Archives mensuelles : septembre 2008

Un certain 11 septembre

Quand je pense spontanément au 11 septembre, c’est celui de 1973 qui s’impose. Je venais d’avoir 18 ans, et ma pensée politique était incandescente. Je rêvais de révolution. Et de guerre, je l’avoue. Nous étions quelques uns, et je crois que nous étions sérieux, qui envisagions de rejoindre le Chili, où une pesante crapule, Pinochet, venait de rétablir l’ordre de sa caste. Pendant quelques jours et même semaines, nous fantasmions en effet sur une résistance armée aux putschistes, et le retour aux Brigades internationales de la guerre d’Espagne.

Aujourd’hui, quand je pense au sublime pays que fut ce Chili de 4 000 km de long, j’ai envie de cracher sur tous, ou à peu près. Sur les restes de Pinochet, pour sûr. Mais aussi sur ces socialistes au pouvoir, qui ont tout accepté, jusqu’à ce modèle dit de Chicago, inspiré par l’économiste Milton Friedman. L’ultralibéralisme, c’est-à-dire la destruction de la nature et le knout pour les plus faibles des hommes. Les seuls que je sauverais de mon dégoût sont les Indiens Mapuches, qui tentent, dans ce monde devenu fou, de conserver leur âme. Avez-vous déjà entendu leur musique ? Leurs chants destinés à Ñuke Mapu, notre terre-mère à tous ? À tout hasard, cette adresse en français (ici).

Mais je m’égare, comme si souvent. Que vous dire de l’autre 11 septembre ? Je suis aux antipodes des conspirationnistes de tout poil. Au point que Thierry Meyssan, l’homme de L’Effroyable imposture, m’a fait l’honneur d’un procès. Je l’avais il est vrai insulté dans un journal, ce qui ne se fait pas. Pas pour ses billevesées sur les attentats du 11 septembre, d’ailleurs. Même pas. Mais pour ce que son Réseau soi-disant Voltaire rapportait sur le compte de René Dumont et Hubert Védrine. Je ne supporte pas le ragot, la rumeur, la calomnie.

11 septembre 2001, donc. Juste une remarque de bon sens. Si les réseaux islamistes qui justifient Vigipirate, le fichier Edvige et tant d’autres atteintes aux libertés ici, ou le Patriot Act là-bas, étaient aussi puissants qu’on nous le dit, serions-nous à ce point tranquilles ? Les journaux, qui rapportent ce que les services spécialisés leur offrent sur un plateau doré, racontent n’importe quoi. À les lire, à les croire, des centaines de cellules dormantes de volontaires kamikazes attendraient dans nos villes d’Occident.

Je vais vous dire : ce n’est plus dormir, cela. Cela s’appelle mourir. Je sais parfaitement que, tôt ou tard, les bandes liées à Al-Qaida frapperont durement, ici ou là. Je n’en suis évidemment pas heureux. Mais enfin, combien de grands attentats en sept années ? En dehors de ceux de Londres et de Madrid, combien ? Si des milliers d’hommes étaient décidés à frapper au coeur de nos pays en permanence, que ne le feraient-ils en permanence ?

Il s’agit donc, assurément, d’un mensonge éhonté. Qui renvoie à une réalité que personne n’interroge. Quels sont les informateurs de ce storytelling, de cette fable ? Et quels sont les intérêts des informateurs ? La presse, habituée depuis toujours à quémander l’information sensible aux différents organismes militaires – qui sont seuls autorisés à la diffuser -, la presse écrit d’invraisemblables sottises. Sur ce sujet et peut-être même quelques autres. Y a quelque chose qui cloche là-dedans, j’y retourne immédiatement.

Alerte rouge en Isère (et partout ailleurs)

Le week-end passé, j’ai parlé de biocarburants et de pesticides au beau festival de l’Albenc, près de Grenoble. Sous une pluie effarante. Depuis douze ans, une poignée de passionnés de l’association Espace Nature Isère organisent dans les premiers jours de septembre ce qui est devenu un grand rendez-vous régional. Près de 25 000 personnes s’y retrouvent, autour de valeurs qui sont les miennes, plus ou moins bien sûr.

J’y ai évidemment croisé Jean-François Noblet, qui a toujours multiplié le nombre de casquettes posées sur sa tête. Il s’occupe du festival depuis les origines, et de mille autres choses. Moi, je l’aime beaucoup, Noblet. Cofondateur de l’association Frapna dans l’après 68, il a zigzagué, mais en maintenant intacte une flamme qui ne trompe guère lorsqu’on la voit de près. C’est celle de la nature sauvage, des bêtes, de l’écologie de terrain. Noblet a été copieusement conspué lorsqu’il a accepté de travailler pour un certain Alain Carignon – funeste homme de droite lourdement condamné pour corruption -, lorsque celui-ci dirigeait le conseil général de l’Isère.

Qu’était allé faire Noblet dans cette galère ? Ce n’est pas le lieu d’en discuter. Ce qui est certain, c’est que Jean-François a pu créer – et maintenir jusqu’à aujourd’hui, sous la direction des socialistes – un outil sans équivalent, à ma connaissance du moins. Un vrai service de l’environnement, adossé au Conseil général de l’Isère, doté de moyens matériels, qu’il dirige avec Arnaud Callec. Après tout, grâce lui soit rendue.

Parlant avec lui, j’ai découvert une brochure extraordinaire publiée conjointement par son service public et la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Il s’agit d’une « liste rouge des vertébrés de l’Isère ». Vous allez voir, c’est simple. Une liste rouge est un classement scientifique du statut des espèces vivantes en un lieu donné. Une espèce peut être par exemple classée vulnérable ou bien en danger critique d’extinction ou encore, et c’est le pire, éteinte.

À l’échelle de l’Isère, un premier inventaire de la liste rouge a pu être fait en 1995, suivi d’un autre en 2007. La brochure qui vient d’être publiée, passionnante à plus d’un titre, permet de comparer, à douze ans de distance, la situation de la vie sauvage dans le département. Et ? Et c’est atroce, je ne vois pas quel autre mot choisir. 117 espèces d’oiseaux, de mammifères, d’amphibiens et de reptiles figuraient dans la liste de 1995. Ils sont aujourd’hui 152. 152 ! 35 espèces de plus en seulement douze années, parmi lesquelles la rainette verte, le lézard ocellé, et quantité d’oiseaux prodigieux, dont certains doivent être considérés comme disparus de l’Isère. Au milieu, inévitablement, quelques chiffres qui apparaîtront comme un « progrès ».

Ce comptage a pour moi toutes les apparences d’une tragédie. Car justement, l’Isère agit, à la différence de tant d’autres départements indolents. Le Conseil général a ainsi acheté 5 400 hectares d’espaces naturels dits sensibles, ce qui n’est pas rien, croyez-moi. Et pourtant, et partout, une irrésistible régression. Car il est d’autres chiffres, qui accablent. Dans la seule agglomération de Grenoble, en dix années, 3 400 hectares d’espaces naturels ont disparu. Chaque année, dans le département, 1 000 hectares de terres agricoles sont urbanisés. Dans la région du Grésivaudan, 50 % des forêts alluviales et des zones humides ont été détruites au cours des vingt dernières années. Comme le notent les auteurs de la brochure, « la destruction des milieux naturels s’accélère ».

Morale de cette sombre histoire : même en Isère, département de belles montagnes et de nobles rivières, la crise écologique continue à dévaster les espaces comme les espèces. Et c’est bien de cela que le Grenelle de l’environnement, en octobre passé, aurait dû discuter en priorité absolue. C’est cela que France Nature Environnement, la Fondation Hulot, le WWF, Greenpeace auraient dû jeter sur la table en hurlant. Mais comme on commence à le savoir, ils ont préféré un compromis qui ressemble à s’y méprendre à une grossière compromission.

Je l’ai écrit sans plaisir (ici même), le mouvement de protection de la nature, né il y a quarante ans, est dans une impasse historique. Il fait semblant de croire que la continuation des vieilles méthodes permettra de régler je ne sais quels problèmes. Peut-être ceux de quelques individus ou de telle micro-bureaucratie, oui peut-être. Mais on ne luttera pas contre la crise écologique, qui n’épargne évidemment pas la France, en mangeant des petits fours dans les salons ministériels ou en s’installant dans les bureaux du Parlement européen. Il faudra, il faudrait en tout cas se battre. Et avec de toutes nouvelles idées en tête, pour commencer. Ce n’est pas ce que j’appellerais une cause gagnée.

Finalement, attendons (sur la fin du monde)

Damned ! La fin du monde a une nouvelle fois été reportée. L’expérience du Grand collisionneur de hadrons (LHC), dont je vous ai rebattu les oreilles, a donc raté. Ou réussi, je ne sais plus. En tout cas, le monde est encore là, au moment où j’écris en tout cas. Et moi aussi, du même coup. Je continue donc, comme si de rien n’était, ou presque.

Ou presque, car après mes deux derniers articles, j’ai été pris par un sentiment de malaise. Des lectrices et lecteurs de ce blog ont très visiblement flippé, un peu comme si j’annonçais pour de bon la fin de nos ennuis. Du coup, j’ai fatalement pensé à Welles. Oui, Orson. Non pour me comparer à lui – pardieu ! -, mais en souvenir du 30 octobre 1938. Ce soir-là, sur CBS radio, Welles proposait une lecture de La Guerre des mondes, de Wells, son presque homonyme. Le livre, excellent d’ailleurs, raconte comment les terriens que nous sommes perdent en un éclair une guerre lancée par les envahisseurs martiens. Mais Wells, facétieux autant qu’inconscient, avait tant joué ce jour-là avec les nerfs de ses auditeurs, qu’un grand nombre crurent l’événement réel. On a parlé de suicides, je ne sais pas si c’est vrai.

Je suis loin de cette catastrophe, mais je m’en veux un peu tout de même. Je ne voulais faire peur à personne. Je souhaitais continuer à dire ce que je pense, à ma manière. Et, malheureusement, je ne retire rien. Les gens du Cern se sont octroyé des moyens de démiurges et ne sont contrôlés par personne. Des pouvoirs – économiques, politiques, militaires, scientifiques – sont bel et bien devenus des géants dépourvus de la moindre morale humaine. Autonomes déjà, ils seront totalement indépendants sous peu. Sauf si. Sauf si nous. Sauf si nous réinventons une relation – qui vaille de vivre -, entre la liberté et la limite.

Pour en revenir une seconde au Cern et à cette fin du monde différée, j’aurais d’autant plus regretté d’être dérangé en ce moment que je relis le chef d’oeuvre d’Ed Abbey, Désert solitaire (Payot). Je ne sais pas pourquoi, ni comment on peut ressentir un tel sentiment de fraternité pour un être mort depuis trente ans, qu’on n’a jamais vu par surcroît. Abbey était devenu garde dans le parc national des Arches, dans le sud-est de l’Utah, en 1957. Je ne vous raconte pas dans le détail, pour le cas heureux où vous auriez encore à découvrir le livre.

Enfin. Abbey y est seul, habitant une caravane au milieu du désert, sans voisin dans un rayon de trente kilomètres. Et il raconte le jour, la nuit qui vient, le soleil qui pointe, le vent qui lève, l’aridité, l’extrême étrangeté de la pluie, le goût du genévrier mis au feu, le grès, la souris, le serpent, la bourrache jaune, l’astragale pourpre, le castillège indien, le penstémon rouge. Mais, note Abbey, « la plus belle de toutes, douce et gaie comme une jolie fille, avec son parfum pareil à celui de la fleur d’oranger, est [le] rosier des falaises, Cowania stansburiana ».

Abbey est un frère, Abbey est un frère, Abbey est mon frère. La preuve : « Une planète jaune, l’objet le plus brillant du ciel, flotte à l’ouest. Vénus. Je guette attentivement l’appel d’un hibou, d’une colombe, d’un engoulevent, mais je ne parviens à entendre que le crépitement de mon feu, un souffle de vent.

Le feu. L’odeur du genévrier qui brûle est le parfum le plus doux sur terre, selon mon équitable appréciation ; je doute que tous les encensoirs fumants du paradis de Dante pourraient l’égaler. Un souffle de fumée de genévrier, comme un parfum d’armoise après la pluie, évoque, dans une catalyse pleine de magie, comme une certaine musique, l’espace, la lumière, la clarté, l’étrangeté saisissante de l’Ouest américain. Qu’il puisse brûler longtemps ».

La fin du monde, alors qu’il reste tant de morceaux de genévrier ? C’est non. Je vais attendre.

Dernier jour avant la fin du monde (suite)

Si vous lisez ce blog, si du moins vous l’avez lu hier, vous le savez : demain ne sera pas un autre jour. Nous partons tous en voyage, dans les conditions inconfortables d’un trou noir qui aspirera la matière, toute la matière, même celle contenue dans la boîte crânienne de George W.Bush. C’est incroyable, je l’admets, mais nous avons tout de même intérêt à être aspirés dans les premiers, pour au moins éviter la promiscuité. Au moins.

J’ai bien pensé, pour finir, vous raconter ma vie, et signaler la beauté de certains visages rencontrés dans le temps imparti. J’aurais pu – vous n’êtes pas obligés de me croire – parler avec sincérité d’amour et de bonheur. Je connais. Mais non, finalement, ce n’est pas à mon âge que l’on change soudain de rôle. Le mien aura été de faire peur aux quelques contemporains que je pouvais influencer. Ce n’est pas la gloire. Tout le monde n’est pas Claude François, je le crains.

Et donc, ne sachant faire que ce que je sais faire, je finis par une question on ne peut plus évidente. Si évidente que je ne l’avais jamais formulée clairement. En résumé : la pollution électromagnétique, nouvelle autant qu’omniprésente, explique-t-elle le formidable déclin des abeilles et des moineaux, entre autres ? Intervenant dans le cadre d’une conférence du Radiation Research Trust à la Royal Society de Londres (ici, mais en anglais), l’Allemand Ulrich Warnke, physicien, prévient sans précaution que les champs électriques, magnétiques, électromagnétiques artificiels, créés par l’homme, ont totalement bouleversé le « système naturel de l’information ». Selon lui, le stupéfiant déclin mondial des abeilles, la raréfaction massive des moineaux dans de nombreux pays d’Europe, certains phénomènes neufs dans le cours de la migration des oiseaux trouveraient là leur explication principale.

Je ne connais Warnke ni d’Ève ni d’Adam. Comme il est Allemand, l’ami Bernard pourrait peut-être se renseigner pour nous ? En tout cas, je ne le connais pas et ne me porte donc pas garant. Mais il existe désormais des centaines d’études sur les effets des ondes électromagnétiques, qui sont celles, entre autres trouvailles, du téléphone portable cher à mon coeur. Concordantes, je veux dire, signalant à un degré ou un autre qu’il peut y avoir problème. Ulrich Warnke travaille sur la question depuis 1969. Cela ne le désigne pas comme un génie, mais au moins comme un homme obstiné.

Il se trompe peut-être, mais je suis bien certain d’une chose, qui nous ramène à hier, et à la sublime expérience du Cern, trou noir compris. Il faut avoir l’arrogance et l’extrême stupidité de nombreux chercheurs pour imaginer qu’une révolution des conditions de vie de la planète ne saurait avoir de conséquences. Car, sauf erreur de ma part, il y a révolution brutale. Dans l’ordre des ondes, lesquelles nous traversent – je ne rêve pas, si ? -, notre goûteuse civilisation a inventé en quelques années les lignes électriques et transformateurs, les câbles souterrains, l’éclairage public, la photocopieuse, l’ordinateur, la télé et une ribambelle d’appareils aussi beaux que le lecteur DVD. Cela, pour ne parler que des champs de basse fréquence.

Il en est d’autres, dits de radiofréquence, émis par les fours à micro-ondes – miam -, les antennes radio, radar et de téléphonie mobile. Tout cela nous fabrique une vie toujours plus admirable, libre, enthousiasmante. Et il faut croire sur parole les charlatans quand ils nous disent du haut de leur chaire académique que tout va bien. Ils ne sont même pas aussi drôles que les médecins de Molière. Ils me font chier, pour parler comme je parle quand je ne vous écris pas. Oh, ils me font atrocement chier, je vous le jure. Si je m’autorise ce dérapage, vous l’aurez compris, c’est que nous sommes le dernier jour. Je n’ai plus vraiment à me gêner.

Il est donc possible que les ondes neuves, jetées sur le marché par les frères et cousins des inventeurs du Grand collisionneur de hadrons (LHC), détruisent chez les abeilles jusqu’au sens de la vie, dans son acception de base. Il est donc possible que l’usage du téléphone (insup)portable jette dans le néant par milliards ces insectes qui nous aident, gratuitement, à féconder les plantes dont nous nous nourrissons. Bon. Ne comptez pas sur moi pour essayer de retarder le compte à rebours. Vivement demain !

Plus que deux jours (avant la fin du monde)

Il faut se dépêcher d’aller chez le marchand, car nos heures sont désormais comptées, comme vous ne manquez pas de le savoir. Amoureux du téléphone portable, de la bagnole et des montres Patek Philippe (c’est une allusion, oui), voici venir le 10 septembre 2008. Et le trou noir par quoi se finira donc notre aventure commune. Pschitt ! Pfuitt ! Surtout et avant tout, chut !

Il me semble que j’ai bien du mérite, de prendre ainsi sur mes dernières heures pour vous raconter la chose. Du moins, au point où nous en sommes, un peu de prétention, un brin d’autopromotion ne risquent pas de nuire (longtemps) à ma réputation.Toujours ça de pris.

Donc, un grand bastringue international appelé le Cern, dont le nom officiel est Organisation européenne pour la recherche nucléaire. Ce gentil monstre intégral est simplement le plus grand laboratoire mondial de physique des particules. Installé sur la noble frontière entre la France et la Suisse, tout proche de Genève, il compte environ 3000 salariés à temps plein, mais reçoit surtout 6 500 scientifiques du monde entier qui se relaient auprès de machines parmi les plus compliquées de la planète. Le Cern est pour eux une sorte de Graal, une puissance supérieure à tout ce que des nigauds comme moi sont capables d’imaginer.

La preuve immédiate par le physicien Marzio Nessi, qui travaille au Cern depuis 1989. Notez bien qu’Atlas, dont parle ci-après Nessi, n’est encore rien par rapport au grand sujet dont je vais vous entretenir. Notez : « De nombreux éléments nous indiquent que les découvertes qui seront faites au LHC pourraient modifier radicalement nos idées, non seulement sur les composants fondamentaux de la matière mais peut-être même sur la nature tout entière. Au sein de l’expérience ATLAS, depuis le début, nous avons rêvé, conçu, réalisé des prototypes et maintenant nous construisons, testons et installons un détecteur à la hauteur de cet enjeu. Nous avons toujours su que la tâche ne serait pas facile ; l’ampleur de cette entreprise est dix fois supérieure à tout ce que notre communauté scientifique a pu maîtriser dans le passé (ici) ».

Des trémolos de cette sorte sont dans la bouche de presque tous ceux qui ont le privilège – pour eux inouï – d’aller faire joujou là-bas. Certains sont grotesques, d’autres seulement stupéfiants. Passons maintenant au plat de résistance : le Grand collisionneur de hadrons (LHC selon son acronyme anglais) est un accélérateur de particules. Dans un tunnel de 27 kilomètres de long, nos sublimes scientifiques vont réaliser – le 10 septembre prochain, réglons une dernière fois nos montres – l’une des plus belles expériences jamais réalisées. Peut-être – mais le saura-t-on ? – la plus extraordinaire, et la dernière.

À chaque tour dans le tunnel, deux faisceaux de hadrons – qui sont de vraiment petites bêtes -, gagneront en énergie. Chaque faisceau circulera dans le sens inverse de l’autre, et à un moment donné, bing, ou plutôt bang. Le LHC, ce collisionneur de rêve, projettera les deux faisceaux, soumis à de très hautes énergies, dans un choc frontal à une vitesse proche de celle de la lumière. Et alors, si on est encore là, on devra applaudir, car les conditions existant au début de l’Univers, au moment précis de ce que les physiciens nomment le Big Bang, devraient avoir été réunies.

Voilà le résumé : des scientifiques du monde entier créent un laboratoire, installent des machines, et prétendent recréer la situation prévalant au moment de la création de l’Univers. Je ne commente pas même le postulat, qui sincèrement me fait ricaner en profondeur : nos petits cerveaux humains seraient capables de penser  ce qui a pu se passer il y a 13,7 milliards d’années. Non, je ne commente pas cette fantasmagorie, car je me perdrais en route, et je veux vous dire autre chose.

L’Américain Walter Wagner et l’Espagnol Luis Sancho ont porté plainte contre le Cern, devant un tribunal d’Hawaï, pour tenter de faire interdire l’expérience. Laquelle, disent-ils, pourrait créer au passage un trou noir comme il en existe dans l’Univers, qui finirait par avaler toute la matière disponible autour de lui. Pas seulement le Cern et les quelques zozos assis devant leurs ordinateurs géants, mais la terre entière, et nous. En quelques minutes. End of the Game. Fin du monde. Tout le monde descend.

En somme, les deux hommes accusent les preux de Genève de prendre un risque colossal, sans être sûrs de rien. Bien entendu, les autorités du Cern – j’ai entendu le directeur à la radio renvoyer ces ploucs à leur ignorance – jurent qu’aucun scientifique vrai n’oserait avancer de telles absurdités. On se doute, comme on se doute ! Je ne vais pas me fatiguer à paraphraser les deux braves du tribunal de Hawaï, et vous renvoie plutôt à une citation saisissante d’un article de Sylvestre Huet dans Libération (ici) : « Le problème, c’est l’infini et les frontières de la connaissance. L’infini ? Si la probabilité de création d’un trou noir dans le LHC est proche de zéro, et seulement dans le cadre de théories spéculatives et non validées, elle n’est donc pas nulle. Or, le danger, lui, n’a pas de limite, puisque l’on parle de la disparition de la Terre. Multiplions quelque chose, même minuscule, par l’infini, et nous obtenons un risque… infini. Donc à ne pas prendre, selon le principe de précaution. L’argument est imparable ».

Je dirais même plus : imparable. Ces gens, intelligents dans le minuscule territoire qu’ils sont capables d’explorer – la physique des particules – sont dotés de pouvoirs théoriques qui les changent instantanément en bourriques, si vous me passez le mot. En bourriques démentes, en grotesques démiurges qui feraient honte au moindre scénario de science-fiction. Voilà ce qu’est devenue la science dans un monde incontrôlé, et peut-être incontrôlable. Des assemblées de fous, armés de sceptres divins, lancent des imprécations, organisent des libations géantes au cours desquelles pissent octets, pixels, courbes et graphiques, et fantasment sur des savoirs hors de portée humaine.

Le drame, qui n’est pas loin d’être absolu, c’est que chemin faisant, ces supertechniciens créent des outils et artefacts grâce auxquels la frontière de leur délire sera encore reculée. Car ce n’est pas une première. Souvenez-vous de l’atome, dont tous les hommes, y compris de science, croyaient il y a moins d’un siècle qu’il ne pouvait être coupé. Le mot lui-même vient du latin atomus, indivisible, et plus loin encore du grec atomos, qui signifie précisément incassable. Les grands-parents des grands-savants du Cern pensaient donc que l’atome était un, pour l’éternité. On a vu, depuis Hiroshima et Nagasaki que la fission de cette unité supposée pouvait donner des résultats. On a vu à Tchernobyl où menait gaiement l’atome, lorsqu’on se montre capable de le casser. Car tout est là : savoir casser ce qui semblait incassable. Mais bien sûr, le Cern est plus malin.

Autre événement plus récent, qui concerne les nanotechnologies. Il n’est pas exclu – qui pourrait assurer du contraire ? – que des nanorobots, se répliquant seuls et à l’infini, ne s’emparent de toute la vie disponible, changeant la terre en gray goo, en glu, en gelée répugnante. On a le droit d’en rire, on a le droit d’écrire que ces aberrations en chaîne auront tôt ou tard une fin. Mercredi 10 septembre ? Si tel est le cas, je ne serai pas là pour commenter, ni vous pour envoyer un commentaire. Alors j’en profite : le Cern est un organisme résolument idiot et nous sommes décidément de foutus crétins. Si.

En cas de désaccord, prière de me le faire savoir sous quarante-huit heures.