Archives mensuelles : avril 2014

Le moustique était changé de l’intérieur

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 23 avril 2014

C’est parti mon kiki. Au Brésil, on va lâcher dans les villes et les campagnes un moustique génétiquement modifié, OX513A. Officiellement, pour éradiquer la dengue. Mais en réalité, pour soutenir le chiffre d’affaires de Syngenta, le tireur de ficelles.

On n’a pas fini d’applaudir. Les rusés garçons qui tentent d’imposer partout des OGM ont remporté une belle victoire. Une commission officielle brésilienne, la CTNBio, vient d’approuver le lâcher et la commercialisation de moustiques génétiquement manipulés. À la différence de notre consultatif  Haut Conseil des biotechnologies (HCB), la CTNBio décide, et on voit mal ce qui pourrait encore arrêter l’aventure : OX513A devrait bientôt voler dans les airs des grandes villes, de Rio à Bahia, de São Paulo à Recife.

OX513A est un moustique mâle Aedes aegypti dans lequel on a  injecté deux gènes qui modifient son ADN. Relâché par millions, il devrait, selon le plan, s’accoupler à des femelles traditionnelles et peu à peu réduire drastiquement la descendance. Car il est réputé stérile, ou près de l’être, et transmettrait son incapacité à sa progéniture.

Avant de cogner comme un bûcheron sur cette énième aventure industrielle, précisons que tout repose sur la trouille inspirée par la dengue, une maladie infectieuse on ne peut plus réelle. Virale, elle est transmise dans les pays tropicaux par les moustiques Aedes, et provoque maux de tête, douleurs musculaires et articulaires, nausées, vomissements, etc. L’une des formes les plus sévères, la dengue hémorragique, s’étend à grande vitesse, et au total, plusieurs millions d’humains seraient infectés chaque année, dont 21 000 sont morts en 2011.

N’est-ce pas génial ? Le tableau ne saurait être plus favorable pour les expérimentateurs : une maladie lourde qui frapperait 120 000 Brésiliens chaque année, un « progrès » à portée de main, un coût dérisoire comparé aux dépenses de santé occasionnées par le virus. Mais comme à l’époque des villages Potemkine – des trompe-l’œil destinés à bercer Catherine II de Russie -, il faut passer de l’autre côté du décor pour comprendre ce qui se passe.

Un, le résultat des essais au Brésil – ils seraient époustouflants – n’a pas été publié. Gabriel Fernandes, responsable d’une association brésilienne pour l’agriculture familiale, AS-PTA (http://aspta.org.br) va droit au but : « Il n’existe aucune donnée montrant que ce moustique OGM réduit vraiment l’incidence de la dengue. Dans ce cas précis, la décision est bien davantage basée sur la propagande que sur des données concrètes venues d’études de terrain ».

Deux, nul ne sait ce que sera le suivi de l’affaire une fois les moustiques relâchés. Aucune autorité n’indique ce qui se passerait en cas d’effet malencontreux. On dissémine, et on compte les points. Trois, d’autres essais menés dans les îles Caïman – sur une surface évidemment restreinte – ont surtout montré les limites du projet. Pour éliminer une population ridiculement faible de 20 000 moustiques « normaux » – combien de millions pour le gigantesque Brésil ? -, il aurait fallu disposer de 7 millions de moustiques OGM par semaine.

Quatre, les conséquences sur la santé humaine et celle des écosystèmes ne sont simplement pas prises en compte. Ce n’est pas une criaillerie d’écologiste attardé. Une baisse temporaire du nombre de moustiques porteurs de la dengue pourrait avoir ce que les spécialistes appellent un effet rebond. L’immunité contre la maladie baisserait aussi, mettant en danger divers groupes en cas de retour massif du virus. Selon certaines sources, la réduction pour un temps de la contamination pourrait en outre entraîner une baisse de l’immunité croisée, qui protège contre les différents sérotypes de la dengue.

Dans tous les cas, on ne sait pas où on va, mais on y va. On ne sait pas, sauf peut-être la petite entreprise cachée dans les coulisses. Un tel scénario passe par des techniciens hautement spécialisés, en l’occurrence ceux d’Oxitec. Cette boîte britannique (www.oxitec.com) se présente évidemment comme philanthropique. Officiellement, elle est « un pionnier dans la lutte contre les insectes vecteur de maladies et ravageurs des récoltes ». Et les solutions proposées, « durables, rentables et respectueuses de l’environnement » peuvent « garder les gens en bonne santé et accroître la production alimentaire ». C’est très beau, c’est très faux.

Selon l’association anglaise GeneWatch (http://www.genewatch.org), Oxitec a « des liens étroits avec la transnationale de l’agrobusiness Syngenta ». Cette dernière a financé certains travaux d’Oxitec, et plusieurs de ses anciens dirigeants siègent au conseil d’administration d’Oxitec. Pourrait-il s’agir d’un faux-nez ? Syngenta, d’origine suisse, est un géant mondial des semences et des OGM, qui ne cesse de chercher des chevaux de Troie pour pénétrer de nouveaux marchés. Le moustique OX513A pourrait bien faire partie de la liste.

Dans cette hypothèse, on risque fort de parler tôt ou tard de moustiques transgéniques en France, car la dengue est très présente dans les Antilles françaises – Martinique et Guadeloupe -, où la grande épidémie de 2009/2010 a frappé plus de 80 000 personnes. Et les Aedes aegypti tripatouillés par Oxitec transmettent également le chikungunya, qui a dévasté la Réunion en 2005 et 2006 et se répand ces dernières semaines dans les Antilles.

Le Sud-Ouest lui-même, sur fond de dérèglement climatique, est menacé. Le 26 mai 2012, un habitant de Marmande (Lot-et-Garonne) envoie à l’administration une photo prise chez lui, en plein centre-ville, qui montre un moustique du genre Aedes, de l’espèce albopictus. Celui qu’on appelle le moustique tigre. C’est d’autant plus chiant que sa présence a été confirmée de nombreuses fois depuis, de Pessac à Talence, et qu’il transmet lui aussi la dengue et le chikungunya.

La France reste loin pour l’instant du Brésil, mais demain ? Rappelons en deux mots l’affaire du DDT, produit miracle qui n’est jamais venu à bout du paludisme, mais a niqué pour de bon d’innombrables écosystèmes. Quarante ans après les premières interdictions, on trouve la trace de ce produit cancérigène dans la plupart des analyses de sang aux Etats-Unis. Ce n’est pas la même chose, mais ça pourrait faire réfléchir les ramollos du bulbe. Peut-être.

Les éoliennes aux mains d’Areva et Total

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 16 avril 2014

Un nouvel Eldorado pour les transnationales françaises de l’énergie : les éoliennes en mer.  Un accord inédit lie le WWF, Greenpeace, les Amis de la Terre et les compères du nucléaire, du gaz et du pétrole réunis

Cherbourg, capitale de la propagande. La semaine passée – les 9 et 10 avril -, le syndicat des énergies renouvelables (SER) organisait dans le Cotentin les premières « Assises nationales des énergies marines renouvelables ». Formidable ? Dégueulasse. Pour bien comprendre ce qui se passe, il faut commencer par présenter la bête. Le SER (http://www.enr.fr) n’est pas un syndicat, c’est une vaste réunion de compères créée en 1993, où dominent quelques poids lourds comme EDF, Gdf-Suez, Total, Alstom, Areva. La fine fleur du nucléaire, des turbines industrielles qui lui sont souvent liées,  et des combustibles fossiles comme le gaz ou le pétrole. Peut-on trouver plus merdique ? Non.

À Cherbourg, on a discuté de l’avenir prévisible de deux très gros dossiers. Les éoliennes offshore et les hydroliennes. Pour les premières, c’est vraiment parti après des années de valse-hésitation. On peut voir le coup d’envoi dans une lettre un poil hallucinante datée du 18 septembre 2009. Toute la galaxie écolo officielle – celle qui a donné dans le Grenelle de l’Environnement de Sarkozy – a posé sa signature. Le WWF, Greenpeace, Les Amis de la Terre, entre autres.

Ces écolos bien-élevés hurlent à la mort, car « les adversaires de l’énergie éolienne s’apprêtent à une nouvelle campagne de dénigrement avec, pour point d’orgue, l’organisation de leur manifestation annuelle le 26 septembre ». Où ? Au Mont Saint-Michel, où ces crapules prétendent qu’il existe un projet d’éoliennes offshore. Et blababli et blablabla. Le texte est un hymne au progrès techno, et peste contre des projets de loi susceptibles de nuire à l’éolien et à son « rôle important dans la lutte contre le changement climatique et pour le développement économique ».

Non, ce n’est pas un dépliant du ministère de l’Industrie, quoique. On a oublié l’un des signataires, un certain André Antolini, alors président du SER évoqué plus haut. Antolini est une caricature, qui a été – entre autres – président de la Fédération nationale des promoteurs constructeurs (FNPC), du Conseil national de la construction (CNC), et directeur général délégué d’EDF-énergies nouvelles. Bref, un bon camarade. Comme les écolos estampillés se sont-ils embarqués à bord d’une telle galère ? Mystère des profondeurs. En tout cas, Sarkozy embraie aussitôt et débloque un dossier jusque là en panne. En janvier 2011, il annonce un appel à projets portant sur 10 milliards d’euros et cinq sites offshore : Dieppe-Le Tréport, Fécamp, Courseulles-Sur-Mer, Saint-Brieuc et Saint-Nazaire. En moins de dix ans, 600 éoliennes doivent être construites en mer.

En avril 2012, le noble Éric Besson annonce les résultats de l’appel d’offre. EDF, alliée avec Alstom et un Danois, ramasse la mise pour Courseulles, Saint-Nazaire et Fécamp. Areva et un Espagnol s’emparent de Saint-Brieuc, et Le Tréport est repoussé. Besson sanglote et lâche au micro : « Cette décision va conduire au développement d’une nouvelle filière industrielle à vocation mondiale, avec 10.000 emplois industriels créés, et positionner la France parmi les leaders mondiaux de l’industrie éolienne offshore ».

Rebelote en novembre 2013 : le gouvernement lance un second appel d’offres pour deux champs d’éoliennes offshore au large du Tréport et de Noirmoutier. Cette fois, le SER d’Antolini et de Jean-Louis Bal, son remplaçant, ne se sent plus, et annonce carrément 30 000 emplois d’ici 2030 si on lui refile toutes nos côtes. Toutes ? Quand même pas. La carte établie pour l’occasion se concentre sur la mer du Nord et la Manche, l’Atlantique au sud de Saint-Nazaire, et quelques spots en Méditerranée. Pour l’instant. On en est là, au point de bascule d’un gigantesque projet d’industrialisation côtière. La France octroie la mer proche à ceux qui ont pourri la France et le monde – Total, c’est Elf, et les satrapes africains – à coup de centrales nucléaires, de barrages géants – celui des Trois Gorges, en Chine, c’est Alstom – et de derricks dans le cul des pauvres du Sud.

Est-ce bien raisonnable ? Gloire à l’association Robin des Bois (www.robindesbois.org), qui a décidé, bien seule, de relever le gant. Dans un communiqué cinglant publié le 8 avril, elle pose la seule question qui vaille : « Nous avons dégradé le littoral. Allons nous maintenant transformer la mer côtière en zone industrielle ? ». À ce stade, ça craint déjà beaucoup, car « aucune étude d’impact sérieuse et contradictoire n’est disponible ». Rien sur les oiseaux, les mammifères marins, les poissons, les effets de barrière, les risques de collision.

Sérieusement, faut-il faire confiance à Areva et EDF pour assurer la fameuse « transition énergétique » ?

Encadré
Le raz Blanchard changé en tuyauterie

Cela s’appelle la fuite en avant. Les monstres énergétiques ne sont pas programmés pour penser la sobriété, mais seulement le gaspillage et la surproduction. L’exemple des hydroliennes entre à la perfection dans ce schéma mental.

Qu’est-ce qu’une hydrolienne ? Une turbine immergée qui utilise la puissance des courants sous-marins comme le font les éoliennes avec le vent. La technologie existe, mais ses effets demeurent inconnus. Prenons des exemples, du plus simple au plus général. Pour empêcher l’encrassage des turbines par les algues et le plancton, il faudra balancer sans cesse des produits antifouiling, qui sont parmi les pires perturbateurs endocriniens. Bien au-delà, les hydroliennes modifient fatalement les courants marins, la sédimentation, les zones de pêche. Le risque de ce que les biologistes appellent des « zones mortes » est évident.

Le projet le plus fou de tous concerne le raz Blanchard, qui est l’une de nos vraies merveilles. Il s’agit d’une sorte de torrent sous-marin d’une puissance stupéfiante – la vitesse du courant peut dépasser 5m/seconde -, à l’ouest de Cherbourg. Nul ne sait comment ce trésor s’insère dans les écosystèmes locaux et régionaux, mais les ingénieurs ont décidé de le traiter comme une grosse canalisation. Un tuyau.

Où irait l’électricité ainsi produite ? Droit dans la ligne THT qui partirait du futur réacteur nucléaire EPR de Flamanville, en direction du réseau national d’EDF. La poursuite du même, encore et toujours. Reiser, Gébé, où sont passés l’an 01 et les petites éoliennes au-dessus des toits ?

Et si on achetait une auberge naturaliste ?

Jean-Marie Ouary est un rouge. Un vrai rouge comme je continuerai à les aimer jusqu’à la fin. Dur aux forts, tendre aux faibles. Un partageux, un partageux tel qu’il étend son sens de la justice au monde des animaux et des plantes. Rien à voir – faut-il le préciser ? – avec les pauvres copies qui font de la retape ici ou là, et qui me servent de cibles perpétuelles. Je ne cite personne. Jean-Marie est un rouge et un prolo dans l’âme, grandi à Noisy-le-Sec, tout près des lieux de mon enfance.

C’est un prolo devenu savant. Il n’aimera pas ce mot, mais je le maintiens. Il sait faire quantité de choses que la plupart ignorent. Sortir sous la mitraille, empoigner par le col les vilains, reconstruire une automobile, convoyer des expéditions jusqu’au Mali pour sauver les derniers éléphants de l’Ouest africain. Il aime puissamment les bêtes et les gens. Et j’ajoute qu’il est un naturaliste de terrain comme il en est peu. Sur le plateau du Vercors – l’un des lieux les plus beaux parmi ceux que je connais -, il surveille comme aucun autre la piste des loups. Car les loups sont là, répartis en trois meutes, et Jean-Marie, Véronique Thiery – des bises ! – et leurs potes de l’association Mille Traces (ici) veillent au grain. C’est-à-dire qu’ils empêchent les tirs des quelques fiérots locaux qui voudraient faire un carton sur le bel animal.

Il y a quelques soirs, j’ai dîné à Paris avec Jean-Marie et l’un des piliers de Mille Traces, François Morel. François, que je ne connaissais pas, m’a fait forte impression. Figurez-vous qu’il fabrique dans le Diois (Drôme), depuis près de 35 ans, des appeaux en bois magnifiques (ici). C’est un artiste, d’évidence, qui passe des mois à parfaire ses créations. Elles sont hallucinantes, et si je peux le dire ainsi, c’est parce que François m’a offert trois de ses œuvres : le coucou, la huppe fasciée, le rouge-gorge. Souffler dedans vous transporte au paradis.

Pourquoi vous parler d’eux ? Pour la raison simple qu’ils cherchent des sous pour un projet que je soutiens, et que je trouve exaltant. Il s’agit d’ouvrir au pied de l’immense Réserve naturelle des Hauts-Plateaux du Vercors – 17 000 hectares parcourus par des loups, des bouquetins, des tétras, des vautours fauves -, la toute première Auberge naturaliste de France. La maison est déjà la, avec ses chambres, ses espaces, ses hôtes. Aux alentours, les pentes du Grand Veymont, dont la beauté m’a fracassé un été d’il y a neuf ans.

On pourra aussi bien se reposer et dormir que boire, manger, rencontrer des amis, échanger sur la vie et les bêtes, glaner quelques idées heureuses sur la marche du monde. Un tel lieu ne se refuse pas, mais il coûte. Une SCI a été constituée, et vous trouverez quelques détails dans les docs ci-dessous appelés Auberge 1 et Auberge 2. Il manque environ 100 000 euros, répartis en parts de 100. Ce n’est rien, à peu près rien. Je ne vous oblige pas, mais pour ce qui me concerne, je vais souscrire, car on ne peut passer à vie à crier contre le monde, comme je le fais sans arrêt. Il faut aussi admirer ce qui reste debout.

Je vais donc acheter quelques parts, qui me permettront de penser que je n’ai pas tout perdu de mon argent gagné. Si vous avez trois sous, je vous jure que l’action le mérite, et bien au-delà. Si vous n’avez pas un rond, envoyez toujours un mot de soutien. Et retenez l’adresse, car cette auberge va ouvrir, sûr et même certain. Vous voulez en être ? On se croisera peut-être là-bas.

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Royale prise de tête pour l’écologie

Ce papier a été publié par Charlie Hebdo le 9 avril 2014

Mission impossible pour Ségolène Royal, qui doit se coltiner au ministère les ingénieurs des Ponts et des Eaux et forêts. Derrière les rideaux de fumée, la « noblesse d’État » décrite par Bourdieu réclame la seule chose qu’elle connaît : des coulées de béton.

Pas la peine de mentir : on ne voyait pas Ségolène Royal revenir au ministère de l’Écologie, 20 ans après avoir occupé le poste. Ben oui. Royal a été ministre de ce qu’on appelait l’Environnement entre avril 1992 et mars 1993, juste avant la branlée monumentale des législatives, qui a dû rappeler des souvenirs au père Hollande. Député sortant de Corrèze – déjà -, il avait en effet été sèchement battu par le candidat UDF-RPR de l’époque.

Donc, Royal. Ne jamais oublier qu’elle n’a pas réussi grand-chose. À l’Environnement, en 1992, elle a lamentablement foiré une Loi sur les déchets, qui devait interdire les décharges dès 2002, sauf pour les déchets dits ultimes. 22 ans plus tard, il existe encore des centaines de décharges en France, et rien n’indique le moindre mouvement en sens contraire. Certes, toute la société a merdé. Mais Royal encore plus.

Deuxième raté : le Marais poitevin. Élue du coin comme députée, puis présidente de la Région, elle connaît le dossier par cœur. L’une des plus splendides zones humides de France a été drainée en bonne part, et transformée en une immensité de maïs dopé aux pesticides. Elle a  blablaté, ferraillé à l’occasion avec Raffarin, l’autre ponte local, côté droite, mais elle a laissé faire. Elle y pouvait rien ? En tout cas, elle n’a rien foutu.

Que vient-elle traîner dans la galère gouvernementale ? Le ministère de l’Écologie appartient de longue date aux grands ingénieurs, cette « noblesse d’État » décrite avec bonheur par Bourdieu dans un livre de 1989. En la circonstance, au corps des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts (IPEF). On ne peut que survoler : les ingénieurs des Ponts ont absorbé par fusion ceux des Eaux et Forêts (Igref), et forment l’ossature administrative du ministère de l’Écologie. Or les Ponts, qui existent depuis avant la révolution de 1789, auront tout fait : les routes et ronds-points, les autoroutes, les villes nouvelles comme l’atroce Marne-la-Vallée, les ZUP pouraves de banlieue. Les Igref, de leur côté, ont assaisonné les restes : remembrement des campagnes, destructions des haies, « rectification » ou canalisation des voies d’eau, plantations massives de résineux. L’anti-écologie.

Royal sait à quoi s’en tenir, et elle ne va certainement pas mener des combats perdus d’avance. Elle a en ligne de mire deux dates clés : la loi de transition énergétique d’une part ; le sommet mondial sur le climat qui doit se tenir en 2015 à Paris. Charlie a déjà parlé de la prochaine loi Énergie, prévue avant l’été. Pour l’heure, les grands lobbies industriels – Total et de Margerie, EDF et Proglio – mènent le bal, en plein accord avec Hollande, qui a un besoin crucial de ces poids lourds pour fourguer son Pacte de responsabilité.

Margerie comme Proglio refusent à l’avance qu’on leur fasse payer une transition vers des énergies vraiment renouvelables. Business as usual. Total guigne une hypothétique exploitation des gaz et pétroles de schiste en France et EDF exige qu’on lui foute la paix avec le nucléaire. Que peut espérer Royal contre son ancien jules, Valls, Montebourg et Cazeneuve, appelé jadis le « député Cogema » à cause de son militantisme pronucléaire ? Elle a intérêt à trouver avant les grandes vacances.

Quant à la réunion sur le climat, l’affaire s’annonce là aussi délicate pour Royal. Car jusqu’ici, tous les rendez-vous depuis la conférence de Kyoto, en 1997, ont échoué, faute d’accord sérieux entre le Nord et le Sud. Ajoutons un mot sur l’Agriculture, secteur décisif pour qui se préoccupe des écosystèmes. Le Foll maintenu, c’est l’assurance que les liens noués en profondeur avec la FNSEA de Xavier Beulin seront maintenus.

Or Beulin, chantre de l’agriculture industrielle, ne rêve que d’une chose : installer des fermes des 1000 vaches et des usines à biocarburants. Il est donc raccord avec Proglio et Margerie, mais aussi avec les ingénieurs anciennement des Eaux et Forêts qui tiennent le ministère de l’Agriculture. Lesquels ne rêvent que d’une chose : industrialiser ce qui ne l’a pas encore été. Les surprises ne sont pas terminées.

Des nouvelles de mon livre de dans six mois

Je vous ai déjà dit deux mots à propos d’un livre en préparation. Son écriture me dévore une énergie telle que je ne dispose pas du temps que je souhaiterais ici. Mais voilà que je suis dans la dernière ligne droite : il paraîtra en septembre aux éditions Les Liens qui Libèrent (LLL). J’ai beaucoup de chance, car mon éditeur est un excellent éditeur. En outre, Henri Trubert – son nom – est devenu au fil des ans, depuis qu’il a édité chez Fayard, en 2007, Pesticides, révélations sur un scandale français (avec mon coauteur François Veillerette), un ami. Il est donc très plaisant de travailler en se sachant soutenu.

Ce livre parle de la chimie, de l’industrie chimique, de la manière dont cette industrie a pris la place inouïe qui est la sienne. Vient qui veut sur Planète sans visa, et c’est très bien ainsi. Mais parmi les milliers de lecteurs que j’ai l’honneur de recevoir, il en est qui sont prêts à me donner un coup de main. À eux, je me permets de demander de l’aide, dès à présent, pour faire savoir autour d’eux que ce livre va sortir. J’en ai besoin, car les fenêtres d’édition, quand elles s’ouvrent, se ferment au plus vite. Il n’est donc pas trop tôt pour vous alerter. Et soyez tous certains que je n’oserais pas ces mots s’il ne s’agissait que de mon sort personnel. Sans l’ombre d’un doute, ce livre concerne chacun d’entre nous, à plus d’un titre.

Il va de soi que je ne prétends aucunement que le livre sera bon. Ce que je dis, car je sais ce qu’il contient, c’est qu’il rendra lisibles des informations très importantes. Voilà. Je vous laisse ci-dessous les premières et les dernières lignes du prologue, dont je ne peux garantir qu’elles seront dans la version définitive du texte. Elles sont fort guillerettes à côté des 23 chapitres qui suivent.

« C’est un monde splendide, onirique, où tout semble possible. L’entrechoquement est l’un des grands maîtres de cérémonie, servi par les passions les plus vives. On aime à la folie et l’on se jette sans façon dans les bras d’un qu’on ne connaissait pas la milliseconde d’avant. On déteste violemment et l’on s’enfuit à la vitesse du son, sans se retourner sur un passé qui n’a jamais existé (…)

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>  Autrement exprimé, la quête immémoriale de la connaissance chimique est une belle disposition de l’esprit. Il faudrait être singulièrement tourné pour ne pas apprécier la capacité de quelques humains à passer leur vie au milieu des cornues et des formules. À distance, la geste du Persan Jâbir ibn Hayyân, découvrant – probablement – l’acide chlorhydrique au 8ème siècle de notre ère, remplit d’une joie enfantine. De même Abu Bakr Mohammad Ibn Zakariya al-Razi, autre Persan, entre 9ème et 10ème siècle, isolant l’acide sulfurique et l’éthanol. De même Paracelse décrivant pour la première fois il y a près de 500 ans la formation de l’hydrogène en versant du vitriol sur du fer. De même Michael Sendivogius, subodorant, à l’orée du 17ème siècle, l’existence de l’oxygène. De même, au siècle suivant, Joseph Black et son « air fixe », autrement appelé le gaz carbonique. De même Lavoisier, Volta, Gay-Lussac, Berzelius, Faraday, cent autres.

> Non, décidément non, ce livre n’est nullement une condamnation de la chimie. Il démontre, à l’aide de quantité d’exemples difficiles à contester, que l’industrie née de cette quête mène une guerre non déclarée contre ce qui est vivant. Cela n’a rien à voir avec le génie de la découverte, mais tout avec les limites indépassables de notre espèce ».