Certains d’entre vous, compte tenu de son sujet, ne liront pas ce texte. Je n’y peux pas grand chose, et j’ajouterai pour aggraver mon cas que ces lignes ne sont peut-être pas très intéressantes. Ce n’est pas de la coquetterie de seconde zone, juste une interrogation sincère. Disons qu’il m’était sans doute nécessaire d’écrire ces mots pour mesurer à quel point je me suis éloigné de la gauche estampillée telle, quelle qu’elle soit. Ce n’est jamais que la confirmation d’un processus entamé il y a plus de vingt ans, et qui est désormais achevé. Mille excuses à ceux qui n’ont plus envie d’entendre parler de cela. Mille.
C’est (presque) insignifiant, mais tout de même. L’appel dont je vais vous parler montre où est demeurée – le mot juste – la plus grande part de ce qu’il est convenu d’appeler la « gauche de la gauche ». J’ai eu l’occasion de le dire, et je le répète : je ne suis pas de gauche. Mais c’est de cet univers mental et historique que je viens, et je ne saurais l’oublier. Jamais.
Le hasard a mis sous mon nez un Appel du journal Politis, signé par quelques milliers de personnes déjà, et qui s’intitule : l’Appel à gauche (ici). Il se trouve que j’ai travaillé longtemps pour ce journal, que j’ai contribué à fonder en 1988. Je l’ai quitté deux ans plus tard, mais à partir de 1994, j’y ai assuré chaque semaine une page sur l’écologie, contenant une chronique. Comme pigiste, extérieur à la rédaction, donc. Dès cette époque, qui s’enfuit au loin, j’étais en désaccord complet avec la ligne de Politis.
Car cette ligne, qui n’a pas changé, consistait à rassembler autour de vieilles idées de gauche un pôle capable de peser sur les décisions prises au sommet par le parti socialiste, avec un zeste d’écologie, mais d’écologie politique, longtemps incarnée par les seuls Verts. Je dis un zeste, car jamais l’écologie véritable n’aura fait bouger les lignes internes de Politis. J’en porte une part de responsabilité, cela va de soi. On m’y tolérait, plus ou moins selon les années, mais sans jamais se rapprocher de mon point de vue. Lequel était autre, en effet, qui ne pouvait en aucun cas se mélanger à l’ancien.
Au-delà de tout ce qui a pu m’opposer à eux sur un plan personnel, Bernard Langlois et Denis Sieffert incarnent très bien ce que je rejette au plus profond de moi. Langlois, l’âme du Politis des premières années, et Sieffert celle des suivantes, ne sont pas les mêmes personnes, cela se saurait. Le premier a visiblement compris de l’intérieur certaines réalités nouvelles. Il sent le neuf. Mais cela ne l’empêche pas de rêver de la même gauche qu’il y a quarante ans. Un PSU qui réussirait son coup. Je n’ai pas la force de me moquer.
Le second a été formé dans le cadre classique de la politique la plus classique. Intelligent, il a compris en partie les enjeux intellectuels de la crise écologique. Mais comme la nature lui est totalement indifférent, cela ne le conduira pas, jamais, à rompre avec le cadre d’une gauche social-démocrate teintée de vert.
Sous sa conduite, Politis sera devenu le flambeau d’un courant permanent en France depuis la division de la gauche officielle en 1920. Je veux parler des oppositions dites de « gauche » au PCF et à la social-démocratie. Qu’elles se soient appelées « Cercle communiste démocratique » – 1930 -, « Gauche révolutionnaire » – 1935 -, PSOP – 1938 -, puis après-guerre, Rassemblement démocratique révolutionnaire, PSA, PSU, Union dans les luttes – 1980 – et tant d’autres, ces tendances n’ont jamais rien donné ni ne donneront jamais rien.
Nul n’est obligé de me croire. D’ailleurs, je n’ai pas de preuve, ni le temps ici d’exposer en détail mes arguments. Une chose est sûre et certaine : Politis est une vieille affaire. J’en suis parti en 2 003, au moment de la mobilisation contre la réforme des retraites, dans un clash retentissant. Je crois que je le raconterai en détail un autre jour, cela peut intéresser. Disons d’un mot que je ne pouvais défendre ce mouvement-là, et que je n’ai évidemment pas changé d’idée. Langlois et Sieffert non plus, d’ailleurs, de leur propre point de vue.
Venons-en à cet « Appel à gauche » tout récent. C’est un texte de compromis, bien entendu, et sans cela, il n’aurait pas été repris par tous ces gens-là. Parmi les signataires, des décroissants – Paul Ariès -, des lambertistes – le député Marc Dolez -, des staliniens, dont nombre prétendent ne jamais l’avoir été – Asensi, Gayssot, Braouezec, etc -, des Verts – Contassot, Bavay -, des socialistes en nombre, sans compter d’innombrables ratons-laveurs parmi lesquels des journalistes, des intellectuels divers et variés. En bref, du beau monde.
Suis-je impressionné ? Non, je dois dire. Amusé serait plus près de la réalité. Car, voir plus haut, ce type de pétition a déjà été diffusé des dizaines de fois en France depuis un siècle. Mais amusé, oui, je crois que je peux le dire. Par exemple, mais je dois faire vite, le nom d’un Gayssot me comble. Cet inusable apparatchik, qui faillit succéder à Georges Marchais à la tête d’un parti à l’histoire ignoble, copine d’une manière admirable avec le potentat de Montpellier et néanmoins socialiste Georges Frêche. Je vous fais grâce d’innombrables détails, mais j’insiste sur le mot ignoble pour parler de l’activité stalinienne, en France et partout ailleurs. J’accepte en retour lazzi et quolibets de tous ceux qui ne seraient pas d’accord sur le qualificatif. C’est le mien.
Bref. Que dit l’appel ? Plutôt, que ne dit-il pas ? À part une minuscule allusion à la crise écologique, désormais obligatoire dans tout texte, il ne dit rien du réel. Je veux parler du vrai réel, celui qui commandera fatalement notre avenir commun. Ainsi de l’apparition de limites physiques indépassables, même pour de vaillants marxistes. Ainsi de l’affaissement des principaux écosystèmes naturels, dont ils se moquent absolument, mais qui déterminent néanmoins tout projet humain.
Rédigé dans une langue indigente, cet appel propose de refaire ce qui a déjà tant échoué. Et il échouera donc au rivage de la mer morte des illusions tenaces. Je sais bien que ces mots ne peuvent que choquer ceux qui les tiennent pour vérité. Je n’écris pas pour les choquer, ce serait dérisoire. J’écris seulement pour dire ce que je pense. Cet appel est pathétique, et je ne m’en réjouis pas.