Archives mensuelles : novembre 2023

Dans le Gaza d’avant, tombeau à ciel ouvert

Ce qui suit ne parle pas de la guerre en cours

On lit souvent que la bande Gaza est une prison à ciel ouvert. Mais ce n’est pas vrai. On ne s’échappe pas de cette minuscule bande de terre. L’immense majorité des Gazaouis vivent un confinement qui dure pour certains depuis des dizaines d’années. On naît et on meurt là. Ce n’est donc pas une prison, mais un tombeau. À ciel ouvert. Bien avant la guerre en cours, la vie réelle y était devenue impossible. 5800 habitants au km2 en moyenne, mais plus de 20 000 dans les zones urbaines. Et une recherche permanente de nourriture ou de médicaments.

Et d’eau. Le problème n’est pas nouveau, mais il s’aggrave d’année en année, et paraît désormais insoluble. La ressource essentielle vient de la nappe souterraine, un aquifère qui longe la Méditerranée. 94% des Gazaouis en dépendent pour leurs besoins quotidiens Surexploitée, la nappe se vide trois fois plus vite qu’elle ne se recharge grâce aux faibles pluies d’une région aride. Par un phénomène bien connu d’intrusion, la mer toute proche s’infiltre à travers des sols poreux et transforme l’aquifère en un réservoir saumâtre, gravement pollué, en outre, par les eaux usées, les pesticides, les microplastiques. 97% de son eau est désormais impropre à la consommation humaine.

En théorie, car beaucoup n’ont pas le choix. Une fois par semaine, par exemple, la famille de Noura – son mari, leurs six enfants – reçoit de l’eau et en remplit aussitôt une citerne de 500 litres. L’eau du robinet est tellement salée qu’elle ne peut être bue, et ne peut servir qu’au ménage et à la lessive (1). Les canalisations, les appareils ménagers qui en utilisent sont irrémédiablement corrodés. La pollution par le sel a bien entendu de graves répercussions sur une production agricole en chute libre : certaines des cultures jadis prospères, comme le concombre et la pastèque ont en effet besoin de grandes quantités d’eau douce.

Le business de l’eau potable est donc florissant, mais beaucoup de Gazaouis n’ont pas de quoi en acheter. Les autres consacrent jusqu’au tiers de leur revenu à l’achat d’eau. Une étude sérieuse estime que plus d’un quart des maladies, dans la bande de Gaza, sont causées par l’eau. À ce qui ressemble vaguement à de l’eau. En 2017, l’UNICEF interrogeait une mère de famille, So’ad (2) : « Ici, tout le monde dépend des fosses d’aisance qu’ils vident dans la région. Il y a maintenant une grande et profonde mare d’eaux usées à côté de notre maison. C’est dangereux pour les enfants et l’odeur est épouvantable. En hiver, les eaux usées inondent la rue et pénètrent dans notre maison ». Et l’UNICEF ajoutait : « L’incidence de la diarrhée chez les enfants de moins de trois ans a doublé. Tous les enfants de la bande de Gaza sont exposés aux maladies d’origine hydrique ».

La mer ? À l’été 2017, un gosse de cinq ans, Mohammed Salim Al-Sayis meurt d’être allé se baigner non loin d’un collecteur d’égout se jetant directement en mer. 108 000 m3 d’eaux non traitées – ou si peu – se déversent chaque jour dans la Méditerranée. Et des milliers de pêcheurs – selon les sources, de 2000 à 4000 – se font concurrence à l’intérieur de la zone autorisée par Israël, ramenant des poissons de plus en plus rares, farcis de métaux lourds et de microplastiques.

C’est que la bande de Gaza produit autour de 2000 tonnes de déchets chaque jour et que les trois grandes décharges : Sofa, dans le Sud, Deir al-Balah et Johr al-Deek, dans l’Est, sont saturées depuis au moins dix ans. Des dizaines d’autres – 80, 100, 150 ? -, sauvages, ne sont pas sécurisées et laissent passer dans le sol de grandes quantités de ce « jus » de décharge ultratoxique qu’on appelle le lixiviat (3). Désespoir ? Des Palestiniens de Gaza, soutenus par des aides internationales, ont redonné vie – très fragile – à si petit fleuve qui traverse le territoire, le Wadi Gaza (4). De juin 2022 à mai 2023, 35 000 tonnes de déchets ont été retirées de ses rives et de son lit. Désespoir ? Elle passe sous un pont détruit par l’aviation israélienne, dont les débris du tablier n’ont pas encore été dégagés. En 2014.

(1)https://www.icrc.org/fr/document/gaza-la-crise-de-leau-image-par-image

(2)https://www.unicef.org/stories/gaza-children-face-acute-water-sanitation-crisis

(3)https://ps.boell.org/en/2019/08/05/reality-waste-management-gaza-risks-challenges

(4)https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/07/en-palestine-la-fragile-renaissance-du-wadi-gaza_6192961_3210.html?random=463049065