Archives mensuelles : octobre 2015

À l’attention des malheureux non-lecteurs de Bidoche

Bonjour. Pour ceux qui suivent, les balles des frères Kouachi continuent leur sale besogne. Je suis entre deux eaux, parfois entre deux vins. Souvent. Mais que voulez-vous ? Ces derniers jours – ce matin encore -, j’ai été sollicité par des radios et des télés pour venir parler de viande. Vous n’ignorez sans doute pas que l’OMS, via le CIRC, vient de classer la charcuterie parmi les cancérogènes avérés et la viande rouge parmi les cancérogènes probables.

J’ai refusé toute invitation. D’une part, je suis loin de Paris, face à la mer. De l’autre, je me souviens quand même d’avoir publié il y a six ans le livre Bidoche (L’industrie de la viande menace le monde). Je ne crache pas au visage de ceux qui découvrent la Lune, car la compréhension du réel demande du temps. Mais franchement, je ne me sentais pas d’aller faire le guignolo après avoir écrit ce qui suit. Qui est un (gros) extrait du chapitre 11 de mon livre, intitulé Et si ça fichait le cancer ?

BIDOCHE (Cette version n’est pas le texte définitif imprimé, et il a pu subir quelques corrections)

Peut-on manger de la viande en toute tranquillité ? Ne risque-t-on pas d’attraper au passage toutes sortes de cochonneries, dont ce si vilain cancer ? Curieusement, il n’y a pas de vrai suspense : la réponse est oui. Oui, il faut faire attention. Oui, cela peut devenir dangereux. Et voici pourquoi.

Sommes-nous protégés ? Les effets de la viande sur notre santé sont-ils bien évalués ? Aux États-Unis, on ne s’embête pas pour si peu de chose. On a le droit d’être industriel du porc ou du bœuf, puis de faire de la politique, et retour. Voyons de plus près le sanguinolent exemple de deux secrétaires d’État à l’Agriculture – des ministres – sous la direction avisée de Ronald Reagan. Nous sommes en 1981, et l’ancien acteur, qui vient d’être élu, nomme son ministre des Affaires agricoles, John R. Block. Au cours de l’audition publique précédant sa prise de fonctions, cet éleveur industriel de porcs de l’Illinois déclare sans manières : « Je ne suis pas sûr que le gouvernement doive dire aux gens ce qu’ils doivent ou non manger. »

Et pour mieux se faire comprendre, il supprime l’une des agences du ministère chargées de la santé, le Human Nutrition Center. Après son départ en 1986, il continuera son bonhomme de chemin, devenant président du Food Marketing Institute – est-il besoin de traduire ? – et conseiller avisé, pour cause, d’une coalition de porchers américains, la Pork Trade Action Coalition (PTAC), dont la fière devise est : « Don’t tax our pigs ! »

Lee Harding, colosse à terre

En 1986, Ronald Reagan, dont il n’a échappé à personne qu’il a le même prénom que la mascotte de McDo, embauche un nouveau ministre : Richard Lyng. Pas tout à fait nouveau, car Lyng a été sous-secrétaire d’État, sous les ordres de Block, entre 1981 et 1986. Et, avant cela, un gros paysan industriel comme les aime tant l’Amérique. Mais pas seulement : de 1973 à 1979, Lyng a aussi été président de l’Institut américain de la viande, le plus grand lobby de la bidoche outre-Atlantique.

Reposons la question de départ, en la modifiant un peu : les Américains sont-ils bien protégés contre d’éventuels effets de la consommation de viande ? Ce n’est pas si sûr. Ouvrons une étude parue aux États-Unis en 1996, publiée cet USDA (United States Department of Agriculture, soit le ministère de l’Agriculture) qu’ont dirigé Block et Lyng[1]. Aïe, aïe, aïe ! La dérégulation chère au cœur des ultralibéraux ne semble pas avoir réglé tous les problèmes. Sur 600 échantillons de viande de bœuf analysés selon une méthodologie fiable, 7,5 % contenaient des Salmonella, 11,7 % des Listeria monocytogenes, 30 % des Staphylococcus aureus et 53,3 % des Clostridium perfringens. Tous ces microbes sont pathogènes chez l’homme et certains sont responsables d’empoisonnements mortels. Cette même étude montre que 78,6 % des échantillons sont souillés par des microbes du type Escherichia coli du biotype 1, qu’on trouve dans les excréments.

C’est bien là que l’histoire bascule. Point de départ : Lee Harding. L’homme est un colosse de 1,85 m pour 100 kilos, et, en ce 11 juillet 1997, quand il est pris de crampes abdominales, il ne s’affole pas. Il a tort. Atteint de diarrhées sanglantes, il pense qu’il va mourir et passe plusieurs journées d’enfer. On résume : des analyses montrent la présence dans ses selles d’une bactérie affreuse, Escherichia coli O157:H7. En 1982, à la suite de deux épidémies de colite hémorragique aux États-Unis (dans l’Oregon puis dans le Michigan), les services sanitaires avaient trouvé le responsable : des hamburgers insuffisamment cuits vendus dans un fast-food. Par la suite, une souche d’Escherichia coli d’un nouveau type, le O157:H7, avait été isolée. Lee Harding a été frappé par cette bactérie singulière. La piste mène à l’usine de Colombus de l’entreprise Hudson Foods, qui prend peur et rappelle la bagatelle de 11 300 tonnes de bœuf.

La vérité commande de dire que l’événement est banal. Car, selon des estimations officielles rapportées par le journaliste américain Eric Schlosser dans un best-seller[2], 200 000 Américains sont chaque jour contaminés par des bactéries présentes dans la nourriture. Par jour ! En un an, plus d’un quart de la population souffre d’une intoxication alimentaire. Chaque jour, 900 personnes sont hospitalisées et 14 meurent. Chaque jour !

Toutes les bactéries ne viennent pas de la viande. Et toute la viande ne sert pas à fabriquer des hamburgers. Mais au pays de McDo et de Burger King, il vaut mieux réfléchir à deux fois avant de s’arrêter devant une grande enseigne de restauration rapide. En 1993, 700 personnes qui avaient consommé des hamburgers Jack in the box ont été contaminées par Escherichia coli O157:H7, et 4 en sont mortes.

L’étonnant est peut-être qu’il n’y en ait pas davantage. Jusqu’en 1997, en effet, 75 % du bétail américain mangeait des déchets ovins et bovins, et des millions de chats et de chiens achetés à bas prix faisaient aussi partie de la diète d’animaux herbivores. Une étude datant de 1994[3] rapporte que les éleveurs de l’Arkansas récupéraient 1 000 tonnes par an de litière et de déjections de poulaillers industriels pour en nourrir ensuite le bétail. Oui, les consommateurs s’en sortent bien. Car en réalité, et compte tenu des modes de fabrication, un hamburger contient de la viande provenant de dizaines, voire de centaines d’animaux.

Et la France, dans tout ça ?

Recommençons comme si de rien n’était : sommes-nous bien protégés ? En France, cela va de soi ! Lors du plan de surveillance 2006, 796 prélèvements ont été réalisés sur l’ensemble du territoire pour traquer Escherichia coli O157:H7. Et on n’a rien trouvé. Sur des millions de morceaux de viande. 796 prélèvements. On peut donc être soulagé d’un fardeau : la bactérie n’existant pas, elle ne peut tuer personne chez nous. Oui, c’est vrai, cela peut aussi faire penser au nuage de Tchernobyl, qui avait eu le bon goût de s’arrêter à la frontière allemande. Disons que nos bovins tricolores ne mangent pas de ce pain-là, et passons.

Passons, mais non sans avoir salué comme il se doit Henri Nallet, ci-devant ministre de l’Agriculture de France – de 1985 à 1986, puis de 1988 à 1990 – après avoir été en 1981 conseiller du président Mitterrand pour les questions agricoles. Pourquoi diable parler de lui ? Mais parce qu’il connaît admirablement le dossier, voilà tout ! Nallet a été membre du grand syndicat paysan, la FNSEA, dès les années 60, puis chargé de mission du même entre 1966 et 1970, ce qui tisse des liens.

Cet excellent homme n’a pas tout perdu en passant par la FNSEA. Le lobby, ma foi, il connaît. En 2000, Jacques Servier, patron d’un laboratoire pharmaceutique qui porte son nom, le recrute pour l’aider à favoriser les autorisations de mise sur le marché (AMM) des médicaments. Servier est proche de la droite dure, mais cela n’indispose pas le moins du monde Nallet, qui met son carnet d’adresses au service de l’industriel.

L’industrie pharmaceutique est au service des malades, non ? Voyons quand même le cas de la transnationale Pfizer, leader mondial de la pharmacie. Fondé en 1851 aux États-Unis, le groupe s’est étendu au reste du monde après 1950 et compte aux alentours de 100 000 salariés. Avant la crise boursière commencée à l’automne 2008, sa capitalisation frôlait les 220 milliards de dollars américains. Même le monde des animaux n’est pas inconnu du grand philanthrope. Pfizer est également numéro un mondial du médicament vétérinaire. Une bonne adresse.

Chez nous, Pfizer Santé animale[4] s’installe en 1954, et propose aux vétérinaires dès 1957 un formidable antibiotique, la terramycine. Une usine est ouverte à Amboise (Indre-et-Loire). Dans la foulée, une gamme antihelminthique – vermifuge – destinée aux bovins, ovins, caprins et porcins est lancée. Viennent ensuite Mécadox, facteur de croissance du porc, l’antibiothérapie Longue Action, pour traiter en une seule injection les porcs et les bovins, le diffuseur Paratect, contre les parasites, Dectomax, un endectocide – autre antiparasitaire – de deuxième génération… D’autres produits se répandent un à un : Rispoval 3, Orbeseal, Draxxin, Pregsure BVD, Rimadyl Bovins, Rispoval Intranasal, Naxcel, Stellamune mono-injection…

Bref, les animaux sont en de bonnes mains. Pfizer les aime presque autant que les humains. Mais, le 14 mars 2009, un événement inouï se produit aux États-Unis, la mère patrie de Pfizer. Mme Jane Albert, porte-parole du Baystate Medical Center de Springfield, dévoile une fraude géante dans les travaux d’un des plus célèbres anesthésistes du pays, Scott Reuben.

Scott Reuben l’inimitable

Reuben ! Celui qui a écrit des dizaines d’articles sur l’analgésie dite « multimodale », pour soigner les douleurs post-opératoires. L’habitué des revues médicales les plus prestigieuses, comme Journal of Clinical Anesthesia, Anesthesiology, Anesthesia and Analgesia, toutes dotées de comités de lecture rigoureux !

Aussitôt appelé « le Madoff de la recherche médicale », Reuben trafique depuis de longues années. Ses études sont bidonnées, ses essais inventés, ses malades n’ont pas existé. Mais il était le roi, et comme tel choyé par tous. Depuis qu’il est à terre, les langues se délient, et l’un de ses collègues s’étonne aujourd’hui, mais un peu tard, que Reuben, en quinze ans de « travaux » sur la douleur, n’ait jamais obtenu que des résultats positifs.

Bon, un truand. Et alors ? Et alors Pfizer. Cette noble entreprise a été le principal sponsor des « études » Reuben depuis 2002 et l’a payé, car il passe bien à la télé, pour vanter en public la qualité de médicaments Pfizer provenant directement des « recherches » Reuben. Bien entendu, on peut toujours croire que la bonne foi de Pfizer a été prise en défaut. Mais pas si vite. En 2004 déjà, la transnationale a été condamnée à payer 430 millions de dollars pour la promotion de la gabapentine. Ce médicament, destiné à soigner l’épilepsie, était au passage commercialisé, sans indications étayées, pour la douleur, les troubles psychiatriques, la migraine. Ce qui peut rapporter très gros.

Par ailleurs, dans un article publié en septembre 2008 dans la revue JAMA[5], Marcia Angell, professeure à Harvard, décrit un système devenu incontrôlable. Incontrôlable par nous. Voici le début de ce texte éclairant : « Au cours des deux dernières décennies, l’industrie pharmaceutique a acquis un contrôle sans précédent sur l’évaluation de ses propres produits. Les firmes pharmaceutiques financent désormais la plupart des recherches cliniques sur les médicaments d’ordonnance. Et les preuves qui s’accumulent indiquent qu’elles falsifient fréquemment la recherche qu’elles sponsorisent. »

Ce n’est déjà pas mal. Voici la suite : « Compte tenu des conflits d’intérêts qui imprègnent la démarche de recherche clinique, il n’est pas surprenant d’apprendre qu’il existe des preuves solides du fait que les résultats de la recherche sponsorisée par les firmes sont favorables aux médicaments des commanditaires. Cela s’explique d’une part par la non-publication des résultats défavorables, et d’autre part par le fait que les résultats favorables font l’objet de publications répétées, sous forme à peine différente. Sans parler de la réécriture, qui fait paraître sous un jour favorable même des résultats négatifs de la recherche sur un médicament. »

Jean-Marie Bourre, l’ami des charcutiers

 Voilà le contexte. Revenant à nos moutons et à nos cochons, on commencera par un propos instructif des cardiologues Michel de Lorgeril et Patricia Salen, du CNRS. Leur réputation est grande dans la profession, et en cette fin 2006 ils sont très en colère. Leur courroux porte un nom : Jean-Marie Bourre, qui a obtenu en août un grand entretien dans Le Monde 2. Comme ce cas sera largement traité ailleurs (voir le chapitre 14), n’y insistons guère. Bourre, sans le dire bien sûr, est président du Centre d’information sur les charcuteries (CIC), membre du Comité scientifique du pain, président du Comité scientifique de l’huître, président du comité scientifique du Comité national pour la promotion de l’œuf, entre autres. Et il dit dans l’article tout le bien qu’il faut penser de ces goûteux aliments. Notamment les charcuteries. Parce que c’est bon pour la santé, dont celle du cerveau. Évidemment.

Seuls des grincheux oseront protester, et ils seront rares. Parmi eux, donc, Michel de Lorgeril et Patricia Salen. Que déclarent-ils sur le site LaNutrition.fr ? Des choses affreuses sur le bon docteur Bourre : « On ne peut qu’être surpris par l’arrogance des propos et le caractère insultant des admonestations de notre confrère ! En faisant court et simple : les nutritionnistes quand ils sont prudents sont des “terroristes” et les végétariens sont tous des “crétins”. » Hum… Terrible, non ? Mais il y a pire, que voici : « Mais monsieur Bourre n’est pas dangereux seulement de façon primaire (en risquant de conduire certains patients à revenir à des pratiques nutritionnelles dont on connaît la dangerosité), il l’est aussi parce qu’en allant totalement à l’encontre des recommandations prudentes de nombreux praticiens, et avec une casquette de scientifique, il accrédite l’idée déjà trop répandue que médecins et scientifiques racontent n’importe quoi à propos d’une nutrition qui protège la santé et passent leur temps à se contredire. Toute la profession est ainsi discréditée et amalgamée à de nauséabonds conflits d’intérêts ! »

Après cette terrible accusation, clap. Non de fin de partie, mais de scène. On a compris qu’il existait différents points de vue sur l’indépendance des chercheurs et l’honnêteté des laboratoires et institutions qui les paient. Ce n’est pas indifférent quand il s’agit de se pencher sur les liens entre consommation de viande et santé humaine.

Mais avant tout, et pour éviter des critiques sans objet, passons directement à l’aveu. Il n’y a pas de preuve. Non, il n’existe aucune preuve absolue des liens de cause à effet entre consommation de viande et maladie. Tout simplement parce que ce genre de prouesse technique n’appartient pas à l’univers de la médecine nutritionnelle. Les lobbies jouent donc sur du velours. Eux se moquent bien de science : il leur suffit de jeter le trouble, et de gagner du temps.

Il s’agit d’une astuce bien connue, déjà à l’œuvre dans l’affaire de l’amiante. En dehors du mésothéliome, cancer de la plèvre et marqueur certain de la fibre cancérigène, tout reste sujet à discussion. Et à contestation. On sait que des milliers de personnes meurent chaque année en France des suites d’une exposition à l’amiante, mais des centaines de procès sont en cours où les avocats patronaux contestent et ratiocinent. Tel ouvrier ne fumait-il pas ? Tel autre ne levait-il pas le coude ? Après des combats homériques – homériques, oui –, notre République a accepté ce qu’on appelle la « présomption d’imputabilité ». Ce n’est pas à la victime de faire la preuve que l’amiante a provoqué chez elle asbestose ou cancer broncho-pulmonaire. C’est à la partie adverse – essentiellement le patron – de démontrer que travailler au contact de l’amiante n’a pas causé la maladie.

Il ne faut pas oublier, pas même une seconde, qu’il n’a jamais été totalement prouvé que la fumée des cigarettes provoque le cancer du poumon. Mais la multitude d’études répétées se validant les unes les autres autorise depuis des décennies à considérer le tabac comme un serial killer. À juste titre, bien entendu.

Des études par centaines

Concernant la viande, les études sont nombreuses et concordantes, mais il est clair que les esprits ne sont pas tout à fait mûrs pour l’entendre. Toutes choses égales par ailleurs, on a le sentiment d’être à la fin des années 60 face au tabac. Quand coexistaient le cow-boy Marlboro et les premiers cris d’alerte organisés. Ce n’est pas une raison pour rester les bras croisés. Voyons de plus près quelques données, parmi des centaines à notre disposition. Toutes les maladies ne sont pas évoquées, pour des raisons évidentes de place disponible.

(…)

À propos du cancer, on se dispensera volontairement d’une énumération. Laquelle serait vraiment trop longue. Sachez qu’un grand nombre de cancers ont un ou plusieurs liens avec la consommation de viande, rouge surtout, et de charcuteries. Et n’écoutez pas ceux qui ont intérêt à nier cette évidence. Un travail complet peut être évoqué qui met les pendules à l’heure – et elles en ont bien besoin. Il concerne en deux études un seul et même cancer, celui du côlon, qui est tout de même le troisième cancer le plus fréquent au monde. Une étude menée par le réseau Epic (European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition) sous la direction d’Elio Riboli a été publiée en 2005.

Impressionnante par son ampleur – 521 000 individus suivis –, elle montre sans détour que la viande rouge est un facteur important de la survenue de ce cancer, qui touche 36 300 Français de plus chaque année. Un Français sur 25 a ou aura un jour un cancer du côlon, ce qui n’est pas rien. Or, dans l’étude Epic, les plus gros consommateurs de viande rouge de l’échantillon augmentent de 35 % leur risque de développer cette maladie par rapport à ceux qui en consomment le moins. Et ce n’est pas tout. Une autre étude, parue en août 2007 dans la revue JAMA, montre qu’une alimentation trop riche en viande rouge et en graisse saturée multiplie par trois le risque de récidive et la mortalité liée au cancer du côlon ! Vous en reprendrez bien un peu, n’est-ce pas ?
Sur un plan général, le débat scientifique porte désormais sur la quantité de viande à ne pas dépasser. Au fil des années, un consensus s’est en effet formé autour d’une idée simple : il faut impérativement diminuer sa consommation. Quatre exemples éclairants, concentrés sur un peu plus d’une année, suffisent à situer les enjeux. À l’automne 2007, le World Cancer Research Fund International (WCRF International), qui fait autorité, publie des recommandations générales pour éviter le cancer. L’une d’elles est sans appel : il faut limiter sa consommation de viande rouge (bœuf, porc, agneau) ainsi que de viandes transformées, c’est-à-dire fumées, séchées, salées. Le bacon, le salami, les saucisses sont visés. Une citation en particulier : « Il existe une forte preuve que la viande rouge et les viandes transformées sont des causes du cancer colorectal, et toute quantité de viande transformée est susceptible d’augmenter le risque. »
En décembre 2007, les résultats d’une très vaste étude, portant sur 500 000 personnes suivies entre 1995 et 2003, sont publiés dans PLoS Medicine, une grande revue scientifique. De nouveau, il est dit que la consommation de viande rouge et de viandes transformées aggrave les risques de cancer. Les gros mangeurs de viande rouge et de charcuterie ont plus de risques de souffrir d’un cancer colorectal et des poumons, mais aussi de la prostate. La viande rouge est en outre associée à un risque de cancer de l’œsophage et du foie, et les charcuteries et viandes fumées à un risque de cancer de la vessie et des os.

 

Hollande et la haine (bonhomme) du vivant

Mais quel président ! Dieu du ciel, quel petit personnage ! Je vous invite à lire l’entretien que François Hollande a donné au Chasseur français de novembre. Merci à Raymond Faure de m’en avoir adressé la copie, que vous lirez ci-dessous. Peut-être est-ce un peu en désordre, et je plaide de toute façon coupable, car j’atteins vite mes capacités techniques. N’importe, non ?

Le fond de l’affaire est tragicomique. Notre président est là en campagne électorale, et adresse tous les mamours du monde au million de chasseurs français, dont la plupart enverront bouler, quoi qu’il arrive, les candidats de notre maître provisoire. Or donc, on apprend de la bouche élyséenne que les chasseurs aiment et protègent la nature et que les zadistes ont fait de la France un « terrain d’exercice de groupes venus de loin et qui contestent l’idée même de progrès ». Tout est rose, dans le propos présidentiel, aussi rose que la peau des cochons industriels farcis d’antibiotiques. Le système agro-alimentaire est parfait, c’est la saison des cèpes, notre vin est somptueux, etc. Ses conseillers lui ont inspiré les réponses les plus imbéciles qui soient, mais à la vérité, ce sont visiblement celles qui viennent spontanément aux lèvres de Hollande. Pouah !

Une mention pour sa diatribe contre les Loups. L’espèce est protégée – dommage, hein ? -, mais comme ce vilain animal se multiplie et s’attaque aux moutons – ce que ne font pas les abattoirs, n’est-ce pas ? -, eh bien, il faut buter les surnuméraires. On a compris que l’heure du massacre avait une nouvelle fois résonné dans les campagnes, et que la tuerie serait menée à son terme grâce à l’aide professionnelle des chasseurs. Voilà un type qui demain, se lancera dans des discours pareillement préfabriqués sur la biodiversité et la crise climatique. Jocrisse, va !

Un dernier point personnel : lorsque j’étais sur mon lit d’hôpital, après avoir reçu trois balles des frères Kouachi, j’ai reçu un appel téléphonique de François Hollande. J’avais envisagé de le voir, mais d’évidence dans un moment d’égarement, car je n’ai évidemment rien à lui dire. Et au fond de moi, je ne suis pas peu fier d’avoir été si peu considéré par nos Excellences après la fusillade du 7 janvier 2015. Je ne suis pas aveugle : quantité d’officiels se sont succédé auprès des rescapés de Charlie. Ou se sont montrés en compagnie des survivants debout du journal. Pour ma part, j’ai été – heureusement – épargné. Le coup de fil présidentiel a sans doute été suggéré en une sorte de rattrapage par quelque conseiller se pensant avisé. Mais moi, je les avise tous que je ne ferai jamais partie de leur monde, fût-ce à la marge.

Comment je vais ? Je crois bien avoir perdu mon sens de l’équilibre, car je me suis étalé dans les grandes largeurs, à deux reprises. Ça fait mal ? Eh bien oui. Mes amitiés à vous tous. Vraies.

 

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Un point de vue éclairant sur les éoliennes

Non, je ne deviens pas le présentateur de Frédéric Wolff. Mais, oui, ce lecteur de Planète sans visa mérite que je lui cède la place aujourd’hui encore. Ses arguments sur les éoliennes (industrielles) ne referment sûrement pas le débat, et j’espère que d’autres lecteurs, qui pensent différemment, jugeront utile de s’exprimer à sa suite. Bonne lecture, lecteurs et amis. Même boiteux comme je suis, et morphinomane je dois bien l’avouer, je souris, car j’entends par la fenêtre un bon pianiste qui joue de l’autre côté de la rue. La vie continue à me plaire, malgré tout.

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LE COMMENTAIRE DE FRÉDÉRIC WOLFF

Une réaction, un peu longue – je n’ai pas eu le temps de faire plus court ! – aux textes de Fabrice et des commentateurs à qui j’adresse mes pensées fraternelles.

A celles et à ceux qui se demandaient :
Comment continuer à saccager, enlaidir, piller, asservir dans l’enthousiasme général ?
Comment faire semblant de changer d’énergie sans rien changer de notre société ni de notre mode de vie ?
Les bonnes âmes de la destruction massive ont trouvé une réponse, parmi d’autres : l’éolien industriel ! Cette trouvaille est une synthèse. Grâce à elle, les fanatiques de la pollution propre ont de quoi jubiler et la caste techno-industrielle peut se réjouir à l’idée de concentrer toujours plus de pouvoirs entre ses mains. La fuite en avant peut continuer, la croissance se renouveler sans limite, les objets inutiles et nuisibles encombrer ce qui reste d’espace pour la vie… L’éolien va alimenter « la clim partout dans son logement, la piscine en plein hiver dans son jardin » (P.P), les tablettes, les smartphones, les Facebook, les selfies, les data centers (Patrick), l’industrialisation du monde tous azimuts… A quand les panneaux publicitaires et les élevages hors-sol autonomes en énergie grâce aux champs d’éoliennes ? C’est peut-être déjà fait, qui sait. Et grâce aux villes, aux compteurs et aux objets intelligents, la surveillance et la rationalisation générales seront optimisées, la contrainte sera consentie. Le nouvel ordre énergétique étend son empire, l’efficacité fait place à la beauté des arbres et des saisons, et le pire qui pourrait arriver, c’est qu’un jour on oublie la lumière d’un châtaignier dans l’automne.

Dans cet univers là, tout devient froid et on a beau faire feu de tout ce qui brûle, on a beau transformer ce qui souffle, ce qui s’écoule en force ardente, quelque chose manque à nos vies, quelque chose qui se dérobe à nous, à notre parole et on est là avec ce qu’on ne peut nommer, mais on essaie quand même parce qu’on sait confusément qu’une porte est à ouvrir et que rien n’est plus impérieux, alors on tâtonne, un peu comme dans ces jeux d’enfant où parfois on brûle, où d’autres fois on a si froid qu’on ne peut plus mettre un pied devant l’autre et c’est avec la même intensité que l’on se débat, grand brûlé ou albatros pris dans les glaces, jusqu’à ce que des mots viennent, des questions : est-ce une source vive, l’affluent d’une parole, les vagues d’une main sur la peau, est-ce tout cela qui manque, qui a tant manqué et qui nous met en état d’urgence quand on espère un signe, quand on cherche sans y parvenir pleinement à l’adresser ?
Je me disperse, sans doute, du propos dont il est question ici : la force du vent dont on fait des profits pour les uns et des pertes pour les autres, pour tant d’autres qu’on ne peut les compter, mais ce que j’essaie de dire, au fond, n’est pas sans rapport avec ce qui nous anime, ce qui fait de nous des vivants, des combattants dans le monde froid des machines. Ce n’est pas de l’énergie du vent, du feu ou de l’eau dont nous avons tant besoin pour l’essentiel, c’est d’un autre souffle, celui d’un frère humain, d’une sœur d’âme, d’une vie sacrée de trois fois rien qui ne serait pas de notre famille, de notre pays, de notre espèce, ce n’est rien d’autre que de préserver ce qui fait de nous des humains, même si parfois c’est difficile, même et surtout si l’on frôle les gouffres qui s’ouvrent en nous. Les abîmes sont des chemins vers les cimes et à en vivre, à en mourir, que faire d’autre qu’aimer ?

Je reviens à mon propos liminaire.
Quand les énergies classiques – pétrole, gaz, charbon, nucléaire… – ne seront plus compétitives, il faudra continuer à faire tourner la machine à détruire ce qui reste de vie naturelle, d’inattendu, d’inespéré. Place à l’éolien industriel, donc. A noter que l’industrie solaire accomplit de belles prouesses aussi, en matière de fléaux (lire « Le soleil en face » aux éditions L’échappée, collection Négatif dirigée par Pièces et main d’œuvre).
Vous les appelez comment, celles et ceux qui vendent du vent, se gargarisent d’énergie propre et s’enrichissent au passage sur le dos des « communautés indigènes expropriées » (Fabien), sur la peau des millions d’exterminés du carnage industriel ? A mes heures gracieuses et policées, je les nommerais bien des « philouthropes », et peu m’importe qu’ils ou elles soient de droite, de gauche, d’Escrologie les verts ou de je ne sais quels chapelle, mafia, industrie ou collectif.
Est-il encore nécessaire de le rappeler ? La croissance verte, le développement durable et solidaire sont des mystifications, inséparables de la fabrique de nouveaux besoins, de gadgets superflus et prédateurs, de l’effet-rebond, ce mécanisme insidieux par lequel une réduction de coût, d’énergie ou de ressources d’un bien se traduit par une augmentation de son usage, par une consommation accrue d’un autre bien. Ainsi, les nouveaux modèles de voitures brûlent moins de carburant, mais nous roulons davantage, nous les renouvelons sans modération, nous faisons venir des marchandises de l’autre bout du monde, nous utilisons toujours plus l’avion et de technologies énergivores… Au final, l’économie de départ se solde par une gabegie plus importante. Et l’on voudrait se féliciter d’un tel gaspillage ?
Tant que nous resterons dans une société de croissance et de développement, nous n’aurons rien à espérer des soi-disant énergies propres.
Si l’éolien devait avoir un avenir estimable à mes yeux, il aurait un tout autre visage. Je l’imagine auto-construit et auto-réparable (pako del riu), à l’échelle d’un foyer ou d’un quartier, s’inscrivant dans une « réduction des besoins » (Love Bille), une « décroissance » (Laurent) volontaire (On peut prononcer le mot désormais, même le Pape le revendique).
Ce n’est pas la voie retenue par nos énarques et par nos ingénieurs des Mines, des Ponts et des Charniers, ça ne le sera jamais tant que l’hédonisme marchand, la toute-puissance technologique seront nos dieux intimes et collectifs ; ce capitalisme – que d’aucuns dénoncent avec véhémence comme s’il nous était extérieur – nous est consubstantiel, pour ainsi dire ; plus ou moins, nous sommes les proies et les carnassiers, les persécuteurs et les cobayes, les spoliés et les bons soldats de la débâcle, les empoisonnés et les empoisonneurs pour qui l’emploi est plus important que la vie, la nôtre et toutes les autres, nous sommes le tortionnaire et le bétail supplicié de la naissance jusqu’au trépas, les contremaîtres et les employés en batterie troquant leur vie, leur liberté contre un salaire. Même si, et je ne le sais que trop, certain(e)s sont plus responsables que d’autres, même si nous sommes un certain nombre à chercher le chemin pour nous libérer de ces chaînes.
Dans cette roue qui tourne sous l’impulsion de notre course folle, le seul horizon, c’est l’emballement. L’éolien, quand il participe à cette démesure, ne fait que nous précipiter vers le néant et ce ne sont pas les dogmatiques de la croissance verte qui me feront prendre des messies, les leurs – des leurres – pour des lanternes, si j’ose cet à-peu-près. Que l’on puisse se laisser abuser par de tels escrocs, c’est, me semble-t-il, le cœur du désastre où nous sommes. Et peut-être est-ce aussi l’une des raisons de l’amertume ressentie par Fabrice et des réactions saines et majoritaires des commentateurs ?usqu’au trépas, les contremaîtres et les employés en batterie troquant leur vie, leur liberté contre un salaire. Même si, et je ne le sais que trop, certain(e)s sont plus responsables que d’autres, même si nous sommes un certain nombre à chercher le chemin pour nous libérer de ces chaînes.
Dans cette roue qui tourne sous l’impulsion de notre course folle, le seul horizon, c’est l’emballement. L’éolien, quand il participe à cette démesure, ne fait que nous précipiter vers le néant et ce ne sont pas les dogmatiques de la croissance verte qui me feront prendre des messies, les leurs – des leurres – pour des lanternes, si j’ose cet à-peu-près. Que l’on puisse se laisser abuser par de tels escrocs, c’est, me semble-t-il, le cœur du désastre où nous sommes. Et peut-être est-ce aussi l’une des raisons de l’amertume ressentie par Fabrice et des réactions saines et majoritaires des commentateurs ?

Du vent et surtout plein de fric

Ah là là, ne me parlez plus d’éoliennes, les amis. J’ai écrit l’article qui suit, paru dans Charlie Hebdo voici trois semaines, et j’ai reçu pas mal de plaintes en retour. Pour être juste, également des mots de soutien, à peu près aussi nombreux. Mais il me reste un goût d’amertume, car enfin, j’ai eu la vilaine impression d’un pénible remake de ces années où il fallait appartenir à un camp. Nombre de mes critiques me reprochent explicitement d’être passé de je ne sais quel côté de je ne sais quelle barricade. Extrait représentatif : « Je te tutoie car nous avons mené des combats communs et j’avais l’impression que nous étions du même camp ».

Je mentirais en disant que cela ne m’atteint pas. Mais je suis décidé à continuer, car quel crime ai-je commis ? D’abord, ainsi que je l’ai expliqué à un de mes contempteurs, Claudio, qui s’exprime quelquefois ici, je suis parti d’une info du Syndicat des énergies renouvelables (SER), que j’ai estimée fausse. Et elle l’est. Ensuite, j’ai fait un court papier dans lequel j’ai présenté une facette de l’éolien que ses défenseurs refusent de voir : la place grandissante de l’industrie la plus lourde et les magouilles dont sont les victimes  de simples gens souvent sans défense. Lesquels sont soutenus par une Fédération Environnement Durable (FED), de droite, avec laquelle je ne dois guère partager grand-chose. Ai-je écrit qu’ils étaient merveilleux, et que je les soutenais de tout cœur ? Nullement. J’ai écrit que ses 1057 associations avaient des histoires extraordinaire à raconter, qui disent comment circule le pouvoir réel, et au détriment de qui.

C’était déjà trop. J’aurais dû, d’emblée, écrire au feutre rouge que FED est un rassemblement de salopards et que les éoliennes sont notre bel avenir à tous. Seulement non, on aura frappé à une mauvaise porte. Le soutien de certains aux éoliennes me semble un avatar de l’idéologie progressiste qui aura tant fait de mal. Puisqu’elles sont mues par le vent, elles tournent le dos au nucléaire et nous prépare un monde heureux où les énergies renouvelables seront reines. Et que dans ces conditions, il faut serrer les rangs, malgré qu’on en ait. Mais il se trouve que je ne crois plus aux contes de fée.

En résumé, on peut soutenir l’idée des éoliennes – c’est mon cas, sans réserve – et critiquer durement la manière dont leur développement se fait. La place d’Alstom, d’EDF et d’Areva dans le tableau dit bien que l’on assiste à une expropriation en bonne et due forme. Il ne s’agit plus, s’il s’est jamais agi, de défendre une énergie décentralisée, adaptée aux besoins modestes de petites communautés humaines, mais de remplir les poches des Grands de l’énergie en augmentant encore leur puissance. Je prends le pari : l’essor prodigieux des éoliennes ne permettra en aucune façon de réduire notre consommation énergétique, manière pourtant essentielle de lutte contre le dérèglement climatique. Tout au contraire, cet essor permettra d’offrir aux pauvres couillons que nous resterons tous, davantage de possibilités de gaspiller l’électricité. Nous assistons déjà à un empilement de nucléaire, de pétrole, de gaz, d’hydroélectricité, de solaire et de…vent. Non ?En bref, l’énergie éolienne est aussi un rapport social et ce que promeut le modèle actuel signifie toujours plus de contrôle et toujours moins de liberté pour chacun d’entre nous.

J’ajoute encore deux détails. Il y a 25 ans, j’ai mouillé ma chemise, au-delà du raisonnable, pour les riverains de l’infernale décharge de Montchanin, en Saône-et-Loire.Tous les pouvoirs étaient coalisés contre les victimes d’un cauchemar. Le ministre de l’Environnement était un certain Brice Lalonde, que j’ai eu la joie de pouvoir malmener au cours d’une réunion publique houleuse. La petite ville était socialiste depuis 1906, et le maire avait pourtant imposé au pied des jardins une décharge industrielle ultradangereuse où étaient entassées, quand je m’y suis rendu en 1989, la bagatelle d’un million de tonnes d’ordures. J’ai vite compris que l’association locale était tenue par des gens de droite, dont mon si cher Pierre Barrellon. Était-ce une raison pour les laisser crever sur place ? Je n’ai jamais eu avec eux la moindre discussion politique générale, et c’est tant mieux. Ils étaient formidables, ils se battaient, ils avaient raison. Je pense que c’est la même chose dans beaucoup d’endroits où des truands de l’énergie tentent d’imposer à des communautés tranquilles la cohabitation avec des mâts de 130 mètres de haut.

Bien sûr, Claudio Rumolino, bien sûr qu’il existe des PME de l’éolien qui ne partagent pas nécessairement les vues du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Mais leur silence devant la main-mise en cours me paraît devoir les disqualifier.

PS : J’ajoute, et franchement, cela me fait sourire, que mes nombreux critiques attaquent un texte riquiqui qui n’a jamais prétendu faire un point général sur les éoliennes. Ce n’était qu’un maigre article, mais il m’aura appris beaucoup. Et voilà donc ce papier, paru dans Charlie :

 

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Les éoliennes ? On est très loin des rêves de Reiser il y a quarante ans. Au lieu de l’autonomie énergétique pour tous, Areva, EDF, Total, Alstom ont fait main basse sur le pactole. Ça rapporte et ça ment. Beaucoup.

C’est pas tout à fait du vent, mais ça rafraîchit. Selon un audacieux communiqué de Syndicat des énergies renouvelables (SER), « la France vient de franchir le cap des 10 000 mégawatts éoliens raccordés au réseau (…)  Le parc éolien français permet d’alimenter en électricité un peu plus de 6 millions de foyers, soit plus que (…) la population de la région Ile-de-France ».
Les communicants du SER sont d’habiles filous, car tout est vrai, bien que tout soit faux. Le premier mouvement est simpliste, mais permet d’entuber le journaliste feignasse : 10 000 mégawatts, mazette, c’est du lourd ! Le deuxième est là pour achever le gogo : 6 millions de foyers, c’est au moins 13 millions de personnes ! Rien à dire, sauf que c’est bidon. En 2014, la production électrique nette, en France, a atteint 540,6 Terawattheure (TWh), dont 17 TWh grâce aux éoliennes. 3,1 % du total.
Sans entrer dans les détails, il faut ajouter qu’aucun foyer n’est alimenté directement par les éoliennes, car des problèmes techniques – à commencer par les facéties du vent – interdisent une production en continu. Dans l’état actuel, l’électricité éolienne est donc un tout petit complément. Ben alors, pourquoi ce grand bluff du SER ? Parce qu’il lui faut épater le monde, et chaque jour un peu plus. Tu vas voir, ami lecteur, ça vaut le dérangement. Les éoliennes, même si ça ne ressemble pas, c’est comme une vache à lait. Le marché atteint environ trois milliards d’euros  par an et le parc installé dépasse 5 000  grosses éoliennes, chiffre qui pourrait doubler d’ici quelques années seulement. Qui dirige le SER ? Jean-Louis Bal, qui a fait ses nobles classes dans le public – il dirigeait le service des Énergies renouvelables à l’ADEME, l’Agence de l’environnement – avant de mettre son carnet d’adresses au service de l’industrie.
Et quelle industrie ! On trouve au conseil d’administration du SER une magnifique bande de philanthropes : EDF et Areva, mais aussi Alstom – les turbines du délirant barrage des Trois Gorges, c’est elle -, la Compagnie nationale du Rhône – les gros barrages dégueu de chez nous – , Total et Sofiprotéol-Avril pour les nécrocarburants. Ce très puissant lobby a comme on se doute de nombreux amis dans les ministères de gauche comme de droite. Et il a réussi un tour de force qui n’est pas à la portée d’un débutant. Via une obscure « contribution au service public de l’électricité » (CSPE), ponctionnée sur les factures d’électricité, EDF achète sur ordre la production éolienne à un prix deux fois supérieur à celui du marché. Qui paie pour la grande industrie ? Nous, patate. Compter 5 ou 6 milliards d’euros chaque année selon les grands teigneux de la Fédération environnement durable (FED).
Cette dernière (http://environnementdurable.net) est peut-être bien de droite et elle a le grand malheur d’être soutenue par le vieux Giscard, ce qui est bien chiant. Mais ses 1057 associations ont souvent des histoires hallucinantes à raconter. Notamment à propos de ces armées de commerciaux déchaînés par l’appât du gain, qui font le tour de France en toutes saisons pour appâter de nouveaux candidats. Et il s’en trouve aisément, car les mieux organisés de ceux qui louent leurs terrains peuvent empocher jusqu’à 100 000 euros par an. Hum.
On reviendra sur ce dossier démentiel, mais il faut encore parler de la corruption, qui accompagne gentiment les installations de mâts pouvant atteindre 130 mètres de haut. Dans son rapport de 2013 publié à l’été 2014, le Service central de prévention de la corruption (SCPC) notait sans emphase : « Le développement de l’activité éolienne semble s’accompagner de nombreux cas de prise illégale d’intérêts impliquant des élus locaux ». La combine est simple : un maire rural fait voter le principe d’un parc éolien, et comme par extraordinaire, on le retrouve ensuite sur des terrains appartenant à lui-même ou à ses proches. Depuis dix ans, les condamnations d’élus pleuvent, mais tout le monde s’en fout. C’est si bon, le fric.
Je t’entends mal ? L’écologie, dans tout ça ? Avec Alstom, Areva et Total ? Je vois que tu es blagueur.

Frédéric Wolff nous parle

Je reste un peu hors-jeu, et ne peux plus réellement écrire pour Planète sans visa. Ça reviendra, à n’en pas douter, car le lien noué avec vous tous, y compris certains adversaires, m’est précieux. Ça va revenir, et peut-être plus tôt que je ne pouvais le craindre. En attendant, place à Frédéric Wolff, lecteur et ami, même si je n’ai jamais eu la chance de le rencontrer. Qui est-il ? Je dois avouer que je n’en sais à peu près rien. Mais depuis quelques années, il envoie de temps à autre de puissants commentaires, servis par une langue forte et belle, en tout cas comme je les aime.

Vous lirez pour commencer un texte de juin, publié ici, mais sans doute pas autant lu qu’il l’aurait mérité. Puis un commentaire de ces tout derniers jours, inédit. Frédéric, je vous salue avec affection.

          Lettre à mon poisson rouge

Mon cher poisson rouge,
Grâce à toi, je viens d’apprendre deux informations de la plus haute importance pour la suite de ma vie et de la tienne aussi.
Longtemps, je t’ai regardé tourner en rond dans ton bocal où il m’a semblé apercevoir d’étranges reflets entre le monde et toi, entre le monde et moi.
Je revois ce jour où tu es arrivé ici, avec Pascal, le fiston, pas peu fier d’avoir emporté le challenge de l’équipe de travail qu’il venait de rejoindre deux semaines plus tôt. Le trophée, c’était toi. Cette victoire s’ajoutait à celle d’avoir été embauché par une entreprise pleine d’avenir.
Le soir où il a débarqué avec toi et une tablette dans ses bras, je m’apprêtais à souffler en solo mes quarante-cinq printemps. Depuis plusieurs mois, mes journées étaient interminables à attendre une lettre au courrier du matin, une sonnerie de téléphone. Pour occuper mes heures désœuvrées, j’ai navigué entre mon nouvel écran et les eaux claires que tu habites. Certains jours, confusément, une impression étrange s’emparait de moi : celle de vivre dans un bocal, moi aussi, un bocal de la taille de la tablette où s’écoulaient mes heures.
Pascal était très pris par son travail, mais heureusement, il y avait les écrans. De temps en temps, on s’envoyait des nouvelles : un message, des photos pleines de sourires. Chacun se voulait rassurant sur lui-même et rassuré sur l’autre. Chacun avait envie d’y croire. On se construit des histoires qui finissent par devenir des vérités, pendant un certain temps au moins.
Et un jour, tout s’effondre. Ce jour-là, je m’en souviens, le téléphone a sonné. La voix au bout du fil était celle de Martine qui partageait ses jours avec Pascal.
– Je t’appelle parce que…
Elle n’a pas pu aller au bout de sa phrase. Tout de suite, j’ai su.
– J’arrive.
C’est tout ce que j’ai su dire.
On s’est retrouvé dans un couloir d’hôpital. Elle m’a appris ce que je savais déjà : l’épuisement des journées de plus en plus longues, la peur au ventre chaque matin, les objectifs impossibles à atteindre, le couple qui vacille, la solitude connectée avec le monde entier…
On l’avait découvert sans connaissance dans les toilettes de l’entreprise, une boite de gélules vide sur le carrelage et, dans la poche de sa veste, un mot écrit à la main : « Je ne peux plus. J’abandonne. Pardon. Pascal. »
Pourquoi je te raconte tout ça, cher poisson rouge ? Pour essayer de comprendre, peut-être, comment il est possible de ne pas basculer, dans ce monde où nous sommes, toi et moi.
Souvent, je me suis demandé par quel miracle tu pouvais vivre sans compagne, sans compagnon à tes côtés, sans autre horizon qu’une paroi de verre où s’arrête ta vie.
Ce matin, je crois tenir une explication. Ta capacité de concentration serait de neuf secondes. Neuf secondes pour passer à autre chose et ne pas devenir fou à force de tourner en rond tout seul, toujours.
Une deuxième information m’a permis d’y voir plus clair sur un autre mystère : comment nous, les humains, pouvons tenir encore debout dans une époque aussi peu digne d’humanité. Il y a bien des manières de se protéger, parmi lesquelles le déni, le travail, le jeu, l’absence à soi, la consommation, la drogue, les écrans… Mais ces parades ne durent qu’un temps. Très vite, il faut de nouvelles défenses qui nous exposent un peu plus encore, sitôt passée l’illusion d’un réconfort.
Nous en arrivons à cette seconde information que j’évoquais plus haut : Notre attention à nous, les humains, ne dépasserait pas huit secondes. Soit une seconde de moins que toi, mon poisson rouge, et quatre de moins qu’il y a quinze ans. Cet exploit, nous le devons aux écrans, à leur capacité à nous distraire, à nous pousser à être là sans y être, à faire une chose sans y penser, à griller notre cervelle, notre mélatonine réparatrice. Bref, à faire de nous des absents. Et, immanquablement, à force de s’absenter de soi et du monde où nous sommes, on finit par s’absenter de la vie, un jour ou l’autre. Le remède – provisoire – devient le poison.
Ainsi donc, cher poisson rouge, sans le vouloir expressément, nous avons pris modèle sur toi. L’écran est devenu notre bocal, notre horizon de plus en plus, notre machine à ne plus lire vraiment les livres importants, à ne plus lire en nous, à supporter l’insupportable. Comment ne plus penser ? L’écran apporte une réponse inédite. Au-delà de cette limite – huit secondes –, notre ticket n’est plus valable, nous nous mettons en danger de prendre la mesure de ce qu’est devenu notre existence, l’insignifiance et pire que ça, le désastre auquel nous participons. Vite, vite, un écran de fumée, passer à des choses plus légères, penser à sourire pour nos prochains selfies, mettre à jour notre mur Face-book, twitter, liker, nous connecter partout, toujours, à grands renforts d’énergies climaticides, de métaux rares, échapper d’urgence au temps de rêverie, d’ennui, de présence à nos profondeurs, à nos semblables de chair et de vive voix… Faire mille et une choses à la fois pour oublier le grand vide et notre grand écart au-dessus du grand vide. Se dire que, malgré tout, la toile qui nous étouffe a du bon et qu’il ne tient qu’à nous d’en faire un outil d’émancipation, comme si nous maîtrisions quoi que ce soit dans la méga-machine qui domine. Ne plus voir ce qu’il y a de sordide dans la marchandisation, la « servicisation » – pour ne pas dire la sévicisation – de chaque moment de l’existence.
Huit secondes pour ne pas devenir fou, dans nos bocaux à quatre roues, à micro-ondes, à écrans plats, à emplois inutiles et nuisibles, à perfusions chimiques. Huit secondes aujourd’hui et combien demain ? Sept, six, cinq… Le compte à rebours de notre décervelage a commencé. Et j’ai bien peur que notre mémoire, notre discernement, nos capacités cognitives, notre âme, connaissent une évolution semblable. Heureusement, plus nous sommes abrutis, plus les objets qui nous entourent deviennent intelligents ; ils se souviennent pour nous, décident et pensent à notre place. Bienvenue parmi les miradors et les garde-chiourmes électroniques. Souriez, vous êtes irradié, empoisonné, localisé, fliqué, géré, piloté à distance. Mais réjouissez-vous, tout cela est progressiste et innovant. Et on ne peut pas être contre le progrès et l’innovation, n’est-ce pas ?
Alors quoi ? Alors la vie n’est pas dans un bocal de verre ou de plasma. Tout à l’heure, je vais rejoindre Pascal, de retour du grand vide. Nous allons marcher sous les arbres. Je t’emporterai avec moi et je te déposerai dans une mare où nagent d’autres poissons de ta famille.
J’ai débranché les écrans entre moi et la vie. J’essaie d’être là où je suis, dans chaque chose, chaque pensée qui m’habite. Je réapprends, un peu comme on réapprend à marcher après une longue période immobile. Je reviens vers la vie. C’est ce que je te souhaite aussi.

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Frédéric vient de m’envoyer ceci, qui se réfère au livre que je viens de publier : « Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture »
A contretemps du monde qui décidément m’échappe de plus en plus, à contre-courant mais rattrapé parfois par la vague, quelques mots volés à la grande lassitude trop souvent, quelques mots pour dire ce qui m’apparaît comme une évidence même si je manque de chiffres, mais il se trouvera peut-être un jour des experts pour accréditer mon hypothèse.

Si nous prenions en compte les terres pillées et massacrées, les vies saccagées, les forêts anéanties, les eaux empoisonnées, le climat chaviré, si nous faisions la somme des subventions, des aides et des milliards dépensées pour tenter de réparer l’irréparable, la conclusion serait sans appel : nous avons inventé l’agriculture la plus improductive du monde et, je le crains, de tous les temps. Je manque de temps pour illustrer mon propos dans le détail, mais je suis sûr que chacun, chacune, ici, comprendra de quoi je parle.

Pourtant, par des artifices comptables et rhétoriques, on nous martèle le contraire. Par un découpage factice du temps et de l’espace, on ne voit pas plus loin que le rendement à l’hectare, à l’unité de bétail animal et humain.
Ce qui vaut pour l’agriculture industrielle vaut pour la société industrielle dans son ensemble, évidemment.
Mais comment chiffrer la souffrance, comment mesurer le prix d’une vie sans congédier l’essence même de la vie, sans céder finalement à l’écologie palliative, à l’image des soins du même nom, cette écologie d’accompagnement escortant les agonisants vers la mort, les agonisants et la civilisation qui les achève. Cette escrologie là parle une langue morte, celle des technocrates à la pensée désincarnée.
Il faudrait, autant qu’il est possible, fuir cet univers morbide et rechercher le sens ailleurs, habiter chaque lieu, chaque instant de nos vies, chacun de nos liens, de nos paroles et de nos actes. Il faudrait habiter chaque pourquoi.
Merci à Fabrice pour cette nouvelle contribution que je n’ai pas encore lue mais que je devine combative. Merci et courage.