Archives de catégorie : Biodiversité

Les djihadistes de la pêche bretonne

Qui oserait écrire sur Facebook et sous son nom : « Ça fait que commencer ! Daech va venir vous voir, bande de bâtards ! ». Qui ? Un certain Emmanuel N., pêcheur breton de son état, qui glisse amoureusement ce complément : « Fdp [fils de pute], suceur de cailloux, enculeur d’arbres, allé acheter des dents pour manger du flippeur le requin et de la baleine, c trop bon à manger. A bonne entendeur bande de chien de fils de chien, ta mère la pute crevard, vaut mieux pas que je vs voit. Fdp, fdp et enfants de putin ».

Mignon. Un peu répétitif, un peu déjà vu, mais vraiment mignon comme tout, cher Emmanuel. Le monsieur semble mécontent, mais pourquoi, dites ? L’affaire commence début août. Une équipe de Sea Shepherd lance un zodiac semi rigide, le Clémentine, à l’assaut des vagues bretonnes. Rappelons que Sea Shepherd (seashepherd.fr) est une association de combat créée et présidée par le Canadien Paul Watson. Ses équipes, ses bateaux vont au contact des écumeurs des mers, prenant de grands risques pour la sauvegarde des requins et baleines, mais aussi des phoques, des thons, et bien sûr des dauphins.

Début août, donc, la Bretagne. Le 30 – et ce n’est qu’un exemple -, ceux du Clémentine filment à distance un navire qui remonte dans ses filets dormants cinq dauphins, tous morts bien sûr puisque ces mammifères ont besoin de respirer en surface. Selon les estimations de Sea Shepherd, 10 000 dauphins et cétacés seraient ainsi tués sur les côtes françaises. « Nous sommes les seuls témoins de cette tuerie à grande échelle perpétuée au large, à l’abri des regards », expliquent les activistes.

D’où ce léger courroux des pêcheurs de dauphins. Lesquels ont créé un groupe Facebook sobrement appelé « Contre Sea Shepherd ». Il n’y a pas que l’ami Emmanuel. Citons parmi les poètes Alex P., qui prévient ses amis : « Le zod [le zodiac Clémentine] est à port la forêt à côté de la gendarmerie maritime. Bon défoulement ». À quoi Jean-Christophe C. répond : « Fo les couler ». Damien F. renchérit : « Je vais aller le mettre au fond celui là » et le plus aimable de tous, Jacques T. prévient : « Le premier que je trouve à bord est décapité ». Que des beaux projets, que des saintes idées.

Est-ce tout ? Point. Les pêcheurs si sympathiques publient aussi une photo de Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd en France. Et d’origine marocaine. Commentaire de Miroslav Z., bon Français comme son nom l’indique : « A-t-elle son visa en règle quand même. Quand tu vois sa gueule… ».

Le Comité national des pêches, qui ressemble tant à une FNSEA des mers, a pondu un communiqué très éclairant sur lui-même : « Depuis trois ans, l’ONG Sea Shepherd harcèle les pêcheurs français dans le golfe de Gascogne, pour filmer des captures accidentelles de mammifères marins. Ce harcèlement continu, souvent de nuit, au moyen d’un zodiac se rapprochant très rapidement des navires de pêche est dangereux ».

Lamya : « Ces gens, qui nous ont traité d’abordeurs, terme lourd en mer, mentent comme des arracheurs de dents. Nous avons constamment respecté les règles maritimes, à commencer par les distances de sécurité. Et la gendarmerie maritime l’a d’ailleurs reconnu. La vérité, c’est qu’ils se sentent les propriétaires des mers. S’ils entendent privatiser l’océan, qu’ils le disent clairement. Ce que révèle hélas cette histoire, c’est que même les petits bateaux de pêche, qui sont des centaines dans le golfe de Gascogne, font partie du problème. Car ils ont le droit de placer des kilomètres de filets dans les zones d’habitats du dauphin, ce qui conduit nécessairement au massacre. Mais en Australie, non ».

Non ? Non. Sur les côtes de l’île-continent, le dauphin est réellement protégé, et les pêcheurs, sous risque de perdre leur licence, n’ont pas le droit de poser des filets dans les zones habitées par ces animaux. Sea Shepherd a déposé plainte pour diffamation contre le comité des pêches. Et pour apologie du terrorisme contre les braves pêcheurs du groupe Facebook. Sûr qu’on va leur tirer les oreilles.

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Le Sri Lanka veut plus de nos cadavres

Bien fait pour notre gueule à tous. Qu’est donc le Sri Lanka ? L’ancienne Ceylan aux senteurs de rêve est une larme posée sur l’Océan indien, face au continent asiatique, face à l’Inde. Un très, très beau pays de 23 millions d’habitants, hélas divisé jusqu’au crime le plus abject entre Tamouls – 18 % -, majoritairement hindouistes, et Cinghalais – 75% -, essentiellement bouddhistes. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

L’an passé, le Sri Lanka demande gentiment à l’Angleterre de reprendre une centaine de containers d’ordures diverses. Des déchets médicaux, des matelas, des plastiques, des rebus dangereux non identifiés. L’ensemble puait atrocement, ce qui finit par attirer l’attention, ballots que sont les envoyeurs.

Une plainte du Centre for Environmental Justice (CEJ) précisait (1) : « Also, population will be exposed to several health risks due to the pathogens in the clinic or other waste found in the imported waste. This could also have negative impacts on the biodiversity ». Sans surprise, risques pour la santé et la biodiversité.

Et tout repartit donc vers Boris Johnson, après des renvois similaires venus du Cambodge, des Philippines, d’Indonésie, de Malaisie à destination du continent américain. Cette fois, le Sri Lanka veut retourner, après décision de justice, 242 containers qui débordent de restes de morgues anglaises, y compris de corps humains, qu’on ne pouvait d’évidence cramer ou enterrer au Royaume-Uni, ce grand pays dépourvu de cimetières. Et nous là-dedans ? On préfère les grands espaces africains.

(1) indianexpress.com/article/explained/explained-why-sri-lanka-is-sending-back-waste-to-the-uk-6912941/

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Les vers de terre sont des Amish

Ça prend la forme d’une étude scientifique de plus, intitulée « Residues of currently used pesticides in soils and earthworms: A silent threat? » (1). Ce qui veut dire : « Résidus de pesticides couramment utilisés, dans les sols et dans les vers de terre, une menace silencieuse ? ».

Que dit-elle ? Trois fois rien, cent fois plus : ses auteurs ont travaillé sur une plaine céréalière proche de Chizé (Deux-Sèvres), qui se situe non loin d’une célèbre station du CNRS. Et recherché les restes de 33 pesticides dans 180 échantillons de sol et 155 vers de terre au total. Premier constat d’ambiance : 100% des sols analysés et 92% des vers de terre contenaient au moins un pesticide.

Beaucoup plus dérangeant : les espaces semi-naturels, les haies, les champs traités, les cultures bio étaient contaminés. Dans 40% des cas, les chercheurs ont retrouvé une mixture de plus de dix pesticides différents, et les quatre substances les plus présentes sont l’herbicide diflufenican, l’insecticide imidaclopride, les fongicides boscalid et époxiconazole.

Détaillons, cela vaut la peine. Il n’y a pas de données chez l’homme pour le premier, le diflufenican. Chez le chien et les rongeurs, il est toxique pour le foie. Et probablement pour leur ADN. L’imidaclopride est la matière active du Gaucho massacreur d’abeilles. C’est un néonicotinoïde. Le boscalid est un SDHI, extrêmement dangereux (2) et l’époxiconazole a été retiré du marché l’an passé à cause de ses effets de perturbation endocrinienne.

Au moment où ces mots sont écrits, l’Assemblée nationale, après un petit tour devant le Sénat, s’apprête à voter une seconde fois pour le retour des néonicotinoïdes interdits depuis une loi de 2016, à l’usage de la betterave industrielle. Si ces gens étaient autre chose que des idéologues, nul doute qu’ils s’intéresseraient aux études scientifiques (3). N’accusent-ils pas les protecteurs des écosystèmes d’être des obscurantistes ? Des Amish adorateurs de la bougie, pour reprendre le mot de ce pauvre président si peu savant ?

(1) sciencedirect.com/science/article/pii/S0167880920303534

(2) J’ai consacré au sujet « Le crime est presque parfait (LLL).

(3) cnrs.fr/fr/neonicotinoides-malgre-le-moratoire-de-lue-un-risque-persiste-pour-les-abeilles

Un bon Français contre les Aborigènes

Je vais te parler d’un bon gars français qui s’appelle Jean-Sébastien Jacques, né en 1971. Connais pas la famille, mais je devine que papa ne bossait pas chez Renault à assembler des 4L. Fiston a fait Louis-Le-Grand, puis l’École Centrale Paris, créée en 1829, où les anciens élèves – André Michelin, Robert Peugeot, Bouygues – s’appellent entre eux « pistons », on se demande pourquoi. L’ancien Premier ministre et comique Raymond Barre y a enseigné, on voit donc le genre.

Jean-Sébastien a fait une carrière de toute beauté avant de devenir en 2016 le CEO – acronyme anglais qui veut dire grand chef – de Rio Tinto. Ce groupe minier multinational emploie 50 000 personnes dans le monde et troue la terre partout à la recherche de cuivre, d’or, de bauxite, de diamants, d’uranium, de charbon, etc.

Attention, ce n’est pas facile, car comme le dit l’entreprise elle-même, « Nous travaillons fort pour laisser un héritage positif et durable là où nous exerçons nos activités » (1). Fort de ce fier engagement, Rio Tinto, est installée depuis des décennies dans la région de Pilbara, dans l’Ouest de l’Australie, où le sous-sol est farci de fer. La boîte a un rang à tenir : elle en est le premier producteur privé au monde. Pilbara, que personne ne connaît, est presque aussi grande que la France, mais avec 40 000 habitants seulement, la plupart rassemblés sur la côte.

Et le fer est au centre, là où vivent les Abos, habitants premiers de l’île-continent. Comme Rio Tinto aime la culture et les peuples autochtones, elle envoie ses missionnaires parler, puis passer des accords dès 1995 avec des représentants aborigènes. Quels accords, quelles contreparties ? On ne peut qu’imaginer. En tout cas, tout cela est « légal ».

De toute façon, Rio Tinto le jure (1), « We recognise the cultural, spiritual and physical connections that Traditional Owners have with the land, water, plants and animals across the Pilbara region of Western Australia ». Rio Tinto reconnaît les liens culturels, spirituels et physiques que les Abos entretiennent avec l’eau, la terre, les plantes, les animaux.

Un jour de mai dernier, Rio Tinto décide qu’elle a marre, des salamalecs de ces tordus. Ça va un peu, le respect. Des grottes très anciennes et des abris sous roche, tenus pour sacrés empêchent qu’on aille chercher le fer planqué au-dessous. Certains de ces vestiges ont 46 000 ans d’âge, il y a un os de kangourou taillé en forme de lame voici 28 000 ans. Et une tresse de cheveux qui pourrait avoir 4000 ans. On a beau savoir depuis le début, on fait sauter le tout.

En Australie, la chose est (presque) courante, et les autorités, qui sont à la botte, l’acceptent. Mais cette fois, ça ne passe pas. Les Aborigènes du coin ont appris par des analyses ADN qu’ils sont les descendants directs de ceux qui habitaient ces cavernes. Et ils hurlent. Et on les entend enfin.

Du coup, on pique dans un premier temps une prime de trois millions d’euros à cette petite frappe distingués appelée Jean-Sébastien Jacques. Mais comme l’incendie se propage, on décide de le lourder. Est-il le seul responsable (humour) ? Convolons, si tu le veux bien, vers l’île de Bougainville, à 3000 km de l’Australie. Ce territoire fait partie de la Papouasie-Nouvelle Guinée, et son sous-sol est rempli de ces bonnes choses à manger qu’on trouve en Australie.

Rio Tinto y a exploité une mine géante de 1972 à 1989. Prétextant des troubles – réels -, la transnationale a tout fermé, mais en laissant des cadeaux derrière elle. Le plus beau est ce milliard – milliard – de tonnes de déchets miniers souvent toxiques. Placés à la va-vite derrière des digues qui ont cédé, ces résidus ont fini par tout contaminer.

Or habitent là-bas 12 000 Papous que leurs voisins appellent en toute simplicité « les maudits ». Theonila Roka Matbob, ministre de l’éducation de Bougainville (2) : « Nos terres sont détruites et nos rivières empoisonnées. Les enfants boivent et se baignent dans une eau polluée et tombent malades. Des terres nouvelles sont encore inondées par les déchets de la mine ». Mais il faut creuser, non ?

(1) riotinto.com/can/sustainability.

(2) rnz.co.nz/international/pacific-news/413260/rio-tinto-remains-responsible-for-panguna-mine-damage-says-report

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Daddy, foutage de gueule sucrée

Je découvre une campagne de pub qui devrait bientôt tout recouvrir. Signée Daddy, elle vante le sucre de betterave. Nul doute qu’elle aurait eu lieu de toute façon, mais évidemment, le contexte joue son rôle. Je rappelle que l’Assemblée nationale a validé une dérogation pour que les betteraviers industriels puissent épandre des néonicotinoïdes sur leurs saines monocultures. Des néonicotinoïdes massacreurs d’abeilles dont une loi interdisait l’usage depuis septembre 2018.

Daddy, donc. Les premières affiches montrent toutes des feuilles de betteraves, agrémentées de phrases comme « Au commencement, Daddy est végétal », ou bien « Daddy vous rappelle que le sucre est une plante ». Daddy. Le nom sent déjà l’arnaque. Il s’agit d’une filiale du groupe industriel Cristal Union, lui-même né de l’univers glauque de grosses coopératives agricoles, qui ont versé depuis longtemps dans l’intensif et le pesticide.

Or Cristal Union va très mal, et additionne de lourdes pertes qui peuvent atteindre 10% du chiffre d’affaires. Une seule solution : la fuite en avant, et la promotion d’un sucre blanc addictif dont on sait tout le bien qu’il procure à la santé des humains.

En attendant, la pub. Ce que Cristal Union ne dira jamais, c’est que le groupe crame dans ses distilleries des milliers de tonnes de ses si bonnes betteraves pour les transformer en un bio nécrocarburants. Ces gens, qui prétendaient nourrir le monde, ne se gênent pas pour détourner du marché de la faim des plantes alimentaires.

Globalement – les chiffres ne les distinguent pas – le blé et la betterave permettent de produire 12 millions d’hectolitres de bioéthanol, que l’on retrouve à la pompe sous le nom SP95-E10 et E85. Soit des centaines de milliers de tonnes de carburant, dont le tiers est exporté.

Cristal Union a commencé la chose en 2007 dans sa distillerie de Bazancourt, près de Reims et ne peut plus s’arrêter. Vous ai-je dit qu’en 2007, j’ai écrit La faim, la bagnole, le blé et nous ? Ce petit livre racontait la constitution du lobby des bio nécrocarburants, et son infamie. Personne n’a moufté, y compris chez les zécologistes officiels. C’est trop tard.

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Bertrand Piccard pour tout plein d’aéroports

Bertrand Piccard, vous voyez ? Ce sympathique Géo Trouvetou a réalisé des exploits avec son avion solaire et préside la Fondation Solar Impulse. Le 4 octobre, il signe une tribune dans le Journal du Dimanche (1) avec une championne de voltige aérienne, Catherine Maunoury. Et ils sont pas contents.

En résumé, ils en ont marre de ce qu’ils appellent l’« avion-bashing ». Extrait : « L’aviation subit des attaques sans commune mesure avec son impact réel sur le climat. Elle est devenue l’otage d’une idéologie qui prône la décroissance ».
La réponse est venue d’un mouvement dont j’ignorais l’existence, Notre Choix, et me paraît à moi digne d’intérêt (2). Piccard et Maunoury insistent sur la diminution de la pollution par km parcouru en avion, et c’est vrai. C’est même spectaculaire. Mais ils oublient audacieusement que l’augmentation du trafic aérien est telle – il devrait encore doubler d’’ici quinze ans – que la pollution globale du secteur explose. D’après des chiffres sérieux, elle aurait été multipliée par deux au moins en 20 ans.

Le reste du texte me paraît moins convaincant, empreint qu’il est d’excuses et d’embarras. Je suis très étonné que ne soit pas évoqué l’exemple magnifique de Notre-Dame-des-Landes. Car derrières les avions, il y a bien entendu une vision du monde. Une façon de vitre, de se déplacer, de ruiner par le tourisme de masse la plupart des pays du monde. Et des centaines, et des milliers d’aéroports nouveaux que cette folie oblige à concevoir. Piccard, n’importe quoi.

(1) lejdd.fr/Societe/tribune-cesser-lavion-bashing-et-la-tentation-du-bouc-emissaire-pour-construire-laviation-de-demain-3995946

(2) lareleveetlapeste.fr/non-lutter-pour-la-reduction-du-transport-aerien-ne-releve-pas-du-fanatisme/

La betterave, le ministre et le « syndicat »

Ce texte a été publié hier le 6 août sur le site https://nousvoulonsdescoquelicots.org

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Nous sommes le 6 août, et il se passe dans la torpeur de cette énième canicule un événement hors du commun : le gouvernement est prêt à remettre en circulation un pesticide interdit, l’un de ces néonicotinoïdes massacreurs d’abeilles et de tant d’autres insectes. Au motif qu’une maladie des plantes, la jaunisse virale, menace le niveau de production de la betterave industrielle. Notons que cet argument, qu’il soit sérieux ou fallacieux, peut être ressorti dans d’innombrables autres occasions. Et constatons qu’il s’agit de modifier la loi de la République pour complaire à des intérêts on ne peut plus particuliers. À ce stade, c’est une déclaration de guerre à ces millions de Français qui ont déjà exprimé, au travers du mouvement des Coquelicots ou par leurs achats quotidiens qu’ils voulaient la fin de ce système criminel.

Inutile ici de trop insister : oui, ce système irresponsable est aussi criminel, car il s’attaque au vivant, à cette chaîne si fragile du vivant, jusques et y compris à la santé des humains. La science, la science vivante – en l’occurrence le CNRS et le Muséum national – documente l’effarante disparition des oiseaux et des insectes. Pas au Penjab ou à Djibouti, en France. Ce désastre repose sur une alliance de longue date entre le ministère de l’Agriculture et ses pseudopodes, les firmes de l’agrochimie et ce si curieux « syndicat » qu’est la FNSEA, dont l’action continue semble être d’accompagner la mort des paysans et le triomphe des grosses machines et de la chimie de synthèse.

Mais revenons aux faits. Ce 6 août, le ministère de l’Agriculture a publié un communiqué par lequel il promet à l’industrie agricole de la betterave un changement de la loi. Celle-ci interdit depuis le 1er septembre 2018 sept pesticides néonicotinoïdes pour la raison certaine qu’ils s’attaquent à l’un des biens communs les plus précieux : les pollinisateurs. Qui a notamment porté cette loi aussi impérieuse que tardive ? Madame Barbara Pompili, alors secrétaire d’État à la biodiversité, aujourd’hui ministre d’État, en charge de la transition écologique. Sur son blog, madame Pompili écrivait en 2018 : « Je suis très fière d’avoir, avec d’autres, obtenu cette grande avancée dans la loi biodiversité‬ en 2016. Une pensée pour celles et ceux qui se sont battus avec moi dans un contexte difficile : Geneviève Gaillard, Jean-Paul Chanteguet, Viviane Le Dissez, Delphine Batho, Ségolène Royal et d’autres que je remercie pour leur courage et leur détermination ».

Il va de soi, dans ces conditions, qu’il n’y a pas de place dans le même gouvernement pour madame Pompili et monsieur Denormandie, le nouveau ministre de l’Agriculture. Ou l’une ou l’autre. Il n’est pas impossible que, sans s’en rendre compte lui-même, Emmanuel Macron se soit mis dans une situation infernale. Nous verrons bien. Mais dès maintenant, il faut essayer de comprendre ce qui se passe. Et la première évidence, c’est que la betterave intensive est, pour le vaste lobby de l’agriculture industrielle, au cœur de cette noble activité.

D’abord parce que c’est la première production agricole française, qui fait de notre pays le deuxième producteur au monde, mais le premier dans le domaine des biocarburants venus de la betterave. Les défenseurs de ce système ne semblent pas gênés, après avoir juré mille fois qu’ils existaient pour nourrir le monde, de distraire des quantités toujours croissantes de plantes alimentaires pour faire rouler des bagnoles. On ne sait pas si la France utilise une autre technique répandue aux États-Unis, mais on n’en serait pas surpris : là-bas, on utilise la betterave comme revêtement routier. Très pratique, paraît-il.

Donc, une industrie centrale. Bien entendu, et comme à chaque fois que le poste de ministre de l’Agriculture change de pensionnaire – M.Guillaume est sans doute en vacances au Pays basque, remplacé par M.Denormandie -, le lobby teste le petit nouveau. Sera-t-il aussi flexible que tant d’autres prédécesseurs ? Jusqu’où pourra-t-on pousser ces multiples avantages accordés à l’industrie de l’agriculture depuis désormais 75 années ?

Mais ce test habituel, ô combien réel, ne doit pas masquer une autre réalité : M.Denormandie et son cabinet étaient au point de départ (très) favorables au lobby agro-industriel, et c’est d’ailleurs pour cela et rien d’autre qu’ils sont en place. Voyons d’un peu plus près, ce sera éclairant. Qui est M.Denormandie ? Un ingénieur du génie rural et des eaux et forêts, grand corps technique d’ingénieurs d’État qui a fusionné avec celui des Ponts et Chaussées. Et que trouve-t-on dans son cabinet ? Des ingénieurs du génie rural et des eaux et forêt, comme Carole Ly ou Pierre Marie, et même un ancien employé du plus vaste lobby agro-industriel de la planète appelé ILSI – Bayer-Monsanto, BASF, Syngenta, DuPont, Dow -, Pierre Dussort. En charge au cabinet de la…souveraineté alimentaire.

Ces gens-là ne possèdent qu’une vision, quelles que soient leurs éventuelles qualités personnelles. Le corps du génie rural et des eaux et forêts truste depuis des décennies tous les postes de responsabilité publique dans le domaine de l’agriculture, et il est le grand responsable technique de l’industrialisation des campagnes et de la mort des paysans. Tout a été entrepris sous son contrôle, et souvent à son initiative : le drainage des zones humides, le remembrement et donc la disparition des bocages et des talus boisés, le « recalibrage » des rus et ruisseaux, l’usage massif des gros engins et de la chimie de synthèse. Il serait vain de demander à de telles personnes de miser sur le chant de l’alouette et le bonheur de l’agro-écologie.

Une anecdote pour finir. Nous sommes en 1970 et Jean-Claude Lefeuvre – il deviendra l’un de nos plus grands écologues – emmène ses étudiants dans le haut-bassin de la Vilaine. Ils constatent la présence dans l’eau de 10 mg de nitrates par litre d’eau. C’est tout nouveau, et cela intervient – tiens – après une opération de remembrement. Génial précurseur, Lefeuvre comprend que l’élevage industriel qui déferle et l’agriculture intensive qui s’étend vont fatalement farcir les eaux de Bretagne de ce poison. Il alerte. En 1970. Et le directeur régional de l’Agriculture, ingénieur du génie rural comme M.Denormandie, lui rétorque : « Monsieur, vous ne devriez pas affoler les populations avec des problèmes qui n’en sont pas. Il n’y a aucune raison de s’inquiéter pour les nitrates ».

En 1976, la situation est déjà dégradée, et Lefeuvre récidive devant les quatre directeurs départementaux de l’Agriculture de Bretagne, tous ingénieurs du génie rural comme M.Denormandie. Le directeur régional de l’Agriculture qui les commande – un autre que celui de 1970, mais tout autant ingénieur du génie rural – lui lance cette fois : « Monsieur Lefeuvre, s’il y a un problème, nos ingénieurs sont là pour s’en occuper ».

Ce projet de modification de la loi française en faveur des betteraviers est une pure et simple infamie

In memoriam Ursus arctos

Ce n’est qu’un petit hommage à une bête sauvage : l’ours. Dieu du ciel, on en a compté 52 dans le massif des Pyrénées, ce qui n’était pas arrivé depuis des dizaines d’années. Ainsi qu’on verra peut-être, ce n’est qu’un tout petit début, le combat continue (air connu). Il faudrait en effet 50 adultes reproducteurs, et une plus grande variabilité génétique, pour pouvoir enfin être sûr que la nouvelle population des Pyrénées est viable.

Il n’empêche ! 10 oursons sont nés en 2019 (chiffres 2020), ce qui mérite champagne au frais. Vous le savez – ou non -, mais sans les efforts colossaux de quelques allumés, on ne parlerait plus d’ours dans cette partie de notre monde. Je veux citer, car je l’ai connu – il en est d’autres, désolé – Roland Guichard. Avec l’aide d’une entreprise de vente par correspondance – la Maison de Valére -, il a inlassablement défendu la cause de l’ours dans les années 80, quand les derniers autochtones disparaissaient de France. D’autres ont pris le relais. Les célèbres duettistes Alain Reynes et François Arcangeli, auprès de qui nous avons tous une dette écologique et morale, et bien entendu les amis de Ferus, Jean-François Darmstaedter, Sabine Matraire, Sandrine Andrieux, Patrick Leyrissoux, mon cher Patrick Pappola.

Grâce à eux, grâce à d’autres – j’insiste -, la décision a été prise de réintroduire des ours venus de Slovénie à partir de 1996. Si l’on n’avait pas fait ainsi, il n’y aurait plus aucun ours dans les Pyrénées. Aucun ! L’histoire de l’ours se compte en millions d’années, et du temps où n’étions que des groupes épars, toujours inquiets, toujours aux aguets, jamais certains de la simple survie, l’ours régnait. Et il régnait partout, jusque dans les plaines. L’historien Michel Pastoureau en a tiré un livre merveilleux, Histoire d’un roi déchu (Seuil), que j’ai lu avec un grand bonheur. Aux temps historiques encore, l’ours était le roi des animaux et de la forêt chez nous.

Il était l’un des vrais dieux païens, avant que le christianisme ne s’impose. Et de quelle manière ! Il fallait en effet éradiquer des centaines de cultes rendus à l’animal, dont la toponymie garde encore quantité de traces. Et pour cela, le diaboliser. Je crois me souvenir – si je me trompe, mea culpa – qu’un concile a même été organisé pour transformer l’ours en belzébuth. Si ce travail, étendu sur des siècles, n’avait pas été entrepris, ce n’est évidemment pas ce roi de remplacement qu’est le lion qui serait notre monarque du sauvage, mais l’ours, bien entendu. Il le mérite.

Moi, je me dis : comment est-ce possible ? Comment des humains aussi minuscules que nos ancêtres ont pu chasser pareille merveille au point de la faire disparaître ? Ce serait bien le moment de clamer le droit immémorial des ours à vivre, respectés, dans un territoire qu’ils habit(ai)ent depuis bien plus longtemps que nous.

Oui, il faut aider les paysans, mais

Ce qui suit est un communiqué du mouvement des Coquelicots, dont je suis le président.

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Le ministre de l’Agriculture demande ce 24 mars 2020 aux «Français qui n’ont plus d’activité» d’aller aider les paysans en difficulté. Le mouvement des Coquelicots, dont les valeurs de base sont la solidarité et la coopération, ne peut qu’approuver dans son principe cet appel. Bien entendu, il faut tendre la main et partager son énergie.

Mais le ministre sort de son rôle de représentant de la Nation en utilisant des mots qui ne passent pas. Évoquant d’une manière étrange «l’armée des ombres» -la Résistance antifasciste de jadis-, il ajoute: «Rejoignez celles et ceux qui vont nous permettre de nous nourrir de façon propre, saine, durable». Et cela, c’est de la simple propagande. L’agriculture industrielle n’est ni propre, ni saine, ni durable. Les pesticides au cœur de ce système menacent la santé des paysans et la stabilité des écosystèmes. Ils ont d’ores et déjà décimé les populations d’oiseaux et d’insectes, dont les indispensables pollinisateurs que sont les abeilles.

Le mouvement des Coquelicots souhaite depuis ses origines de grandes retrouvailles entre la société et les paysans. Il proteste sans fin contre une politique – celle du ministre en place, celle des autres depuis plus de soixante ans – qui a fait disparaître les paysans et transformé ce pays, hors les grandes villes, les autoroutes et les lignes TGV, en un désert. La grande réconciliation, prélude à un retour de nombreux paysans à la campagne, est donc vitale. Mais pas n’importe comment.

Il est vrai que manque en ce moment une main d’œuvre rurale importante. Les sections départementales de la FNSEA ne cessent de publier des communiqués alarmés depuis des semaines. Exemple parmi d’autres, ce texte de la FDSEA du Bas-Rhin, qui démontre une fois de plus le rôle de ventriloque des ministres de l’Agriculture : «Aujourd’hui, de nombreuses personnes sont au chômage technique faute d’activité, nous pouvons leur fournir un travail sur cette période. Ils peuvent cumuler les ressources issues des différentes activités».

Dans l’agriculture mondialisée, il faut en effet chaque année des centaines de milliers de travailleurs saisonniers venus du Maroc, de Roumanie, de Pologne, d’ailleurs encore. Un coup de projecteur sur cette réalité permettrait de comprendre un peu mieux ce que signifie réellement cette industrie «propre, saine, durable». Bienvenue dans le monde impitoyable des contrats OFII, anciennement OMI, leur extrême précarité, leur absence de certains droits reconnus ailleurs. C’est cela que vont découvrir ceux qui iront travailler à la campagne.

Nous maintenons pourtant notre appel à aider nos voisins paysans, tous ceux qui sont à la peine, sans conditions. Mais nous refusons l’opération amnésie et amnistie en cours. On n’efface pas un désastre en appliquant une couche de peinture dessus, fût-elle verte. Plus que jamais, le mouvement des Coquelicots affirme son engagement pour des campagnes habitées par de très nombreux paysans. Bien payés et bien considérés parce qu’ils prendraient en compte les intérêts de tous les hommes et de tous les êtres vivants. Et donc, n’utiliseraient plus aucun pesticide de synthèse.

Communiqué des Coquelicots du 24 mars 2020