Archives mensuelles : août 2012

Notre classe politique (un désastre total)

Le gouvernement socialiste encense le nucléaire et prépare le grand retour de l’exploitation des gaz de schiste. La ministre de l’Écologie défend l’idée d’un aéroport près de Nantes, à Notre-Dame-des-Landes, pour complaire à son promoteur, Jean-Marc Ayrault. Je les vomis.

Oh, je sais bien qu’il faut faire attention. Vilipender la classe politique peut se révéler inquiétant aux yeux de certains. Il est de bon ton de réserver cela à Le Pen et à ses sbires. Mais moi, je considère la totalité, fascistes compris. Et je ne mets pas tout le monde dans le même sac avant d’aller le jeter à la rivière. Non, je vois les différences. Mais, mille fois hélas, quelle que soit la couleur des oriflammes, elles sont dérisoires. Elles le sont, car aucun membre de la corporation, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, ne met en avant la moindre mesure susceptible d’au moins nous faire gagner du temps. Faut-il le rappeler ? Nous sommes lancés dans une course contre la montre, contre l’effondrement des écosystèmes ayant permis l’émergence des sociétés humaines.

Il n’y a plus aucun doute que la dislocation a commencé. Il n’y a plus aucun doute que la stabilité du climat, réelle depuis environ 10 000 ans, sera bientôt un souvenir. Or 10 000 ans en arrière, c’est grossièrement la naissance de l’agriculture, suivie des premières cités, puis de ce que l’on appelle, probablement par antiphrase, la civilisation. Cette coïncidence ne doit rien au hasard : c’est parce que le climat était de moins en moins imprévisible que les hommes ont pu s’installer, et planter. Que se passera-t-il demain sur une planète surpeuplée ? Je veux bien admettre qu’il existe plusieurs réponses, même si je crois la mienne plus réaliste. Dans tous les cas, nous n’allons pas vers les beaux jours.

Une telle situation, sans aucun précédent dans l’Histoire humaine que nous connaissons, exigerait de la part de nos représentants de formidables qualités, qui certes ne se trouvent pas sous le sabot d’un cheval. Or aucun n’en a été doté. Nos politiques sont globalement des crétins, qui ne pensent qu’à leur prochain mandat, qui ne lisent pas ou peu, dont l’esprit érodé s’est peu à peu habitué aux règles sordides de la télévision et d’internet, réseaux sociaux compris. Les plus jeunes de ces si vieux passent un temps fou, chaque jour, à tweeter. Je précise pour ceux qui ne savent pas que le réseau Twitter oblige à des messages ne dépassant pas 140 signes. On ne s’approche pas du néant, on y est.

Aucun, je dis bien aucun, politique français de 2012 n’a conscience de l’imminence d’un basculement. Les plus ridicules, dans ce concours involontaire, sont encore les écologistes officiels d’Europe-Écologie. D’un côté, ils évoquent le pic pétrolier, le danger nucléaire, l’extrême gravité de la crise climatique, l’effondrement de la biodiversité. De l’autre, ils acceptent, le sourire aux lèvres, deux strapontins dans un gouvernement aussi productiviste, aussi insensible aux vraies questions que le précédent. Au rythme de leurs ondulations et reptations, peut-être auront-ils un troisième ministre le jour où les poules auront des dents. Peut-être. Point trop n’en faut.

Est-ce bien étonnant ? Non. L’Histoire du siècle passé, pour en rester au proche, montre combien il faut miser sur le neuf, le marginal, la rébellion de l’esprit. Voyez avec moi les cas admirables de Pierre Monatte et Alfred Rosmer. Je doute que beaucoup d’entre vous connaissent ces grands héros français. Moi, je ne les ai pas oubliés. Commençons par Monatte. Pierre, né en 1881, était un correcteur d’imprimerie. Responsable de la CGT au temps où ce syndicat n’avait pas encore été empoisonné par le stalinisme, il était anarchiste, au moins jusqu’en 1907. En 1909, c’est lui qui crée l’alors magnifique Vie ouvrière, un journal comme nul n’en fait plus. Il n’aimait pas le drapeau, la musique militaire, l’autorité, la guerre. Quand éclate la tuerie de 1914, tous ses espoirs s’effondrent. Les proclamations pacifistes, les serments d’amitié éternelle entre prolétariats de France et d’Allemagne, les si beaux discours des congrès disparaissent en quelques jours. Restent les tranchées. Il est minuit dans le siècle. Les socialistes de cette époque – la SFIO – pactisent avec leurs adversaires d’hier et entrent dans des gouvernements d’union sacrée. Les peuples vont saigner pendant quatre années.

Alfred Rosmer, né en 1877, est d’abord employé, puis journaliste à La Vie Ouvrière de Monatte, dont il deviendra l’ami définitif. Il y signe des papiers sur le théâtre, qui sera l’une des passions de sa vie passionnée, et passionnante. Anarchiste comme Monatte, il se rapproche comme lui, juste avant la guerre de 1914, de ce que l’on nommait le syndicalisme révolutionnaire, courant splendide qui pensait pouvoir renverser le monde par la grève générale. En 1914, à l’orée de la grande boucherie continentale, Monatte a 33 ans, et Rosmer 37. Ce ne sont pas des perdreaux de l’année. Vont-ils, comme tant de Gustave Hervé ou Miguel Almereyda, abandonner leur honneur, et devenir des patriotards ? Non.

À rebours d’une société qui désormais les exècre, Monatte et Rosmer maintiennent intact leur refus de la guerre. Ils sont seuls, ils sont une misérable poignée. On leur crache à la gueule. On fait mine de ne pas les reconnaître quand on les croise. Ils s’en foutent. Internationalistes ils étaient, internationalistes ils demeurent. La guerre est une merde sanglante, disent-ils avec d’autres mots. Un gigantesque abattoir où la justice n’a aucun droit de cité. En décembre 1914, avant de rejoindre en janvier 1915 le 252 ème régiment et de faire la guerre, contraint, Pierre Monatte démissionne du comité confédéral de la CGT pour protester contre son soutien à la guerre. Dans une lettre ouverte, il l’accuse de s’être déshonorée.

De son côté, Rosmer écrit le 1er novembre 1915, dans une admirable lettre aux abonnés de La Vie ouvrière : « Si nous avions accepté de faire notre partie dans le chœur de ceux qui, subitement, trouvèrent à la guerre des vertus, ces obstacles eussent été facilement surmontés. Mais c’eût été “pour vivre perdre toute raison de vivre” – chose très ancienne comme la formule qui sert à l’exprimer, – et pas un instant nous n’avons voulu être dupes des interprétations que les gouvernants ont si généreusement fournies aux peuples pour apaiser leur conscience et les faire aller joyeusement à la mort ».

Les deux amis jouèrent un rôle essentiel, du moins côté français, dans deux conférences internationales microscopiques, tenues en 1915  en en 1916 en Suisse, dans l’Oberland. À Zimmervald d’abord, à Kienthal ensuite, une quarantaine de délégués venus de toute l’Europe sauvent à eux seuls l’idée européenne, et la fraternité humaine. Dérisoire ? Dans l’Europe en feu de l’époque, sans nul doute. Mais plus encore fondamental. Le manifeste de Kienthal est l’un des moments les plus authentiques de l’homme, l’une des preuves que la noblesse existe en lui. Lisez donc avec moi cet extrait, publié au moment où tombent les jeunes êtres par millions : « Ni vainqueurs ni vaincus, ou plutôt tous vaincus, c’est-à-dire tous saignés, tous épuisés : tel sera le bilan de cette folie guerrière. Les classes dirigeantes peuvent ainsi constater la vanité de leurs rêves de domination impérialiste. Ainsi est-il de nouveau démontré que seuls ont bien servi leur pays ceux des socialistes qui, malgré les persécutions et les calomnies, se sont opposés, dans ces circonstances, au délire nationaliste en réclamant la paix immédiate et sans annexions. Que vos voix nombreuses crient avec les nôtres : A bas la guerre ! Vive la paix ! ».

Ce mots d’il y a près d’un siècle me font trembler encore. Je précise que le vocable socialiste est évidemment utilisé dans un contexte qui n’a rien à voir avec le nôtre. Pour le reste, disons que j’éprouve une vive et fraternelle admiration pour vous, ô Rosmer, ô Monatte. Ajoutons qu’ils moururent dans les années 60 du siècle écoulé, et n’abdiquèrent jamais. Gloire.

Vingt ans après celle de 14-18, et malgré les promesses, la guerre était de retour. Cette fois, sous la forme hideuse d’un fascisme apocalyptique. La classe politique française s’est couchée tout entière devant Hitler. Non, dites-vous ? Le parti communiste ne l’a pas fait ? Exact. Le parti communiste s’est livré à Staline, et aurait couché avec les nazis si le maître de Moscou l’avait exigé. Savez-vous seulement comment Thorez et Duclos ont défendu le pacte criminel conclu entre Hitler et Staline en août 1939 ? Savez-vous que Duclos, cette vieille crapule, a négocié avec l’armée d’occupation allemande, à l’été de 1940, pour obtenir la reparution légale, sous contrôle nazi, de L’Humanité ? Plus tard, bien plus tard, sera forgé le mythe du Parti des 75 000 fusillés. Je m’égare un peu ? Oui.

La vérité approximative de cette époque de sang, c’est qu’un homme seul a pu représenter l’espoir de tout un peuple, le nôtre (ici). Et cet homme, c’est De Gaulle. Qu’il ait été dans sa jeunesse un soldat de métier maurrassien, probablement antisémite, ajoute au miracle, que j’ai déjà rapporté ici à plusieurs reprises. Quoi qu’il en soit, pendant le sinistre été 1940, tandis que l’Angleterre elle-même était menacée d’une invasion, il a su rassembler 200 ou 300 partisans, et partir au combat contre l’une des plus formidables armées de l’Histoire. Un héros, lui aussi ? Pardi ! Quel autre mot lui accoler ?

J’en reviens au présent. D’abord, et pour éviter un funeste malentendu, soyez sûrs que je n’entends pas ici parler de moi. Si je frôle de la sorte le ridicule, c’est qu’un authentique connard, sur une radio, a prétendu que je me comparais à De Gaulle. Il est vrai que ce connard est aussi un imbécile. Je ne suis rien d’autre qu’une personne, « Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui ». Je n’ai aucune vocation à devenir ce que je ne suis pas.

Et je reprends mon propos. Rien ne sortira de la classe politique d’aujourd’hui. Des individus singuliers s’en échapperont, et rejoindront le camp des défenseurs de la vie. Je n’en doute pas. Mais dans son ensemble, cette classe est perdue, à tout jamais. Et l’avenir, s’il demeure ouvert, ne saurait être incarné que par des êtres en rupture totale de ban. Des individus louches au regard torve. Des allumeurs de réverbères. Des chercheurs d’eau dans le désert. Des rhéteurs sans public. Des bretteurs sans rapière. Des chemineaux. Des hoboes. Tous ces gens-là, qui sont mes frères, préparent dans le mépris ou dans les marges du monde ce qui devra nous sauver tous. Ne croyez plus aucun politique. Ayez foi dans ceux qui marchent en direction des étoiles.

 PS du  3 septembre : Certains articles de Planète sans visa sont excellemment reproduits et enrichis sur le site http://www.altermonde-sans-frontiere.com/. Je lui pique avec plaisir et reconnaissance cet extrait musical ajouté au texte ci-dessus, et qui me transporte. John Lee Hooker ! Voici :  http://www.youtube.com/watch?v=zYrVwGxlcFA&feature=player_embedded

Arnaud Montebourg, profession lilliputien

On n’a pas le droit d’insulter publiquement une personne. Je trouve cela tout à fait normal, mais j’ai mes contradictions. Et j’aimerais puissamment insulter le ministre lilliputien Arnaud Montebourg, en charge du Redressement productif. Vous le savez sans doute, il s’est avancé, tel l’effroyable nigaud qu’il est, jusqu’à déclarer que le nucléaire est une industrie d’avenir. Et que ceci, et que cela. Manuel Valls, l’homme qui se décrit comme le « premier flic de France », lui a aussitôt emboîté le pas. Valls n’est que le clone de Jules Moch, ministre de l’Intérieur – comme lui – de la Quatrième République, socialiste – autant que Valls – et fusilleur en chef de la misère humaine, mais chut ! Chut, car le changement, c’est maintenant.

Bon, le nucléaire. Sachez que paraît dans quelques jours – j’y reviendrai – un hors série de Charlie-Hebdo entièrement consacré à cette industrie de la mort. Il y a plein de dessins de Catherine, Cabu, Charb, Riss, Tignous et autres, mais il y a aussi des textes. Avec beaucoup d’informations et de révélations même sur le nucléaire made in France. Je le sais, car c’est moi qui m’y suis collé. J’y reviendrai – bis repetita -, mais je commence ici ce qu’il faut bien appeler de la promotion pour un 64 pages qui le mérite.

Et là-dessus, Montebourg. Il ne connaît rien du sujet. Rien. Mais comme il ne peut rien faire – ne le souhaiterait vraiment – contre les patrons, qui obéissent à des lois supérieures aux siennes, il se rabat, le sot, sur l’atome. Pourquoi ? Mais pour la raison évidente que le nucléaire est français, largement d’État encore, et qu’il peut donc, du moins le croit-il, en influencer le cours. Puis, Areva et EDF sont de très puissantes machines de pouvoir, ce que ne dédaignera jamais un politicien aussi quelconque que lui.

Ceci posé, n’oublions pas une seconde que Montebourg et Valls ne parlent pas pour rien. Ils sont les ventriloques des autres, de tous les autres du gouvernement, dont la ministre de l’Écologie Delphine Batho, Jean-Marc Ayrault, François Hollande. Ceux qui n’ont toujours pas compris – ne vous semble-t-il pas que les écologistes officiels sont bien embêtés ? – ne comprendront jamais.

Le loup comme plaque sensible (une triste leçon de choses)

Je connais bien deux des responsables de l’Aspas, Pierre Athanaze et Marc Giraud. Je les aime tous les deux. Le communiqué que leur association a publié ces derniers jours n’appelle qu’un commentaire. Une digue est en train de céder. Les ennemis du loup se sentent autorisés à parler plus fort, à hurler plus fort, à frapper plus fort. Je ne juge pas l’éleveur mis en cause ci-dessous. On verra bien la suite. Mais une chose est certaine : le climat général a changé. Il va falloir en tenir compte.

ASPAS Nature

ASPAS : Association pour la Protection des Animaux Sauvages

2 agents de l’État violemment agressés par un éleveur de moutons

Les anti-loups se mettent à mordre

L’impunité accordée à certains éleveurs de moutons a encouragé l’un d’eux à des voies de faits particulièrement violentes sur des agents de l’État venus, à sa demande, réaliser une expertise suite à une attaque sur son troupeau. Après un soutien inconditionnel de quelques élus, des dizaines d’autorisations de tirs de loups octroyées par les préfets, l’appel au braconnage des loups lancé par un député européen, on assiste maintenant à une recrudescence de violences de plus en plus fortes provenant d’une partie des acteurs de la filière ovine. Curieusement, l’affaire est restée sous silence.

Le 8 août, sur la commune de Villeneuve d’Entraunes (06), trois agents du Parc National du Mercantour qui réalisaient une expertise suite à une attaque de canidé sur un troupeau de moutons, ont été violements agressés par l’éleveur propriétaire du troupeau qui pourtant avait fait appel à eux. Un agent a reçu un coup de tête et des coups de manche de pioche, l’autre a reçu des soins nécessitant des points de suture à la mâchoire.

Si une enquête est bien en cours, l’ASPAS s’étonne du mutisme total qui entoure cette affaire pourtant très grave. Alors que chaque agression envers des policiers ou gendarmes fait l’objet d’une très forte médiatisation, il semblerait que le silence total soit de rigueur lorsqu’il s’agit d’agents de Parcs Nationaux, qui ont pourtant pour mission, entre autre, d’assurer la police de la nature. À moins qu’il ne s’agisse là de la démonstration d’une impunité totale donnée à certaines catégories socioprofessionnelles, au détriment de la protection des agents de l’État et de la préservation de la nature…

L’ASPAS en appelle au ministère de l’Écologie pour condamner très fermement de tels actes, réaffirmer son soutien aux personnels de ses établissement publics, remettre un peu d’ordre dans le dossier du loup qui depuis ces dernières années lui a complètement échappé : plus de 80 autorisations de tirs de loups ont été délivrées cette année par les préfets !

Il n’est plus admissible que le loup continue de servir de bouc émissaire à la crise que traverse la filière ovine. L’ASPAS demande non seulement une réelle prise en compte de la biodiversité dans les politiques publiques, mais également que l’on sorte enfin de cette « crise du loup et du pastoralisme » qui ne pourra se faire que par une généralisation des mesures de protection des troupeaux. Seule la cohabitation « intelligente » permettra la pérennité d’un élevage extensif de qualité. Le tir d’un ou de plusieurs loups n’a jamais, dans aucun pays, permis de protéger durablement les troupeaux. Entretenir cette croyance est totalement irresponsable. L’avenir de la faune sauvage et des activités économiques traditionnelles ne peut se faire avec de telles gesticulations.

Faute de quoi, les violences comme celles du 8 août se généraliseront sans que la filière ovine ne sorte de la crise, sans que les services de l’État ne puissent assurer leur mission, et sans que la protection de la nature ne puisse sortir des discours auxquels plus personne ne croit.

Ce qu’est l’esprit de guerre (contre la nature)

Ne l’oublions jamais : tandis que des petits groupes tentent de rameuter de vastes foules en faveur de la nature, des bêtes – dont nous sommes – et des plantes, d’autres ne rêvent que d’achever le grand massacre. Placés sur les deux plateaux d’une balance Roberval, on verrait aisément que les deux ensembles ne sont pas de même poids. Les destructeurs sont bien plus nombreux. Encore bien plus nombreux.

Dans la nuit du 18 au 19 août, quelques sombres crétins au front bas ont buté des centaines de milliers de vies, sans le moindre état d’âme. Dans le Gers, le conseil général dirigé par le socialiste Philippe Martin mène une politique qui considère la biodiversité. C’est si rare que je le note. Précisons que je connais – un tout petit peu – Philippe Martin, et que j’apprécie sa personne. Pour ce que j’en vois. Cela ne vaut pas quitus, Dieu sait ! Je ne suis pas et ne risque pas de devenir socialiste un jour. Des centaines d’articles de Planète sans visa le montrent sans détour.

Bref. Cette nuit du 18 au 19 août, de vrais connards ont vidé une grande part de l’étang du Moura, à Avéron-Bergelle, qui occupe tout de même 17 hectares. Comment ont-ils fait ? Les barbares trouvent toujours une manière d’agir : en l’occurrence, ils ont pété la vanne de vidange, et le lac a peu à peu disparu. Or ce lac est la propriété du conseil général du Gers, et il est classé en Zone naturelle d’intérêt écologique, floristique et faunistique (ZNIEFF). Philippe Martin et ses amis le voulaient un modèle de gestion écologique et pédagogique. Au-dedans, au moment du crime – car c’est un crime, oui ou non ? -, il y vivait des centaines de milliers d’alevins, des milliers de carpes et d’anguilles adultes. Ainsi que des tortues cistudes, animal fort menacé chez nous.

Qu’ont-ils laissé, outre la mort et la désolation ? Une baraque de pêche incendiée, qui avait été bâtie au 18ème siècle par des moines cisterciens. On finira par croire que ces crapules ne respectent rien. Philippe Martin, président donc du conseil général, m’adresse quelques mots : « Certains des “tags” retrouvés sur les murs fumants de cette jolie petite “maison du pêcheur” datant du 18ème siècle laissent peu de doutes sur l’origine et les motivations des auteurs de cet acte (« Martin, pas d’eau pour les tortues » ou « Martin tu peux en acheter un autre », sans compter le traditionnel et si romantique « Martin = PD »…) ».

L’affaire se terminera – peut-être – devant le tribunal. Mais elle a d’ores et déjà une morale provisoire. Dans la lutte éperdue pour sauver les écosystèmes, il faut certes continuer à convaincre et à entraîner. Certes oui. Mais il serait sot, et fort vain, de croire que nous ne rencontrerons, sur notre route, que bravos et brassées de fleurs. L’ennemi de la nature existe.

Un seul crime et tant de criminels (sur les biocarburants)

Vous n’êtes pas obligé de lire mes états d’âme en longueur. Comme si souvent, les faits nouveaux sont à la fin.

D’abord, le mot. Je ne suivrai pas ceux qui croient montrer leur élévation morale en nommant agrocarburants ce que j’ai toujours appelé biocarburants. Ils pensent montrer de la sorte qu’on ne la leur fait pas. Qu’ils sont critiques. Que les biocarburants n’ont rien de bio, etc. Moi, je continue. Parler d’agrocarburants est le plus sûr moyen de perdre en route la moitié de ceux à qui on s’adresse. Faites l’expérience, vous verrez que ce néologisme-là ne marche qu’auprès d’une frange. Il est déjà difficile de savoir ce qui se cache sous le mot infâme de biocarburant. Il me semble qu’il ne faut pas en rajouter. La vérité des mots est à montrer, à démontrer. Chercher à la cacher s’appelle de la novlangue. Il faut affronter cette supercherie langagière et parler, parler, parler.

De quoi ? Bonne question. Si je parle une fois encore des biocarburants, c’est parce que ma tête bout d’une colère sans limites discernables. Il y a cinq ans – beaucoup le savent, ici du moins -, j’ai publié un livre qui s’appelle La faim, la bagnole, le blé et nous (Une dénonciation des biocarburants), paru chez Fayard. On a le droit de se moquer, mais sachez que je suis fier de l’avoir écrit. Il disait de façon claire, argumentée, en fait indiscutable, le drame planétaire que représentait cette nouvelle poussée de l’industrie. Je rappelle qu’il y a plus d’un milliard d’affamés chroniques sur cette terre, que les terres agricoles disponibles sont très largement exploitées ou surexploitées, et que malgré cela, d’infâmes salauds ont imaginé changer des plantes alimentaires en carburant automobile. Essentiellement pour nous, au Nord, qui sommes prêts à tuer quiconque augmente encore le prix de l’essence d’un centime d’euro par litre.

Si vous en avez le temps, je vous renvoie à deux de mes derniers articles, parmi des dizaines d’autres publiés sur Planète sans visa ou sur un blog que j’avais créé au moment de la sortie de mon livre (ici et ). Nous étions à ce moment-là à l’automne 2007, quand tous les petits marquis de l’écologie officielle frétillaient devant Sarkozy et Borloo, qui avaient monté l’opération de propagande appelée le Grenelle de l’Environnement. Moi, j’ai fait réellement tout ce que je pouvais pour secouer ces structures dégénérées. J’ai alerté avec force Serge Orru, alors directeur du WWF en France. Je dois dire, et je l’en remercie encore, qu’il a organisé au siège du WWF une sorte de conférence pendant laquelle j’ai pu parler devant les salariés de l’association. Mais rien n’est venu ensuite, pour les raisons que j’ai ensuite développées dans un autre bouquin, Qui a tué l’écologie ?.

J’ai prévenu Greenpeace, et je me suis pour l’occasion, au cours d’une assemblée générale tenue à Paris, gravement engueulé avec Yannick Jadot, qui était à ce moment directeur des campagnes de Greenpeace. Sentant qu’il ne ferait rien, comprenant que Greenpeace regardait ailleurs, j’ai rompu tout lien avec ce mouvement, où je comptais des amis aussi proches que Katia Kanas. Jadot, qui mène et a d’ailleurs mené une carrière politique, est aujourd’hui député européen d’Europe-Écologie.

J’ai de même parlé à Nicolas Hulot. Et à José Bové. Et à bien d’autres encore. J’ai fait des conférences en province, espérant toujours déclencher ne serait-ce qu’un embryon de mouvement contre le crime. Rien n’est venu. Tous préfèrent se branloter de réunion en tribune. (J’embrasse au passage mon si cher ami Pierre Rabhi, ainsi que le génial jardinier Gilles Clément, qui m’ont aidé de manière certaine, et sans barguigner, eux). J’ajoute que si tant de responsables ont pu se défiler de cette manière, c’est bien entendu qu’ils ne sont soumis à aucune pression sociale. Nul ne s’est levé, nul. Et cela vaut, j’en suis affreusement désolé, pour les lecteurs de Planète sans visa. Nous avons accepté que le lobby industriel de l’agriculture reçoive des cadeaux fiscaux par centaines de millions d’euros. Et nous ne mettons pas le feu, que je sache, aux pompes à essence qui délivrent un carburant additionné de blé, de colza, de betterave ou de tournesol. Le résultat de cette honteuse inertie, c’est que la FNSEA a pu, en toute tranquillité, placer à sa tête un céréalier intensif, Xavier Beulin. Qui est aussi à la tête de Sofiprotéol, la société qui tient les biocarburants en France, avec un chiffre d’affaires de 6,5 milliards d’euros en 2011.

Je reviens à ma colère sans horizon. Le crime est accompli. La faim a considérablement augmenté, à mesure que les prix des denrées alimentaires en faisaient autant. Quand j’entends un homme comme Bernard-Henri Lévy occuper tous les fenestrons disponibles pour parler de ce qu’il ne connaît pas – la Syrie, par exemple – et que (presque) tous applaudissent, j’en ai la nausée immédiate. Tant de mots pour ne rien dire. Et tant d’insupportable silence face au désastre garanti pour ces sociétés du Sud dévastées par les biocarburants. Il y a de quoi pleurer d’abondance.

Merde ! je me rends compte que je n’ai pas encore parlé de ce qui m’amène précisément aujourd’hui. Voici un papier publié dans La France Agricole :

La FAO réclame une suspension de la production de bioéthanol de maïs

Publié le vendredi 10 août 2012 – 12h45

Le directeur général de la FAO, José Graziano da Silva, a demandé vendredi aux Etats-Unis de suspendre leur production de bioéthanol à partir de maïs pour éviter une crise alimentaire, dans une tribune publiée par le quotidien britannique Financial Times. « Une suspension immédiate et temporaire de la législation américaine » imposant des quotas de bioéthanol, produit à partir du maïs, « apporterait un répit au marché et permettrait que plus de récoltes soient utilisées pour l’alimentation animale et humaine », écrit M. Graziano da Silva.

La sécheresse qui sévit actuellement aux Etats-Unis a fortement endommagé les cultures, provoquant des tensions sur les marchés des matières premières agricoles. Dans son dernier relevé sur l’état des cultures aux Etats-Unis arrêté au 5 août et publié lundi soir, le département américain de l’Agriculture (USDA) estime désormais que seuls 23 % des plants de maïs sont dans un état bon à excellent.

« Dans ce contexte, les prix des céréales se sont envolés, avec une hausse de près de 40 % depuis le 1er juin pour le maïs », notent les stratégistes de CM-CIC. Les observateurs craignent en outre une nouvelle révision à la baisse des estimations de production agricole, particulièrement de maïs, lors de la publication, ce vendredi, du rapport mensuel de l’USDA sur l’offre et la demande mondiales de grains.

Selon un document publié mercredi par l’Agence américaine océanique et atmosphérique, les Etats-Unis ont connu le mois de juillet le plus chaud jamais enregistré dans le pays depuis le début des relevés météorologiques en 1895, avec une sécheresse s’étendant sur 63 % du territoire continental.

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Une dernière question, dont la réponse est évidente. Imaginons que des Blancs soient soumis à des décisions commerciales et industrielles qui les affament. Imaginons qu’un groupe de pays – disons le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Mozambique, le Mali, l’Inde, la Chine – aient trouvé un merveilleux moyen « économique » de faire rouler leurs engins en cramant des aliments vitaux pour la survie des habitants de Millau, Ploubazlanec et Montreuil. Quelle serait notre réaction ? Le crime des biocarburants repose sur un racisme qui jamais ne s’avoue. Mais qui tue massivement.