attaques contre les humains en France, il est vrai étendues sur des siècles.

Paccalet sait remettre à sa place les folles prétentions de l’espèce humaine. Ce qui déplaît à certains, mais permet de respirer un bon coup. Merci !

c_un-an-dans-la-vie-dune-foret_3591.jpg Chef-d’œuvre ? Je crois bien. Classique d’ores et déjà ? J’en suis convaincu. Dans Un an dans la vie d’une forêt (Flammarion, 21,90 euros), l’Américain David Haskell réussit un exploit en nous passionnant pour un tout petit mètre carré d’une forêt du Tennessee. Il compare le lieu, fort justement, à un mandala tibétain, sorte d’offrande, éphémère ô combien, réalisée avec du sable. Haskell se rend dans ce lieu minuscule toute une année, à toutes les heures, toujours seul. Il a froid, il sue, il dégoutte de pluie, mais surtout, il regarde et admire. La moindre fleur, la moindre mousse, la moindre feuille, le moindre insecte, les oiseaux, les rares mammifères qui passent par là. C’est envoûtant. Même si l’on peut être parfois perdu par l’érudition folle du naturaliste, on n’a bientôt plus qu’une envie : trouver son propre mandala.

Je vous signale aussi, en vrac, d’autres livres qui me semblent prometteurs, mais que je n’ai pas eu le temps, encore, de lire. Cessons de ruiner notre sol (Frédéric Denhez, Flammarion, 14 euros) : je connais et garantis le sérieux de l’auteur, qui aborde donc l’une des vraies grandes questions de notre temps. Plaidoyer pour les animaux (Matthieu Ricard, Allary éditions, 20,90). On ne présente plus ce moine bouddhiste français, que j’aime beaucoup, pour ma part. La question animale est également l’une des plus essentielles qui soient. Économie et biodiversité (Marc Barra, Laurent Hutinet, Gilles Lecuir, Victoires éditions, 16 euros). Connaissant un tout petit peu, et appréciant l’un des auteurs, Laurent Hutinet, je dois aussi – et c’est indiscutablement un a priori – faire part de mon scepticisme. Je ne crois plus du tout à une coexistence possible entre l’économie réellement existante et la biodiversité.

Enfin, Le tour de France des alternatives (Emmanuel Daniel, Seuil/Reporterre, 10 euros). Les amis de Reporterre (ici) inaugurent une collection de petits livres d’intervention. Dans celui-ci, l’auteur publie une dizaine de reportages menés en France sur des aventures et alternatives concrètes. Et porteuses d’espoir.

Ajout le lendemain : un lecteur, Loulou, me signale un livre qu’il juge important (La reproduction artificielle de l’humain). Je gage, bien que ne l’ayant pas lu, que c’est le cas. En voici la présentation : « La procréation médicalement assistée (PMA) n’a rien à voir avec l’égalité des droits ; elle doit être combattue en tant que telle, et non pas pour son extension aux homosexuels ; nous n’avons rien à gagner, et tout à perdre à la reproduction artificielle de l’humain : autant d’évidences que ce livre doit hélas rappeler.Eugénisme, marchandisation du vivant, manipulation génétique des embryons, transhumanisme.

Nous, luddites et libertaires, anti-industriels et anti-capitalistes, simples humains et animaux politiques, nous défendons le progrès social et humain, ou plutôt nous tâchons de défendre ce qui reste d’humain, de libre et d’animal en ce monde, contre le nihilisme technologique. Pour aller au fin mot de ces pages : l’émancipation sera politique ou ne sera pas. La PMA, ni pour les homos, ni pour les hétéros ! »

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Le livre d’Alexis Escudero a paru aux éditions Le monde à l’envers.

UN FIDÈLE D’ENTRE LES FIDÈLES, H.A, ME SIGNALE QUE J’AI DÉJÀ PARLÉ D’UN AN DANS UNE FORÊT EN AVRIL. MON DIEU, JE NE REGRETTE PAS.

Miguel Cañete est (presque) un gros bœuf

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 8 octobre 2014

Suspense. Cañete, lobbyiste de l’industrie pétrolière, vat-il diriger la politique climatique de l’Europe ? En tout cas, l’homme de Petrolífera Dúcar est dans les tuyaux. Vive la démocratie en marche !

En première analyse, ce mec est un gros bœuf. Mais le bœuf, malgré l’absence de ses couilles, reste un superbe animal, et l’on voit donc que la comparaison ne tient pas. Miguel Arias Cañete, en effet, n’a à peu près rien pour lui. Né en 1950, chefaillon du pitoyable Parti Populaire (PP) d’Espagne, il a été ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation et de l’Environnement à deux reprises, et il devrait devenir, sauf refus du Parlement européen, commissaire européen en charge à la fois de l’Énergie et du Climat. Et donc représenter l’Europe dans toutes les négociations internationales autour du vaste dérèglement climatique en cours.

C’est une vaste fête qui se prépare pour les climato-sceptiques et les industriels planqués derrière, car Cañete est un adorateur stipendié du pétrole. Mais l’affaire remonte à fort loin, ainsi que le montre un récapitulatif dingo réalisé par les Amis de la Terre Europe. Dès 1996, Cañete, alors député européen, s’intéresse de très près aux projets concernant les importations de bagnoles. Et comme il a raison ! Discrètement, oubliant même d’en parler dans une déclaration d’intérêts pourtant obligatoire, il est parallèlement l’un des pontes d’Italcar España, qui importe évidemment des tutures.?Rebelote en 2001 : alors qu’il est ministre, Cañete oublie encore – damned – de déclarer ses intérêts dans deux sociétés de jeu et une entreprise agricole. Sa réponse, historique, est qu’il ignorait faire partie de leur conseil d’administration.

En 2002, sa femme – d’affaires, ô combien – passe devant une commission d’enquête espagnole, car elle est soupçonnée d’avoir reçu des informations confidentielles sur l’oreiller. En 2004, passé à l’opposition, Cañete propose ses services de lobbyiste au gouvernement américain, notamment au sujet des OGM. Ce n’est, jurons-le solennellement, qu’un aperçu. On passe sur ses petites phrases dégueulasses, si nombreuses. À propos des Équatoriennes qui viendraient faire des mammographies gratuites en Espagne, quand elles coûtent 9 mois de salaire au pays. À propos des femmes en général : « il est compliqué de tenir un débat avec une femme, car montrer de la supériorité intellectuelle pourrait paraître sexiste ».

Le plus sympa vient après. L’infatigable Cañete a également fondé deux boîtes pétrolières, Petrolífera Dúcar et Petrologis Canarias, ce qui est un poil gênant quand on est censé lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. Mais pourquoi s’en faire ? Craignant tout de même les questions, Cañete fourgue ses actions dans ces nobles entreprises il y a quinze jours, y compris celles de sa femme et de son fils. Ses beaufs, deux de ses authentiques beaux-frères, restent aux commandes, et Cañete d’affirmer benoîtement que la déclaration d’intérêts ne porte que sur la famille immédiate, ce qui est assurément exact. Est-il utile d’en rajouter sur des montages fiscaux lointains, ou encore la société écran Havorad BV, basée aux Pays-Bas ?

Où en est-on ? C’est simplement horrible. Au moment où vous lirez ces lignes, un vote du Parlement européen aura – ou non – confirmé Cañete dans son poste. Dans les coulisses politicardes habituelles, on s’amuse comme des petits fous. Le PP espagnol et Cañete ont derrière eux toute la droite européenne. Or notre splendide Moscovici veut lui aussi être intronisé à la Commission, ce qui donne lieu à un deal comme on les aime. Ou les socialos européens se couchent, et en ce cas, Moscovici obtiendra définitivement son poste à l’Économie. Ou elle essaie d’évincer Cañete, et dans ce cas, Moscovici pourra aller se faire foutre.

Dans un contexte aussi plaisant, la crise climatique ne pèse pas davantage qu’un plumet d’oie. Qu’en pense donc notre si chère Ségolène Royal, qui prépare une nouvelle foutaise pour 2015, connue sous le nom de « Sommet climatique mondial de Paris » ? Quelques voix écologistes gueulent, à peu près dans le désert. Une pétition pour lourder le bœuf Cañete est en ligne, qui dépasse les 400 000 signatures (https://secure.avaaz.org/en/canete_climate_12/). On s’en fout ? Ils s’en foutent. Mais bien.

Sur Reporterre (et sur mon livre)

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Le visage monstrueux de l’industrie chimique

Jean-Pierre Tuquoi (Reporterre)

samedi 11 octobre 2014

Dans Un empoisonnement universel, un voyage érudit et serré qui nous mène des champs de bataille de la guerre de 1914 au siège des Nations Unies, Fabrice Nicolino montre sans ambages la face monstrueuse et dévoreuse de vies de l’industrie chimique. Il en instruit le procès, charges accablantes à l’appui.


Un empoisonnement universel : le titre du dernier livre de Fabrice Nicolino ne fait pas dans la dentelle. Il en rajoute et joue sur la peur du lecteur, pense-t-on avant d’en entamer la lecture. Quatre cent quarante-cinq pages après, le scepticisme n’est plus de mise.Et c’est quelque peu sonné que l’on arrive au terme d’un voyage érudit et serré qui nous a transportés des champs de bataille de la guerre de 1914 à ceux de la guerre irako-iranienne des années 1980, de l’usine de Bhopal, en Inde, à celle d’AZF à Toulouse, du siège de Bayer à celui des Nations-Unies.Un constat accablant

Le constat est accablant : en un siècle l’industrie chimique, devenue une machine infernale n’obéissant qu’à ses intérêts propres, a réussi peu à peu à empoisonner la terre et ceux qui l’habitent.

L’auteur fait la part des choses. Il rappelle avec honnêteté que sans l’invention des engrais azotés la production agricole n’aurait pas atteint les niveaux actuels, que le DDT a sauvé des vies humaines au lendemain de la seconde guerre mondiale…

Mais comment oublier l’autre face de l’industrie chimique, sa face noire, monstrueuse et dévoreuse de vies ? C’est celle-là dont Nicolino instruit le procès. Il est accablant.
Les pièces ne manquent pas.

L’auteur en déroule quelques unes solides, argumentées et difficilement contestables : les pesticides, omniprésents, et responsables – en témoignent « des centaines d’études scientifiques » – de la « dégradation des organismes vivants, dont nous sommes » ; des plastiques et autres résidus de médicaments qui ont envahi la terre et les mers ; des perturbateurs endocriniens dont l’homme s’ingénie par ses inventions à allonger la liste mortelle ; de l’eau naturelle qui ne l’est plus vraiment et est devenue un produit industriel…

Qui est responsable ?

Qui incriminer face à un tel bilan ? Des scientifiques, bien sûr, coupables d’avoir vendu leur âme au diable à l’image de Fritz Haber, un Allemand très nationaliste qui a obtenu en 1918 le prix Nobel de chimie pour ses travaux sur l’ammoniac alors qu’il aurait dû être pendu haut et court pour avoir dirigé les recherches sur les gaz de combat utilisés une première fois à Ypres, en Belgique, ensuite dans beaucoup plus de pays qu’on n’image.

Mais les chimistes ne sont pas seuls. L’entreprise d’empoisonnement général décrite par Fabrice Nicolino est inséparable des groupes industriels qui la mènent. Certes l’IG Farben a été démantelée après guerre, coupable de s’être placée au service de l’appareil militaire nazi, mais ses rejetons sont toujours là (Bayer, BASF, Agfa…) à côté des grands noms de la chimie mondiale, Dow Chemical, DuPont, Rhône-Poulenc (rebaptisée Aventis), le britannique ICI et de quelques autres.

Cette industrie qui brasse des milliards de dollars et déverse chaque année quelques trois cents millions de tonnes de produits divers fait la pluie et le beau temps en toute impunité. Elle inonde le monde de substances chimiques sans véritables garde-fous.

D’ailleurs, personne n’est en mesure d’évaluer le nombre de celles-ci. Le CAS (Chemical Abstrats Service), l’organisme chargé d’en tenir la comptabilité, estime leur nombre (en augmentation continue) à 85 millions, dont plusieurs dizaines de millions disponibles à la commercialisation.

La puissance des industriels face au politique

En bon enquêteur, Fabrice Nicolino met en parallèle ce dernier chiffre et celui des trente mille substances chimiques dont l’enregistrement a été – on ne peut plus laborieusement – rendu obligatoire par les autorités européennes au nom de la protection des populations. Ce fut le règlement REACH.

Trente mille face à des dizaines de millions : le ratio témoigne de la puissance écrasante des industriels face au politique. Comment résister à des firmes qui connaissent toutes les ficelles de la communication et du lobbying à New-York comme à Bruxelles, capables d’acheter et d’enrôler dans leur combat douteux des armées de scientifiques réputés intègres et des responsables politiques attachés, prétendent-ils, au bien commun ?

Comment s’opposer à des groupes de pression ayant leur entrée dans toutes les capitales ? Comment faire reculer une industrie à l’habileté diabolique lorsqu’il s’agit d’épouser l’air du temps et de se peindre en vert ?

Les premiers effets de notre empoisonnement ?

En dépit de toutes les catastrophes passées, l’opinion publique ne se montre pas bien sévère à l’égard de l’industrie chimique. Elle l’est moins qu’avec le nucléaire. Cette indulgence a-t-elle à voir avec l’augmentation continue de l’espérance de vie dans le monde dont le lobby de la chimie s’approprie pour partie la paternité ? Probablement.

Pourtant, observe Fabrice Nicolino, le tableau n’est pas aussi rose qu’il y parait. Si l’on prend en compte l’espérance de vie en bonne santé (ou sans incapacité, selon la terminologie de Bruxelles) force est de constater que la courbe est orientée à la baisse.

« Si la baisse est pour l’heure limitée, le signal est net », note Fabrice Nicolino. Les premiers effets de notre empoisonnement ?


Un empoisonnement universel. Comment les produits chimiques ont envahi la planète, de Fabrice Nicolino, Ed. LLL. Les liens qui libèrent, 444 pages, 23 euros.


Source : Jean-Pierre Tuquoi pour Reporterre


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