Archives de catégorie : Biodiversité

Mais d’où viennent ces foutues punaises de lit ?

Vous le savez aussi bien que moi : les r’voilà. Elles, les punaises de lit. J’en ai connu chez moi quand j’étais môme, dans ma banlieue. Ainsi que des poux. Ainsi que des puces qui allaient se planquer au matin dans les plinthes après nous avoir dévorés pendant la nuit. Je n’ose repenser aux produits hautement toxiques que nous utilisons gaillardement. Le DDT n’était pas le pire.

Bon. Les punaises. Elles sont sur Terre depuis environ 100 millions d’années. Bien plus que nous. Et elles ont donc pu côtoyer fort longtemps les dinosaures, qu’elles ont dû emmerder, malgré leur taille ridicule, comprise entre 5 et 8 mm. Ce sont des voleurs de sang, ainsi qu’on sait. La nuit, en bande, elles sortent de leur planque, et viennent nous boulotter. Une ponction à travers la peau – compter au moins 10 minutes de succion – suivie d’une longue digestion. Qui peut être démesurément étendue, puisqu’une punaise peut survivre à un jeûne de…20 mois. 20 !

Elles ont été sinon éradiquées, du moins contenues, pendant des décennies après la guerre, « grâce » à la meurtrière chimie de synthèse. Dans les pays riches, les seuls qui comptent à nos yeux égotistes. Et puis elles sont revenues. À partir des années 90. Dans un pays comme l’Australie, sur la période 1999-2006, l’augmentation constatée de leur présence est évaluée à 4500 %.

C’est chiant. Très. On estime que 11 % des foyers, en France, ont été infectés au cours des cinq années passées. Tous ne s’en sont pas débarrassés, et ceux qui y sont parvenus ont dû débourser beaucoup d’argent. Ne demandez par à un Bangladais ou à un paysan malien de faire pareil.

En France, nous avons d’impeccables vigies, comme la députée mélenchoniste Mathilde Panot. Il y a peu de temps, elle a défié à l’Assemblée la Première ministre Élisabeth Borne, dénonçant un monumental scandale de santé publique. Sur un ton aussi triomphal qu’indigné, ici, elle réclamait un plan d’État. Est-elle crédible pour autant ? Faut-il suivre son appel à la croisade ? Polope, comme on disait chez moi dans mon jeune temps.

Les mélenchonistes sont dans la criaillerie et la posture politicienne. Je sais que les électeurs de Mélenchon qui me lisent trouveront cela injuste. J’en suis désolé, mais cela ne retiendra pas ma plume. Car cette nouvelle invasion des punaises serait l’occasion d’une excellente pédagogie sur l’état du monde. Mais il est vrai que la funeste comédie que l’on nous sert chaque matin est strictement franco-française. Franchouillarde. Mathilde Panot elle aussi ? Elle aussi.

Que révèle le retour en force des punaises ? Au moins trois choses presque évidentes. Un, le commerce mondial est une grande folie planétaire. Depuis 1945, il a augmenté deux fois plus vite que le PIB. En moyenne. Selon l’Insee, de 1980 à 2021, le volume du commerce mondial a été multiplié par 7,4, tandis que le volume du PIB mondial a été multiplié par 3,9. Imaginez seulement le bal tragique des bateaux de containers et les milliers d’avions qui atterrissent chaque semaine quelque part. Les punaises se baladent, elles aussi.

Le deuxième phénomène est lié. Il s’agit du tourisme de masse. Selon l’Organisation mondiale du tourisme, 700 millions de touristes ont voyagé à l’étranger entre janvier et juillet 2023. Imagine-t-on ? Non, nul ne peut imaginer de tels déversements de pathogènes et parasites de toute sorte à chaque seconde qui passe et dans le moindre recoin du monde.

La troisième raison de la réapparition, c’est bien sûr la résistance bien connue aux pesticides, en l’occurrence les insecticides. La chimie de synthèse, qui ravage le monde depuis un peu moins d’un siècle, sélectionne. C’est évident. Dans un premier temps, un insecticide va tuer les insectes et d’autres cibles non prévues au programme. Mais les survivants de la tuerie seront les plus résistants. Et, faisant souche, donneront naissance à une progéniture qui se moquera bien des fumigations.

Et voilà pourquoi les punaises de lit se rient de nos folies, et prospèrent, et prospèreront. De vrais écologistes « profiteraient » de l’occasion pour faire une nouvelle fois la démonstration que ce monde nous conduit au gouffre. Mais les politiciens de toute tendance préfèrent les parades médiatiques. Así es la vida.

Anna Karina, les pesticides et moi

Que ceux qui se souviennent d’Anna Karina dans Pierrot le fou lèvent le doigt. Dans ce film de Godard, sorti en 1965, on l’entend répéter, les pieds dans l’eau : « Qu’est-ce que j’peux faire, j’sais pas quoi faire ». Eh ben, au risque de surprendre, Anna Karina, c’est moi. Je ne sais plus quoi faire contre les pesticides. Cela fait bien 25 ans que j’écris sur le sujet, y compris dans des livres solides, mais rien ne bouge.


Ce qui bouge, ce sont les études, qui s’empilent. Celle publiée le 15 mai (1) apporte des informations inédites sur le déclin apparemment fatal des oiseaux communs en Europe. Les signataires – quatre chercheurs principaux – ont étudié en détail le sort de 170 espèces d’oiseaux sur 20 000 sites de 28 pays européens. En tentant de préciser l’impact de quatre « pressions anthropiques », c’est-à-dire provoquées par les activités humaines : changements dans le couvert forestier, changement climatique, urbanisation, intensification agricole.

Bien entendu les causes du massacre des oiseaux sont multiples. Même les chats, si nombreux, y jouent leur rôle, de même que les pales des éoliennes. Mais le très grand responsable, c’est l’usage massif des pesticides et des engrais de synthèse. Grâce à des techniques mathématiques récentes, les scientifiques sont parvenus pour la première fois à hiérarchiser les menaces. Interrogé par Le Monde, Vasilis Dakos, l’un des signataires de ce travail, estime qu’il « permet de révéler des liens de causalité ». Non pas seulement de corrélation, comme bien souvent, mais de causalité. Les insectes sont tués par les pesticides, et les oiseaux insectivores les suivent dans le néant : le bruant ortolan a perdu 93% de ses populations en Europe depuis les années 80.

Une autre publication (2) permet de retrouver un SDHI, le boscalid. L’agrochimie prétend contre l’évidence que les fongicides SDHI – ils s’attaquent aux champignons des récoltes – ne sont pas toxiques au-delà de leur cible (3). En réalité, le Pristine, mixture contenant du boscalid, réduit la durée de vie des abeilles ouvrières. Et des effets létaux ont été observés à des doses inférieures à celles utilisées dans les laboratoires pour obtenir une autorisation de mise sur le marché.

Passons à la grande et enivrante politique française. La rumeur m’est parvenue que Macron, quand il en éprouvera le besoin, pourrait remplacer Élisabeth Borne par l’ancien ministre de l’Agriculture Julien Denormandie. Ce ne serait pas la meilleure nouvelle de l’année. En septembre 2021, Macron, pour une raison restée inconnue, déclare : « Je veux que sur ce sujet des pesticides, la présidence française de l’Union européenne [qui commencera en janvier 2022] porte, et je m’y engage ici, une initiative forte, avec tous les collègues, de sortie accélérée des pesticides ».

Le lendemain, Denormandie, plus au fait, apparemment, des vrais rapports de force, recadre rudement Macron : «Nous sommes dans un marché commun, donc cette question doit être européenne ! Sinon, nous créons juste de la compétition déloyale, sur le dos de notre agriculture et de notre environnement !». Et aussi, mais surtout : « Notre position est toujours la même : pas d’interdiction sans alternative ». Et il n’y a pas d’autre choix. Pour eux.

(1)https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2216573120

(2)https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0269749120366537

(3)J’ai consacré un livre à l’effarant scandale des SDHI : Le crime est presque parfait (LLL)

(4)https://theconversation.com/pesticides-et-abeilles-comment-les-fongicides-sattaquent-a-la-reine-205070

(5)https://pubs.acs.org/doi/pdf/10.1021/acs.est.2c09591

Raoni en vitrine publicitaire de Macron-le-petit

Qui est derrière la belle photo ? Le 4 juin, Macron-le-petit reçoit à l’Élysée le chef amérindien du Brésil, Raoni. Embrassades, effusion, énième engagement solennel pour la sauvegarde de l’Amazonie. Et si l’entremetteur Robert Dardanne était à la manœuvre ? C’est ce qu’affirme l’association Maïouri Nature Guyane (1) et disons d’emblée que cela tient la route. Dardanne s’est en effet décerné le titre de président de l’association « Forêt Vierge », et a réussi un coup de maître en approchant Raoni dès 2016, lui faisant faire une tournée européenne en 2019. Il a bel et bien joué son rôle dans la rencontre Macron-Raoni.

Est-il sincère ? Passons à la question suivante, et démêlons les fils. La Guyane dite française – 285 000 habitants – manque d’électricité. Actuellement, pour en produire, il faut compter sur le fioul – la centrale de Cayenne – le barrage du Petit-Saut, divers petits ouvrages. Sans oublier ce dont on va parler, c’est-à-dire les centrales à biomasse. Retenons à l’arrière-plan l’existence de la base de fusées de Kourou, qui consommerait, selon des chiffres officiels, 18% de l’électricité guyanaise. Insistons sur l’adjectif officiel, car tout ce qui concerne Kourou est le plus souvent secret d’État.

Revenons à Dardanne. Il se présente comme un écologiste, mais son itinéraire vrai montre un businessman opportuniste, constamment à la recherche d’un coup. Dans l’immobilier, dans le transport aérien, dans l’informatique, dans le soin aux vieux dans les maisons de retraite. En 2005, il crée avec d’autres la société Voltalia – il en était le P-DG et y reste influent -, qui entend développer la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables (2). Dont en Guyane la biomasse. En deux mots, on crame du bois et des déchets végétaux, dont la combustion chauffe de la vapeur d’eau. Cette dernière, sous pression, actionne une turbine qui fait tourner un alternateur. Chouette, hein ?

Ben non. Les opposants locaux parlent d’une opération qui menace l’équilibre agricole et forestier d’un joyau : la Guyane est couverte à 96 % d’une forêt équatoriale humide. Voltalia possède deux des trois centrales à biomasse de Guyane, et se bat avec des concurrents comme Idex, qui en installe deux nouvelles à…Kourou l’insatiable. Les gens d’Idex présentent leur groupe (3) comme « un acteur indépendant engagé depuis 60 ans dans la décarbonation des territoires ». Soit depuis…1963. Bien inventé.

Maintenant, l’essentiel. Un lobby informel d’une rare intensité travaille depuis des années, qui réunit notamment, côté public, l’Ademe, l’Agence française de développement (AFD), la Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la Forêt (DDAF). Soutenant comme de juste l’industrie par des subventions, il a obtenu l’incroyable : l’Europe a accepté le maintien d’une dérogation scélérate (4). Résumé incomplet : on pourra, en Guyane, utiliser 15% de la surface agricole pour « faire » de la biomasse, contre 3% en France métropolitaine. Ce que ne disent pas les lobbyistes, c’est qu’on produira massivement des biocarburants, en détournant du marché alimentaire des plantes comestibles. En Guyane, les « plantations à vocation énergétique » pèsent 70 000 tonnes, mais pourraient atteindre 160 000 tonnes en 2030.

Qui va morfler ? D’évidence, la forêt. Tous les gens intéressés à cette belle aventure le nient, mais l’engrenage finira par emporter le bras, et le reste. La Guyane dispose de politiciens de classe, comme ce monsieur Thibault Lechat-Vega, qui se prétendait l’an passé proche de la France insoumise. Devenu vice-président de la Communauté territoriale de Guyane (CGT), il soutient à fond l’usage de la biomasse. Citation : « Quand est-ce que l’on va arrêter de nous mettre sous cloche alors qu’un quart des Guyanais n’a pas accès à l’électricité ? ».

Il y aurait bien une solution ou plutôt deux. Le soleil, omniprésent – à quand des chauffe-eau solaires pour tous les habitants ? – et le vent, fort et stable, au moins sur le littoral. Ne manque que le courage politique.

(1)https://blogs.mediapart.fr/maiouri-nature-guyane/blog/040623/les-pyromanes-de-lamazonie-guyanaise-profitent-de-limage-du-leader-raoni

(2)https://www.voltalia.com/fr

(3)https://www.idex.fr/

(4)https://www.euractiv.fr/section/energie/news/biomasse-en-europe-l-exception-guyanaise-qui-fait-grincer-des-dents/

Sornettes coutumières au sujet du plastique

Je tempête tant, intérieurement, que j’hésite à poursuivre ce texte. On verra. Vous le savez certainement, un pompeux sommet mondial commence ce 29 mai 2023 à Paris, censé préparer le terrain à un éventuel traité sur l’usage du plastique. On parle de 175 États représentés. On parle d’un agenda. On parle de 2040, et je gage ici qu’on parlera plus tard de 2050. Mais ce n’est pas même un problème de date.

Qui reçoit en notre nom ? Christophe Béchu, ancien président du conseil départemental du Maine-et-Loire, ancien sénateur, ancien maire d’Angers. Pourquoi est-il là ? Parce qu’il a tapé dans l’œil de Macron pour une raison qu’on ignore. Il n’a jamais, jamais, jamais montré le moindre intérêt pour la nature et l’écologie, ce qui le désignait probablement pour cette tâche.

J’ai déjà dit du bien, c’est-à-dire du mal de ce monsieur ailleurs, et je vous en fais part immédiatement : « L’examen non exhaustif du cabinet de Béchu n’incite pas au compliment. Directeur de cabinet : Marc Papinutti, ingénieur des Ponts, des Eaux et des Forêts. Directeur adjoint  : Alexis Vuillemin, ingénieur des Ponts, des Eaux et des Forêts. Directrice adjointe : Amélie Coantic, ingénieure des Ponts, des Eaux et des Forêts. Qui s’occupera de la nature, dans ce vaste conglomérat ? Guillaume Mangin, « conseiller prévention des risques, santé, environnement, urbanisme et aménagement ». Notons l’encerclement du mot environnement par la santé et l’urbanisme. Pas l’écologie, l’environnement. L’écologie oblige à considérer l’homme en relation avec d’autres existants. Pas l’environnement, qui comme son nom l’indique, s’en tient à ce qui environne l’homme, placé de facto au centre. Mais ce n’est pas le pire : Mangin est lui aussi ingénieur des Ponts, des Eaux et des Forêts.

Voici venue la minute pédagogique. Les Ponts et le Génie rural, les Eaux et Forêts ont fusionné en 2009. Les premiers, dont le corps a été fondé en…1716, sont à peu près derrière toutes nos si belles constructions. Les routes et autoroutes, les cités de banlieue et leur urbanisme guilleret, les villes nouvelles, de nombreux centres commerciaux géants – Rosny 2 -, et jusqu’aux châteaux d’eau hier et les ronds-points inutiles aujourd’hui. Ils bâtissent, et gagnent de l’argent en coulant du béton. Les Eaux et Forêts aiment à faire remonter leur origine à un édit de Philippe-Auguste, en…1219. On leur doit, depuis la guerre, la atteintes les plus graves à la biodiversité qu’a connues ce pays. À la tête du ministère de l’Agriculture et des anciennes et surpuissantes directions départementales de l’agriculture et de la forêts (DDAF), ils ont tout remodelé.

Ils nous auront tout fait : les plantations de résineux en monoculture, le remembrement et l’arasement des talus boisés – 400 000 km pour la seule Bretagne -, le recalibrage à la hache de milliers de cours d’eau, consistant en des travaux lourds destinés à augmenter la productivité. Et bien sûr, soutenu de toutes leurs forces l’usage massif de pesticides et d’engrais industriels. Les deux Corps qui ne font plus qu’un sont en tout cas nés sous l’ancien régime, et ont résisté aux guerres et aux tumultes. Sont-ils au service de la République ? Ils le disent. Sont-ils au service de leur Corps qui, de manière féodale, maintient des liens de suzerain à vassal ? Ils le nient férocement. Notons un dernier point, décisif : ce corps de la « noblesse d’État » (Bourdieu) détient, avec celui des Mines, un monopole de l’expertise technique. Tout projet public d’importance passe entre leurs mains avisées. Qu’on ne peut contester ».

Revenons à la farce du sommet sur le plastique. On est fort loin d’un traité – compter dix ans, ou vingt -, mais s’il était signé, il ne servirait à rien, car il n’est pas question de s’attaquer vraiment à cette plaie universelle, mais de réduire. Un peu, on ne sait combien. C’est très engageant, car les centaines de millions de tonnes de plastique déjà répandus sur les sols et les mers, dans l’eau des lacs et des rivières, dans notre alimentation et notre eau de boisson, ont une espérance de vie qui se compte en siècles.

Diminuer, donc. Pour juger le sérieux d’un Béchu, notons qu’il propose, très décidé, qu’on n’utilise pas de plastique au moment des JO de Paris de 2024. En tribunes, précisons, c’est-à-dire sous le regard des caméras. Ailleurs business as usual. Autre proposition baroque : le ministre veut un GIEC du plastique. Ça ne mange pas de pain, mais ça reste grotesque, car de vous à moi, depuis 1988 – date de sa naissance – le GIEC n’aura servi à rien d’autre qu’à remettre des rapports, aussitôt digérés, car la machine aime manger. Or, et bien que les chiffres soient incertains, la production mondiale de plastique approche les 500 millions de tonnes, et pourrait au rythme divin de la plasturgie, tripler encore d’ici 2060. En 1950, selon les sources, elle oscillait entre 1 million et 1,5 million de tonnes.

Visiblement, Béchu commence à s’y croire. Ses communicants ne doivent pas être si mauvais, puisque les journaux le placent pour un instant dans la lumière. On trouve même dans l’article d’une gazette ces quelques mots d’ouverture, qui ressemblent – sans en être – à un publireportage : « Plastic Béchu. Le ministre de la Transition écologique part en guerre contre le plastique ». Nul ne part, nul ne partira en guerre. Le plastique, on l’oublie le plus souvent, est tiré du pétrole, et sera donc défendu par des intérêts colossaux, les mêmes qui interdisent tout combat véritable contre le dérèglement climatique. C’est piteux ? Pire encore.

Si nous disposions des géants qui nous manquent tant, au pays des nains de jardin, il y aurait déjà une coalition mondiale pour l’interdiction du plastique, dont les humains se sont agréablement passés pendant deux millions d’années, disons depuis Homo habilis. Et une considérable flottille – elle existe – serait en ce moment en Méditerranée et dans le Pacifique à ramasser ce plastique qui tue massivement les écosystèmes marins. Rien ne résume davantage la misère de la politique. Elle est incapable de poser le problème dans sa vérité. Quant à imaginer le régler, je pense qu’on peut avoir toute confiance dans Plastic Béchu, l’as des as. Non ?

Quand l’eau ne coule plus au parc de la Doñana

Il y a des années et des années, j’ai passé du temps dans l’un des lieux les plus beaux de ma vie : le parc national de la Doñana. 122 000 hectares au total, dont 54 000, moins protégés, appartiennent à ce qu’on nomme en Espagne un parque natural. Comment expliquer ? Le lieu est l’ancien delta du Guadalquivir, avec Séville au nord, Huelva à l’ouest, et Sanlúcar à l’est. En Andalousie comme ailleurs, la ville pousse de tous côtés.

J’y ai vu des flamants roses, bien sûr, qui passent ici par dizaines de milliers. J’y ai vu l’aigle impérial ibérique, une espèce endémique, qu’on ne trouve donc pas ailleurs. Je n’ai pas vu, mais j’a croisé grâce à un garde les traces du lynx ibérique, dans les dunes boisées au ras de l’Atlantique. Je crois que je pourrais écrire sans m’arrêter sur ces cuvettes sans limites apparentes, creusée de trous d’eau, de rigoles, de fossés, de petits étangs et dépressions. On les appelle selon les cas ojos, lucios, caños, qui forment la contrée des marismas, ces marais mélangeant eaux douces et saumâtres où la vie explose. Six millions d’oiseaux migrateurs y font une halte sur leur chemin aller ou retour.

Doñana a connu bien des attaques au cours des siècles, et connu quantité de menaces. Mais ce qui se passe désormais est d’un ordre différent, car cela s’appelle la mort. Il y a la sécheresse, bien sûr, qui transforme d’année en année l’Espagne en désert. En ce moment, au moins 30 000 hectares devraient être sous l’eau. À peine 300 le sont. Mais il y a aussi l’agriculture, qui pompe en Espagne 80% de l’eau chaque année. Et elle est surtout intensive en Andalousie, qui produit légumes et fruits pour toute l’Europe, dans un univers dantesque de serres plastiques entretenues par des semi-esclaves – surtout des femmes – venus du Maroc, de Pologne, de Roumanie, voire du lointain Équateur.

Les fraises surtout, celles qui arrivent en France dès février – parfois avant – volent à Doñana une grande part de l’eau qui lui manque tant. De nombreux « exploitants » – riches, au demeurant – sont aux limites du parc et pompent tant qu’ils peuvent dans une nappe qui ne se recharge plus. Par un phénomène connu de tous, il faut creuser de plus en plus profondément, pour en sortir toujours moins d’eau. Un reportage du quotidien El País montre ce que la situation a de désespérée (1). Le biologiste Eloy Revilla, directeur de la Station biologique de Doñana : « On est en train de perdre les lagunes, et la question est de savoir si on pourra les retrouver ». À côté du scientifique, un chêne-liège monumental de trois siècles, qui a traversé toutes les épreuves, et cette fois rend l’âme. Au moins 60% des lagunes ont déjà disparu.

Il y a les puits légaux, plus ou moins contrôlés, mais surtout les puits non déclarés, qui se comptent en centaines. Beaucoup ont été régularisés en 2014 – par la gauche -, mais bien sûr, cela n’a pas de fin. La cour européenne de justice à condamné l’Espagne en 2021 pour n’avoir pas su protéger le parc national, mais en Espagne, on pisse aussi bien dans un violon qu’ici. D’autant que la politique la plus vile s’en mêle. Des élections municipales ont lieu le 28 mai 2023, et en Andalousie, une coalition faite du Parti populaire – la droite – et de Vox, parti défendant l’héritage franquiste, dirige la région.

Les deux larrons, avec l’aval du gouvernement andalou, mitonnent une loi qui prévoit d’élargir la zone irrigable au nord de Doñana, malgré les menaces de lourdes amendes de l’Union européenne. Avec un peu de chance pour ces crapules, la loi devrait être votée à la moitié de ce mois. Et la plupart des puits illégaux du périmètre en seraient régularisés une nouvelle fois.
Je préfère me souvenir un instant de ce jour de bonheur passé en compagnie d’un gars appelé Juan Valladolid. Nous étions montés sur le point culminant du parc – 35 mètres de haut – appelé le Cerro de los Ánsares, la colline aux oies. Des milliers d’oies cendrées sont passées juste au-dessus de nos têtes. C’était un flot, une folie de plumes, ce que les Espagnols appellent algarabía. Une langue aussi somptueuse qu’incompréhensible.

(1)https://elpais.com/clima-y-medio-ambiente/2023-04-16/teresa-ribera-lo-de-donana-es-un-engano-no-va-a-haber-agua.html