Archives mensuelles : juillet 2009

La moitié d’un pain et un livre (sur Federico García Lorca)

J’ai la chance insolente d’aimer de passion Federico García Lorca. Elle est insolente, car je n’ai rien fait pour cela. J’aime, voilà. Dans la langue castillane qu’utilisait le poète, les mots sont des nuages, des ombres et des silhouettes, des regards ou des caresses, d’innombrables émotions. On rencontre Séville, on traverse des ponts, on se laisse mener par le bout du museau de chevaux noirs. Tout y est beau. Par prodige, celui qui entre dans l’univers pourtant fracassé de García Lorca n’y trouvera ni laideur ni bassesse. Il lui faudra penser à la grandeur de l’âme, à ce que peut bien signifier une existence humaine.

Fracassé. Oui. Tout le monde (ou presque) sait que Lorca a été assassiné en 1936 dans les rues de Grenade, cette ville qu’il adorait. Par la canaille fasciste qui se levait alors contre la République. Lorca était né en 1898 dans un village non loin de Grenade, Fuente de Vaqueros. En septembre 1931, alors que la deuxième République espagnole n’a que cinq mois, et que se répand l’espoir fou d’une vie neuve, il revient chez lui pour un discours, à l’occasion de l’inauguration d’une bibliothèque. La foule réunie est de pauvres et de gueux. Federico pourrait lâcher quelques mots sur les monarchistes honnis, les fascistes qui, déjà, menacent l’Espagne, les patrons qui exploitent leurs ouvriers agricoles jusqu’à la mort. Mais non.

Non, car ce poète ne pouvait jamais dire que la quintessence. Et ce jour-là, il explique à des miséreux qu’un livre est essentiel à toute vie digne d’être vécue. Car il est horizon. Car il est liberté. Il dit ainsi : « L’homme ne vit pas seulement de pain. Et si j’avais faim, si j’étais désemparé dans la rue, je ne demanderais pas un pain. Non, je demanderais la moitié d’un pain et un livre ». Et encore ceci : « Tous doivent jouir des fruits de l’esprit humain, faute de quoi ils seront changés en machines au service de l’État, en esclaves d’une terrible organisation sociale ». Enfin, insistant sur l’importance cruciale de la culture, Lorca conclut : « C’est seulement au travers d’elle que pourront être résolus les problèmes dont discute aujourd’hui le peuple, plein de foi, mais pauvre de lumières ».

Je vous laisserai lire plus bas le texte original, pour ceux qui aiment être bercés par la musique de cette langue si singulière. Un dernier mot. Pourquoi ? Parce que. Parce que juillet a toujours été pour moi, et demeurera, le mois de l’été et celui du golpe criminel du général Francisco Paulino Hermenegildo Téodulo Franco y Bahamonde. Les noms de Buenaventura Durruti, Andreu Nin et bien entendu Lorca, continuent de vivre en ma compagnie.

Faut-il oser un mot sur la crise écologique ? Pour sûr. Sans culture, sans la création d’un vrai mouvement culturel des profondeurs, dont nul ne peut encore prévoir les contours, rien ne changera. Rien. Les pitres que nous connaissons tous, dont certains affublés d’oripeaux « écologistes » continueront de régner sur ce monde qui agonise. Oui, Lorca a raison. Des livres, des vrais ! De la culture, et non les épouvantables succédanés qu’on nous oblige à ingurgiter ! Des penseurs ! De la pensée ! Et de la poésie. « ¡Libros! ¡Libros! Hace aquí una palabra mágica que equivale a decir : “amor, amor” .»

Locución de Federíco García Lorca al Pueblo de Fuente Vaqueros 

 « Cuando alguien va al teatro, a un concierto o a una fiesta de cualquier índole que sea, si la fiesta es de su agrado, recuerda inmediatamente y lamenta que las personas que él quiere no se encuentren allí. ‘Lo que le gustaría esto a mi hermana, a mi padre’, piensa, y no goza ya del espectáculo sino a través de una leve melancolía. Ésta es la melancolía que yo siento, no por la gente de mi casa, que sería pequeño y ruin, sino por todas las criaturas que por falta de medios y por desgracia suya no gozan del supremo bien de la belleza que es vida y es bondad y es serenidad y es pasión.

Por eso no tengo nunca un libro, porque regalo cuantos compro, que son infinitos, y por eso estoy aquí honrado y contento de inaugurar esta biblioteca del pueblo, la primera seguramente en toda la provincia de Granada.

No sólo de pan vive el hombre. Yo, si tuviera hambre y estuviera desvalido en la calle no pediría un pan; sino que pediría medio pan y un libro. Y yo ataco desde aquí violentamente a los que solamente hablan de reivindicaciones económicas sin nombrar jamás las reivindicaciones culturales que es lo que los pueblos piden a gritos. Bien está que todos los hombres coman, pero que todos los hombres sepan. Que gocen todos los frutos del espíritu humano porque lo contrario es convertirlos en máquinas al servicio de Estado, es convertirlos en esclavos de una terrible organización social.

Yo tengo mucha más lástima de un hombre que quiere saber y no puede, que de un hambriento. Porque un hambriento puede calmar su hambre fácilmente con un pedazo de pan o con unas frutas, pero un hombre que tiene ansia de saber y no tiene medios, sufre una terrible agonía porque son libros, libros, muchos libros los que necesita y ¿dónde están esos libros?.

¡Libros! ¡Libros! Hace aquí una palabra mágica que equivale a decir: ‘amor, amor’, y que debían los pueblos pedir como piden pan o como anhelan la lluvia para sus sementeras. Cuando el insigne escritor ruso Fedor Dostoyevsky, padre de la revolución rusa mucho más que Lenin, estaba prisionero en la Siberia, alejado del mundo, entre cuatro paredes y cercado por desoladas llanuras de nieve infinita; y pedía socorro en carta a su lejana familia, sólo decía: ‘¡Enviadme libros, libros, muchos libros para que mi alma no muera!’. Tenía frío y no pedía fuego, tenía terrible sed y no pedía agua: pedía libros, es decir, horizontes, es decir, escaleras para subir la cumbre del espíritu y del corazón. Porque la agonía física, biológica, natural, de un cuerpo por hambre, sed o frío, dura poco, muy poco, pero la agonía del alma insatisfecha dura toda la vida

Ya ha dicho el gran Menéndez Pidal, uno de los sabios más verdaderos de Europa, que el lema de la República debe ser: ‘Cultura’. Cultura porque sólo a través de ella se pueden resolver los problemas en que hoy se debate el pueblo lleno de fe, pero falto de luz ».

Septiembre de 1931

 


La France et le principe de destruction (barrages sur le Mékong)

Notre pays, grand et généreux, est la patrie des droits de l’homme. Et conquérant, avec ça. En 1858, nos troupes débarquent en Annam sous les ordres du vice-amiral Rigault de Genouilly. L’Annam, je le précise, fait partie du Vietnam d’aujourd’hui. L’Indochine dite française vient de naître. En 1946, près d’un siècle après, la France libérée du fascisme se lance dans une guerre barbare contre les nationalistes – communistes – du Vietnam, et finissent par prendre une raclée dans la cuvette de Dien-Bien-Phu en 1954. Le pays – le Vietnam – est coupé en deux, ce qui prépare la piste pour une seconde guerre, américaine, qui conduira aux gentils épandages de dioxine sur la forêt tropicale.

Pourquoi cette courte histoire ? Parce que nul n’entend se souvenir de rien. Ce pourrait être l’étendard de nos sociétés malades : l’oubli alzheimerien. Quoi qu’il en soit, je vais vous toucher deux mots du Mékong, l’un des plus beaux, l’un des plus grands fleuves du monde. Né au Tibet, il passe par la Chine, le Myanmar (Birmanie), Le Laos, la Thaïlande, le Cambodge, le Vietnam. La biodiversité créée et entretenue par ce géant est à ses dimensions. Et sa productivité biologique est prodigieuse. Il y aurait 1300 espèces de poissons dans ce fleuve et pour ne prendre qu’un exemple, sachez que 70 % des protéines des villageois cambodgiens proviennent du poisson.

Il y a seulement deux ans, le 13 novembre 2007, 175 associations du monde entier adressaient une lettre ouverte aux dirigeants de l’Asie du sud-est. Du monde entier, d’ailleurs, non. Un seul groupe français avait apposé sa signature, Les Amis de la Terre. Les autres devaient dormir (ici), le ventre plein. Que voulaient les éveillés ? Alerter sur les extrêmes dangers d’un plan de six barrages géants sur le Mékong. Le fleuve abreuve et nourrit des dizaines de millions d’humains et des milliards de non-humains. Tous ses écosystèmes naturels seraient à jamais altérés, appauvris, banalisés, détruits bien entendu par de tels ouvrages.

Évidemment, aucune réponse. Évidemment, la France, d’autres pays européens, la Commission de Bruxelles financent le massacre. Entre-temps, le plan est passé de 6 à 11 barrages majeurs sur le cours du fleuve (ici). Car il s’agit d’un plan, stratégique et donc implacable. Les pays de la région entendent « développer » leur économie de la même manière que le fit la nôtre (ici). Notre lamentable sort matériel, ici, est lié par force à la création, là-bas, de routes, d’autoroutes, d’antennes-relais pour les téléphones portables, de grosses bagnoles, de turbines, de tranches nucléaires, de TGV. Sans oublier la traduction en lao, khmer et ti?ng vi?t des jeux télévisés de TF1.

Or donc, sans vaste mouvement mondial, le Mékong va droit à la mort. Chacun s’en moque, mais il est presque certain que des animaux aussi rares que le poisson-chat géant du Mékong (Pangasianodon gigas) ou le dauphin d’Irrawaddy disparaîtront au passage. Ainsi. Et qu’au moins nos écologistes officiels, qui passent la main dans le dos de Jean-Louis Borloo chaque matin et chaque soir, ne prétendent pas qu’ils ne savaient pas. Car ils savent, et tout, croyez-moi. Ils savent, mais comme leur pensée n’existe pas, ils semblent en fait ne rien comprendre à ce qui se passe.

Eppure, pourtant, c’est simple. Mais oui. Un principe mène le monde jusque dans le moindre détail, et c’est celui de la destruction. En l’occurrence, peu importe le pourquoi. Car nous pouvons, car nous devons tomber d’accord sur le comment. Oui certes, la machine a échappé à son concepteur, et avance sans relâche. Qu’elle se nomme capitaliste, qu’elle s’appelle ailleurs socialiste, puisque le mot communiste est proscrit, n’y change absolument rien. La destruction règne en maîtresse sur la marche du monde.

Et c’est bien pourquoi aucun accommodement n’est possible. Les boutiquiers qui entendent sauver un doigt pendant qu’on arrache un à un tous les membres de l’être sont des boutiquiers. Quand je vois ceux de France Nature Environnement (FNE) se réjouir de la future création d’un parc national (ici), je me dis que, décidément, ils font partie de ce tout qui avance en dévorant. Pas un mot sur la destruction d’un des plus grands fleuves du monde, et des risettes télévisées pour quelques centaines d’hectares en France. Oh !

En attendant mieux, laissons libre une partie de notre cerveau, qui servira peut-être un jour ou l’autre. Il est des jours où j’aimerais inventer un autre mot qu’écologiste pour désigner ce à quoi je crois. Car partager ce mot avec ces autres-là, franchement, est-ce bien acceptable ?

Une paire de fesses géantes (au bord de l’eau)

Des fois, ne rien penser. Hier, la rivière. Plus haut que d’habitude. Vers la montagne, vers la petite montagne où elle prend sa source. Là-haut, le granite a remplacé les quartzites et les schistes du bas. Pour arriver au point où j’ai fait le vide en moi, il faut dépasser D., puis C., qui est encore plus petit, bien plus petit.

Après C., compter un kilomètre le long de cette minuscule départementale grillée par juillet, et s’arrêter. À main droite coule la rivière. Dans le creux, dans la roche, dans la gorge profonde. On voit très clairement la fantaisie d’un méandre, qui encercle une butte boisée. Pour se rapprocher, il faut se jeter dans les genêts, les petits chênes qui s’accrochent vaille que vaille, puis les pins sylvestres. Dans l’ombre, il y a même quelques hêtres.

Pourquoi ce lieu-ci ? Il faut en finir avec cet insupportable suspense : cette butte boisée compte quelques ruines d’une antiquité vieille de dix siècles, le château de V. Si je m’appelais Maurice Leblanc, il ne fait guère de doute que j’aurais convoqué sur place Raoul de Limézy, Louis Valméras, le prince Paul Sernine, Don Luis Perenna, Jim Barnett, Jean d’Enneris, Raoul d’Avenac, ou encore Victor Hautin le flic, tous avatars, alias et pseudonymes d’Arsène Lupin. Car ces ruines, bien que cachées sous la mousse des siècles, font croire l’aventure encore possible. Quelle atmosphère !

La rivière, dessous, fait craquer à son rythme des blocs de granite de 100 tonnes. Et plus. Et moins. Il en est de tout droits, levés à la perpendiculaire, que des ruissellements finissent par entailler du haut jusqu’en bas. Il y en a de tout allongés, formant des bancs, des sièges, d’énormes dalles et platiers adoucis par les eaux inlassables. Lesquelles sont vertes, jaunes et froides, tentatrices au-delà de ce que je peux décrire.

Or donc, ne rien penser. C’est dur. J’ai passé une heure allongé sur la pierre, protégé du soleil fou par une masse de trente tonnes. L’ombre du granite était délicieusement froide, et j’avais deux livres en mains, ce qui n’est jamais une bonne idée. D’abord le tome trois des aventures de Jack Aubrey, capitaine de la Navy au temps de Napoléon. Aubrey et son ami Stephen Maturin, chirurgien mais aussi fameux naturaliste, écument les mers du monde pendant plus de vingt ans, et au cours de plus de vingt romans (signés Patrick O’Brian, chez Omnibus). Mais je n’ai pas pu, et le livre m’a servi d’oreiller. Confortable, je dois dire. L’autre bouquin était signé d’un certain Balzac, évoquant cette Comédie humaine dans laquelle nous sommes tous plongés.

J’ai bien tenté de m’intéresser aux aventures du jeune Lucien, qui n’a pas encore quitté Angoulême, mais rien à faire. Le livre m’est littéralement tombé des mains, puis a glissé dans un entonnoir de granite, sans heureusement atteindre l’eau. Et cette fois, j’ai cessé de lutter contre la puissance du monde, enfin. Je vous explique. La tête posée sur Jack Aubrey, j’avais, en ouvrant les yeux, la vision enthousiasmante d’une paire de fesses colossales juste au-dessus de moi. À n’y pas croire. À se pincer. La falaise  derrière moi arrondissait ses formes d’une façon hallucinante. Je suis bien obligé de vous parler d’un cul géant, magnifique, inoubliable. Et, pour je ne sais quelle obscure évidence, féminin.

Donc, ce cul. Je ne pouvais, restant allongé, voir ma si chère rivière. Mais sa musique inimitable entrait en symphonie par mon oreille gauche pour s’évanouir par la droite. Le vent qui venait de l’eau, donc de mes pieds, était saharien mais bienfaisant, et je le respirais calmement, par le nez, sans nulle cesse. Je me répète : la pierre refroidie, la musique, le vent chaud dans les narines, et même un filet d’air qui, circulant à travers les failles derrière moi, venait me rafraîchir la nuque. Je ne mens ni n’en rajoute. Ou plutôt si, il me faut bien ajouter qu’en jouant des yeux sans bouger la tête, je voyais sur l’autre rive le dessin vert et rouge des pins sylvestres se dessiner sur le ciel bleu.

Bon, et après cela ? Après cela, pour la raison que je suis un obsédé, j’ai songé à la crise écologique. Ce n’était pas l’endroit le mieux indiqué, mais enfin, y en a-t-il ? Oui, j’ai songé à cette terrible crise de la vie sur terre, qui menace tous les édifices. Et pour la énième fois, j’ai constaté que notre temps humain ne nous prépare guère aux changements radicaux qui ont d’ores et déjà commencé. Notre temps est petit, pour ne pas dire mesquin. La rivière, par exemple, considère son œuvre aux dimensions inouïes de l’éternité, ou presque. Nous voulons juste passer à travers les gouttes, espérant que nos enfants ne seront point trop douchés, rêvassant, dans notre indolence coutumière, au sort on ne peut plus éventuel de nos petits-enfants. Pour le reste, rideau.

Avouons-le, c’est embêtant. Car justement, pour affronter la crise écologique, il faut et faudra toujours plus considérer le temps. Un temps qui n’est pas le nôtre, pauvres petits humains que nous sommes. Mais un autre, immensément étiré le long des berges de la rivière. Où je compte bien retourner regarder cette fabuleuse paire de fesses en dessous du ciel, au-dessus de l’eau.

Farce estivale dans les Pyrénées (avec montreur d’ours)

Sur le papier, ce n’est pas très drôle. Mais comme je suis un dur à cuire, je me marre tout de même. Pensez ! Les écolos pyrénéens de France Nature Environnement (FNE) sont colère. Je parle là de la grande association régionale nommée Uminate (Union Midi-Pyrénées nature environnement, devenue depuis peu France Nature Environnement Midi-Pyrénées, ici. Faut suivre, je vous jure).

Donc, Uminate est colère. Et le fait savoir par un communiqué de presse qui parle de provocation dirigée contre la protection de la nature et de l’ours. Je cite : « Les associations de protection de la nature viennent de prendre connaissance de l’arrêté du Ministère de l’Ecologie désignant les nouveaux membres du Conseil d’Administration du Parc National des Pyrénées (…) Désormais, avec cet arrêté, c’est une représentante de l’Association pour la Protection du Patrimoine pyrénéen (ASPP 65) qui siègera pour la défense des fragiles écosystèmes et de la biodiversité de nos montagnes. Jusqu’ici, Mme Broueilh siégeait déjà au CA du Parc, comme représentante de la chambre d’agriculture des Hautes-Pyrénées. Créée en 2000, l’ASPP 65 représente en effet essentiellement divers éleveurs et agriculteurs du département ».

Disons-le, c’est farce, et grandiose. L’association qui « représentait » officiellement la nature au conseil d’administration du parc national des Pyrénées s’est fait piquer sa place par une madame Broueilh, qui s’occupe donc de l’ASPP. Ce nom, déjà : on en mangerait. Si vous avez l’envie de vous distraire, allez donc faire un tour sur le site de madame Broueilh (ici), car l’on y rigole follement. Extrait : « La montagne offre un paysage que les visiteurs aiment parcourir ; c’est l’oeuvre du paysan avec les troupeaux qui n’ont cessé d’y inscrire leurs empreintes depuis trois mille ans.
Aujourd’hui, l’implantation artificielle de fauves bénéficiant de toutes les protections vient saccager ce résultat et annonce la disparition de l’élevage et avec lui la remarquable biodiversité que nous rencontrons dans les Pyrénées »
.

Ainsi donc, le Parc national des Pyrénées (PNP) défendra désormais l’ours en confiant le dossier à qui veut se débarrasser de « fauves ». Avouons-le, c’est nouveau et intéressant. Un mot sur ce parc imbécile, qui ne nous fera pas de mal. Créé en 1967,  le PNP a dès les origines essayé d’éviter l’ours, découpant son territoire central de manière qu’il ne soit pas situé dans sa zone centrale, là où la protection pouvait jouer à plein.

Si j’écris imbécile, ce n’est pas, malgré l’apparence, pour insulter. Je sais le travail proprement admirable de tant d’agents de ce parc en faveur de la nature. Non, je ne parle pas d’eux, mais de cette structure faiblarde, trouillarde, paniquarde à l’occasion, où des petits bureaucrates faisant carrière ont toujours démissionné devant les gueulards. Le fait est qu’en 1967, il y avait dans l’ouest des Pyrénées une trentaine d’ours. Le fait est qu’il en reste trois, ou deux. Moins, qui sait ?

L’espèce est perdue. On a réintroduit dans les Pyrénées centrales – ohé, Alain Reynes, ohé François Arcangeli ! – des ours capturés en Slovénie, qui ont fait la preuve évidente que les Pyrénées pourraient accueillir une forte population d’ours. Mais ne nous mentons pas : le lien entre cette montagne et ses ours, qui avait tenu tant de milliers d’années, est rompu. Et c’est une tragédie qui renvoie évidemment à notre impuissance collective.

Pour en revenir à Uminate, j’ajouterai ma poignée de poivre habituelle. Comment se fait-il qu’une association écologiste – mais l’est-elle ? – a pu laisser disparaître une espèce comme l’ours sans le moindre cri authentique ? Et pourquoi ? La vilaine manière de l’arrêté de création du conseil d’administration du parc n’a été possible que parce que le pouvoir savait où il mettait les pieds. Il les mettait, les met et les mettra là où il sait que nul ne le poussera hors du chemin.

Je pourrais et devrais poursuivre, mais je suis un poil démoralisé. Je devrais, car toute la chaîne pyrénéenne est en ébullition relative. Les ennemis de l’ours et de la vraie nature se mobilisent partout. Un Jean Lassalle, député du Modem, grand défenseur du tunnel du Somport, grand contempteur de l’ours malgré toutes ses palinodies, vient d’écrire à Sarkozy (1) une lettre bouffonne. Il y proteste contre une réforme du parc national, dont la surface doit être multipliée ar cinq, accusant « Paris » de vouloir changer les valléens – les siens – en « sous-hommes surveillés jour et nuit dans [des] réserves » . Cet homme a l’art du ridicule, poussé à l’extrême. Où s’arrêtera-t-il ? Je l’ignore, mais il ira loin, bien plus loin encore.

Des potentats dans son genre, souvent plus petits encore, les Pyrénées en sont pleines. C’est à pleurer. Louis Dollo, par exemple, dont j’ai du mal à seulement écrire le nom (lire ici). Il annonce triomphalement la création d’une nouvelle association, qu’il présente de la sorte : « Comité des vallées, d’Aspe, Ossau, Barétous et Ouzoum libre, pour la défense des droits des valléens, de leurs us et coutumes mais aussi le développement durable et la biodiversité (ici) ». Ces gens sont bien entendu les amis de madame Broueilh, citée au début de ce trop long papier.

Alors ? Alors et bien sûr, plus aucune avancée n’aura lieu sans un vrai débat public à l’intérieur du mouvement écologiste. Avec au programme quelques questions qui ne sont pas souvent abordées, sans doute parce que la réponse fait peur. Par exemple : à qui appartiennent les Pyrénées ? Par exemple : à qui appartiennent les ours ? Par exemple : la défense de la biodiversité ne crée-t-elle pas un droit nouveau, neuf et supérieur ? Par exemple.

En attendant ce jour heureux qui tarde tant, je jette un coup d’oeil sur le vallon, depuis la fenêtre. Mon vallon à moi. Il est toujours là, toujours aussi merveilleux. Il y avait hier une martre dans l’un des champs en contrebas. Qu’on ne vienne pas me chercher ici !

(1) Je ne parviens pas à rendre valide l’adresse où l’on peut lire en intégralité la lettre de Lassalle. Voici le lien, pour les aficionados : www.pyrenees-pireneus.com/PNP-Jean-Lassalle-ecrit-au-President-republique-sarkozy-1-juillet-2009-Parc-National-Pyrenees.pdf –

Lanillis, riante commune bretonne (avec pesticides)

Foldingue comme tout. Lannilis est une petite ville bretonne de 5 000 habitants, coincée entre deux abers, c’est-à-dire des rias. Qu’est-ce qu’une ria ? Bonne question. Un aber – donc une ria -, est cette partie de la vallée d’un fleuve que la mer recouvre à marée haute. C’est beau. Cela peut être très beau, comme l’est le Goyen entre Pont-Croix et Audierne, pour ceux qui connaissent.

Donc, Lannilis, au nord de Brest, tout près de ce furieux Atlantique que j’adore. Mais la zone entière, alentour, qu’on appelle le Léon, est sinistrée. Sur le plan écologique, qui commande tout, je radote. Avant, le Léon était pauvre, très pauvre. Une terre à paysans, s’échinant sur des parcelles toujours plus petites, à mesure que se succédaient les héritages. Si j’écris cela, c’est pour me faire bien voir. Pour montrer que je ne suis pas un nostalgique. Alors que je le suis.

Et puis vint Alexis Gourvennec. Un paysan pauvre, lui aussi, plein d’idées neuves, dont certaines ont tout révolutionné ici et là. En 1961, alors qu’il n’a que 25 ans, il lance la Société d’intérêt collectif agricole (Sica) du pays de Léon. Puis quantité d’autres choses. Il triomphe. La Sica devient une arme de guerre commerciale, qui permet aux petits paysans de se fédérer, et de ne plus brader leurs choux-fleurs et leurs artichauts.

Ce mouvement obtient de Paris, ce Paris gaulliste des années 60 – Edgard Pisani en tête -, quantité de crédits, qui seront utilisés pour des routes, un port en eau profonde, Roscoff, des lignes téléphoniques, etc. Le progrès, quoi. Côté légumes, idem. Engrais, tracteurs et pesticides à tout va transforment le Léon en ce que les journalistes appelèrent la « ceinture dorée » de la Bretagne. Un monde avait changé de base.

Et maintenant que le progrès a passé ? Eh bien, la région ne peut plus boire son eau, farcie par toutes les molécules chimiques épandues depuis cinquante ans. J’écris cela en pensant aux Chroniques martiennes, livre de science-fiction de Ray Bradbury. Car nous sommes dans la science-fiction, non ? Un pays soi-disant moderne qui ne peut plus boire son eau n’existe plus que dans les romans, non ?

Si. La suite le démontre aisément. En mai dernier, on découvre une extraordinaire pollution dans un forage en profondeur, à plus de 140 mètres, censé abreuver Lannilis à partir de 2010. Désormais, en effet, il faut aller chercher de l’eau là où les molécules ne sont pas – pas encore – arrivées. Tout est très bien détaillé sur le site de l’association S-EAU-S (ici). J’en profite pour signaler l’excellent travail critique de l’écologiste breton Gérard Borvon.

Revenons à la pollution du Lanveur, ce fameux forage. Au cours d’un simple contrôle de routine, on découvre 5,9 microgrammes par litre de métazachlore, un herbicide redoutable. Soit la bagatelle de 59 fois la dose légale admissible. Le maire porte plainte, la population s’affole, à juste titre. À l’heure où j’écris, le plus probable est qu’un foutu connard a jeté du poison dans ce qui devait servir à toute la communauté.

Mais les questions ne s’arrêtent pas là. Car pour l’heure, les besoins de Lannilis en eau dépendent à 60 % d’une usine de traitement située sur une rivière affreusement polluée, l’Aber-Wrac’h. L’usine de Kernillis joue à répétition un épisode de Mission Impossible : rendre buvable ce qui ne le sera plus jamais. Pour ne pas priver d’eau une zone de 80 000 habitants, la rivière jouit – est-ce bien le mot ? – de dérogations sans fin. Une loi européenne interdit en effet d’utiliser une eau qui contient plus de 50 mg de nitrates par litre d’eau, même pour la dénitrifier et la rendre « potable ». Après d’innombrables discussions de marchands de tapis, l’Aber-Wrac’h a obtenu un dernier (?) sursis. À la fin 2009, elle ne devra pas dépasser plus de 18 jours dans l’année la valeur maximale de 50 mg de nitrates par litre. Or elle l’a fait 200 fois en 2008 !

Résumons. Le captage en eau profonde, prévu en 2010, a été salopé par un salopard. Sera-t-il aux normes d’ici là ? Nul ne sait. Il faudrait sans aucun doute prévoir des mesures – sévères – de protection de la zone de captage. Bonjour l’ambiance. Et dans le cas où ce forage ne serait pas utilisable l’an prochain, Lannilis pourrait bien dépendre à 100 % de l’usine de Kernilis, qui pompe dans une rivière si dégueulasse qu’elle pourrait, au moins théoriquement, devoir fermer.

Voici une gracieuse boucle qui se referme sur le clac d’une mâchoire d’acier. Dernier point : faut-il incriminer Gourvennec, l’homme de la « modernisation » du Léon ? Là est toute la question, à laquelle je vous laisse réfléchir. Mais si vous en arriviez à cette conclusion, je vous conseillerais alors de penser aussi à Edgard Pisani. Oui, le vieux sage. Je ne me moque pas, je le jure. Pisani a pris les armes contre les fascistes allemands, ce qui ne peut s’oublier. Aujourd’hui qu’il a 91 ans, plus personne n’ose dire le moindre mal de lui. Il est celui qui a tout vu et tout compris avant le reste du monde.

Ce pourrait être vrai, mais c’est faux. Nul davantage que lui n’a voulu cette Bretagne folle de ses élevages concentrationnaires, de ses lisiers et de ses eaux innommables. D’ailleurs non, il n’a rien voulu. Mais il a fait, Dieu sait. Avec l’aide d’une armée de technocrates, d’ingénieurs, et de Gourvennec. Et maintenant que sonne l’heure des bilans, tiens donc, il n’y a plus personne pour assumer quelque responsabilité que ce soit. Je rappelle que Pisani est devenu sur le tard socialiste. Je rappelle que Cresson, Rocard, Nallet, tous socialistes ci-devant ministres de l’Agriculture, pensaient comme Pisani, et firent de même. Je rappelle que je n’aime pas ces gens. Je rappelle que leurs clones sont au pouvoir, qui lancent sans que nul ne se lève les nanotechnologies et les biocarburants. Je rappelle que j’en ai marre.