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La réponse d’Érik Orsenna à Thierry Ruf

Je me suis encore avancé trop vite. Je pensais ne faire aucun commentaire à la lettre de monsieur l’académicien, mais je n’y parviens pas. Je sais qu’on peut lire ce qui suit de toutes sortes de manières. Moi, j’y vois un concentré de mesquinerie tel qu’il m’étonne tout de même un peu. Orsenna n’ayant rien à dire sur les critiques de Ruf – pour cause, elles sont fondées -, entreprend comme le mauvais joueur qu’il est de le disqualifier. Ce n’est pas compliqué, il y a une tradition pour cela.

La vie de Ruf serait de frustration, son salaire coûterait cher au contribuable, alors qu’il n’en foutrait pas une rame, il serait incapable d’écrire de manière à être lu, etc. Ad nauseam. Ces petits marquis vous attrapent de ces colères, on les entend trépigner du fond de leur sixième arrondissement parisien. Tandis que Ruf parle sérieusement de l’eau, s’appuyant sur des cas bien documentés, Orsenna utilise de bonnes vieilles ficelles de grand-mère. Au reste, relisez plus lentement sa lettre si vous l’avez déjà fait, et vous comprendrez tout. Elle est factice.

Elle est factice, car elle ne s’adresse nullement à Ruf et aux connaisseurs du dossier de l’eau, qu’Orsenna méprise souverainement, mais bien plutôt au microcosme qui l’a fait roi sans seulement le lire. Et, certes, à quoi bon lire de telles sottises ? Orsenna, archétype de l’intellectuel petit-bourgeois germanopratin, soigne sa clientèle. C’est à elle qu’il dédie sa pauvre lettre. C’est à elle, à ces gens sous-cultivés pour qui lire est une souffrance impossible, qu’il s’adresse en clignant grossièrement de l’œil. En résumé : hé, les mecs, vous avez vu ce que j’ai mis au “directeur de recherche” ?

Bon, à l’arrivée, faut-il en rire ? Bien obligés. Avons-nous le choix ? Mais tant qu’à faire, je verrais bien cet incident se terminer par un entartage (ici). Ce qui fut possible pour Bill Gates me semble sans nul doute faisable avec Orsenna. Je ne connais pas Noël Godin, hélas, mais un lecteur aimable voudra peut-être lui passer ce message de ma part : « Cher monsieur Godin, je crois tenir un personnage de choix pour un prochain envol de crème pâtissière. Il va de soi que vous pouvez compter sur moi pour aider à la réalisation de cette jolie confiserie. Bien à vous, Fabrice Nicolino ».

La lettre d’Orsenna à Thierry Ruf

Monsieur le directeur de recherche et cher « spécialiste »,

Laissez-moi vous dire combien votre long, si long article me concernant m’a réjoui. Et honoré. Qu’un savant tel que vous, si considérable, prenne autant de soin pour accabler mon modeste ouvrage ne peut que m’enorgueillir en même temps qu’il me rassure : allons, il reste encore aux directeurs de recherche de l’IRD quelque loisir pour s’amuser un peu !

Votre aigreur, en revanche, m’ a peiné pour vous. Les acidités de cette sorte indiquent, le plus souvent, une existence pleine de frustrations. J’espère que vous me détromperez un jour. Oui, drôle d’aigreur ! Et d’autant plus étrange que votre méchante, très méchante montagne accouche d’une plutôt bienveillante souris: vos conclusions ne sont pas loin des miennes. Et si vous aviez préféré le dialogue a l’injure, nous aurions pu trouver un large terrain d’entente.

Il aurait d’abord fallu que vous compreniez mon propos. Non pas écrire une thèse. Je sais faire. J’en ai déjà soutenu deux. Au passage, je voudrais vous signaler que mes titres universitaires valent bien les vôtres. Et j’ai, comme vous, écrit des milliers de pages indigestes, lestées de centaines de notes. Cette fois, je voulais autre chose, je voulais rencontrer, je voulais écouter, je voulais raconter, je voulais confronter. Avant de présenter certaines convictions.

Si j’écris plus aimablement que vous, monsieur le directeur de la recherche, vous n’avez pas le monopole de la rigueur. Des hommes et des femmes d’aussi grand savoir que le vôtre ont accepté de me relire. Vous en trouverez la liste a la fin de mon livre. Si Ghislain de Marsily, hydrologue de réputation mondiale et membre de l’Académie des Sciences méprisait mon voyage, m’aurait-il choisi pour écrire la préface de son grand livre à paraître en mai prochain «L’eau, un trésor en partage» (éditions Dunod) ?

C’ est vrai, un point nous sépare, monsieur le directeur de recherche : à la différence de vous, je ne diabolise pas les entreprises privées, ni celles et ceux qui y travaillent. Je sais ce que nous leur devons. A commencer par leur création de valeur. Sans elle, comment financer l’administration à laquelle vous et moi appartenons (moi sans rien coûter au contribuable puisque je suis en disponibilité) ?

C’est vrai, j’ai mentionné certaines réalisations de Véolia et de Suez, car je les ai admirées. Mais prêtez moi quelque lucidité. Je sais bien que de nombreux contrats privés passés avec des municipalités ne sont ni transparents ni équilibrés. Mais je sais aussi que de nombreuses régies publiques sont pléthoriques, inefficaces et n’ignorent pas plus la corruption. Un secteur public, monsieur le directeur de recherche, n’est pas toujours la garantie d’un bon service public. Et voyez vous, monsieur le directeur de recherche, aux vertueux et confortables principes je préfère, en cette matière comme en beaucoup d’autres, le pragmatisme : les êtres humains ont un droit imprescriptible à l’eau et à l’assainissement, qu’importe la méthode.

A ce propos, votre soupçon m’a chagriné, monsieur le directeur de recherche, et quelque peu fait douter de votre sérieux dans l’investigation. Vous insinuez je ne sais quels liens, sans doute pécuniaires, avec ces sociétés privées. Sachez que je n’ai pas besoin d’elles, monsieur le directeur de recherche, pour parcourir et guetter le monde et que ma liberté et mon indépendance valent largement les vôtres. C’est un salaire qui rétribue vos travaux, moi ce sont des droits d’auteur. Pardonnez moi d’en être fier.

Bref, dommage, monsieur le directeur de recherche ! N’était cette mauvaise aigreur, nous aurions pu faire un bout de chemin ensemble puisque nos objectifs sont bien sur les mêmes, a commencer par ceux du millénaire. Pour terminer je puise dans mon âge plus grand que le vôtre,  le droit de vous adresser un conseil. Écrivez-le, ce livre sur l’eau que vous portez forcément en vous, oui écrivez-le, écrivez-le vite, au lieu de taper rageusement sur ceux des autres, écrivez le et vous verrez comme c’est difficile d’écrire, je veux dire écrire un livre lisible par le plus grand nombre.

Alors, j’en fais le pari, monsieur le directeur de recherche, votre aigreur s’en ira. De même que votre morgue.

ERIK ORSENNA

Thierry Ruf versus Érik Orsenna (nouvelle version)

Précision : le texte ci-dessous a été modifié, car il a été revu depuis sa publication par son auteur, Thierry Ruf. Cette modification intervient le 17 novembre 2009.

Le chercheur de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) Thierry Ruf s’est livré à une critique complète du livre appelé L’avenir de l’eau (Fayard), écrit par l’académicien Érik Orsenna. Je ne connaissais pas ce texte au moment où je me suis autorisé à attaquer bille en tête l’académicien. J’ai décidé de vous donner à lire le texte de Ruf, malgré sa longueur, car c’est un document d’une nature rare.

Il s’agit à mes yeux d’un grand texte politique et moral, par ailleurs humaniste autant qu’écologique. N’ayant fait que survoler le livre d’Orsenna – je n’en ai lu que deux chapitres, là où j’avais des lumières -, je n’avais pas deviné jusqu’où notre académicien s’était compromis. Oui, je vous le dis, même si vous ne lisez pas Ruf, gardez ce texte en mémoire. Il est implacable, et parce qu’il est implacable pour parler de cet essentiel qu’est l’eau, il est beau. Je ne parviens pas à éviter un rapprochement. Des rapprochements. Avec ces visiteurs des années Trente, revenant en France les yeux éblouis par les réussites grandioses de l’Union soviétique. Avec ceux des années Soixante, rentrant de Pékin pour clamer les splendeurs de la Révolution culturelle. Mais chacun sait combien j’ai l’esprit mal tourné. Orsenna. Ce nom mériterait de devenir commun. Et son sens n’échapperait alors à personne.

A propos de l’Avenir de l’eau d’Erik Orsenna

La caricature des eaux.

(2e version)

 

Mai 2009

 Thierry Ruf[1]

La première version de ce texte écrit en janvier 2009 revêtait la forme de lettre ouverte. Elle a été diffusée largement sur Internet par des sites variés scientifiques, associatifs ou par des sites d’information sur les medias et les livres. Cette diffusion spontanée ayant pris une certaine ampleur, M. Orsenna, vice-président de FARM et M. Bachelier, directeur de cette fondation, ont répondu indirectement sur le site de FARM dans des termes qui figurent ici en annexe du texte principal. La nouvelle version revue en mai 2009 reprend tous les éléments de critique de fond, mais la forme littéraire choisie est celle de l’évaluation critique de livre. S’y ajoute, dans les conclusions, l’exemple bien concret des bornes-fontaines à carte à puce que Véolia installe au Maroc pour appliquer les principes de responsabilité sociale des entreprises et du « social business ».

 

 

Après avoir publié le premier petit précis de mondialisation consacré au coton, Erik Orsenna livre fin 2008 le deuxième petit précis de mondialisation. Il s’agit de  L’avenir de l’eau. Cette livraison a été soigneusement préparée lors du 13e congrès mondial de l’eau de Montpellier (1er-4 septembre 2008), avec une conférence grand public donnée dans la grande salle du Corum. M. Orsenna avait été présenté comme le grand passeur d’idées des scientifiques de l’eau. Même si les propos d’annonce étaient convenus, et l’exposé du conférencier une suite décousue d’anecdotes, les scientifiques de l’eau attendaient de voir le résultat écrit, publié quelques semaines après la présentation très orchestrée du sujet.

 

Deux années de pérégrination aux quatre coins du monde ont donné assez d’inspiration à l’auteur académicien pour coucher sur le papier ses impressions. Mais, à la lecture, les 402 pages de ce petit précis[2] laissent perplexe. De quoi s’agit-il ? un témoignage sur les hommes de l’eau ? une synthèse des controverses ? une vulgarisation des connaissances ? Retrouve t-on les éléments d’un abrégé sur l’eau ? L’auteur décrit un parcours dans une douzaine de pays et glorifie quelques personnages singuliers. Pour autant, est-il bien raisonnable de livrer un texte aussi décousu, inorganisé, et orienté principalement par quelques entretiens ponctuels ? Certes, aller d’un pays à un autre et découvrir différents mondes ouvre les esprits sur les différentes cultures de l’eau. Mais la méthode pour acquérir l’information et la traiter butte sur des failles fondamentales.

 

La première faille du livre est la superficialité de l’approche.

 

M. Orsenna est écrivain et académicien, ce qui facilite incontestablement la prise de contact avec les patrons de l’eau de certaines grandes villes du monde et de grandes agences publiques, tous puissants dans leur organisation (le secteur de l’eau est très hiérarchisé, que ce soit dans le domaine public ou dans le domaine privé). Ces hommes n’ont pas l’habitude de s’expliquer en détail sur leur stratégie. L’enquête pourrait éclairer le public sur l’exercice du pouvoir dans ces hydro-organisations. Mais le voyage est passif. Embarqué dans la conquête industrielle et commerciale, l’auteur se laisse porter par les discours et subjuguer par les réussites technologiques. Le registre sur lequel il fonde l’essentiel du parcours relève plus de la propagande des professionnels de l’eau que de l’objectivité scientifique. Certes, quelques scientifiques sont glorifiés pour leur prouesse dans le domaine des sciences dures de l’eau, l’hydrologie et la climatologie, mais le livre ignore presque tous des débats de sciences sociales et humaines sur les eaux du monde. L’enquête est trop personnelle, individuelle. M. Orsenna aurait dû embarquer avec lui d’autres personnes, érudites mais pas dupes. Le regard pluridisciplinaire sur le monde de l’eau est indispensable. Sinon, on tombe dans le piège d’une simplification abusive, comme les singuliers du titre du précis le préfigurent : l’avenir de l’eau.

 

Les eaux du monde sont plurielles. En parler au singulier tend à universaliser l’approche. H20 est une formule unique, mais les eaux du monde ne sont pas composées que d’hydrogène et d’oxygène. Les eaux ont des compositions chimiques complexes, et peuvent favoriser la vie où la détruire. Le cycle général de l’eau est universel, mais il se décline selon des facteurs multiples, naturels, géographiques, sociaux. Les cycles sont modifiés par les sociétés humaines depuis des siècles. Les combinaisons de facteurs se comptent par milliers. L’avenir des eaux exige des connaissances dans de nombreux champs scientifiques mais aussi dans ceux des savoirs empiriques, des savoirs locaux. Cette complexité du monde des eaux faisait déjà l’objet de nombreux échanges et controverses au XIXe siècle. Mais, M. Orsenna n’a pas pris en compte les travaux anciens comme ceux de Jaubert de Passa, le premier à avoir publié en 1846 un ouvrage sur les civilisations de l’eau comparées ? Pourquoi ignorer Wittfogel, l’inventeur du « despotisme hydraulique » au milieu du XXe siècle ?  Pourquoi ne jamais se référer aux travaux récents des écoles sur les biens communs ou des travaux comparatifs de l’association internationale d’histoire de l’eau ? Pour éviter de noyer le lecteur dans la littérature consacré au sujet, la bibliographie de l’avenir de l’eau ne comporte que 11 références en français (p.405). Pour un article, c’est déjà insuffisant, alors pour un précis, cela dénote un manque d’investissement sur le sujet. L’auteur trouve le moyen d’écorcher le nom de l’hydrogéologue mondialement reconnu, Jean Margat, co-auteur du livre « l’eau », qui est cité comme J. Maryat. Quelle étonnante faute de la part d’un homme de lettres !   A force de passer quelques jours ici et là, de rassembler des notes prises auprès de quelques puissants personnages, dont la plupart ignorent tout de l’histoire sociale, technique et institutionnelle des eaux, l’éparpillement désarme[3].

 

La deuxième faille est la généralisation d’idées glanées au fil d’un voyage trop influencé par les relations avec les industriels français de l’eau.

 

Cela commence mal. Le parcours démarre de l’Extrême Orient, mais pas du côté où les hommes ont inventé des civilisations millénaires en jouant des eaux rares et des crues. M. Orsenna va d’abord en Australie, là où les occidentaux ont anéanti les indigènes et mis sur pied un eldorado de l’entreprise agricole industrielle et individuelle. Pas moins de trente pages du livre sont consacrées à ce Far-East singulier, sans rapport avec les autres histoires agraires du monde. Un Far-East où des sociétés multinationales de vins et spiritueux sont données en référence initiale pour aborder l’avenir mondial de l’eau.

 

Fort de cette référence singulière, l’auteur avance d’emblée l’usage inconsidéré de l’eau chez les agriculteurs (et par extension de langage chez tous les agriculteurs du monde). Il se lamente devant l’évaporation provoquée par d’interminables rampes qui arrosent le maïs en plein cagnard (l’irrigation par aspersion est pourtant réputée la meilleure dans les milieux industriels de l’eau), et il conclut sur l’exigence de passer au goutte à goutte, en Australie comme partout ailleurs.

 

C’est une forfaiture intellectuelle. D’abord, l’Australie a été l’objet d’une colonisation désastreuse et le modèle des gentlemen farmers s’octroyant d’immenses fermes et pillant les ressources en eau locales n’est qu’une forme particulière du développement rural, et probablement pas la plus heureuse (même s’il s’agit de gentlewomen farmers). D’autre part, les céréales peuvent difficilement être irriguées au goutte à goutte. Enfin, affirmer que le goutte à goutte est un devoir pour tous les agriculteurs est une ineptie. Cette technique est utile dans certains cas et ne peut être une fin en soi ou un modèle unique de gestion de l’eau agricole, nous reviendrons sur ce point plus loin, dans les critiques de fonds du livre.

 

Dans les conclusions du livre, M. Orsenna précise qu’il faut résoudre les problèmes de l’eau en fonction des lieux. Alors, il faut bien admettre que les choses sont aussi plus compliquées dans les agricultures du monde et qu’il existe diverses techniques et pratiques dont certaines sont très adaptées aux contextes écologiques, aux terrains, aux conditions agronomiques et aux cultures locales. Mais, de cela, le livre n’en rend pas compte. Pourquoi n’avoir pas choisi un pays de paysans pour démarrer le livre ? M. Orsenna est vice-président de l’association FARM, qu’il cite seulement à la page 306. La « fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde » n’a probablement pas suggéré de travailler à partir des luttes paysannes pour accéder aux eaux accaparées par les plus riches propriétaires terriens ? Certes, non. FARM, malgré sa sympathique appellation, est totalement tournée vers les grandes entreprises de la mondialisation.  Initiée en présence de Jacques Chirac en 2004, avec notamment les PDG de Véolia, de Suez-environnement, du Crédit Agricole, de Limagrain et de Carrefour[4]… des multinationales auquel il faut ajouter l’Agence Française de Développement, notre petite Banque Mondiale bien française. FARM soutient des projets agricoles très singuliers dans le domaine de l’agriculture irriguée : des fermes modernes utilisant toutes les techniques agro-industrielles actuelles et bien intégrées aux marchés. Ce modèle s’avère désastreux sur le plan social et écologique et modifie profondément le sens de la ruralité dans les régions où il prédomine.

 

M. Orsenna n ‘hésite pas à caricaturer les mouvements alternatifs et les amis de Danielle Mitterrand. Il aurait été plus honnête de clarifier sa sphère d’influence et de sous-titrer cet essai « petit précis des entreprises multinationales françaises sur l’eau et de leurs efforts pour représenter l’avenir de l’eau à leur manière ». Car cela fait indubitablement partie de la méthode. Le voyage a consisté à visiter les principaux exploits des multinationales françaises de l’eau.

 

Parmi elles, le partenaire adoubé est Véolia (ex Compagnie Générale des Eaux), cité à dix reprises:

 

1) à Singapour pour la pureté de l’eau délivré à un industriel des disques durs, (Ch. Singapour, ultra-pureté, p85) ;

2) Au Bengladesh pour sa fourniture de centres de traitement des eaux à l’ONG de Mohammed Yunus, le prix Nobel de la paix (Ch. Le pays sans pierre, p141).

3) En Chine, pour l’aubaine du déplacement des usines polluantes et les nouveaux chantiers de réseaux d’eaux potables et industrielles près de Pékin (ch Tianjin – p 164) ;

4) toujours en Chine, pour l’équipement et la gestion de l’eau de la plus grande agglomération du monde, Chongqing (ch. La plus grande ville du monde, p172).

5) En Israël, à propos du dessalement réalisé à Ashkelon (ch. Dessaler, p. 221).

6) Au Sénégal, à travers l’évocation de la fameuse fondation FARM (p.306).

7) En Allemagne, à Berlin, Veolia est associé à la RWE pour cogérer l’eau avec la municipalité (p.338).

8) A Paris, Veolia est associé à Suez pour gérer la distribution sur chaque rive de la Seine.

9) A propos des contestations des associations de consommateurs, M. Orsenna soutient le point de vue des industriels Veolia et Suez (p. 345)

10) A propos du pôle de recherche unique en Europe qui s’est constitué à Montpellier (et qui est co-dirigé par Veolia, ce qui n’est pas signalé mais bien réel).

 

Pour compléter ce registre, Suez-Lyonnaise des Eaux, cité déjà deux fois avec Veolia, n’est pas oublié dans différentes parties:

 

1) en Algérie, comme partenaire auprès de la Société des eaux et de l’assainissement d’Alger (ch. Alger, la grande peine, p 269).

2) en Argentine, sous le nom de « Aguas Argentinas » (Curieuse manière d’occulter la vraie nature des sociétés délégataires). En 2006, le gouvernement a rompu le contrat. M. Orsenna se place ostensiblement du côté de Suez qui avait raison (nous reviendrons plus loin sur l’histoire des compteurs d’eau).

3) A propos de la géopolitique de l’eau et des craintes fortement entretenues par les entreprises privées de guerre de l’eau, la référence unique citée vient du directeur de la sûreté de Suez-Environnement, F. Galland (p.364). Une autre firme est citée p.329, Bechtel, qui opérait à Cochabamba en Bolivie avant d’être aussi contrainte de renoncer sous la pression populaire. Pas un mot sur La Paz, où la même mésaventure s’impose à Suez.

 

Quatorze exemples d’industries privées de l’eau, dont treize exemples français, confèrent au « petit précis de la mondialisation » un gros déséquilibre méthodologique.

 

 

La troisième faille est l’accumulation d’erreurs formelles.

 

Au delà des omissions concernant le positionnement et les sponsors qui expliquent une partie importante du travail et influencent les sept conclusions finales sur lesquelles nous reviendrons, nous trouvons plusieurs erreurs factuelles étonnantes et plusieurs approximations ou simplifications qui dérogent aux démarches scientifiques et académiques : le livre s’appuie sur une thèse, omet les antithèses (ou les caricature) et la synthèse se borne à résumer la thèse de départ.

 

Relevons quelques erreurs (toutes les expressions en italique sont des citations du livre). Dans le chapitre « La vraie nature de l’eau, ses liens avec le pouvoir »,  à propos de l’Egypte, on lit, page 31 : Alors le paysan (égyptien) se met au travail selon un ordre qui ne changera pas, cinq mille ans durant. Trop influencé par une seule référence (Le Grand livre de l’eau, 1995 – contribution de JC Goyon sur l’Egypte), cette idée du fellah immuable est un cliché ridicule, d’autant plus qu’au cours des deux derniers siècles, la paysannerie égyptienne a complètement modifié les systèmes de production agricole en passant d’une culture annuelle à deux ou trois cultures successives par an. Elle a su le faire en maîtrisant à son niveau les techniques nouvelles d’exhaure et en contribuant par son travail à la modernisation hydraulique et à la transformation du pays.

 

Dans le chapitre « Mobilisation générale, portrait de deux combattantes », à propos de l’Australie, on trouve page 49 : Allez jeter un coup d’œil à nos retenues, elles le méritent : Le barrage de Dartsmouth (près de 5 milliards de litres) ou le lac Eucumbene (près de six milliards). Confondre les litres et les mètres cubes, c’est se tromper d’un facteur mille. Si l’unité était bien le litre, aller en Australie pour voir une petite retenue de seulement 5 millions de mètres cube a peu d’intérêt, car ce genre de petites retenues collinaires existe partout dans le monde. Les barrages de 5 milliards de mètres cube sont déjà plus rares. A titre d’exemple, celui d’Assouan, curieusement absent dans ce précis, peut stocker 165 milliards de mètres cube.

 

A page 352, on apprend qu’en Espagne, depuis la nuit des temps, des tribunaux de l’eau se sont chargés de faire respecter les règles de répartition.  C’est une erreur de généralisation. Certes, le Tribunal de l’eau de Valence siège depuis mille ans, mais il est unique. L’eau en Espagne est cogérée par différentes institutions, locales avec les communautés d’irrigants, provinciales et nationales. Les questions de répartition donnent lieu à des joutes politiques entre provinces et entre la gauche et la droite. Le tribunal des eaux de Valence ne s’est jamais occupé d’autre chose que de la répartition de 7 canaux qui aujourd’hui sont atrophiés par l’urbanisation. Son fonctionnement actuel relève du folklore touristique.

 

Une autre erreur historique apparaît page 358, à propos du caractère séculaire des sciences de l’eau à Montpellier qui remonterait à l’époque romaine. Les informateurs du pôle de recherches unique en Europe ont, semble-t-il, un déficit culturel abyssal. Montpellier est une ville neuve médiévale fondée au Xe siècle après JC, et son université, certes fort ancienne, se spécialise en médecine près de 1000 ans après l’effondrement de l’empire romain. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que la société royale des sciences de Montpellier appelle Henri Pitot pour résoudre le problème de l’eau de la ville. Pitot s’inspire de l’aqueduc Romain de Nîmes et fait réaliser un canal de 9 kilomètres qui aboutit au point le plus haut de Montpellier, grâce à l’aqueduc des arceaux.

 

Attribuer à la page 394 le concept de  l’Eau virtuelle à Daniel Renault, agronome français reconnu, directeur de la division terres et eaux de la FAO est une faute d’auteur grave. En réalité, l’idée revient à Allan (1996) et a été abondamment développé dans les clubs organisant les conférences mondiales de l’eau, Conseil Mondial de l’Eau (World Water Council) et Global Water Partnership, tous deux émanations des entreprises privées de l’eau. Cette notion conduit à admettre un prix mondial à l’eau, en vue de comptabiliser les eaux entrant dans les processus de production, y compris les eaux de pluies. Ceci corrigerait les marchés mondiaux. M. Orsenna reprend la chose sans recul : le virtuel vient à notre secours pour expliquer le réel (p 395). Avec ce concept, on nous fait croire qu’un bœuf consomme  4000 mètres cubes d’eau par an ! Mais dans la plupart des pays, il se nourrit des fourrages qui poussent avec l’eau de pluie qui est tombée sur le pâturage et ne s’écoule pas. Cette eau est mieux utilisée ainsi en permettant à la photosynthèse de fonctionner et de produire de la matière sèche utile à l’alimentation humaine, en protégeant l’environnement par le couvert végétal. Le concept flou de l’eau virtuelle ne m’explique pas le réel : pourquoi Carrefour vend en France du Riz égyptien ? Parce que les égyptiens vendent du riz de qualité sur le marché mondial et qu’ils importent du riz de moins bonne qualité produits ailleurs… 

 

 

La quatrième faille, fruit des trois précédentes, est la juxtaposition d’erreurs sur le fond.

 

Reprenons les affirmations qui manquent de recul critique et d’apport d’autres sources pour cerner l’état de la pensée actuelle sur le sujet traité.

 

 

a) La supériorité du marché de l’eau agricole.

 

Dans le chapitre « A propos du libéralisme, du centralisme et du commerce extérieur », page 67, M. Orsenna se réfère au cas australien : Le nouveau système est simple : chaque agriculteur reçoit une allocation d’eau correspondant à la superficie qu’il exploite. Si les besoins excèdent cette dotation, il peut se fournir sur un marché de l’eau dont le prix s’établira, comme de juste, à la rencontre de l’offre et de la demande. Dans le cas contraire, le fermier pourra vendre sur le dit marché les parts d’eau qu’il aurait en surplus. L’écrivain en déduit  la nécessité pour les agriculteurs d’économiser enfin cette eau dont il faisait un usage inconsidéré. Le taux d’évaporation est faramineux en Australie. Il faut dire qu’il n’est pas rare de voir d’interminables rampes arroser le maïs en plein cagnard… L’île-continent va devoir se mettre au goutte à goutte. Comme partout ailleurs.

 

C’est la reprise du discours technocratique et idéologique sur les marchés de l’eau, tels que certains gros exploitants et certains hauts fonctionnaires en rêvent. Mais on oublie de mentionner que l’eau se transporte difficilement sur de grandes distances et qu’il est pratiquement impossible de mettre en place ce schéma idyllique.

 

De quoi parle t’on ? Pour mettre en place ses cultures, un exploitant a besoin de savoir de quelle eau il dispose avant la campagne. S’il dispose de 100 hectares reconnus dans l’allocation d’eau de base, et qu’il veut arroser 100 autres hectares non inscrits à l’allocation initiale, va-t-il véritablement passer commande de l’eau ailleurs ? Qui lui vendrait cette allocation annuelle ? Pour qu’un prix soit « juste », il faudrait qu’il y ait une foire de l’eau où des centaines de vendeurs rencontre des centaines d’acheteurs, et qu’il y ait un dispositif pour que la transaction puisse se réaliser. C’est pratiquement impossible. Si, par hasard, un agriculteur renonce à son droit, il ne peut pas faire transiter son eau au delà d’un cercle très restreint de voisins. Or, dans ce cas, il n’y a pas de marché mais plutôt des ententes de gré à gré. De fait, l’exemple australien n’est pas démonstratif, car dans la plupart des pays du monde, la gestion de l’eau est collective dans le cadre de réseaux fixes : les agriculteurs composent avec les gestionnaires des schémas de distribution variés où l’accaparement des ressources en eau collectives n’est pas possible, sauf corruption du système d’allocation. Ceux qui souhaitent disposer de plus d’eau que ce que les règles locales leur donnent agissent en cavaliers seuls, creusent des puits ou des forages et y installent de puissantes pompes. Sous la bienveillance coupable des pouvoirs publics, les eaux souterraines sont pillées. Ce phénomène–là est bien mondial, car toutes les politiques publiques de l’eau escamotent la vraie raison de l’épuisement des ressources en eau. L’ouverture des marchés, l’évolution technologique du pompage individuel, l’absence réelle d’autorisation et de suivi de prélèvements (malgré des affichages réglementaires), et la distribution de l’énergie facilitée pour ces puissants exploitants agricoles sont les facteurs les plus déterminants de la surexploitation des eaux dans différentes régions où le droit, la régulation, le contrôle social s’efface devant l’hydrocratie complice du pillage de l’eau. Le changement climatique a bon dos face aux dérives néolibérales et aux poids des industriels de l’eau.

 

 

b) La supériorité du goutte à goutte pour toutes les agricultures du monde.

 

Le goutte à goutte obsède M. Orsenna. Il y revient souvent sous l’injonction d’une unique voie de salut pour l’avenir de l’eau. Il serait utile d’aller à la rencontre d’autres situations, d’autres acteurs, d’autres disciplines que celle que les vendeurs d’eau mettent en avant. L’avenir des eaux ne relève pas uniquement de la combinaison entre technologie hydraulique et économie de marché.

 

Pour un peu, il faudrait abandonner le riz. Même en Australie, des rizières peuvent être adaptées à des situations locales, pour entretenir des milieux humides, filtrer des eaux polluées et produire des bases alimentaires. Après avoir dénigré le Maïs australien (plus loin dans le livre, le Maïs français est réhabilité comme faible consommateur d’eau en définitive), l’auteur veut faire croire que le riz consomme trop d’eau. Les rizières créent un environnement favorables pour éviter les désastres des inondations, car elles contribuent à l’étalement des crues. Elles créent aussi une intelligence humaine, des cultures exceptionnelles et des bases alimentaires régionales qu’aucune autre plante ne peut fournir.

 

Dans le chapitre,  « En ce moment, je pense à M. Blass », il est écrit  p.233-235 : la contribution majeure de M. Blass au bien être de l’espèce humaine, c’est l’irrigation au goutte à goutte. Les cultivateurs et jardiniers de pays gâtés en eau par la nature arrosent en aspergeant n’importe comment. Leurs collègues des zones arides sont contraint de se montrer beaucoup plus économes, et, par suite, nécessité faisant loi et idées, beaucoup plus intelligents.

 

L’eau arrive directement au pied de chaque pousse, en quantité juste nécessaire et parfaitement contrôlée, quelque soit la pente du terrain….

…M. Blass est un génie qui mériterait auprès du Père une félicité éternelle ô combien méritée… Donner sa pleine utilité à la moindre goutte d’eau et inventer des plantes qui n’aiment pas trop boire : un peu partout, l’agriculture du futur se prépare… J’admire.

 

L’arrosage idéal ne peut être aussi fortement caricaturé. Visiblement, le passage dans diverses campagnes du monde n’a pas ouvert les yeux de l’académicien sur la complexité des sociétés rurales et de leur manière d’appréhender les eaux dans leur propre environnement et développement local. Contrairement à ce que les interlocuteurs ont fait croire à M. Orsenna, l’arrosage ne se limite pas à une technique d’application d’un volume d’eau dans un champ. L’irrigation s’inscrit dans un cadre géographique plus vaste fait de réseaux d’apports d’eau et de drainage. De la même manière que l’on ne peut concevoir une distribution urbaine de l’eau sans aborder l’assainissement (cela figure bien dans le livre), on ne peut concevoir un réseau d’arrosage sans drainer les terres. Le lessivage et le drainage ont autant d’importance pour la fertilité des sols que l’apport d’eau de pluie ou d’eau d’irrigation.

 

Or, le développement de l’irrigation au goutte à goutte conduit à une catastrophe écologique incommensurable, par la surexploitation des eaux disponibles et par la dégradation des terres. Comme le montrent les comportements des gentlemen farmers australiens, nord américains, brésiliens, égyptiens ou espagnols, la technologie du goutte à goutte conduit à une extension non contrôlée des superficies irriguées, puisque la mise en pression permet d’aller irriguer des zones qui ne pouvaient pas l’être dans les anciens systèmes gravitaires. L’épuisement des ressources est fondamentalement lié à un excès de la modernisation « orientée vers l’économie d’eau ». Car, chaque fois qu’un agriculteur suffisamment riche pour se payer les infrastructures et l’énergie nécessaires, adopte le goutte à goutte, il s’appuie sur les recommandations des techniciens des compagnies qui ont intérêt au développement du marché de l’aménagement et de l’équipement. Ceux-là lui vantent l’idée qu’il ne consommera que la moitié de l’eau qu’il utilisait auparavant. En conséquence, il double ou triple ses surfaces irriguées, histoire de conserver son niveau de consommation antérieur ou même de l’augmenter pour s’assurer un plus bel avenir encore ! Or, dans les exploitations agricoles, la part d’eau économisée au goutte à goutte n’est pas aussi forte que celle qui est mesurée dans les stations agronomiques des centres de recherche et des universités. On ne tient pas compte des fuites et des marges techniques qu’adoptent les entrepreneurs. Globalement, on consomme beaucoup plus d’eau mais dans un cadre plus vaste. Du coup, les eaux ne circulent plus de la même manière dans les bassins versants. Les discontinuités s’installent, les eaux souterraines s’épuisent, les terres se différencient, et se dégradent partiellement avec l’accroissement des teneurs en sels en surface. On ne lessive plus les sels. On néglige le drainage. On n’a plus besoin des autres pour gérer ensemble les eaux communes sur un territoire limité. Au bout du compte, le goutte à goutte est un formidable instrument d’éclatement des solidarités sociales autour des eaux et de dégradation des terres arables sur le long terme, faute de gestion des sels. Les utilisateurs de goutte à goutte ne participent plus aux efforts collectifs. L’entretien des réseaux de surface utiles à tous ne les motivent plus. Merci M. Blass !

 

Prenons, parmi les pays visités, l’exemple de la Chine. Elle n’est abordée que sous le regard de puissants acteurs économiques, le directeur de l’eau et le représentant d’Alstom sur le chantier du barrage des trois gorges… ou le directeur de Veolia qui profite de l’aubaine des réinstallations industrielles pour prendre des parts de marché… sans oublier Carrefour, organisateur de la grande distribution, « spécialité française » ( Ch. La plus grande ville du monde, Chongqing, p171). Pour nourrir les villes…, il faudra changer les villages en usines agricoles  (p181). Pour produire le vin aussi ? les fromages ? Les fruits et légumes ? Les bases alimentaires ? N’y a-il pas d’autres formes de production que l’usine agricole imaginée par les tenants de l’agro-industrie ? Comment peut-on aussi sommairement effacer les centaines de millions de paysans dont les pratiques contribuent à la diversité des plantes et des productions et à la spécificité des terroirs et des organisations agricoles ? Comment peut-on v, dans un précis sur l’eau, ignorer ce qui est l’ensemble le plus abouti de l’hydraulique rurale par submersion, dans la province de Yunnan où chaque montagne est sculptée par des centaines de milliers de terrasses rizicoles et l’eau gérées par des communautés villageoises qui pratiquent à une échelle inouïe une coopération indispensable au maintien de l’environnement. Ces paysanneries n’ont rien à apprendre de M. Blass, ni des compagnies de vente d’eau.

 

En Afrique du Nord, dans le chapitre sobrement intitulée « Le Tadla » (p.270-277), on constate qu’au cours de son périple marocain, M. Orsenna ne s’intéresse qu’à la seule grande hydraulique publique, laissant de côté la partie pourtant la plus importante de l’irrigation de ce pays, la petite et moyenne hydraulique. Depuis 50 ans, on emmène tous les évaluateurs d’un jour sur un escarpement au dessus de la ville d’Afourer pour démontrer le justesse des investissements de grande hydraulique. Cette visite prend une tournure paysagère et poétique :  Autrefois, lorsque l’administration imposait des assolements, ces rectangles changeaient de couleur tous en même temps. Aujourd’hui, la terre s’octroie quelques fantaisies. Le blond des céréales se mêle à la diversité des verts : luzerne, maïs, betterave… les champs des fruitiers moutonnent. Et les oliviers, docilement, ne poussent qu’en bordure des parcelles : ils délimitent, puisque telle est la mission qui leur a été assignée (p274). Derrière ce lyrisme hydro-agricole, il y a une réalité qui n’a pas été expliquée. Lorsque, dans une maille hydraulique formée de plusieurs parcelles, les agriculteurs font des cultures très différentes, les besoins en eau changent et deviennent en partie antagonistes. Les uns veulent plus d’eau en été, d’autres dans les intersaisons. Or, les offices d’irrigation du Maroc n’imposent plus de cultures obligatoires par bloc, mais définissent un quota d’eau annuel pour chaque hectare, quoto qui se révèle insuffisant. Faute d’adaptation du système collectif et de décentralisation du pilotage des eaux, deux solutions sont possibles : soit corrompre le système de quotas d’eau et obtenir plus d’allocation de l’administration des eaux, soit forer dans la nappe souterraine et ne rien demander à personne, ni à ses voisins, ni à l’Etat qui paraît ignorer le phénomène. De toute façon, le goutte à goutte ne résout rien en soi sans cohérence sociale et territoriale.

 

Pourtant, M. Orsenna reprend pour vérité absolue l’économie d’eau du goutte à goutte : En moyenne, selon les parcelles et les cultures, le goutte à goutte permet de diviser par deux la consommation d’eau. Très soucieuses d’économiser la ressource, les autorités ont progressivement portés de 40 à 50 %, puis à 60%, l’appui financier de l’Etat aux nouvelles installations. M. Orsenna déplore le peu d’impact de cette politique : Malgré les incitations croissantes, les irrigants vertueux ne cultivent encore que 10000 hectares, soit à peine le dixième du Tadla (p271). Certes, l’effet est limité à l’intérieur des blocs de grande hydraulique, mais en revanche, il y a effet d’aubaine pour tous les grands investisseurs à l’extérieur des zones autrefois aménagées par l’Etat. La ruée vers l’eau via les forages et le goutte à goutte a déjà largement commencé au Maroc, avec des incidences fortes sur les zones de petite et moyenne hydraulique, comme dans les oasis du Sud qui ne sont pas du tout abordés dans le livre (quand on parle de rareté de l’eau, les expériences des zones arides et des sociétés anciennes semblent un point indispensable pour comprendre comment les hommes s’adaptent aux conditions extrêmes).

 

Selon l’académicien, le goutte à goutte rendrait moins passif et stupide le paysan : Au lieu de pouvoir s’absenter une fois son arrosage effectué, le paysan doit surveiller en permanence la pression de son réseau, s’assurer que les petits trous des tuyaux ne sont pas bouchés, vérifier les filtres et les dosages (p272). L’arrosage gravitaire peut parfois être pratiqué sans surveillance. Dans la plupart des sociétés rurales, il fait plutôt l’objet de grands travaux, de mobilisation collective, et de savoirs locaux extraordinaires. C’est une technique et un art qui exige plusieurs dizaines de journées de travail par an et par hectare. Le succès de l’irrigation au goutte à goutte réside dans les sociétés développées à augmenter singulièrement la productivité du travail en réduisant la main d’œuvre par dix. Dans les pays du Sud, le goutte à goutte implique une dépendance industrielle et énergétique accrue, et accentue le sous-emploi rural. On peut envisager des actions plus respectueuses des intérêts locaux et des besoins d’alternance de modes d’arrosage, en maintenant les terroirs irrigués traditionnels anciens et en améliorant les conditions de travail et la conservation de l’environnement. En ce sens, les oasis et les zones de montagnes constituent des sites remarquables.

 

M. Orsenna déplore la faible réactivité des agriculteurs marocains : Pour répondre à la croissante pénurie d’eau, la modernisation de l’agriculture marocaine est bien trop lente et bien trop partielle (p.272). Mais il affirme rapidement que le fleuron des exploitations agricoles au Maroc se trouve dans le Souss (p.277), c’est à dire dans l’arrière pays d’Agadir. Or, c’est l’une des régions du monde marquée par l’empreinte coloniale avec l’idée de créer une petite Californie dans les années 1940, idée reprise sans grand changement après l’indépendance du pays. Cinquante ans plus tard, c’est une région dévastée par l’arrosage au goutte à goutte, l’effondrement de la nappe phréatique et la disparition des sociétés paysannes. La situation y est tellement dramatique que les firmes qui ont le plus exploité les ressources du Souss cherchent maintenant à s’installer plus au Nord du Maroc.

 

 

c) La supériorité du transfert d’eau entre bassins versants pour résoudre les crises de l’eau.

 

Trop de simplification amène à des raccourcis saisissants. Dans le chapitre intitulé sans précaution aucune le désert catalan (p 278-280), M. Orsenna colporte une extrapolation fantaisiste : Les prévisions régionales du GIEC concernant le Maghreb s’appliquent peu ou prou à la Catalogne. Déjà, au Maghreb, on peut avoir des doutes sur des modèles qui éliminent les particularismes montagnards et fournissent des données très agrégées. Alors faire de la Catalogne un désert est parfaitement abusif. Les Pyrénées sont là, château d’eau permettant de régler sur des bases interannuelles les problèmes de sécheresse estivale… Au Maghreb, seul le Maroc bénéficie d’un dispositif géomorphologique comparable, mais avec des apports d’eau inférieurs et surtout des températures globalement très supérieures. Certaines années, la sécheresse sévit au nord de la Méditerranée. Barcelone en souffre, non pas parce qu’il n’y a pas d’eau en Catalogne, mais parce que les régions espagnoles s’affrontent pour leur utilisation. L’Espagne est sans doute le pays d’Europe qui a le plus développé son extractivisme hydrique en irriguant plateaux et collines sèches avec des pompes et du goutte à goutte, phénomène que Pedro Ajorro a dénoncé depuis dix ans (mais le petit précis de la mondialisation exclut largement les recherches universitaires critiques et ne cite pas ce libre penseur de l’eau).

 

Pour résoudre le problème de manque d’eau à Barcelone, M. Orsenna s’inspire des positions de la compagnie Bas-Rhône-Languedoc. Il n’y aurait que quatre solutions : le transfert d’eau du Sègre, refusé par l’Aragon ; l’achat d’eau par bateau trop coûteux ; le dessalement de l’eau de mer, trop risqué pour l’environnement (comme c’est curieux, quand Veolia l’installe en Israël, il y a une description magnifique, p221) ; le secours du Rhône (apprécions le qualificatif). Une note est ajoutée précisant que les français pourraient être expropriés pour faire passer un ouvrage destiné à faire passer l’eau aux espagnols pour utilité européenne. Lors du premier projet imaginé par BRL avec l’appui des sociétés Véolia et Suez pour en promouvoir l’idée, une commission scientifique avait été chargée de donner le coup de pouce nécessaire pour convaincre les espagnols et la Commission Européenne. Il aurait été normal de s’y référer pour croiser les regards sur ce sujet. Les membres éminents de cette commission étudièrent avec sérieux les fondements de la pénurie d’eau à Barcelone et suggérèrent un rééquilibrage des masses d’eau affectées à l’irrigation pour combler le déficit d’eau potable de la ville. Parmi ces personnalités, Bernard Barraqué et Michel Drain furent poussés à démissionner de la commission, tant son président suivait en tout point l’objectif des sociétés et non l’indépendance de l’évaluation d’un projet. Les temps changent. Le nouveau projet de transfert d’eau, rebaptisé Aqua Domitia par le président de la région Languedoc-Roussillon, s’appuie sur des études réalisées par BRL – On est jamais mieux servi que par soi-même et aucun scientifique contestataire n’est convoqué au débat politique. Là où la chose prend une tournure nouvelle, c’est dans le refus du transfert d’eau du Rhône par les catalans eux-mêmes qui ont opté pour une sécurisation semblable à ce que pratique Israël : la désalinisation de l’eau de mer.

 

Les grands transferts d’eau interbassins ont été largement pratiqués avec la politique des grands barrages. Une des points essentiels des réformes politiques pour une bonne gouvernance des eaux est justement de fonder les équilibres et compromis de gestion dans le cadre d’un territoire délimité, lié aux écoulements naturels des eaux, le bassin versant. Admettre les systèmes de transfert d’eau comme réponses aux déséquilibres créés par les sociétés modernes est en complète contradiction avec les principes du développement durable. Comme nous l’avons nous même écrit, on assiste au développement des contradictions plutôt qu’à la résolution des dégradations environnementales. On prône d’un côté une stratégie de gestion proche de la demande et on agit en perpétuant une politique d’offre en eau très coûteuse.

 

Pour finir avec Aqua Domitia, quand on ne fait pas d’histoire, on oublie que les français ont volé l’eau du Haut Sègre aux espagnols. A la fin des années 1950, la France a élevé un barrage sur le Lanoux, dans les Pyrénées orientales pour détourner l’eau de la rivière de Carol vers l’Arriège et produire de l’électricité. Plusieurs dizaines de millions de mètres cube d’eau ne parviennent plus au Sègre.  Par suite à une décision de justice européenne, on a refourgué en compensation une partie des eaux usées d’Andorre aux catalans. Vaste mécano hydraulique qui, sous couvert de transfert interbassins, ne permet plus de gérer l’eau de manière responsable et raisonnable.

 

 

d) La supériorité du modèle français de gestion déléguée à des entreprises privées.

 

Le Chili est cité p290 pour ses filets de captation de la rosée. Certes un bel exemple d’ingéniosité humaine pour créer une eau potable là où il n’y a pas de pluie. Mais rien dans le livre ne signale qu’au Chili, les rivières sont privées grâce aux décisions prises par Pinochet et que depuis 20 ans, ce modèle est suggéré avec insistance par le FMI (en particulier sous la période du directeur Michel Camdessus, lui même membre qualifié de l’association FARM, et fervent partisan de la privatisation de l’eau).

 

A propos des déboires de Suez-Lyonnaise des Eaux en Argentine (p.323-327), M. Orsenna affirme haut et fort que Suez avait raison d’installer des compteurs individuels dans tous les quartiers de Buenos Aires. Comme s’il n’y avait pas d’autres formes de gestion des consommations et des prises en charge des coûts. A Paris, l’eau se paye en mesurant l’eau de compteurs collectifs et les habitants des immeubles payent l’eau en fonction de la surface de leur appartement. Cela veut dire que les plus aisés contribuent plus au paiement de l’eau que les plus modestes, ce qui est une forme d’organisation sociale intéressante en soi. A Dublin, ville très connue dans le milieu des hydrocrates et des sociétés privées pour avoir accueilli la première conférence mondiale de 1992 prônant le principe de l’eau bien économique, l’eau n’est pas facturée aux individus ! Depuis le milieu du XIXe siècle, le choix politique a été de livrer gratuitement de l’eau à tous les citoyens, qui payent ce service via l’impôt municipal.

 

L’académicien préfère être le passeur d’idées des sociétés françaises de l’eau : le compteur est le meilleur ami de l’homme…Il lui indique que l’eau arrive jusqu’à son domicile…Il lui rappelle la rareté du bien eau et combien il mérite le respect… Il est le témoin idéal, celui que le tribunal peut convoquer à tout moment pour s’informer des mauvaises pratiques en cours…

 

M. Orsenna insiste et qualifie d’imbéciles ceux qui ne se rallieraient pas au compteur. le compteur n’est pas le responsable de la tarification… Il se contente d’afficher un volume…Que les autorités décident d’établir la gratuité ou d’accabler le consommateur, le pauvre compteur n’y peut rien. Ou alors le thermomètre devrait être condamné pour complicité active avec la fièvre (p.326).

 

Comment peut-on ignorer que les compteurs sont peu fiables dans de nombreuses villes et campagnes du Tiers Monde ? Que certains consommateurs échappent à la mesure par l’excès de pouvoir ou l’abus de position dominante ? Le compteur identifie une consommation mais trop d’eaux échappent à cette mesure, à commencer par les fuites liées à l’incurie des gestionnaires de l’eau. Comment voulez vous qu’un habitant d’un quartier pauvre de Marrakech accepte qu’on mesure sa consommation (et qu’on lui facture très cher l’acquisition de cette mesure) alors qu’à proximité, on livre de l’eau sans la facturer aux golfs qui sont exemptés de payer l’eau, pour favoriser le développement touristique de luxe ?

 

Le compteur est un instrument parmi d’autres de répartition des charges pour accéder à l’eau, mais il suppose une équité générale et une transparence totale sur les contributions. On en est loin. Quant aux compteurs en agriculture irriguée, une forte proportion d’entre eux ne marchent plus du fait de la turbidité de l’eau. Cela provoque des conflits entre les agriculteurs et les offices d’irrigation. Dans les Pyrénées-Orientales, les irrigants du canal de Thuir ont opté dans les années 1970 pour un réseau sous pression d’irrigation localisé (un système de goutte à goutte mieux pensé). Dans un premier temps, le réseau était géré par la compagnie BRL qui avait installé des compteurs partout. Mais l’eau était facturé très chère et seul un tiers des surfaces avait été raccordé au réseau. Les deux tiers restaient en arrosage gravitaire traditionnel. Quelques années plus tard, le système était au bord de la faillite. Les agriculteurs ont repris en gestion directe leur réseau. Ils ont supprimé les compteurs, installé des limitateurs de débit et partagé les charges de gestion en fonction de leur superficie. En adoptant ces mesures hétérodoxes, ils ont diminué le coût de l’eau par deux. Du coup, deux tiers des champs ont été raccordés et la consommation n’a pas augmenté. Vive la gestion mutuelle de l’eau !

 

 

e) Une attaque sommaire sur les personnes qui ne pensent pas comme « l’école française de l’eau »

 

Tout d’un coup, dans le précis, M. Orsenna annonce la dimension politique de l’eau : L’eau, de par sa double nature, essentielle à la vie et fortement symbolique, est toujours politique. Quelques soient les options choisies par les gouvernants, ils gardent toujours sur l’eau la haute main (p.327). A peine esquissée la nature politique de l’eau, M. Orsenna s’en prend à Danielle Mitterrand et ses amis altermondialistes. Il critique trois principes affichés dans le Contrat mondial de l’Eau (une organisation qui aurait pu inspirer d’autres itinéraires autour du monde).

 

En contrepoint du premier principe énoncé, l’eau n’est pas une marchandise, c’est un bien commun (p.330), l’académicien affirme que l’eau n’est pas un cadeau de Notre-Dame Nature… mais le plus souvent un produit manufacturé… et distribué. Après avoir cité un proverbe trivial des milieux d’affaire (Dieu a peut-être fourni l’eau mais pas les tuyaux), M.Orsenna ajoute : parler de la gratuité de l’eau n’est pas lui rendre service (p.331)

 

Quelle confusion ! Quelle caricature ! L’argumentation devient triviale. D’abord, l’histoire des tuyaux pour justifier la gestion privée est ridicule. Les tuyaux nous appartiennent à tous, ils sont publics, même dans la gestion déléguée. Ils sont donc payés par la communauté des usagers selon des choix politiques divers ou variés. Ensuite, pourquoi s’enfermer soi-même dans le discours de la gratuité de l’eau alors qu’aucune personne ne soutient que l’eau s’obtient gratuitement ? L’accès à l’eau suppose toujours un effort particulier, soit en travail, en nature et en cotisations diverses et variées. La gestion de l’eau par un collectif local n’est jamais gratuite. M. Orsenna avance l’idée d’un quota gratuit à la fin du livre et nous reviendrons la dessus, car c’est une des vraies fausses bonnes idées sur la question.

 

Revenons aux autres principes généraux des altermondialistes. L’académicien admet le second principe sur la transmission d’une eau propre aux générations futures mais il conteste le troisième sur le droit humain fondamental à l’accès à l’eau garanti par une gestion publique, démocratique et transparente. Il s’insurge: pourquoi interdire à priori le recours au privé quand il ne s’agit que de gestion ? (p.331). Que de gestion… Comme si la gestion n’était affaire que de technique. Comme s’il ne s’agissait que de cela dans la délégation de services publics. On sait fort bien que la corruption sévit dans un grand nombre de contrat ;  que les règles d’attribution stipulent qu’il y ait concurrence et que cela ne se produit pas ; que les tarifs augmentent et génèrent une rente qui permet d’investir en dehors de l’activité de gestion de l’eau elle-même.

 

M. Orsenna ajoute: quand le privé est appelé à l’aide, c’est généralement que le système public a échoué. Certes, bien des cités du monde ont effectivement mal gouverné leur territoire et leur réseau. Mais peut-on croire qu’il soit impossible de réformer les institutions publiques ? Il n’est effectivement pas absurde de demander un audit à un bureau d’études privé et de passer un contrat avec une entreprise privée pour remettre en état un réseau trop défaillant. Mais cela n’exige pas de lui confier tout le réseau pour des dizaines d’années de contrat. En tout cas, il n’est pas sain que la France soit aussi dépendante de deux ou trois gestionnaires d’eau privés détenant 80% du service et travaillant parfois en filières communes. Si la gouvernance de l’eau était équilibrée, on devrait avoir une sorte d’équilibre entre réseaux publics en régies directes, réseaux communs sous forme de coopératives ou de mutuelles (c’est à mon avis l’avenir) et réseaux confiés en délégation de service public pour des périodes relativement courtes, nécessaires à des adaptations et modernisations de réseaux.

 

L’auteur s’étonne du montage berlinois où les compagnies privées sont sollicitées sans avoir la majorité des parts sociales, la municipalité conservant 51%. Drôle de cocktail public-privé. Comment cohabitent les deux logiques , la recherche du profit et la satisfaction de l’électeur (au singulier encore !) p.338. Dans la discussion qu’il a avec M. Delanoë, Maire de Paris (p.343), il lâche :Les entreprises françaises de l’eau sont les premières du Monde. La perte du contrat de Paris ne va pas faciliter la conquête de nouveaux marchés. Citoyen du monde, j’espère que ces entreprises seront les premières touchées par la décroissance et devront être transformées en profondeur.

 

A propos des mises en cause régulières des entreprises Veolia et Suez par les associations de consommateurs, M. Orsenna suppute qu’elles exagèrent quand elles dénoncent des prix en constante progression, et quand elles parlent de profits faramineux. Puis il rappelle que les compagnies répondent par leurs études en montrant que les situations sont multiples, ce qui est résumé en une phrase : comment voulez vous comparer l’incomparable ?

 

Les entreprises hériteraient des situations les plus difficiles, les eaux les plus dégradées, les territoires les plus accidentés. L’expertise a un coût. Le petit précis invite à visiter leurs centres de recherche… La conclusion est assez péremptoire, faute de démonstration  : globalement, les citoyens s’y retrouvent. Peut-on croire que la SEDIF dans la région parisienne souffre d’une situation difficile, alors qu’elle distribue des eaux régulées depuis bien longtemps.

 

Nous, nous aimerions justement faire des audits comparables d’un réseau à un autre pour comprendre les différences de fonctionnement, d’organisation, de composantes des coûts et des tarifs pratiqués, et distinguer ainsi de qui relève bien des singularités locales et ce qui pourraient être des abus de prélèvements non justifiés. Mais les comptes sont difficiles à obtenir, distincts pour l’eau brute, l’eau traitée, l’eau d’assainissement. Non, les citoyens ne s’y retrouvent pas dans la jungle des contrats et des pratiques des sociétés et des mairies.

 

Bernard Barraqué est cité à la page 352. C’est le premier scientifique relevant des sciences sociales que M. Orsenna croise dans son parcours. Il relève qu’il travaille dans le sens d’une eau, bien commun, mais pas bien gratuit, et il lui attribue l’idée de succession de trois systèmes de gestion apparus dans l’histoire : le despotisme oriental, le droit romain et la tradition germanique où aucune eau n’est appropriable. Avec la rareté de l’eau, cette dernière forme s’impose un peu partout. Là encore, l’académicien limite ses sources ! Il y a d’autres variations juridiques, conceptuelles. Comment annoncer la généralisation de la tradition germanique alors que rien de clair n’est énoncé ? Si cette idée avait été creusée, on aurait sûrement compris que les peuples européens ont largement usé d’institutions collectives locales qu’on dénomme allmend en Europe Centrale (littéralement, ce qui est à tous les hommes), et qui stipulent que les forêts les parcours, les eaux et même une partie des terres cultivables ne sont ni des biens publics, ni des biens privés mais des biens communs gérés par la société locale au profit de tous ses membres. Cette tradition explique pourquoi les peuples germaniques ont tenu à gérer l’eau dans des instances communales proches des usagers. En France aussi, cette conception a prévalu dans les zones rurales et dans l’idée même de la responsabilité communale sur les eaux. L’idée d’industrialiser le secteur de l’eau revient aux Saint-Simoniens, qui, au XIXe siècle, après avoir travaillé en Egypte sur le premier grand barrage de l’histoire moderne, ont compris tout l’intérêt économique des réseaux et ont fondé les compagnies générale des eaux à Paris et la Lyonnaise des eaux à Lyon au cours du XIXe siècle.

 

Le caractère décousu du livre déconcerte au fil des dernières pages.

 

L’académicien s’extasie devant l’organisation du comité – parlement de l’eau – dans les six agences de l’eau françaises, qui rassemblent des élus, des représentants des usages de l’eau et des personnes qualifiées, qui ont pour mission d’élaborer un schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (Remarquez au passage le pluriel !). A propos de SDAGE, M. Orsenna trouve que cela se rapproche de la « sagesse ». Mais il semble ignorer les SAGE (schéma d’aménagement et de gestion des eaux) qui se construisent localement grâce à des dizaines de comités locaux de l’eau (CLE) organisés par bassin versant ou aquifère. On aurait du les appeler SCLAGE pour schéma de compromis local sur l’aménagement et la gestion des eaux. C’est là l’originalité des institutions françaises, sachant que les SAGE sont des outils incitatifs et pas des outils obligatoires.

 

Le petit précis ajoute des fragments de rencontres. Ainsi, page 360, il est fait mention de l’expérience de traitement des eaux usées par les vers de terre, telle qu’elle est expérimentée à Combaillaux, près de Montpellier. Mais rien n’est dit sur sur les contradictions entre ce modèle de traitement local et le modèle industriel de la grande station d’épuration MAERA, qui oblige toutes les communes de l’agglomération de Montpellier ou presque, à se raccorder au système central d’assainissement. Il est pourtant confié à Véolia, comme du reste les eaux potables issues des sources du Lez et mélangées aux eaux du Rhône rachetées à la compagnie BRL. Faute de recul et de rapprochement entre les faits et actions, on croit toujours à des solutions uniques. On aurait apprécié de saisir ce combat pour l’eau propre, où le puissant industriel écrase l’inventeur d’alternatives véritablement économiques et écologiques.

 

Pourtant, M. Orsenna aborde les réalisations à taille humaine, dans le cadre de la décentralisation et de la coopération entre collectivités locales du Nord et du Sud. Il signale toute l’utilité de la loi Oudin-Santini qui permet depuis 2005 d’utiliser 1% du budget de l’eau des communes ou des agences de bassin pour financer cette coopération. Mais il oublie d’écrire que M. Santini est le président du SEDIF qui pratiquait auparavant des opérations illégales de financement d’expertise orientée vers le Sud. En revanche on note : l’eau rend plus intelligents juristes et parlementaires. Vraiment ? Plus astucieux sur les enjeux économiques , certainement.

 

Le voyage revient en fin de parcours à l’agriculture, page 367. C’est l’agriculteur qui prélève le plus d’eau.

 

Pour appuyer la recherche de bouc émissaire, le choix d’interlocuteur est significatif. M. Orsenna dresse le portrait d’un dirigeant agricole en Beauce, Jean François Robert (p. 368) puis d’un irrigant de 130 hectares près de l’Arriège, Bernard Pujol (p.374). Pourquoi se référer toujours à des gros exploitants individualistes quand on présente l’agriculture irriguée? Cela permet de faire l’éloge du pilotage de l’irrigation et des engrais chimiques par satellite… Quelle fascination pour le monde numérique, quel modèle pour la fameuse fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde !

 

Un peu plus loin, on lit que la majeure partie de l’eau se perd avant la plante. Se perd ? Où va-t-elle ? L’eau ne se perd jamais. Elle circule et se recycle, elle sera réutilisée à l’aval avant de retourner à la mer ou dans l’atmosphère. Le choix des systèmes de culture reste fondamental (culture d’hiver, variétés à cycles courts) et doit correspondre à l’état du bassin versant. Là, on retrouve les idées de planification des cultures par les administrations de bassin versant. Or, il y a de sérieuses limites à penser en termes de contrôle central des cultures. L’état du bassin versant est lui même une notion complexe, car plusieurs espaces s’entremêlent et se recomposent entre bassins versants et bassins déversants. Les territoires des eaux doivent être compris. Il s’agit de périmètres dans lesquels peuvent être conçus des règles d’action adaptées aux situations locales.

 

Par ailleurs, M. Orsenna pense que les techniques d’irrigation vont continuer à progresser, permettant de moduler de plus en plus précisément les doses et le rythme des apports. Encore de l’individualisme et du productivisme provoquant la poursuite de l’extension de l’irrigation et donc des crises encore plus aigües en année sèche.

 

Des conclusions en 7 affirmations non étayées par les 400 pages du petit précis :

 

On arrive enfin aux conclusions du livre, présentées en sept énoncés. Reprenons les, et voyons s’ils résistent à l’analyse.

 

 

1) L’accès à l’eau potable est prioritaire et il n’est rien s’il n’est pas associé à un réseau d’assainissement. Où trouvera-t-on le supplément d’eau nécessaire pour nourrir 9 milliards de personnes.

 

 

Oui, l’eau potable et l’assainissement doivent aller ensemble, mais pourquoi considérer que l’agriculture est systématiquement et partout le compétiteur de l’eau potable. La terre peut nourrir 15 milliards d’individus en améliorant les agricultures pluviales. Le conflit potentiel est surtout local, quand des entrepreneurs sans scrupule épuisent les nappes d’eau souterraines non renouvelables et tarissent les sources d’eau potables. Dans la plupart des pays, les eaux pour l’alimentation humaine sont garanties si on ne surexploite pas les eaux souterraines. Dans les régions où l’allocation des eaux pose problème, la solution se trouve sur la réduction temporaire des irrigations en prévoyant des mécanismes de compensation pour les pertes de revenus agricoles. Avoir un plan de gestion des crises est nécessaire. Toutes les crises ne se produisent pas partout en même temps.

 

 

2) L’eau est de moins en moins un don de la nature mais un produit manufacturé en même temps qu’un service, qui ont des coûts. L’eau ne peut être gratuite, mais comme ressource partagée, elle est un bien commun.

 

 

Oui, l’eau est un bien commun, mais encore faudrait-il dire pourquoi. En réalité, les eaux sont polysémiques par les différentes catégories d’acteurs et de citoyens. Elles sont perçues comme un bien public pour les acteurs qui veillent à leur régulation dans les bassins versants et ils doivent en effet veiller à ne pas la polluer, ni à favoriser des accaparateurs de ressources. Elles sont perçues comme un bien à péage pour ceux qui l’emploient lorsqu’elles sont abondantes et que les prélèvements et les consommations sont limités. Elles sont perçues comme un bien communautaire pour les habitants d’un territoire donné, lorsque leur partage pose des problèmes d’équité et de justice dans une configuration d’eau plus rare. Elles sont perçues comme un bien économique lorsque des entreprises se substituent aux acteurs publics et communautaires pour faire valoir leur savoir faire industriel. Dans tous les cas, l’eau n’est jamais, jamais gratuite. Les coûts sont partagés par des impôts, des droits d’accès, des cotisations ou des facturations. Le service de l’eau manufacturée n’est pas l’apanage des sociétés privées. Toutes les configurations institutionnelles reposent sur une intervention humaine, technique et pratique qui fait que l’eau naturelle devient un produit social.

 

 

3) Toute l’eau est liée à des lieux. Aucune solution technique n’est valable partout. Tout dépendra de la géographie. Les conflits locaux vont se multiplier, exaspérés par l’augmentation démographique (exemple du Nil entre Egypte et Soudan)

 

 

Oui, l’eau est territorialisée. Mais l’exaspération ne vient pas inéluctablement de l’augmentation démographique. Elle vient des contradictions du marché mondial des matières premières agricoles qui poussent aux crimes sur les ressources locales de l’eau.

 

4) L’eau revêt une importance à la fois réelle et symbolique et relève toujours d’une responsabilité politique. Considérer la régie publique comme meilleure que la concession privée, c’est oublier les maladies propres à toutes les administrations du globe : la pléthore, l’absence de sanctions, la docilité aux interventions des élus, les préoccupations électoralistes…

 

 

Oui, l’eau est politique. Encore ne faudrait-il pas caricaturer ceux qui s’opposent à l’expansion de la sphère industrielle privée dans un précis sur l’eau, et traiter avec autant de visites les cas où d’autres arrangements politiques sont mis en œuvre. La régie publique n’est pas meilleure que l’industrie privée. Peut-on penser qu’il faille jeter l’opprobre sur tous les maires et responsables de régies du monde ? Sont-ils tous malades, fainéants et inconséquents ? Pourquoi virer dans le populisme facile, élus et fonctionnaires, tous nuls. M. Orsenna fait injure à des générations de personnes qui se sont battus pour équiper des villes et des campagnes et n’attendaient pas qu’une compagnie viennent faire main basse sur des réseaux publics (ils sont toujours publics).

 

M. Orsenna affirme: l’entreprise privée est tenue par des obligations à trente ans, elle doit entretenir le réseau. Une équipe municipale, à la fin de son mandat, est tentée d’adoucir la facture au détriment des installations. Pures spéculations… je connais des sites où l’entreprise privée n’a pas répondu à ses obligations et des équipes municipales qui font bien mieux aujourd’hui que ne le faisaient les entreprises privées.

 

Il y a de tout dans ce monde de l’eau comme partout ailleurs : des systèmes qui marchent et d’autres qui sont détraqués et aucune explication simpliste et populiste n’est raisonnable :  Répartir l’eau avec justice impose un préalable : connaître la consommation de chacun. Sans cette connaissance, comment arbitrer entre des besoins aussi contradictoires que légitimes ? Ceux qui refusent le plus violemment l’installation de compteurs sont ceux qui profitent le plus honteusement de l’opacité du système. Et seuls les naïfs – je dirais plutôt les imbéciles – croient que les gens les plus modestes tirent avantage de cette anarchie (p.402).

 

Faudra-t-il  me classer parmi les imbéciles qui ne réfléchissent pas normalement au seul filtre de la vision de l’eau, bien économique. L’installation des compteurs individuels et industriels n’est pas une solution universelle et adaptée à toutes les situations du monde. Elle ne garantit pas des abus des grands consommateurs d’eau, en agriculture comme dans le monde urbain ou rural, car les compteurs ne sont pas infaillibles. En revanche, la société a besoin absolu de systèmes de mesure observable par tous, qui prend différentes formes de mesure du temps, de hauteur d’eau, de débits et éventuellement aussi de volumes d’eau. Les sociétés ont inventé milles manières de procéder dans leur institution communautaire. Elles peuvent évoluer et combiner différentes formes de justice sociale. Lorsque le système repose sur des compteurs volumétriques, la question de fonds consiste à voir quels sont les contrats qui accompagnent la pose des compteurs. Quelle est la politique de réduction des volumes en cas de crise ? Quelles sont les faveurs données aux gros consommateurs ? Quel coût représente l’acquisition du compteur pour les plus modestes ?

 

 

5) Trop de responsables politiques préfèrent inaugurer des installations visibles que de s’occuper de l’invisible, l’économie, le recyclage. Et ils négligent l’assainissement.

 

 

Oui, plus c’est gros et industriel et coûteux, mieux s’affichent les présidents de région qui s’affirment maître des eaux en compagnies des PDG de sociétés privées… Justement, dans le petit précis, l’auteur oublie de traiter par des exemples concrets tout ce qui n’est pas visible.

 

 

6) A l’illusion de la gratuité, préférons l’obligation de la solidarité. L’eau a un coût, mais pour les plus pauvres, il faudrait permettre à tous de recevoir sans payer les 50 litres d’eau quotidiens nécessaires à la vie de chacun.

 

 

Oui à la solidarité ! Non au don charitable final ! M. Orsenna dénonce la gratuité et l’introduit  comme solution universelle. Quelle idée ! Peut-on croire que les populations modestes souhaitent être éloignées d’un statut social usuel. Elles veulent accéder à l’eau mais dans des conditions décentes et respectueuses. La dérive du quota d’eau gratuite est terrible, puisqu’elle amène le distributeur à sous équiper des territoires non rentables pour ne fournir que le quota minimal et à reporter tous ses efforts manufacturiers sur les territoires les plus riches qui pourront payer cher l’eau. De toute façon, pour les plus pauvres, ce qui est cher n’est pas directement l’eau mais la connexion qu’on leur fait payer. Des exemples montrent que les tarifs sociaux qui sont pratiqués dans certaines villes du Sud s’appliquent fort mal. Les gens n’ont pas pu payé la connexion individuelle et le compteur, soit parce qu’ils n’ont pas de trésorerie, soit parce que leur habitat précaire n’est pas garanti. Ils se fournissent à plusieurs sur un point d’eau équipé de compteur et comme ce point d’eau délivre finalement  un volume globalement important, les pauvres payent le tarif le plus élevé et donc plus cher le litre d’eau que celui que payent les familles de quartiers riches qui consomment moins d’eau à partir de leur point d’accès au réseau. Les pauvres n’ont pas besoin d’eau gratuite. Ils ont besoin de travail rémunéré dignement pour partager ensuite les mêmes services basiques que toute la population.

 

La forme la plus absurde de cette gratuité marginale de l’eau est précisément mise en avant par Véolia au Maroc avec les bornes-fontaine à carte à puce pour les plus pauvres. Selon le directeur local de l’entreprise française, les efforts de la compagnie vers la responsabilité sociale et le « social business »  se traduisent par un équipement exemplaire. Chaque famille pauvre vivant dans les quartiers périphériques disposera de 40 litres journaliers non facturés à prélever sur la borne en introduisant la carte et son code secret. Au delà du quota de 40 litres mesuré par le compteur, il faudra payer en chargeant la carte dans une agence adéquate. La famille en question prendra ainsi conscience de la valeur économique de l’eau.

 

La mise en place de ce système aberrant devra être suivie de prêt par des observateurs indépendants de la société. En effet, les personnes qui ne disposent pas ou plus de carte, ou de code, ou d’argent pour accéder à l’eau gratuite[5] et pour compléter leur accès à l’eau vont se retourner vers l’eau polluée des puits. Pour protéger les intérêts d’une compagnie d’eau, dans un pays où la tradition veut que l’eau potable basique soit offerte à celui qui passe, on accroît le risque sanitaire global pour les plus vulnérables parmi les plus pauvres, les enfants et les personnes âgées (dans l’incapacité de gérer une carte à code). Les maladies à vecteur hydrique devront être particulièrement surveillée.

 

 

7) Pollution, surproduction, érosion, urbanisation entraînent l’épuisement des sols… La crise globale de l’eau n’aura pas lieu. La crise de la terre commence…

 

 

Oui, la dégradation de certains environnements est incommensurable dans certaines régions du monde soumis à la surexploitation à court terme.  Oui, la crise globale de l’eau n’aura pas lieu à l’échelle mondiale mais dans des régions précises. Mais cette crise globale décrite comme une catastrophe inéluctable arrange bien les affaires des acteurs de l’eau qui voudraient accroître leur chiffre d’affaire. Nous sommes submergés d’opérations de communication pour qu’on accepte des tarifs de l’eau encore supérieurs. Si encore la rente dégagée par les surfacturations était entièrement dévouée à la solidarité internationale pour l ‘équipement public des régions du monde où on manque d’eau potable et d’assainissement, nous pourrions volontairement l’accepter. L’eau alimente des circuits financiers privés. Les circuits financiers privés n’alimentent pas l’eau des plus démunis du monde. Sinon, la question aurait été réglée depuis longtemps. Il faut donc décrire l’avenir de l’eau sous l’angle des biens publics et des biens communautaires. L’avenir des eaux et des sociétés humaines sont étroitement liées. La société raconte l’eau et l’eau raconte la société. La narration de M. Orsenna ne me raconte rien d’agréable. C’est l’apogée de la société intégrée de service individuel et de consommation. Je préfère l’idée d’une eau intégratrice, partagée, mutuelle, pour envisager un avenir des eaux plus motivant.

 

 

Orientation bibliographique

En complement des 11 références citées dans le précis, quelques documents issus de différentes écoles de pensée sur l’eau et la société. On pourra aussi consulter les sites Internet de l’IWMI – internationa water management institute (http://www.iwmi.cgiar.org/), de l’IWHA – international water history association (http://www.iwha.ewu.edu/) et de l’IACP – intarnational association for studying the commons (http://www.indiana.edu/~iascp/).

 

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Barlow M., 2001. – L’Or Bleu, La crise de l’eau dans le monde et la transformation de l’eau en marchandise. Conseil des Canadiens, Comité sur la mondialisation de l’eau, IFG

Barraqué B., 1995, Les politiques de l’eau en Europe, coll. Recherches, La Découverte.

Brunhes J., 1902, L’irrigation dans la péninsule ibérique et dans l’Afrique du Nord : ses conditions géographiques, ses modes et son organisation. C. Naud, Paris, 579 p.

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Déclarations des grandes conférences mondiales sur l’eau et le développement durable

 

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http://www.unesco.org/water/wwap/milestones/index_fr.shtml

 

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http://www.waternunc.com/fr/eaudd34.htm

 

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http://www.water-2001.de/outcome/BonnRecommendations/Bonn_Recommendations_fr.pdf

 

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http://www.mlit.go.jp/tochimizushigen/mizsei/wwf3/mc/md_final.pdf

 

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http://www.worldwaterforum4.org.mx/files/Declaraciones/MinisterialDeclaration.pdf

http://www.riob.org/wwf-4/Recom_RIOB_WWF_Mexico_2006.pdf

Annexe à la “caricature des eaux”

Réponses de M. Orsenna et de FARM et commentaires

 

Le 19 février, apparaît sur le site de la FARM deux réponses à “la caricature des eaux”, la première d’Erik Orsenna et la seconde de Bernard Bachelier, directeur de la FARM. Elles sont reproduites in extenso et donnent lieu à des commentaires additionnels qui suivent.

 

Réponse de Erik Orsenna

Sources : http://www.fondation-farm.org/

 

Suite à l’article insultant de Thierry Ruf (« A propos de l’ Avenir de l’eau d’Erik Orsenna, la caricature des eaux»), Erik Orsenna a écrit la réponse suivante :

 

Monsieur le directeur de recherche et cher « spécialiste »

 

Laissez-moi vous dire combien votre long, si long article me concernant m’a réjoui. Et honoré. Qu’un savant tel que vous, si considérable, prenne autant de soin pour accabler mon modeste ouvrage ne peut que m’enorgueillir en même temps qu’il me rassure : allons, il reste encore aux directeurs de recherche de l’I R D quelque loisir pour s’amuser un peu !

 

Votre aigreur, en revanche, m’ a peiné pour vous. Les acidités de cette sorte indiquent, le plus souvent, une existence pleine de frustrations. J’espère que vous me détromperez un jour. Oui, drôle d’aigreur ! Et d’autant plus étrange que votre méchante, très méchante montagne accouche d’une plutôt bienveillante souris: vos conclusions ne sont pas loin des miennes. Et si vous aviez préféré le dialogue a l’injure, nous aurions pu trouver un large terrain d’entente.

Il aurait d’abord fallu que vous compreniez mon propos. Non pas écrire une thèse. Je sais faire. J’en ai déjà soutenu deux. Au passage, je voudrais vous signaler que mes titres universitaires valent bien les vôtres. Et j’ai, comme vous, écrit des milliers de pages indigestes, lestées de centaines de notes. Cette fois, je voulais autre chose, je voulais rencontrer, je voulais écouter, je voulais raconter, je voulais confronter. Avant de présenter certaines convictions.

 

Si j’écris plus aimablement que vous, monsieur le directeur de la recherche, vous n’avez pas le monopole de la rigueur. Des hommes et des femmes d’aussi grand savoir que le vôtre ont accepté de me relire. Vous en trouverez la liste a la fin de mon livre. Si Ghislain de Marsily, hydrologue de réputation mondiale et membre de l’Académie des Sciences méprisait mon voyage, m’aurait-il choisi pour écrire la préface de son grand livre à paraître en mai prochain «L’eau, un trésor en partage» (éditions Dunod) ?

 

C’ est vrai, un point nous sépare, monsieur le directeur de recherche: à la différence de vous, je ne diabolise pas les entreprises privées, ni celles et ceux qui y travaillent. Je sais ce que nous leur devons. A commencer par leur création de valeur. Sans elle, comment financer l’administration à laquelle vous et moi appartenons (moi sans rien coûter au contribuable puisque je suis en disponibilité) ?

 

C’est vrai, j’ai mentionné certaines réalisations de Véolia et de Suez, car je les ai admirées.

Mais prêtez moi quelque lucidité. Je sais bien que de nombreux contrats privés passés avec des municipalités ne sont ni transparents ni équilibrés. Mais je sais aussi que de nombreuses régies publiques sont pléthoriques, inefficaces et n’ignorent pas plus la corruption. Un secteur public, monsieur le directeur de recherche, n’est pas toujours la garantie d’un bon service public. Et voyez vous, monsieur le directeur de recherche, aux vertueux et confortables principes je préfère, en cette matière comme en beaucoup d’autres, le pragmatisme : les êtres humains ont un droit imprescriptible à l’eau et à l’assainissement, qu’importe la méthode.

 

A ce propos, votre soupçon m’a chagriné, monsieur le directeur de recherche, et quelque peu fait douter de votre sérieux dans l’investigation. Vous insinuez je ne sais quels liens, sans doute pécuniaires, avec ces sociétés privées. Sachez que je n’ai pas besoin d’elles, monsieur le directeur de recherche, pour parcourir et guetter le monde et que ma liberté et mon indépendance valent largement les vôtres. C’est un salaire qui rétribue vos travaux, moi ce sont des droits d’auteur. Pardonnez moi d’en être fier.

 

Bref, dommage, monsieur le directeur de recherche! N’était cette mauvaise aigreur, nous aurions pu faire un bout de chemin ensemble puisque nos objectifs sont bien sur les mêmes, a commencer par ceux du millénaire.

 

Pour terminer je puise dans mon âge plus grand que le vôtre, je droit de vous adresser un conseil.

Ecrivez le, ce livre sur l’eau que vous portez forcément en vous, oui écrivez le, écrivez le vite, au lieu de taper rageusement sur ceux des autres, écrivez le et vous verrez comme c’est difficile d’écrire, je veux dire écrire un livre lisible par le plus grand nombre.

Alors, j’en fais le pari, monsieur le directeur de recherche, votre aigreur s’en ira. De même que votre morgue.

 

ERIK ORSENNA

 

Commentaires et precisions de Thierry Ruf

 

Le texte de M. Orsenna est accessible à travers le site web de la fondation FARM. La critique du livre sur « l’avenir de l’eau », intitulée « la caricature de l’eau », avait été envoyée a Erik Orsenna via son éditeur, comme il est d’usage. Elle a été reprise par des sites variés associatifs et scientifiques. M. Orsenna ne répond donc pas directement mais via la fondation FARM, avec un texte ajouté du directeur de FARM.

 

Mon texte n’est pas insultant. Il est très critique mais jamais insultant, ni injurieux. Certes il n’est pas agréable puisqu’il relève des erreurs ou des omissions et qu’il propose d’autres visions du monde de l’eau que celles sur lesquelles Erik Orsenna fonde son livre. M. Orsenna emprunte une partie de ses références aux scientifiques. Comme il est d’usage dans notre profession, une évaluation indépendante peut être proposée et diffusée librement. Elle est parfois sévère mais elle est toujours justifiée.

 

Les connaissances avancent avec des controverses. Critiquer le travail de M. Orsenna ne serait pas admissible ? Lui-même ne s’est pas privé de ce droit de critique envers des personnes qui n’ont pas la même admiration des entreprises françaises de l’eau que la sienne et qui cherchent d’autres voies institutionnelles et politiques pour gérer les eaux du monde.

 

M. Orsenna s’étonne du temps consacré à son livre par un chercheur de l’IRD. Le thème de travail, la rencontre avec les scientifiques que je connais, y compris Guislain de Marsilly, la participation de M. Orsenna au congrès mondial de l’eau de Montpellier m’incitent évidemment à lire ce livre. C’est le contraire qui aurait été étonnant. Après lavoir écouté M. Orsenna à Montpellier à deux reprises avant la publication du livre, j’attendais de la lecture de l’avenir de l’eau une synthèse équilibrée, un état de l’art.

 

Ma frustration, s’il y en a une, provient du déséquilibre flagrant contenu dans le livre,, qui n’a rien à voir entre le choix de l’écriture fluide pour le grand public versus la thèse spécialisée[6]. Je comprends le souhait d’écrire un livre accessible, mais cela n’implique pas de survaloriser les puissants dans le domaine de l’économie, de la technologie et des politiques de l’eau. Ma satisfaction aura été finalement l’écho reçu de mon texte dans le public, les milieux professionnels très différents, et notamment dans celui des sciences de l’eau.

 

S’interroger sur la pertinence de la délégation de service public à des entreprises privées en situation d’oligopoles est une question légitime, en sciences d’une part, en politiques d’autre part. Le faire ne met pas en cause les personnes qui travaillent dans ces entreprises mais le système qui le promeut. Quant à la création de valeur par les entreprises privées de l’eau, ce n’est pas démontré. On n’est plutôt sur le registre de la rente de situation, à la fois vis à vis des usagers qui n’ont pas de choix de fournisseur de service et de l’administration qui subventionne les équipements ou délivrent des autorisations de prélèvement d’eaux gratuites.

 

Par ailleurs, sur le plan général, le financement de l’administration républicaine ne dépend pas exclusivement des entreprises privées. Les citoyens contribuent sous des formes directes ou indirectes au budget de l’Etat. Et parmi les tâches de l’Etat, l’enseignement supérieur et la recherche sont des missions reconnues. Le travail intellectuel devrait-il être exclusivement financé par les entreprises privées ?

 

Véolia et Suez savent effectivement réaliser de belles prouesses industrielles et je reconnais ce savoir faire. Je pense que les installations hydrauliques doivent être fabriquées et installées par des entreprises compétentes, comme d’ailleurs d’autres produits manufacturés qui font l’objet de transactions claires dans un vrai monde concurrentiel. Mais je crois également que la gestion de réseaux et de flux exige des dispositifs publics et des contrôles des citoyens, car en leur absence, les éléments de transaction s’opacifient au cours du temps. Les régies publiques dysfonctionnent aussi, pour les mêmes raisons. Mon analyse porte sur les deux types d’instances, excessivement bureaucratiques d’un côté, ultralibérales de l’autre. Innover sur le plan social et institutionnel, c’est chercher d’autres voies.

 

Comme la gestion de l’eau est une question de pouvoirs et de modèles politiques dans des contextes souvent conflictuels, et que les informations sont le plus souvent inaccessibles, l’analyse des dispositifs de gestion est difficile. La méthode importe beaucoup pour que les principes auxquels nous adhérons puissent effectivement s’accomplir. J’ai entendu récemment dans un débat auquel je participai à Supagro Montpellier, le directeur de Véolia Hérault regretter qu’il n’y ait pas un système unique et universel de gestion des eaux dans le monde. Là, je ne peux pas être d’accord, ni en tant que chercheur, ni en tant que citoyen. Les méthodes techniques et les dispositifs institutionnels pour accéder à l’eau dans des sociétés inégalitaires sont divers, ancrés dans des cultures locales et des histoires singulières. Répondre avec un dispositif unique est dangereux. Les sciences sociales sont souvent appelées à étudier des situations postérieures aux projets d’aménagement et de développement. Une démarche préventive me paraît nécessaire.

Le rôle des chercheurs est aussi d’alerter les citoyens. Ainsi le pôle de recherche sur l’eau de Montpellier se présente avec comme principal partenaire financier et industriel l’entreprise Véolia, qui codirige cette organisation (cluster eau). Je m’inquiète des conflits d’intérêts et des orientations induites par ce mélange des genres.

 

Quant aux liens entre M. Orsenna et les sociétés privées de l’eau,  il est évident que je ne me place pas du tout sur le plan pécuniaire, je sais bien que les droits d’auteur de M. Orsenna sont conséquents et qu’ils lui permettent en libre arbitre de faire les voyages qu’il lui plait d’entreprendre. Mon constat est que le choix méthodologique du livre a conduit à privilégier dans 13 des 14 situations décrites, les points de vue des agents et partenaires des entreprises françaises. C’est à mon sens le reflet du déséquilibre des sources pour la rédaction d’un précis sur l’eau et la mondialisation. Encore une fois, il n’est pas insultant de comprendre cet itinéraire.

 

Etre fier de l’indépendance financière (acquise après quelques années de salariat public) est une chose respectable. Je suis aussi fier de mon salaire de chercheur d’un institut public dont la mission essentielle est le renforcement des communautés scientifiques du Sud. Le travail de recherche individuel est évalué tous les deux ans, les unités de recherches tous les quatre ans. Le statut de directeur de recherche s’obtient par concours au vu de dossiers écrits et de soutenance orale de projet de direction de recherche. Notre temps de travail se répartit entre l’enseignement, l’encadrement des étudiants, la conduite de recherche sur le terrain, le suivi des publications dans notre domaine et les domaines voisins, mais aussi dans le domaine plus général des sciences, des lettres et des cultures. Une part croissante du temps de travail est consacrée à la recherche de financement extérieur dans le cadre d’appels d’offre très sélectifs, nationaux et internationaux. Depuis quelques années déjà, j’ai contribué dans notre équipe à l’obtention de financements importants orientés vers les communautés scientifiques du Sud et vers les associations paysannes et organismes de développement. Le salaire qui rétribue mes travaux n’est pas très élevé, et il ne me permettrait pas à lui seul d’entreprendre 14 voyages autour du monde. Mais il me rend quand même fier !

 

Pour finir, les livres sont bien nécessaires et les critiques des livres aussi. Notre travail sur les institutions des eaux et sur la gouvernance des ressources est exigeant. Il n’est pas individuel, il est collectif. Ce n’est pas une recherche en laboratoire mais sur des terrains dispersés, qu’il faut comprendre et comparer. Nous publions des livres collectifs, nous écrivons des articles, nous réalisons aussi des films. Nous allons à la rencontre des gens en participant à des conférences grand public. Ainsi, je suis particulièrement fier d’avoir été invité à l’université populaire de tous les savoirs et d’avoir échangé avec des habitants du Val de Marne sur la complexité de la gestion sociale des eaux en Méditerranée. Je constate que les gens sont bien plus ouverts aux choses complexes comme ce qui a rapport avec les eaux que ce que l’on voudrait bien faire croire. Nous sommes aussi interpellés par des hommes et des femmes politiques pour avoir d’autres perceptions des mondes de l’eau. La plupart de nos contributions sont diffusées sans droits d’auteur (on est tenu d’y renoncer dans bien des cas). Cela aussi, j’en suis fier.

Thierry Ruf             Montpellier, le 25 février 2009

 

Réponse de Bernard Bachelier au texte de Thierry Ruf

«A propos de l’Avenir de l’eau d’Erik Orsenna »

19 février 2009

Sources : http://www.fondation-farm.org/

 

Thierry Ruf vient de publier sur un blog une lettre adressée a Erik Orsenna. Une longue lettre puisqu’elle s’étire sur 19 pages. C’est, en fait, une critique en règle du livre d’Erik Orsenna « L’avenir de I’eau» que Thierry Ruf sous-titre « la caricature des eaux ». Le ton est donné!

 

FARM est mise en cause dès la page 3. C’est pourquoi, en tant que directeur de FARM, je souhaite réagir à ce texte.

 

Thierry Ruf signe avec ses titres professionnels de directeur de recherche à I’IRD et professeur consultant à SupAgro Montpellier. C’est donc bien en tant que chercheur qu’il s’exprime. Or quel n’est pas notre étonnement de constater qu’il prend de grandes libertés avec la rigueur scientifique et I’exactitude des faits!

 

En fait, FARM est utilisée comme argument pour démontrer la collusion supposée d’Erik Orsenna avec les « multinationales françaises sur I’eau ». Du coup, Thierry Ruf n’hésite pas a recourir aux amalgames et a donner des informations inexactes pour mieux étayer son parti pris.

 

Ainsi, les entreprises qui ont fondé FARM seraient « cinq multinationales » et bien sûr, le terme n’est pas vraiment flatteur dans sa bouche! Précisons, les fondateurs sont six: Crédit Agricole S.A., GDF Suez, Casino, Limagrain-Vilmorin, Air France et l’Agence Française de Développement. Ce sont des entreprises françaises qui ont réussi à l’international. L’une, le Crédit Agricole, est issue d’une banque mutualiste et I’autre, Limagrain, une coopérative agricole. Les autres, Casino, Suez et Air France portent les savoir faire français de la grande distribution, du service de I’eau, du traitement des déchets ou du transport aérien à I’échelle internationale. Réussir à I’international serait-ce pactiser avec le diable ? Enfin, le sixième fondateur est l’Agence Française de Développement. C’est un établissement public chargé de I’aide au développement. Alors pour construire le décor, Thierry Ruf la taxe de « notre petite banque mondiale bien française ».

 

Et il ne peut venir a I’esprit de Thierry Ruf que leurs « PDG », comme il dit, peuvent être a la fois des grands patrons, de I’industrie ou des services, et en même temps des citoyens soucieux du bien public. Ceux qui se sont engagés dans FARM pensent que les entreprises peuvent assurer des missions d’intérêt commun, qu’elles peuvent faire profiter de leur savoir faire, de leurs expériences et de leurs moyens, aux populations moins favorisées. C’est dans cet esprit qu’ils soutiennent FARM, fondation reconnue d’utilité publique dotée d’une mission d’intérêt général. Le directeur que je suis, qui a aussi assumé des responsabilités dans le secteur public, peut affirmer que tous ces dirigeants distinguent avec une rigueur absolue les intérêts économiques de leurs entreprises et leur engagement dans FARM. Et même en terme d’image, le retour est bien lointain pour eux, tant leurs enjeux stratégiques sont éloignés. La plupart de leurs entreprises n’ont pas de stratégie de développement commercial en Afrique. C’est bien le problème d’ailleurs.

 

D’ailleurs, Thierry Ruf revient si peu aux faits qu’il n’a pas pris la peine de vérifier ses sources. Non, ni Carrefour, ni Véolia ne sont fondateurs de FARM. Dommage! Car I’argumentaire devait démontrer la proximité d’Erik Orsenna, vice-president de FARM, et de FARM elle-même à la fois avec Suez et Véolia. Eh bien, c’est raté, Véolia ne fait pas partie des entreprises fondatrices de FARM. Pourtant Thierry Ruf aurait du s’en apercevoir puisqu’il a repris dans une longue note de bas de page la composition du Conseil d’Administration de FARM.

 

Mais qu’importe, le décor est planté. Nous ne pouvons être que dans le mauvais camp, celui du profit. D’ailleurs, pour bien illustrer ce pêché, FARM est accusée de soutenir « de grandes fermes utilisant toutes les techniques agroindustrielles modernes ». Et d’affirmer que « ce modèle s’avère désastreux sur le plan social et écologique ».

 

Ceci est faux et il suffit de regarder ce que FARM soutient pour s’en rendre compte. FARM appuie les exploitations petites et moyennes essentiellement familiales et qui produisent pour le marché local. C’est aux responsables de ces organisations que s’adresse le projet de formation au Maroc.

 

Peut-être veut-il faire allusion aux projets d’agriculture vivrière que FARM soutient pour aider des groupements paysans à accroître la production en réaction à la crise alimentaire. Mais là encore le reproche serait injuste. 22 agriculteurs qui se partagent 63 hectares irrigués au Burkina Faso, est-ce une grande ferme agroindustrielle? Au Mali, dans le village de Tongorongo, près de Mopti, 125 hectares qui étaient impropres à la culture, récupérés par 125 agriculteurs, est-ce de I’agroindustrie ?

 

FARM promeut une vision entreprenariale de I’agriculture. Ce n’est pas I’agro business que nous encourageons. Nous voulons aider les groupements paysans à vivre de leur travail, à maîtriser leur destin, à disposer de leur autonomie. Et oui, pour cela nous pensons que la formation à la gestion, I’accès au crédit et la maîtrise de la commercialisation peuvent y contribuer. Et nous pensons que donner à des paysans africains la possibilité de devenir des entrepreneurs, c’est-à-dire des chefs d’exploitations familiales, cela en vaut la peine.

 

Erik Orsenna a compris notre démarche et il contribue à lui donner son sens car il va voir les réalités sur Ie terrain et constate les faits sans a priori idéologique. Erik Orsenna sait raconter ses voyages. Qu’a voulu faire Erik Orsenna, se demande Thierry Ruf? II a voulu écrire un livre qui se lise.

 

Cette démarche, Erik Orsenna I’a menée en sollicitant I’avis d’un nombre d’acteurs impressionnant, qui lui ont fourni et validé beaucoup d’informations que I’on retrouve dans son livre. Ces acteurs sont reconnus pour leurs expériences et compétences dans le domaine de I’eau, et sont issus de toutes les origines: Etats, structures publiques et privées, ONGs, chercheurs, agriculteurs, organisations internationales. FARM I’a appuyé à plusieurs reprises dans cette démarche, qui correspond à I’objectif de la fondation de travailler en partenariat élargi et qu’elle applique concrètement dans ses projets.

 

La vision de FARM est que les défis du développement de I’agriculture dans Ie monde nécessitent d’associer les moyens et les compétences dans une démarche pragmatique et ouverte, sans exclusion sur I’origine publique, privée ou associative des acteurs engagés.

 

Quelle chance exceptionnelle pour le monde en développement, le monde de la recherche, le monde de I’agriculture et celui de I’eau, les mondes qui nous sont chers a vous comme a moi, cher Thierry Ruf, de rencontrer un académicien qui les comprenne, les aime et qui sache faire partager cette compréhension et cet amour au plus grand nombre.

 

Le directeur de FARM,

Bernard BACHELIER

 

 

Commentaires et précisions de Thierry Ruf par rapport au texte de Bernard Bachelier

 

A propos de la critique du livre d’Erik Orsenna, « l’avenir de l’eau », M. Bachelier écrit un texte de réponse sur le site web de la fondation FARM dont il est directeur. Il figure au côté de la réponse de Erik Orsenna. Ce texte ne m’est pas communiqué directement. Il met en cause mon travail critique et mon positionnement en tant que chercheur (Le site FARM n’indique pas comment accéder au texte initial pour apprécier le cadre des réponses).

 

Dans la mesure où M. Orsenna a emprunté, en tant qu’auteur et académicien, un grand nombre de références à la communauté scientifique française et internationale de l’eau, il n’est pas anormal de proposer au public une vision différente sur les sujets abordés, et de le proposer en tant que chercheur et enseignant – chercheur. Mon travail consiste à évaluer les faiblesses du livre selon des paramètres d’évaluation assez classiques : la forme, la méthode, le contenu, les idées, les conclusions. L’ouvrage de M. Orsenna n’est pas un roman, c’est un précis. Le lecteur doit être informé de ma position professionnelle comme il l’est de celle de M. Orsenna, de l’Académie française.

 

M. Bachelier affirme que j’ai pris de grandes libertés avec la rigueur scientifique et l’exactitude des faits. Nul n’est infaillible et il peut arriver à tous de se tromper. Mais les remarques à ce sujet ne m’apparaissent pas de nature à porter de grands rectificatifs. Qualifier les fondateurs initiaux de la fondation FARM de multinationales n’est pas un scoop. Il n’y a pas de « diable » derrière une dénomination évidente, ou alors, toute  recherche sur les entreprises multinationales serait diabolisée. De la même manière, l’agence française de développement joue effectivement le rôle d’une petite banque mondiale, puisqu’elle prête de l’argent aux pays en développement sans prétendre disposer de la même capacité financière.

 

M. Bachelier indique que les PDG de ces entreprises agissent pour l’intérêt commun. Mon propos ne se situe évidemment pas au niveau des intentions des individus. Je constate simplement que la construction du livre, les choix des sites, les personnages rencontrés ont des liens étroits avec la FARM et que M. Orsenna n’explique pas la méthode qu’il a employée pour organiser sa quête d’information. Or, cette méthode est influencée par les contacts de la FARM avec les grands opérateurs de l’eau, que cela soit dans le domaine des entreprises que dans le domaine de la recherche.

 

M. Bachelier écrit que je ne vérifie pas mes sources et que Véolia et Carrefour ne sont pas fondateurs de la FARM. Evidemment, c’est une erreur importante. Il fait bien de relever que ni l’un ni l’autre des entreprises citées ne figurent au conseil d’administration actuel dont j’avais moi-même relevé la composition. Quand il y a erreur ou doute, un chercheur revient aux sources et donc à l’histoire telle qu’elle a été notifiée au cours de l’année 2004-2005 et telle qu’elle figure encore dans le site web du Crédit Agricole, une entreprise dont l’objectivité ne peut être mise en cause. On peut lire :

 

« Lundi 6 décembre (2004), René Carron, Président de Crédit Agricole SA, lancera l’Association de préfiguration de la Fondation FARM. Cette rencontre inaugurale, qui se déroulera au Palais de l’Elysée sous le haut patronage du Président de la République, réunira les présidents de : Air France, Carrefour, Danone, EDF, Euris/Casino, Suez, Véolia, ainsi que l’Agence Française pour le Développement ».[7]

L’AFP[8] et Associated Press[9] ont également relayé l’information. Mon erreur n’est donc pas d’avoir cité Carrefour et Véolia à l’origine de la création de la FARM. C’est d’avoir omis deux ou trois autres « multinationales » engagées. Certes, lors de la constitution du conseil d’administration, certaines entreprises ne figurent plus, mais les liens tissés sont très forts et elles comptent pour le moins comme « amis de Farm », structure annoncée dès la création de la fondation, mais dont le contenu reste inconnu du public. On retrouve les mêmes acteurs dans les dossiers concrets d’action de Farm dans le monde. Ainsi, dans le dossier du Business social de la fondation Grameen du Pr Yunus, l’action de la Farm, de Véolia, du crédit agricole et de Danone reflètent bien une coordination d’actions concertées. Il n’y a ni jugement de valeur sur l’action, ni parti pris sur les individus. Le réseau des fondations créées récemment révèle aussi ces rapprochements existants entre la FARM et Véolia. On retrouve le directeur de la FARM en compagnie de la directrice du développement durable de Véolia dans la fondation pour l’innovation politique, la Fondapol. Véolia-environnement et la FARM participent à la fondation Fondaterra (fondation européenne des territoires durables). Tous ces nouveaux organismes proposent des schémas « hors des sentiers battus » pour aider la recherche. Les citoyens doivent être informés sur ces organisations, les chercheurs aussi. Le financement de la recherche va probablement passer de plus en plus par ces fondations où de grandes entreprises exercent une influence notable. Faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter ?

 

Sur la question des modèles défendus, il est tout à fait juste que les intentions de FARM relèvent du soutien à la petite et moyenne exploitation agricole, à travers quelques opérations pilotes. Cependant, les principes retenus de vision entreprenariale de l’agriculture pour une autonomie et une maîtrise du destin des paysans du Sud, dans le but de les transformer en chefs d’exploitations, nous rappellent le discours idéologique de la jeunesse agricole chrétienne du début des années 1950 en France. Bien des scientifiques et en particulier des sociologues, comme Henri Mendras, ont analysé les conséquences des politiques agricoles qui ont poussé les paysans à l’exode. C’est dans ce sens que j’affirme que vos principes fondateurs vont pousser hors de l’agriculture un nombre significatif de ruraux du Sud, et favoriser l’émergence de grandes fermes industrielles. Le contexte du Sud s’y prête encore plus aujourd’hui, où les inégalités foncières sont extrêmes. Pour ce qui concerne l’hydraulique et les ressources en eau, le problème est encore plus grave. Les technologies de pompage et de goutte à goutte ne sont pas à la portée des plus faibles (sauf dans des opérations pilotes où tout est payé par le bailleur). Dans le cas général, les attributions de terres irriguées et de ressources en eau favorisent les grandes entreprises intégrées au marché mondial, bénéficiant des crédits financiers, des subventions d’équipement, des accès au marché. Lorsqu’en France, les jeunes ruraux ont compris avec leurs parents que l’agriculture ne pourrait plus les faire vivre, ils ont bénéficié de formation et pu se reconvertir dans l’emploi industriel. Peut-on croire aujourd’hui que ces options se présentent aux jeunes marocains dans les mêmes termes ? Parce que le développement des pays du Sud ne suit pas le modèle de l’Europe du Nord, de nombreux auteurs de livres et acteurs du développement solidaire pensent que les sociétés rurales pauvres du Sud ont besoin de réformes agraires et d’accès renouvelés et solidaires aux ressources. Je n’ai pas retrouvé ces analyses dans le livre d’Erik Orsenna et j’estime important de le signaler au public.

 

Peut-on croire que voir les réalités de terrain et constater les faits sous les principes énoncés par M. Bachelier est exempt d’à priori idéologique ? Peut-on croire qu’écrire un livre qui se lise, qui aspire à faire le tout d’une question aussi essentielle que l’eau, puisse être influencé que par un seul courant de pensée, sans refléter les différences de points de vue et sans prendre appui sur d’autres expériences de terrain et d’autres courants ? Peut-on accepter que dans une démocratie ouverte, l’expression d’une critique d’un intellectuel envers un autre intellectuel puisse être rangée sous l’angle de l’insulte, l’injure, la frustration, l’aigreur et même la morgue ?

 

Thierry Ruf Montpellier, 25 février 2009


[1] Directeur de recherche à l’IRD, professeur consultant à Supagro Montpellier – (thierry.ruf@ird.fr)

[2] Précis : ouvrage qui expose brièvement l’essentiel d’une matière: Un précis de géométrie (abrégé, mémento). Larousse Pratique. © 2005 Editions Larousse.

[3] A titre d’exemple, à propos des barrages (chapitre « Les barrages sont-ils nécessaires » p.204-209), l’enquête est menée auprès d’une seule personne, Nicolas Fornage, chef de la cellule d’appui environnemental et social à l’AFD qui donne sa vision des bons et des mauvais barrages. On ne trouve aucune référence à d’autres personnes, pas même aux cent scientifiques de la déclaration de Madrid de 2005 sur la nouvelle culture de l’eau animée par Pedro Arrojo (université de Saragosse). Rien sur la commission internationale des barrages.  Un petit précis trop pressé…

 

[4] La fondation Farm a été initiée en décembre 2004 par un groupe de 8 entreprises, dont Carrefour et Véolia, qui, par la suite ne figurent plus au bureau de 2006 (précisions données à la suite de la réponse de B. Bachelier, directeur de la fondation).

La fondation FARM est administrée par un conseil composé de quinze membres. Ceux-ci ont été désignés à l’occasion de la réunion du premier conseil d’administration de FARM en date du 25 avril 2006.

5 membres au titre du collège des fondateurs : ?— René Carron, président de Crédit Agricole S.A., président du conseil d’administration ?— Jean-Louis Blanc, directeur du développement-France de GDF-Suez, trésorier ?— Jean-Yves Grosclaude, directeur technique opérationnel à l’Agence Française de Développement (AFD) ?— Jean-Claude Guillon, directeur de la stratégie et de la communication du Groupe Limagrain ?— Claude Risac, directeur des relations extérieures du groupe Casino

3 membres au titre du collège des amis de la fondation : ?— Erik Orsenna, académicien, conseiller d’Etat, vice-président du conseil d’administration ?— Christian de Boissieu, président du Conseil d’Analyse Economique (CAE) et du Conseil de stratégie pour l’agriculture et l’agroindustrie durable (CSAAD) ?— Xavier Beulin, président de Sofiprotéol et vice-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA)

6 membres au titre du collège des personnalités qualifiées : ?— Jean-Paul Betbèze, professeur des universités, chef économiste de Crédit Agricole S.A., secrétaire du conseil d’administration ?— Michel Camdessus, ancien gouverneur de la Banque de France et ancien directeur général du Fonds Monétaire International (FMI) ?— Ndiobo Diène, secrétaire permanent du Forum du Dakar Agricole ?— Françoise Foning, présidente de l’association mondiale des femmes chefs d’entreprises ?— Hervé Lejeune, inspecteur général de l’agriculture ?— Jean-Michel Lemétayer, éleveur, président de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA), président du Salon des Producteurs Agricoles – Carrefour Européen (SPACE)

Le commissaire du gouvernement désigné est Stéphane Le Moing, chef du service des relations internationales à la direction générale des politiques économiques, européennes et internationales du ministère de l’agriculture et de la pêche (DGPEI).

Le conseil d’administration a élu, pour une durée de deux ans renouvelable, René Carron est président du conseil de la fondation. Il est chargé de convoquer le conseil et d’en diriger les débats. Le conseil d’administration a désigné également pour la même durée un bureau composé de :  Vice-président : Erik Orsenna,  Trésorier : Jean-Louis Blanc, Secrétaire : Jean-Paul Betbèze  (sources :  http://www.fondation-farm.org/)

[5] En réalité, la collectivité marocaine dans son ensemble paye l’installation industrielle des bornes fontaine à cartes, via le budget des collectivités locales. Il y a donc bien une charge qui permet à des intermédiaires de l’eau de facturer et de gérer ses équipements. Il faudrait se poser la question de comparer effectivement s’il est plus coûteux ou non pour la société de subventionner des bornes fontaines à débit limité adapté au quartier, ou des bornes électroniques dont l’investissement et les charges sont bien plus élevés (sans parler des incidences sanitaires qui ont aussi un coût additionnel pour la société)

[6] La thèse est quand même la voie normale de travail de recherche que d’écrire et d’être jugé par ses pairs dans l’université et il ne faut pas le dénigrer. Les articles et chapitres d’ouvrage sont aussi des témoignages de l’activité de recherche.

[7] Sources : http://www.credit-agricole-sa.fr/rubrique.php3?id_rubrique=274&id_article=1125

Le communiqué de presse du Crédit agricole précise :

Ce projet part d’un constat : l’agriculture est une des bases essentielles du développement économique. Son essor réel n’est possible que dans un cadre organisé, qui ne peut se résumer à la simple libéralisation des échanges. Faire l’impasse sur l’agriculture, c’est accepter le déclin du tissu rural, le risque d’une urbanisation non maîtrisée, des déséquilibres graves, source de misère, de violence, de désastres écologiques.

Or, les politiques de développement, qui ont mobilisé crédits et expertises dans les années soixante, ont été peu à peu délaissées au profit d’une approche de dérégulation généralisée des échanges et des marchés. Sur ce point, la France, tout comme l’Union européenne, reste peu armée pour participer au débat d’idées.

La Fondation aura ainsi pour objectifs, ambitieux, de :

– promouvoir des agricultures et des filières agricoles performantes et respectueuses des producteurs,

– contribuer à la mise en œuvre d’actions d’appui technique agricole et agro-alimentaire de haut niveau aux pays les plus pauvres,

– organiser et animer une réflexion sur les stratégies agricoles de développement dans ces mêmes pays.

Pour cela, la Fondation lancera des études et mobilisera l’appui et l’expertise de ses membres. Par la suite, le groupe fondateur sera appelé à s’étendre et à se voir rejoint par « les amis de Farm », association d’entreprises et de personnes physiques qui prolongeront son action.

 

[8] L’AFP reproduit l’information :

Le Crédit Agricole a annoncé vendredi le lancement lundi d’une Fondation pour l’Agriculture et la Ruralité dans le Monde (FARM), pour apporter une aide dans le domaine agricole aux pays en développement.

 

René Carron, président de Crédit Agricole SA, lancera l’Association de préfiguration de la Fondation FARM lundi au Palais de l’Elysée, sous le haut patronage du président Jacques Chirac, indique un communiqué de la « banque verte ».

La rencontre de lundi réunira les présidents d’Air France, de Carrefour, de Danone, d’EDF, d’Euris/Casino, de Suez, de Véolia, ainsi que de l’Agence Française pour le Développement, ajoute le communiqué du Crédit Agricole.

 

La Fondation aura pour objectif, selon le Crédit Agricole, de « promouvoir des agricultures et des filières agricoles performantes et respectueuses des producteurs, de contribuer à la mise en oeuvre d’actions d’appui technique agricole et agro-alimentaire de haut niveau aux pays les plus pauvres, d’organiser et animer une réflexion sur les stratégies agricoles de développement dans ces mêmes pays ».

 

FARM, toujours selon le Crédit Agricole, « lancera des études et mobilisera l’appui et l’expertise de ses membres. Par la suite, le groupe fondateur sera appelé à s’étendre et à se voir rejoint par +les amis de FARM+, association d’entreprises et de personnes physiques qui prolongeront son action ».

 

[9] Associated presse indique  :

PARIS (AP) – Jacques Chirac a mis en place, lundi 6 décembre 2004, l’association de préfiguration de la Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde (FARM), lors d’une réunion avec des chefs de grandes entreprises françaises, à l’Elysée.

Le chef de l’Etat avait proposé la création de cette fondation, le 13 juin 2003, devant le congrès des Jeunes agriculteurs afin de « promouvoir un modèle d’agriculture et de ruralité à la fois moderne et humain ». Le premier objet de la fondation sera de réfléchir à la position française sur les questions de développement agricole et des industries agro-alimentaires dans le monde, précise l’entourage présidentiel.

Sa deuxième mission sera de valoriser les initiatives publiques et privées en matière de développement agricole. La fondation soutiendra des actions dans le domaine hydraulique, d’électrification, de formation ou de micro-crédit, essentiellement en Afrique dans un premier temps.

Présidée par René Carron (Crédit Agricole), la Fondation, qui devrait être opérationnelle, en septembre 2005, après avoir reçu le feu vert du Conseil d’Etat, réunira dans un premier temps les groupes Suez, Véolia, Danone, Air France, EDF, Euris-Casino et Carrefour, ainsi que l’Agence française du développement (AFD). Elle disposera d’un capital de 7 à 10 millions d’euros, dont un million d’euros apporté par l’Etat.

Jacques Chirac s’est félicité de la création de ce « lieu de débats et d’iniatives pour que tous les acteurs concernés, et particulièrement les entreprises, participent à cette grande ambition : permettre à tous sur cette Terre de se nourrir convenablement ».

Erik Orsenna me demande de trouver des solutions (vrai)

J’avoue tout : le titre de ce papier ne trouve son explication qu’à la fin de mon texte. Tout le reste n’est qu’une mise en condition. On n’est obligé à rien, mais vous voilà en tout cas prévenus. Et j’ajoute que cet article n’est jamais que la continuation du précédent. Orsenna est en effet Robert Lion. Et inversement. Les deux doivent l’essentiel de leur carrière publique à la victoire de la gauche française en 1981. Que serait aujourd’hui Érik Orsenna, sans son empressement dans tant de cabinets socialistes d’alors ? Que serait Lion sans les appuis glanés à Matignon, auprès de Pierre Mauroy ? Sans Mitterrand et ses serviteurs, Lion comme Orsenna nous seraient vraisemblablement inconnus. Ce n’est pas même polémique.

D’Orsenna, que vous dire ? Son sens de l’opportunité, au moins aussi puissant que celui de Lion, le pousse, un peu tardivement, à se proclamer écologiste. Il aime l’eau, c’est fou ce qu’il aime. Son livre L’avenir de l’eau, publié chez Fayard, aura réussi à me faire glousser plusieurs fois. Il faut lire les passages qui embêtent l’auteur, qui sont autant de friandises. Comme il s’agit d’un voyage planétaire, Orsenna ne peut éviter tout à fait les questions gênantes. Mais comme Orsenna est un défenseur émérite du monde réellement existant, il se tortille pour ne pas avoir à porter de jugement. Par exemple,  sur le barrage chinois des Trois Gorges, désastre absolu en la matière. Il lui suffirait d’ânonner ce que de grands scientifiques chinois ont pris le risque de clamer il y a un quart de siècle. Orsenna a-t-il seulement entendu parler du physicien Zhou Peiyuan, qui lança l’alerte dès 1986, au risque évident de sa carrière ?

Vous n’y pensez pas. Aux Trois-Gorges, Orsenna se fait accompagner – je n’invente rien – par un ingénieur d’Alstom, Maurice Casali. Alstom a vendu à la Chine 17 des turbines géantes du barrage, n’est-ce pas miraculeux pour le vieux pays ? Orsenna ne dit pas un mot, pas un mot sur la destruction irrémédiable d’un des plus importants écosystèmes de la Chine. De même invente-t-il, ce brave garçon, la fable d’un gouvernement central – Pékin – vertueux dans le domaine écologique, affronté à des provinces qui n’en feraient qu’à leur tête. C’est beau, l’imagination du romancier. Orsenna me fait penser à un autre académicien, Paul Bourget. Ce n’est pas ce que j’appellerais un compliment.

Où qu’on suive Orsenna dans son voyage sur L’avenir de l’eau, on est partagé entre fou rire et stupéfaction. Voici donc où nous en sommes. Un pompeux cornichon réussit en deux temps et à peine trois mouvements à faire croire aux médias gogos-gogols qu’il est devenu écologiste. Et le pompeux cornichon se trouve du même coup légitime pour parler en notre nom. Encore un mot sur le livre, pour un passage qui me tient à cœur, et qui concerne le Bangladesh.

Il y a vingt ans, j’ai consacré une longue enquête à une ignominie française (ici). Sur ordre, Jacques Attali avait proposé un plan d’endiguement démentiel des principaux fleuves du Bangladesh. Si par malheur ce plan s’était réalisé, le sort de dizaines de millions de culs-terreux en aurait été abominablement aggravé. Orsenna, en visite sur place en 2008, ne voit évidemment rien du pays réel. On dirait Tintin au Congo, en moins plaisant. L’un de ses courts chapitres s’appelle Paroles de chars. Les chars, au Bangladesh, ce sont des bancs de sable et de limon, très fertiles, dont la forme comme la durée dépendent des crues rituelles. Rituelles et nécessaires à l’alimentation de ce peuple paysan. Car elles apportent la nourriture, ni plus ni moins.

Rien de cela n’existe chez Orsenna. Ce qu’on lit sous sa plume n’est que décor d’opérette. Rien sur l’écologie et les liens complexes entre l’inondation et les cultures. Rien sur le système féodal régnant sur le pays, où les propriétaires imposent une loi atroce, qui explique en grande part l’extrême dénuement des pauvres. Du carton pâte. Un tel carton, une telle pâte qu’on peut décemment se demander si Orsenna a vraiment mis le pied sur des chars. Je précise qu’il est ami de trente ans de Jacques Attali. Et qu’il a fait partie de la fameuse commission créée par ce dernier pour la « libération de la croissance » en France. Mais à part cela, il est écologiste. Arrête ton char, Érik, on t’a reconnu !

Y a-t-il un rapport avec moi ? Eh bien oui. Figurez-vous qu’Orsenna a parlé de moi. Pas directement, vous vous en doutez. Un académicien ne se commet pas avec une valetaille de mon espèce. Mais n’empêche. Le 20 octobre, la transnationale philanthrope de l’eau Veolia organisait à Metz un raout destiné aux élus et « décideurs ». Tiens, Orsenna était le grand témoin de la parade. Et, tiens, une journaliste présente lui a posé cette question épouvantable (ici) : « Que pensez-vous d’ouvrages comme Le Monde selon Monsanto de Marie-Monique Robin ou Bidoche. L’industrie de la viande menace le monde de Fabrice Nicolino ? ».

Suspense, hein ? Qu’a bien pu répondre Orsenna ? Il suffit de demander : « Je n’aime pas quand c’est uniquement à charge, les gens qui ne donnent pas de solutions. Le cauchemar de Darwin, pour moi, c’est de la malhonnêteté intellectuelle. On mélange tout, les perches du Nil et le trafic d’armes. Mais quelle espèce faudrait-il introduire dans le lac Victoria pour que les gens mangent à leur faim? Le film ne propose pas de solutions ». Le plus affreux n’est pas dans le ridicule du charmant personnage. Il en a vu d’autres, il en verra de pires, car c’est un spécialiste. Non, le pénible pour moi est de penser aux « solutions » que ce monsieur et ses amis ont mis en œuvre quand ils étaient au pouvoir. Car ils l’ont été. Et longtemps. Et le sont encore, car quelle différence persiste entre un Orsenna, un Attali, un Sarkozy, un Balkany ?

Les solutions du monsieur, on a fini par les bien connaître. La Françafrique et le soutien aux génocidaires du Rwanda. Les banlieues rejetées au plus profond des ténèbres intérieures. La télé vendue à la canaille privée. L’agriculture industrielle promue et soutenue jusqu’à plus soif, pesticides et biocarburants compris. Les oiseaux fourgués aux chasseurs. Le nucléaire fourgué aux Chinois et aux Pakistanais. Et le champagne par-dessus le flot d’immondices, pour oublier ce qui fut fait. En notre nom.

Monsieur Érik Orsenna me connaît. Je ne sais trop pourquoi, mais il m’a repéré. Ne me demandez pas comment, faites-moi confiance. Bien entendu, il n’a jamais ouvert le moindre de mes livres. Mais il y a quinze ans déjà, et ces gens ont la mémoire tenace quand elle touche à leur personne, je commis un petit papier très acide sur lui, lors qu’il défendait publiquement son cher vieil ami Attali. Sur Planète sans visa, le 21 novembre 2007, je récidivai, le moquant encore plus complètement. Le journaliste Jérôme Garcin avait alors écrit à son propos, suite au livre de commande qu’Orsenna avait écrit sur la bombe climatique appelée A380 : « Avec un lyrisme qui évoque l’enthousiasme de Sartre pour l’exceptionnelle productivité des vaches laitières cubaines et rappelle les odes paysannes au maréchal Tito, Orsenna célèbre ici, outre le sacerdoce du “pèlerin” Noël Forgeard, la geste immémoriale des “compagnons de l’A380?, animés par “cette fièvre joyeuse qu’on appelle le goût du travail” et attelés, jour et nuit, entre Saint-Nazaire et Hambourg, à la sculpture d’un “chef-d’œuvre”».

Donc, et parce que je le sais, Orsenna a repéré le petit crétin que je me vante d’être. Érik Orsenna, ci-devant conseiller du ministre socialiste Jean-Pierre Cot, ci-devant conseiller culturel de François Mitterrand, ci-devant conseiller de l’ineffable Roland Dumas – notamment en matière de démocratisation de l’Afrique -, bien entendu conseiller d’État, membre du Haut-Conseil de la francophonie, membre du conseil de surveillance de Canal Plus, membre du conseil de surveillance de Telfrance – « créateur d’audience » audiovisuelle -, membre du conseil d’administration de l’École normale supérieure, évidemment Académicien, donc immortel.

De fait, un tel homme est immortel. Comment lui répondre ? Comment oser répondre à une telle autorité morale et littéraire ? Tant pis, je me lance, non sans avoir vérifié que ce mot figure bien dans le dictionnaire. En tout cas, voici ce que j’ai trouvé dans la sixième édition du dictionnaire de l’Académie française, daté 1835. Une très bonne année, soit dit en passant, où l’on croyait encore avec force à l’émancipation universelle. Mais voici la citation exacte du grand manuel de notre si chère langue : « Merde,prov., fig. et bassem., Il y a de la merde au bâton, au bout du bâton, se dit d’une affaire où il y a quelque chose de honteux ». Il n’y a plus à hésiter, je pense : Merde ! Je me répète sans fatiguer : merde. Et même merdre.

Robert Lion change d’avis (sur Greenpeace)

Le 1er décembre 2008, j’ai écrit ici un article consacré à Robert Lion, devenu quelques jours avant le président du conseil d’administration de Greenpeace-France (). Ce matin, décidé à parler du même au moment où il quitte Greenpeace, j’ai eu la curiosité de taper son nom sur Google, cette araignée géante dont nous tissons nous-mêmes la toile. Eh bien, mon papier de l’an passé était le premier à apparaître ! Je dois avouer que j’ai été surpris. Cela signifie, soit dit au passage, que des milliers et des milliers de gens curieux ont eu l’envie d’en savoir plus sur Robert Lion. Et c’est tant mieux.

Je ne vais pas reprendre ici mon billet. Si vous avez le temps et que vous ne l’avez pas fait, vous pouvez d’ailleurs le lire encore. Je n’ai rien contre la personne de Robert Lion, que je n’ai jamais vu, ni ne souhaite rencontrer. Son itinéraire est en revanche public, et nous concerne tous. Or, Lion aura été au centre des politiques de destruction de la nature en France pendant des décennies. D’abord au service de la droite triomphante de la fin des années soixante. Puis au cabinet du Premier ministre socialiste Mauroy après 1981. Enfin à la tête de la surpuissante Caisse des dépôts et consignations, où il aurait pu faire valoir ses supposées convictions écologistes.

Mais comme il n’en avait aucune, à chaque étape de sa carrière, il suivit la pente de ces hauts fonctionnaires sûrs d’eux-mêmes et de leur intelligence qui ont inventé une nouvelle France, faite d’autoroutes, de villes nouvelles, de rocades, de pesticides et de bidoche industrielle. J’ai dit et je répète que je trouve épatante la mise en mouvement des êtres. À fortiori de ceux qui viennent de loin. Seulement, avec Lion, la question est bien de savoir s’il a bougé. Ou plutôt, non, car il a changé. La vraie question est de savoir s’il est devenu écologiste. Et ma réponse est sans détour : non.

L’an passé, sans doute un peu grisé par son élection à la présidence de Greenpeace, Lion présentait sa venue comme un aboutissement. À 74 ans, il entendait bien mettre ses compétences, son carnet d’adresses, ses relations directes avec les patrons à la disposition de Greenpeace. Mais voilà qu’il part brusquement, annonçant rejoindre les listes Europe-Écologie pour les prochaines élections régionales (ici). Franchement, il va m’être difficile de ne pas ricaner.

Car en effet, de deux choses l’une. Ou bien, comme Lion le clamait avec des trémolos dans la voix l’an dernier, Greenpeace est un lieu exceptionnel pour faire avancer la cause écologiste, et en ce cas, son travail ne fait que commencer. Ou non. Examinons le second terme de l’alternative. Greenpeace n’est pas ce qu’il en avait cru. Son devoir premier ne serait-il pas alors de nous en informer ? Mais s’il n’explique rien, et se contente de tourner les talons, n’est-ce pas pour la raison que l’explication réelle passerait mal ?

J’en fais ici l’hypothèse. Robert Lion, en ce point moderne en diable, est déçu par son nouveau jouet. Où est le fun ? Où est la lumière ? Où ce cachent l’adrénaline, la tension, l’attention, y compris celle des médias ? Robert Lion ne voit rien venir du tout. Dans le même temps, les élections européennes font apparaître sur le devant de la scène des personnages qui ont bien moins apporté que lui au produit intérieur brut, de même qu’au cours moyen du béton armé. Une Éva Joly et un Yannick Jadot – ancien de Greenpeace – chez Cohn-Bendit. Un Robert Rochefort – directeur du Credoc – sur les listes de Bayrou. Et les élections régionales du printemps prochain annoncent la juge Laurence Vichnievsky comme tête de liste dans la région PACA.

Alors, alors le sang de Robert Lion ne fait qu’un (petit) tour. Pourquoi pas lui ? Pourquoi croupir sur un siège fantôme ? Pourquoi répéter après tant d’autres qu’une fois les bornes franchies, il n’y a plus de limites ? Pourquoi se morfondre, quand tant de passages télévisés se profilent à l’horizon pour ce « grand commis de l’État passé à l’écologie » ? Ben, oui, pourquoi diable ? Je vois dans le déballonnage de Robert Lion un signe minuscule, mais réel, de la confusion dans laquelle nous sommes si profondément plongés.

Prenez le cas de Yannick Jadot, ancien directeur des campagnes de Greenpeace. Son passage dans cette association lui aura servi de marchepied pour une carrière politique sans mystère. Député européen écolo depuis le printemps dernier, il a réservé un domaine internet à son nom pour les présidentielles de 2012. Sait-on jamais ? Oui, l’époque est à la confusion des genres et des valeurs. Mutatis mutandis, je m’autorise un rapprochement qui me fera passer pour plus cinglé que je ne suis vraiment. Disons que nous sommes en 1905. Disons.

Il existe alors en France des mouvements, associations, syndicats qui ne jouent pas le jeu. Qui se méfient de l’État. Qui défient les politiciens déjà bien en cours du parti socialiste de l’époque. Qui misent sur l’action. Et qui la pratiquent. Eux ne veulent pas la guerre, que l’on sent venir, et qui va broyer l’Europe, puis l’idée démocratique. Ces divers mouvements, au premier rang desquels la CGT, une CGT qui n’a rien à voir avec la nôtre, feront leur possible pour empêcher le fracas des armes. La mission était impossible, mais ils l’accomplirent jusqu’au bout. Parce qu’il le fallait bien. Eux, certains d’entre eux – anarchistes, syndicalistes révolutionnaires – refusèrent la grande boucherie et les tranchées. Gloire éternelle à Pierre Monatte, Boris Souvarine, Fernand Loriot !

Dans le même temps, les fripons de toujours, drapés dans les plis du drapeau socialiste, s’approchaient à petits pas gracieux du pouvoir d’État. Leurs noms ? Qu’importe ! Presque tous les socialistes en vue de l’époque acceptèrent d’oublier le cri majestueux À bas la guerre ! , le remplaçant en un clin d’œil par des appels à l’union sacrée contre les Germains. Et ne parlons pas de ce traître de (mauvaise) comédie, l’ancien socialiste Millerand, sorte d’Éric Besson avant l’heure. Oublions, passons, car tout passe, on le sait.

Soit, mes rapprochements sont absurdes. Il n’empêche que l’aspiration permanente qu’opère le spectacle concentré me navre. Les hommes et les structures n’y résistent. De ce point de vue, Lion n’est rien d’autre qu’un petit symptôme de plus sur une liste qui grossit d’heure en heure. Mais justement, je pense moi que la crise écologique nous commande l’esprit de résistance. Pas l’esprit de résistance aux petits fours de Jean-Louis Borloo and co, auxquels cèdent chaque midi nos chers écologistes de salon. Non. Je pense à la résistance de l’esprit contre le déferlement des machines et des objets. Je parle de la résistance contre un monstre dont nous ne faisons, pour l’heure, que deviner les contours dans la brume. Ce monstre avance, et nous le rencontrerons tôt ou tard. Ce jour-là, si je puis compter sur quelqu’un, je préférerais qu’il s’agisse d’hommes de la trempe de Monatte ou Souvarine. Ce jour-là, je ne sais que trop que les Robert Lion de ce monde, si nombreux, si pathétiques, si dérisoires, ne seront pas là.

Siphonnés et siphonneurs s’attaquent à un lac (cambodgien)

Y a-t-il plus prédateur, plus destructeur, plus violent qu’un ancien bureaucrate stalinien devenu capitaliste ? Je ne suis pas certain. Les gens qui ont servi les régimes communistes ont appris d’eux le mépris abyssal du peuple, des petits et des sans-grade. Voyez ce qui s’est passé dans l’ancienne Union soviétique, où des milliers de cadres de l’État et des « organes » – le KGB – se sont rués sur le pétrole, l’acier, le gaz, les forêts.

En Chine, il y a une sorte de coexistence entre pontes momifiés du maoïsme et grands managers de taille désormais internationale. Et parfois, les premiers, ou leurs enfants, sont les mêmes que les seconds. Vous verrez, nous verrons tous ce qui se passera à Cuba, quand le stalinisme tropical des frères Castro aura disparu, ce qui ne devrait plus tarder. La Havane, cette formidable ville au bord de la mer, est déjà aux mains, clandestinement, de certains chefs castristes qui continuent de mimer la révolution tandis qu’ils préparent l’invasion. L’invasion du dollar et de la spéculation immobilière. Il ne faudra plus longtemps avant que le Malecón, ce boulevard qui sépare La Habana Vieja de la mer ne devienne le rendez-vous des vrais grands friqués de la terre.

Reste – entre autres – le cas cambodgien. Je résume et survole : en janvier 1979, après une guerre-éclair, l’armée vietnamienne s’empare de Phnom-Penh, la capitale des Khmers rouges. Les grands voisins de Hô-Chi-Minh-Ville, qui ont tant aidé ces criminels à prendre le pouvoir en 1975, ne supportent plus un régime proche de la Chine, cette Chine qu’ils ont fini par abhorrer. Les Khmers rouges s’enfuient, et un nouveau régime, favorable aux intérêts vietnamiens, prend leur place.

Après quelques péripéties sans intérêt, le parti fantoche des Vietnamiens devient Kanakpak Pracheachon Kâmpuchéa, soit le Parti du peuple cambodgien (PPC). « Communiste » évidemment, ce mouvement se révèle n’être qu’un regroupement d’affairistes comme il est peu dans le monde. On a beau chercher dans les recoins, on ne trouve guère : le Cambodge d’aujourd’hui est littéralement vendu, pièce par pièce, à qui veut bien acheter. L’ONG Transparency International – certes, ses chiffres sont discutables – classe chaque année les pays de la planète en fonction de leur degré supposé de corruption. En 2007, le Cambodge occupait la 162 ème place sur 179.

Si j’évoque le sort de ce pays martyre, c’est parce qu’un nouveau projet de forban menace le seul lac de la capitale, Bœung Kak. Des milliers de pauvres sont installés sur ses rives, dans des cahuttes en bois surmontées de tôle ondulée, avec hamacs. Ils pêchent, cultivent du liseron d’eau, farfouillent, bricolent, survivent. Les puissants du palais, de leur côté, se remplissent les poches aussi vite qu’ils peuvent car, évidemment, combien de temps peut durer un tel pillage ? Tout y passe en effet : le bois tropical, les pierres précieuses, les femmes, les gosses. Tout.

L’été 2008, les riverains du lac Bœung Kak apprennent sa disparition programmée. Vous avez bien lu, comme moi : disparition. Un sénateur du parti au pouvoir, Lao Meng Khin, a été opportunément nommé directeur d’une société coréenne, à moins qu’elle ne soit japonaise, qui s’appelle en tout cas Sukhaku. Et son ami le gouverneur de Phnom Penh, lui aussi hiérarque du PPC, a aussitôt décidé de lui vendre le lac, tout bonnement, pour la somme de 79 millions de dollars. Je ne vous ferai pas l’injure de vous demander où ira cet argent.

Quant au lac, on le siphonnera en totalité, de manière que poussent en lieu et place des centres commerciaux et des résidences de luxe en priorité destinés aux touristes étrangers, cette lie de toute terre humaine. Si vous souhaitez en savoir davantage, je vous laisse deux liens en français. Le premier est un communiqué d’Amnesty, que je trouve pour ma part lamentable, qu’on me pardonne (ici). Tel que je le lis, il donne son accord à la destruction, à la condition d’y mettre les formes. Le second est un article fort bien fait d’une Française installée en Asie, Catherine Monin (ici). Bien des choses y sont dites, y compris entre les lignes.

Encore des mauvaises nouvelles ? Je le crains. J’en suis même à peu près certain. Et je comprends de mieux en mieux ceux qui se bouchent les oreilles et se pincent le nez. Mais je ne sais pas faire autre chose de mes dix doigts. Notez qu’il est encore temps, peut-être, de me lancer dans le maraîchage. Ne riez pas, j’y songe.