Archives de catégorie : Science

David Khayat dans le rôle de Claude Allègre

publié en octobre 2023

Nous allons gaiement vers l’abattoir. Deux chiffres pour commencer la tournée des grands-ducs. Entre 1990 et 2023 – l’année n’est pas terminée, mais l’estimation est officielle -, le nombre de nouveaux cas annuels de cancers est passé en France de 216 OOO à 433 000. Le double, alors que la population n’a augmenté que de 20%. Une épidémie, donc. Mais voilà la deuxième info, encore plus cinglée : selon une toute récente étude (1), les cas de cancer – cette fois dans le monde – ont explosé entre 1990 2019. De 79,1%. Chez les moins de cinquante ans. Derechef, épidémie.

Constatons qu’il existe chez nous une sorte de cancéroscepticisme, très voisin du déni climatique. Très. Avec dans le rôle de Claude Allègre l’inaltérable cancérologue David Khayat. Pour ceux qui ne situeraient pas le bonhomme, résumons. Il a créé et dirigé l’Institut national du cancer (Inca), conseillé Chirac, écrit je ne sais combien de livres sur le sujet, et comme Allègre, a bénéficié d’un rond de serviette dans les gazettes bien élevées – jusqu’à Libération -, les radios, les télés.

On ne peut tout écrire, il y faudrait un livre. Choisissons pour commencer un propos tenu le 21 novembre 2005 sur France Inter. Ce jour-là, Khayat est invité pour la dixième – centième ? – fois, et déclare : « Les causes de nos cancers, c’est quoi ? C’est parce que nous fumons. C’est parce que nous mangeons mal. C’est parce que nous avons exposé nos enfants au soleil. C’est parce que nous n’allons pas faire du dépistage. C’est parce que des femmes attrapent une maladie sexuellement transmissible par un papillomavirus qui donne un cancer du col. C’est parce que nous avons une bactérie dans l’estomac qui s’appelle Helicobacter et qui donne le cancer de l’estomac. Etc .» Et pour les sourds et malentendants, ajoute : « La pollution [comme cause des cancers], c’est-à-dire ce que nous, en France, nous appelons l’“environnement”, ce n’est presque rien. »

On remarquera sans l’ombre d’une polémique, que pour Khayat, le cancer, c’est la faute de celui qui l’attrape. Pas à l’industrie, pas à cause des politiques publiques. Le cancer, c’est une affaire personnelle. Notons qu’il a bien raison, puisque les Académies de vieux birbes – celle de Médecine, celles des Sciences – signent la même année, avec quelques autres sommités, un rapport sur les causes du cancer en France (2). Ça déménage. Par exemple, l’explosif cancer du sein est lié à la sensibilité de la mammographie. Par exemple, la mortalité par cancer chez les hommes n’est attribuable aux « polluants » qu’à hauteur de…0,2%. Le reste sent très fort son Khayat. Le cancer, c’est l’âge, l’alcool, le tabac, le surpoids, l’inactivité physique, le soleil, les traitements de la ménopause.

Mais revenons aux études précitées. En France, la consommation d’alcool est passée 26 litres d’alcool pur par habitant de plus de 15 ans en 1961 à 12 en 2017. Chez les hommes, 59 % clopaient en 1974 et 31,8 % en 2022. Comme Khayat et ses amis font de l’alcool et du tabac des déclencheurs souverains du cancer, l’incidence de ce dernier devrait diminuer. Mais non, il flambe, même chez les moins de 50 ans.

En mai 2004, d’autres scientifiques que ceux de la bande à Khayat lancent « L’Appel de Paris », dont voici un extrait : « Constatant que l’Homme est exposé aujourd’hui à une pollution chimique diffuse occasionnée par de multiples substances ou produits chimiques ; que cette pollution a des effets sur la santé de l’Homme ; que ces effets sont très souvent la conséquence d’une régulation insuffisante de la mise sur le marché des produits chimiques et d’une gestion insuffisamment maîtrisée des activités économiques de production, consommation et élimination de ces produits… »

Mais au fait, qui est ce bon docteur Khayat, dont l’un des derniers livres fait du stress un grand responsable du cancer ? Un lobbyiste. Un pur est simple lobbyiste embauché par le cigarettier Philip Morris pour vanter les bienfaits du tabac chauffé. Soyons sport, il « conseille » aussi Fleury-Michon et Auchan (4). Est-ce possible ? C’est.

(1)https://bmjoncology.bmj.com/content/2/1/e000049

(2)https://www.academie-sciences.fr/archivage_site/presse/communique/rapport_130907.pdf

(3)https://www.inserm.fr/dossier/alcool-sante/

(4)https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/04/14/david-khayat-un-monsieur-cancer-en-vrp-de-l-industrie-du-tabac_6076758_3224.html

Deuxième papier

À tous ceux qui n’auront jamais la clim’

Avis personnel : je connais des gens, proches, qui vivent dans des banlieues pouilleuses, dont le béton des immeubles brûle la peau en été. Pas de clim, pas d’évasion possible, juste l’enfer. Une petite enquête du site américain ABC News (1) revient sur la chaleur dans les villes. Cela ne va pas, cela ira de mal en pis.

Le béton, la minéralisation de tous les espaces urbains, les plantations si maigrichonnes d’arbres et de plantes annoncent un avenir radieux. Malgosia Madajewicz, chercheuse à l’université de Columbia : « Non seulement les habitants et les infrastructures subissent une hausse constante des températures moyennes, mais lorsque les vagues de chaleur extrême arrivent, elles représentent un danger encore plus grand ».

Qui morfle en priorité ? La surprise est grande : les pauvres. On l’oublie à force d’images frelatées – les films, les séries -, mais tout le monde n’a pas la clim’ aux États-Unis. Et ceux qui en ont n’ont pas forcément l’argent pour la faire marcher jour et nuit. Rachel Cleetus, directrice du programme Climat et Énergie à l’Union of Concerned Scientists : « Les chaleurs estivales extrêmes accablent les populations vulnérables, en particulier les communautés de couleur à faibles revenus .» Des relevés cartographiques montrent les inégalités territoriales, sociales, raciales dans l’accès à la climatisation (2).

On en a peu parlé à l’époque, mais une conférence internationale s’est déroulé au Qatar en mai dernier. Deux jours sur le stress thermique au travail (3), qui ont permis d’enfoncer pas mal de portes ouvertes : la température extrême provoque des coups de chaleur, augmente l’incidence des cancers, entraîne des maladies rénales, cardiaques et pulmonaires. En première ligne, le milliard d’ouvriers agricoles trimant dans les champs, accompagnés de dizaines de millions de prolos travaillant dehors. Dont bien sûr ceux du bâtiment. Oh ! Macron n’en pas dit un mot dans son distrayant discours sur “sa” transition écologique à lui. Ce sera pour une autre fois.

(1)https://abcnews.go.com/US/climate-week-nyc-large-cities-forefront-climate-change/story?id=103184987

(2)https://www.ucsusa.org/resources/killer-heat-united-states-0

(3)https://www.ilo.org/beirut/countries/qatar/WCMS_874714/lang–en/index.htm

troisième papier

Officiel : le bouchon de Volvic est « solidaire »

Prenons dans les mains une bouteille de Volvic. Les communicants se sont surpassés. Parmi les mensonges publicitaires de l’étiquette, ceci : « la force de la nature a créé Volvic .» On croyait bêtement que cette eau datait de sa commercialisation en 1938. Je m’ai trompé.

Le mieux est ailleurs. Désormais, le bouchon est dit « solidaire » – texto -, car il est retenu à la bouteille par une bague en plastique vert qu’on ne peut arracher qu’avec de forts ciseaux. D’où vient l’idée ? D’une directive européenne qui impose ce type de fermeture au plus tard le 3 juillet 2024. Ça coûte bonbon : le géant Tetra Pak aurait investi 100 millions d’euros dans son usine de Châteaubriant (Loire-Atlantique). Cristaline a montré le vertueux chemin dès 2016 et tous les autres ont suivi ou suivront dans les prochains mois.

La raison de cette grande réforme mérite d’être rapportée, car il s’agit de protéger la nature. Extrait de la directive européenne : « Les bouchons et les couvercles en plastique utilisés pour des récipients pour boissons figurent parmi les articles en plastique à usage unique les plus fréquemment retrouvés sur les plages de l’Union .» Notons que le simulacre est somptueux : selon l’OCDE, « la consommation mondiale de plastique passera de 460 millions de tonnes (Mt) en 2019 à 1 231 Mt en 2060. »

Ajoutons un petit grain de sel. Il est inévitable qu’en branlottant ainsi ces bouchons « solidaires », on produira une quantité x de microplastiques invisibles à l’oeil, et qu’on retrouvera dans l’eau. Goûteux.

André Picot, preux chevalier d’une science humaine

Je connaissais un peu André Picot, grand monsieur de la science humaine. Une science qui n’oublie pas ses liens avec la société et ses besoins. Je connaissais assez André pour le pleurer, car il vient de mourir d’un infarctus, à l’âge de 85 ans.

Je ne sais plus quand je l’ai rencontré. Il y a vingt ans ? Sans doute plus. Il gravitait dans les mêmes cercles vaillants que mon si cher Henri Pézerat. Comme lui, il avait mis son immense savoir – de chimiste, en l’occurrence – au service des éternels sacrifiés de la Bête qui nous dévore tous. Il était sur tous les fronts, ne négligeait aucune bataille, jusqu’aux plus petites. Il ne refusait jamais. Et son sourire éternel paraissait d’une autre planète.

Je laisse ci-dessous la parole à ma grande amie Annie-Thébaud-Mony, qui l’a si constamment fréquenté. Annie est directrice de recherches honoraire de l’INSERM, et se bat chaque jour, comme le firent André Picot et Henri Pézerat, qui était son compagnon, contre les crimes industriels. Si nombreux. In memoriam.

La lettre d’Annie

André,
Ce 18 janvier 2023, tu as quitté ceux que tu aimais, ta famille, tes amis, l’Association Toxicologie – Chimie, nous tous qui nous appuyions sur toi. Je veux dire combien ont compté pour moi, ton accueil chaleureux, ton sourire et ton ouverture, ton immense connaissance des risques industriels qui ne cessent d’accroître ce que j’appelle la « chimisation toxique » du travail et de l’environnement.
Pour moi, André, tu es et resteras l’ami, le frère d’Henri, Henri Pézerat, mon compagnon. A vous deux, vous vous partagiez les champs de la toxico-chimie, organique pour toi, inorganique pour Henri.
Je t’ai connu un jour d’hiver 1985, quand Henri t’avait invité au Collectif Risques et Maladies Professionnels, sur le campus de Jussieu, dans les pré-fabriqués (sans doute amiantés) où les syndicats avaient leurs locaux, un lieu improbable d’où était partie la lutte contre l’amiante des années 1970. Le Collectif y avait son local, encombré des
archives, comme autant de traces des mobilisations engagées pour la prévention des risques professionnels, contre l’impunité des industriels et du patronat, contre l’inertie des pouvoirs publics et des institutions.
Tu as, dès cette époque, été présent à mon histoire, par ton partage continu avec Henri, dans vos échanges, souvent téléphoniques, sur ce qui étaient au coeur de notre travail scientifique et de nos préoccupations : comment partager le savoir accumulé et en faire un outil pour contribuer à l’élimination des substances toxiques du travail et de l’environnement, pour contribuer à la réduction des inégalités face aux dangers ?

Scientifiques non alignés l’un et l’autre, malmenés par les institutions, vous avez su, toi et Henri, partager cet immense savoir qui était le vôtre, pour aider des citoyens, un syndicat, une association, des militants, à résister à la mise en danger. Puis, vous avez, toi, Henri et quelques autres, fondé l’association Toxicologie – chimie (ATC) et ceux qui reprennent aujourd’hui le flambeau sauront mieux que moi dire ce qu’elle est et tout ce qu’elle te doit (https://www.atctoxicologie.fr/).
C’est grâce à ce partage entre Henri et toi que j’ai été amenée à te solliciter de plus en plus souvent dans mon propre travail scientifique, sur les cancers professionnels en particulier. En 2009, Henri nous as quittés et je me souviendrai toujours de tes mots en hommage à ce que vous aviez partagé (https://www.asso-henripezerat.
org/henri-pezerat/hommages/andre-picot-et-lassociation-toxicologie-chimie/
)

Dans cette période, ensemble, nous avons poursuivi le travail que vous aviez commencé, toi et Henri, pour soutenir le combat de Paul François contre Monsanto dans le procès qu’il a gagné contre la firme. Je me souviens de ton appel au soir d’une expertise médicale où tu avais accompagné Paul. Tu étais atterré de l’ignorance et de l’inhumanité du médecin-expert auquel Paul avait été confronté.
Au fil des années, j’ai pu alors continuer à faire appel à toi non pas seulement dans le travail scientifique, mais aussi dans le développement des luttes portées par l’association qui porte le nom d’Henri. Son but ? Le soutien aux luttes pour la santé en rapport avec le travail et l’environnement. Combien de fois t’ai-je appelé, à mon tour, pour que tu me fasses partager ton expérience et tes connaissances, depuis la dioxine ou les hydrocarbures jusqu’aux multiples pollutions chimiques et radioactives qui empoisonnent la vie. Je pense aux désastres industriels tels Lubrizol ou la contamination au plomb lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris. Mais aussi «l’après-mine », que je ne peux évoquer sans penser à toi : Salsigne, Saint Felix-de-Pallières, la mine de Salau en Ariège…
C’est d’ailleurs la lutte contre les pollutions monstrueuses laissées par les exploitants miniers, avec la complicité de l’Etat, qui a été l’occasion de notre dernière rencontre, grâce à l’association SysText (https://www.systext.org/). En septembre 2022, celle-ci a organisé un « forum citoyen sur l’après-mine ». Nous avons été heureux de cette
occasion de nous revoir et d’échanger autrement qu’au téléphone. Tu étais présent à tous et chacun.e, même si tu ressentais douloureusement la mort brutale de Bruno Van Peteghem, qui a tant fait à tes côtés dans l’activité et le rayonnement de l’ATC.
J’ai su que tu t’en étais allé par ton fils qui as décroché le téléphone lorsque je t’ai appelé hier. Nouée par l’émotion, je n’ai pas su lui dire combien tu avais compté pour moi, pour nous, depuis des décennies. Mais je ne le remercierai jamais assez de ne pas avoir laissé mon appel sans réponse. Tu répondais toujours…
Vendredi, étant à l’étranger, je ne pourrai pas venir pour la célébration de tes obsèques à Chevreuse. Mais ce message sera mon moyen de partager avec tous les tiens ce moment d’adieu. Je voudrais leur dire combien je partage leur peine, combien tu nous manques et nous manqueras dans les combats qui étaient les tiens, qui sont les nôtres. Adieu, André, et merci pour ces décennies d’échange fraternel et de savoir partagé.
Annie Thébaud-Mony, 22 janvier 2023

Un certain Thierry Lentz

Qui est-ce ? Thierry Lentz est un historien catho, grand amoureux transi de Napoléon : il est d’ailleurs directeur de la fondation Napoléon depuis l’an 2000. Laquelle fondation, sans grande surprise, existe pour faire briller la mémoire du serial killer appelé Bonaparte. Avouons de suite que je ne sais rien de plus de Lentz, mais une chronique parue dans l’hebdomadaire Le Point a attiré mon œil quelques courtes secondes. Elle est consacrée au dérèglement climatique et s’interroge sur les libertés individuelles.

En voici les premières lignes : « Cet hiver, nous avons eu quelques jours de grand froid, moins que d’habitude, il est vrai. Cet été a été particulièrement chaud et sec. Ne remettant en cause ni le dérèglement climatique ni la nécessité de s’en préoccuper, nous ne pouvons qu’être surpris que, concernant l’impact de l’homme sur le réchauffement et la relation entre climat et météo, la peur et la culpabilisation remplacent la raison ».

Cela n’a l’air de rien, mais c’est un chef-d’œuvre, que je ne peux décortiquer en totalité, faute de temps. Notons vite l’essentiel. D’abord, la température. Monsieur Lentz aime visiblement les figures de rhétorique, car il en use et abuse. Je laisse à plus avisé le soin de dire ce qu’il préfère de la litote, de l’euphémisme ou de l’antiphrase. Mais quand il écrit à propos du froid de ce faux hiver qu’on l’aura vu « moins que d’habitude, il est vrai », il utilise une forme d’atténuation du réel qui n’est pas à son honneur. De même, l’été aurait été « particulièrement chaud et sec ». Eh non ! Nous avons connu en Europe la sécheresse la pire depuis au moins 500 ans. Donc, non.

Le reste est à l’avenant. Il faudrait se « préoccuper » du dérèglement, 40 ans après les premiers rapports indiscutés sur le sujet. On a vu plus alarmé. Et surtout, air connu chez les libéraux de son espèce, « la peur et la culpabilisation remplacent la raison ». Mais où diable veut-il en venir ? Sans souci polémique, je crois pouvoir écrire que monsieur Lentz entend relativiser. Il ne le dit pas explicitement, mais le suggère de mille manières : on a déjà vu ça ! S’appuyant sur l’historien Leroy-Ladurie – dont j’ai lu plus d’un livre -, il rappelle que sécheresses et canicules n’ont pas manqué au programme. La belle affaire ! Tout homme sérieusement informé – et j’en suis – sait bien que la stabilité du climat a toujours été relative. Et qu’au cours des 10 000 années passées, bien des épisodes climatiques extrêmes ont eu lieu.

Très visiblement, monsieur Lentz ne sait rien des innombrables études scientifiques parues depuis disons 1979. Lui ne veut entendre parler que d’un livre paru en 2006, et voilà tout. Sa trouvaille, si on peut appeler ainsi pareille couillonnerie, c’est qu’avec le « dérèglement climatique, on a trouvé la peur par excellence, la peur de long terme, la peur vitale pour des générations entières. C’est une peur en or qui permet tout et qui, un jour ou l’autre, aura des conséquences sur les libertés individuelles ». Si je comprends bien, les pouvoirs en place joueraient donc d’un phénomène déjà vu pour museler les libertés. M.Macron en manipulateur suprême, vraiment ? Est-on si loin d’une forme dérivée de complotisme ?

Inutile de se gêner plus avant. Selon lui, « pour certains, comme les Verts et les ONG les plus diverses, c’est même devenu une obligation, quitte à sacrifier tous les progrès humains (et les humains avec) ». Bien sûr, monsieur Lentz serait bien en peine, si on le lui demandait, de nous prouver que les écologistes souhaitent « sacrifier tous les progrès humains (et les humains avec) ». Mais qui le lui demanderait ? Le journal Le Point a été dans les années 80 et 90 le navire-amiral du climatoscepticisme. Dans son édition du 8 mai 1995, Claude Allègre, chroniqueur comme l’est aujourd’hui Lentz, y publia un texte sous le titre : « Effet de serre : fausse alerte ». Le dérèglement climatique aurait été inventé par des « lobbys d’origine scientifique qui défendent avec acharnement leur source de crédits ».

Le Point, qui se pique si souvent de défendre la science – une science en vérité imaginaire – aura contribué plus que d’autres à désorienter la société par une désinformation constante sur la question la plus importante de toutes. Et il continue. Certes d’une manière plus empruntée, car nul n’ose plus nier le drame en cours. Mais il continue de désarmer, car comme le scorpion de la fable, c’est dans sa nature. On attend toujours, et on attendra encore, les excuses du Point pour ses innombrables mensonges sur la question climatique.

Tournant historique en direction d’une impasse

Ce qui suit ne me procure aucun plaisir, car je vais critiquer un homme que je connais – un peu – depuis des lustres. Et que j’estime. En février 2002, il y a donc vingt ans, j’ai pris vigoureusement la défense d’André Cicolella dans une bien sombre histoire. Ce toxicologue, chercheur et chimiste travaillait alors pour l’Institut national de l’environnement industriel et des risques majeurs (Ineris), mais huit ans plus tôt, il avait été viré d’un autre institut, l’INRS, très certainement parce qu’il avait lancé l’alerte sur des polluants très toxiques, les éthers de glycol.

En 2002, il dirigeait à l’Ineris une unité très utile socialement, destinée à surveiller les risques sanitaires des substances auxquelles nous sommes exposés. Et sa direction avait tout bonnement décidé de disperser son équipe de 21 personnes. Pourquoi ? On le devine. Au même moment, l’ordinateur de Cicolella était visité – un constat a été fait -, et Cicolella portait plainte. Bref, c’est un homme courageux, cohérent avec ses principes, même si, bien sûr, je n’ai pas toujours été d’accord avec lui.

En 2009, Cicolella crée une association qu’il préside encore : le Réseau Environnement Santé (RES, reseau-environnement-sante.fr). Elle se présente de manière fort courte ainsi : « Parce que “notre environnement, c’est notre santé”, le RES agit pour mettre la santé environnementale au coeur des politiques publiques ». Au total, cela fait donc bien longtemps que Cico, comme on l’appelle, tente de peser sur les pouvoirs en place. Ajoutons que Cico a toujours joué la carte des institutions, sans jamais remettre en cause leur cadre. Ce n’est pas une accusation, c’est une affirmation. Au bout de trente ans d’efforts, on doit peut-être se poser la question : est-ce que cela a été efficace ?

J’ai reçu hier un bien curieux communiqué du RES, probablement rédigé par Cico lui-même. En voici le titre, un poil pesant : « Feuille de route “Produits chimiques” de la Commission européenne : Un tournant historique ». Et là, ça ne va plus. Du tout. Ce texte (1), restons poli, est un conte de fées. Il prétend que la Commission européenne aurait pris un très grande décision dans le domaine de la pollution chimique « avec la feuille de route publiée lundi 25 avril [qui] marque un tournant historique. On passe de l’approche substance par substance à une approche par groupe de molécules ». Je vais vous dire la vérité : je n’ai fait que parcourir le long texte en anglais de la Commission. J’estimai ne pas avoir besoin de plus, pour au moins deux raisons. Ce n’est pas une loi, c’est une déclaration d’intention, qui renvoie à 2030, autant dire la saint-glinglin.

Mais surtout, c’est dérisoire, car le constat de l’empoisonnement universel auquel la chimie de synthèse nous condamne rend absurdes ce genre de communiqués. La vérité approximative du dossier est simple : l’industrie chimique, surpuissante, a infiltré – y a-t-il vraiment un autre mot ? – tous les lieux de pouvoir européens et les agences dites de sécurité. Je ne peux évidemment détailler, mais les preuves abondent. Loin de se réfréner, cette même industrie met constamment sur le marché de nouvelles familles chimiques dangereuses, comme l’atteste l’exemple récent des SDHI. Il n’y aucun tournant. Il y a continuité, et accélération même.

Cico, permets-moi de te dire franchement que ça ne va pas. Tu tends une main qui t’a été renvoyée en pleine face. As-tu déjà oublié cette étude de quinze chercheurs, publiée en janvier 2022 (2) ? Elle rappelle – oui, rappelle – que la pollution chimique est hors de contrôle. Extrait : « La production mondiale [de composés chimiques] a été multipliée par cinquante depuis 1950 et devrait encore tripler d’ici 2050 par rapport à 2010. » J’y ajoute ces mots de Bethanie Carney Almroth, qui a participé au travail : « Les substances chimiques composant les plastiques sont plus de 10 000. 2 500 d’entre elles sont connues pour être toxiques, des milliers d’autres n’ont pas été étudiées du tout ». C’est ça, qui est historique.

(1) https://www.reseau-environnement-sante.fr/feuille-de-route-produits-chimiques-de-la-commission-europeenne-un-tournant-historique/

(2)https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acs.est.1c04158

Un gaz cancérogène dans la bouche des nouveau-nés

Attention, cette enquête a été publiée en mars 2021

Charlie révèle de quoi faire sauter la Direction générale de la Santé de ce bon Jérôme Salomon, de la Répression des fraudes et sans doute de l’Anses. Car en effet et en toute conscience, on stérilise avec un gaz abominable les bistouris, les cathéters, les valves et poches de sang, les aliments les plus ordinaires. Et les tétines de nourrissons ? Et.

Attention ! Encore une fois et sans préavis, Charlie s’attaque à la France, à son administration, à ses chefs et sous-chefs à plumes, à ses lois, à ses absences de loi, à ses politiques enfin, ce qui fait du monde. Surtout que l’Europe est elle aussi en cause. Mais commençons donc par le Rapid Alert System for Food and Feed, RASFF de son petit nom. Ça ne fait pas très envie, mais faut. Ce machin créé par l’Europe en 1979 est censé alerter sur les risques sanitaires liés à l’alimentation.

Le 9 octobre 2020, nos braves se réunissent avec les comités idoines, pour les informer (1) « of high levels of ethylene oxide being found in sesame seeds imported from India ». Eh ben oui, de hautes concentrations d’oxyde d’éthylène ont été découverts dans du sésame importé. C’est un poil fâcheux, car l’oxyde d’éthylène, que l’on va découvrir en majesté, est un gaz hautement cancérogène, mutagène et reprotoxique, entre autres.

Il faut donc agir. En France, le correspondant du RASFF est une unité d’alerte de la Répression des fraudes, dont l’acronyme insupportable est DGCCRF. Branle-bas de combat ! Le Sénat propose dans une note un ordre de bataille ébouriffant (2) : « Recommandation no 1 : demander à l’Anses de rendre un avis sur l’oxyde d’éthylène et son métabolite pour mieux comprendre les risques, évaluer les seuils pertinents et mieux identifier l’origine des contaminations constatées ».

Donc se presser, mais pas trop quand même. La fiche de l’Institut de recherche et de sécurité (INRS) – public – fait foi en France depuis des décennies. Or depuis des années, cette fiche note sobrement que l’oxyde d’éthylène donne le cancer, et provoque des anomalies génétiques. Idem au plan européen. On admirera d’autant la trouvaille du Sénat français : demander un avis à une autre structure publique, l’Anses.

Mais cette extrême précipitation se heurte à un mur, celui de l’opinion. Il faut changer d’allure, car des associations puissantes comme l’UFC-Que Choisir ou 60 millions de consommateurs sont en embuscade. La norme européenne, très discutable par ailleurs, est en effet de 0,05 mg/kg d’oxyde d’éthylène. Or certaines graines de sésame en contenaient 186 mg, soit…3700 plus.

Alors la Répression des fraudes, magistrale, dresse une liste de produits contaminés. Des produits qu’il faut rappeler, c’est-à-dire sortir des éventaires, remballer, et en théorie du moins renvoyer à l’expéditeur. Des milliers de produits, distribués aussi bien par Carrefour, Casino, Système U, Leclerc, Auchan que par les magasins bio La Vie Claire, Naturalia ou le réseau Biocoop.

De novembre 2020 jusqu’à aujourd’hui, la liste s’étoffe chaque jour un peu plus, dévoilant une grande folie commerciale. Et mondiale. Au moment où ces lignes sont écrites, 3869 produits sont concernés (3). Citons parmi tant d’autres des baguettes de pain, du poivre et quantité d’épices, des huiles, des canapés apéritif, des nouilles, des fromages, du « mélange pour salade bio », des bonbons, du chocolat, des émincés de poulet, des burgers, des « barres aux noix et aux fruits bio », du thé, du café, du tofu, du chorizo, etc, etc, etc.

Mais pourquoi diable utiliser l’oxyde d’éthylène (OE ou EO sur les étiquettes) à si grande échelle ? Parce qu’il est l’arme fatale qui permet à des milliers d’exportateurs d’envoyer partout dans le monde des produits déclarés safe. L’oxyde d’éthylène (voir encadré) est en effet un petit génie de la chimie. On place une marchandise x dans une chambre étanche sous vide. Puis on envoie le gaz, qui pénètre aisément les emballages avant de se déposer à la surface des produits. C’est un tueur. Aucun micro-organisme ne lui résiste. Une cargaison traitée au gaz ne peut contenir, à priori, aucune moisissure, aucun champignon, aucune bactérie. Le menu problème est qu’elle contient fatalement de l’oxyde d’éthylène.

Celui qui veut se faire grand-peur peut aller visiter le site de l’entreprise française Ionisos, qui possède des usines à Gien, à Sablé (Sarthe), dans l’Ain, dans l’Aube. Elle annonce bravement par un audacieux bandeau (4)  : « Stérilisation oxyde d’éthylène,Idéal pour les dispositifs médicaux ». Tellement idéal que l’on continue en 2021 à stériliser en France « les prothèses mammaires, gants, seringues, compresses, plateaux chirurgicaux ou encore cathéters », ainsi que le détaille Ionisos.

Pour bien mesurer l’ampleur de cette affaire, je suis obligé de prendre la parole, moi l’auteur de cet article. En 2011, j’ai travaillé avec ardeur sur l’oxyde d’éthylène, ce qui me conduisit à cosigner un dossier dans Le Nouvel Observateur dans des conditions très spéciales (voir encadré).

L’évidence est que nos autorités mentent constamment, qui prétendent redécouvrir à chaque saison l’oxyde d’éthylène. En vérité, une circulaire de 1979 que j’avais découverte raconte déjà l’essentiel. À cette époque, Jacques Barrot, qui est ministre de la Santé, expédie aux préfets, à l’équivalent de la Direction générale de la santé (DGS) et des Agences régionales de santé (ARS) un texte ahurissant, qui sera publié au Journal officiel de la République le 10 janvier 1980.

Il affirme qu’il ne faut utiliser l’OE que « si aucun autre moyen de stérilisation approprié n’existe ». Or, « d’autres procédés aussi fiables (par exemple la vapeur d’eau sous pression) » sont disponibles. Ce n’est pas tout. « Les dangers inhérents à l’emploi de ce gaz », poursuit la circulaire, « notamment des sondes, tubes et tous ustensiles en caoutchouc et matières plastiques » peuvent provoquer chez des malades des troubles « pouvant évoluer vers la mort ». Enfonçant le clou, elle précise que l’oxyde d’éthylène présente « la caractéristique de pénétrer en profondeur dans la structure de nombreuses matières plastiques et caoutchouteuses et de s’en extraire très lentement ».

Je ne sais s’il y a là matière à poursuites pénales, mais je le souhaite. Depuis quarante ans, en effet, il est certain qu’un nombre x de malades ont vu leur état s’aggraver, ou pire, à cause de ce mode de stérilisation. En toute conscience de quiconque se tient un peu au courant.

Je pus établir également que des millions de tétines de biberons étaient elles aussi stérilisées de la sorte. Les hostos, y compris ceux de l’AP-HP, en commandaient sans sourciller et sans doute la moitié – au moins – des nouveau-nés avaient pour premier contact alimentaire une tétine empoisonnée. Je crois que je fis mieux encore en produisant des lettres assassines. Ainsi, les 12 et 20 mars 2009, la lanceuse d’alerte Suzanne de Bégon adressait une lettre à la Direction générale de la santé (DGS) pour l’alerter sur l’usage d’OE pour les biberons. Le 7 avril, Jocelyne Boudot, sous-directrice, lui répondait de joindre la Répression des fraudes, cette DGCDRF évoquée plus haut, celle qui vient de rappeler des milliers de produits.

Le 20 novembre 2009, de Bégon prévenait cette administration, qui répondait le 18 janvier 2010. Passons sur le salmigondis bureaucratique, et retenons cette double phrase sensationnelle : « En conclusion, l’utilisation de l’oxyde d’éthylène n’est pas autorisée pour désinfecter les objets destinées au contact des denrées tels que les biberons. Par conséquent, il sera donné les suites nécessaires aux informations nécessaires ». Pas autorisé ! Donc interdit !! Ni la DGS ni la Répression des fraudes ne bougeront un orteil.

Entre-temps, l’OMS, cette Organisation mondiale de la santé farcie de conflits d’intérêts – par exemple au travers de lourds financements par la fondation Bill Gates – sera elle aussi prévenue cette même année 2009. Le 31 mars 2009, dans un sabir mal traduit de l’anglais, une madame Elizabeth Mason répond texto : « L’OMS n’a pas de recommandations sur l’utilisation de cette substance dans les tétines et les biberons ». Il faut dans ces conditions contacter l’agence française AFSSA, devenue peu après l’Anses, celle-là même que le Sénat conseille en 2021 de joindre (voir plus haut) pour en savoir plus. En juillet 2005, l’AFSSA avait réalisé l’exploit de pondre un rapport complet sur le sujet (Recommandations d’hygiène pour la préparation et la conservation des biberons) sans seulement citer l’oxyde d’éthylène (5).

Donc tout continue. On laisse entrer n’importe quelle bouffe, y compris bio, passée par le poison. On utilise chaque jour et partout des bistouris, des poches de sang, des cathéters, des valves passés au poison. L’explication générale est assez évidente : l’oxyde d’éthylène, c’est la mondialisation. Le droit pour les transnationales de dicter une loi supérieure à celle des États. Sans que personne ne moufte dans les ministères et chez les grands courageux de la Direction générale de la Santé et de la Répression des fraudes. Encore bravo, les gars. Et les filles.

(1) ec.europa.eu/food/sites/food/files/safety/docs/rasff_ethylene-oxide-incident_crisis-coord_sum.pdf

(2) senat.fr/rap/r20-368/r20-3680.html

(3)economie.gouv.fr/dgccrf/sesame-psyllium-epices-et-autres-produits-rappeles-comprenant-ces-ingredients

(4) ionisos.com/sterilisation-oxyde-dethylene/

(5) http://sbssa.spip.ac-rouen.fr/IMG/pdf/Recommandations_Biberons_AFSSA_Francais.pdf

L’Oxyde d’éthylène et moi

L’oxyde d’éthylène est un vieux camarade. À la fin du printemps 2011, je découvris que des millions de tétines de biberons étaient stérilisés à l’aide d’un gaz puissamment cancérogène, qui s’accrochait au caoutchouc. Or j’étais pigiste, or j’avais besoin d’argent.

Qui paierait une longue enquête ? Je pris contact avec le Nouvel Obs et fis affaire avec un journaliste maison bien connu. Nous bouffâmes au (bon) restau interne du journal, en compagnie de Laurent Joffrin, alors le patron. Et l’accord ayant été conclu, je me lançai à l’assaut. Un long et fructueux travail. Je remis un texte au journaliste, qui tapait dur, vu que je ne sais pas faire autrement.

Naïf comme il n’est pas permis, je crus que ce texte, après retouches, serait publié. N’avais-je pas fait la totalité du boulot ? Macache bono. Le journaliste écrivit sa propre sauce, d’une main lourde, et mon article disparut corps et bien. Les révélations extraordinaires qu’il contenait furent noyées dans de telles circonvolutions qu’elles en étaient méconnaissables (1). C’était raté, exécrable, mais je cosignai, seule chance de récupérer au moins un peu de ma sueur. Así son las cosas, ainsi va la vie réelle.

La suite est pareille. Pendant des mois, il me fallut relancer, relancer, relancer pour obtenir le salaire pourtant convenu au départ. Un pigiste, c’est un chien qui fait le beau.

(1) Le Nouvel Obs du 17 novembre 2011

Du côté du gaz moutarde

Comme souvent avec la chimie, l’oxyde d’éthylène (OE) a été synthétisé sans savoir à quoi il pourrait servir. En la circonstance, le chimiste français Charles Adolphe Wurtz fait réagir du 2-chloroéthanol avec une base, et zou. Nous sommes en 1859.

Pendant un demi-siècle, il est largement oublié, puis retrouvé par l’industrie de guerre, qui va en tirer, à partir de 1917, de l’ypérite, le gaz moutarde. Charmant. Il servira aussi dans d’autres synthèses chimiques, parmi lesquelles les éthers de glycol.

Quand a-t-on commencé à savoir ? En 1968 – il y a plus d’un demi-siècle -, les professeurs suédois Hogstedt et Ehrenberg (1) concluent que l’OE est un cancérogène pour l’homme. Concluent ? Concluent, car il s’agit du résultat d’un patient travail étendu sur neuf ans. Dans les usines de production, mais aussi dans les hôpitaux, où le poison est très utilisé pour la stérilisation des instruments chirurgicaux.

Il faudra attendre 1994 pour que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui dépend de l’ONU, confirme ce travail impeccable. Depuis, quantité d’études ont montré les conséquences mutagènes et génotoxiques d’une exposition à l’OE. À quoi il faut ajouter pertes de mémoire, troubles du système nerveux central et du sang, neuropathies périphériques, dommages parfois irréversibles aux poumons et au système respiratoire, convulsions, coma, etc.

Détail rassurant : l’OE ne sent pas. Plutôt, quand on le sent, c’est qu’il déjà présent à des concentrations toxiques. Mais alors on s’en fout, car sa saveur est très douce, presque enivrante. On en redemanderait.

(1) https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/3198208/

Les facéties criminelles de l’administration

Y aura-t-il un jour un procès pénal de l’oxyde éthylène (OE) ? Rappelons en deux mots toute l’affaire. Un, on sait depuis 1968, par des travaux suédois, que l’OE est un cancérogène pour l’homme. Deux, on sait depuis une circulaire du ministère de la Santé de 1979 qu’il tue et qu’un autre système de stérilisation – efficace – par vapeur d’eau existe, sans faire courir le moindre risque. Trois, depuis 1994, une agence spécialisée fort réputée – le CIRC/ONU – a prouvé que l’OE est cancérogène pour l’homme. Quatre, en 2005, l’agence publique française AFSSA – devenue en 2010 l’Anses – publie un rapport de 116 pages (Recommandations d’hygiène pour la préparation et la conservation des biberons) qui ne cite même pas l’OE. Cinq, suite au dossier publié par l’Obs (voir encadré), le ministre de la Santé Xavier Bertrand promet un rapport de l’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS). Six, l’IGAS remet son travail en juillet 2012 et noie le poisson avec une prudence de sioux. Résumé de Charlie : y a peut-être quelque chose qui cloche, il aurait peut-être fallu faire autrement, il n’est pas exclu qu’on ait laissé de côté quelques informations, et donc, « il appartient en tout état de cause aux autorités sanitaires françaises de déterminer les suites à donner aux constats de la mission ». Beau coup de pied en touche.

Sept enfin, et cette fois l’on atteint au chef d’oeuvre, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), énième machin lié au ministère de la Santé, rend le 1er mars un Avis intitulé « Recommandations pour la stérilisation des biberons en établissements de santé ». On remarquera – défense de rire – combien le titre est proche de celui de l’AFSSA en 2005. Mais que dit-il ?

Exactement ceci : « Le HCSP établit qu’il n’est pas nécessaire d’utiliser des biberons stériles car un niveau de propreté bactériologique suffit dès lors que des mesures d’hygiène validées sont obligatoires sur toute la chaine de production et d’utilisation ».

Ce serait suffisant, mais on enfonce le clou, deux fois. Le HCSP explique d’abord qu’il intervient « suite d’un à l’avis du Conseil supérieur de la santé (CSS) belge de décembre 2018, sollicité notamment sur les alternatives à la stérilisation à l’oxyde d’éthylène, substance carcinogène dont l’usage est interdit dans la stérilisation des contenants alimentaires ». Et il recommande ensuite « de ne pas utiliser de biberons stérilisés à l’oxyde d’éthylène ;

[de]

ne pas recourir à l’utilisation de biberons et/ou tétines stériles pour tous les enfants et nourrissons, même les plus à risque, aucune situation clinique le justifiant n’ayant été identifiée ».

Si l’on sait encore lire le français, l’oxyde d’éthylène dans les biberons ne sert à rien d’autre qu’à remplir les poches des industriels qui les fabriquent. On peut sans risque d’erreur y ajouter les matériels médicaux (voir encadré). On empoisonne donc massivement, mais nul n’est responsable, encore moins coupable. La vie est belle, pour les salopards.