Il faut se dépêcher d’aller chez le marchand, car nos heures sont désormais comptées, comme vous ne manquez pas de le savoir. Amoureux du téléphone portable, de la bagnole et des montres Patek Philippe (c’est une allusion, oui), voici venir le 10 septembre 2008. Et le trou noir par quoi se finira donc notre aventure commune. Pschitt ! Pfuitt ! Surtout et avant tout, chut !
Il me semble que j’ai bien du mérite, de prendre ainsi sur mes dernières heures pour vous raconter la chose. Du moins, au point où nous en sommes, un peu de prétention, un brin d’autopromotion ne risquent pas de nuire (longtemps) à ma réputation.Toujours ça de pris.
Donc, un grand bastringue international appelé le Cern, dont le nom officiel est Organisation européenne pour la recherche nucléaire. Ce gentil monstre intégral est simplement le plus grand laboratoire mondial de physique des particules. Installé sur la noble frontière entre la France et la Suisse, tout proche de Genève, il compte environ 3000 salariés à temps plein, mais reçoit surtout 6 500 scientifiques du monde entier qui se relaient auprès de machines parmi les plus compliquées de la planète. Le Cern est pour eux une sorte de Graal, une puissance supérieure à tout ce que des nigauds comme moi sont capables d’imaginer.
La preuve immédiate par le physicien Marzio Nessi, qui travaille au Cern depuis 1989. Notez bien qu’Atlas, dont parle ci-après Nessi, n’est encore rien par rapport au grand sujet dont je vais vous entretenir. Notez : « De nombreux éléments nous indiquent que les découvertes qui seront faites au LHC pourraient modifier radicalement nos idées, non seulement sur les composants fondamentaux de la matière mais peut-être même sur la nature tout entière. Au sein de l’expérience ATLAS, depuis le début, nous avons rêvé, conçu, réalisé des prototypes et maintenant nous construisons, testons et installons un détecteur à la hauteur de cet enjeu. Nous avons toujours su que la tâche ne serait pas facile ; l’ampleur de cette entreprise est dix fois supérieure à tout ce que notre communauté scientifique a pu maîtriser dans le passé (ici) ».
Des trémolos de cette sorte sont dans la bouche de presque tous ceux qui ont le privilège – pour eux inouï – d’aller faire joujou là-bas. Certains sont grotesques, d’autres seulement stupéfiants. Passons maintenant au plat de résistance : le Grand collisionneur de hadrons (LHC selon son acronyme anglais) est un accélérateur de particules. Dans un tunnel de 27 kilomètres de long, nos sublimes scientifiques vont réaliser – le 10 septembre prochain, réglons une dernière fois nos montres – l’une des plus belles expériences jamais réalisées. Peut-être – mais le saura-t-on ? – la plus extraordinaire, et la dernière.
À chaque tour dans le tunnel, deux faisceaux de hadrons – qui sont de vraiment petites bêtes -, gagneront en énergie. Chaque faisceau circulera dans le sens inverse de l’autre, et à un moment donné, bing, ou plutôt bang. Le LHC, ce collisionneur de rêve, projettera les deux faisceaux, soumis à de très hautes énergies, dans un choc frontal à une vitesse proche de celle de la lumière. Et alors, si on est encore là, on devra applaudir, car les conditions existant au début de l’Univers, au moment précis de ce que les physiciens nomment le Big Bang, devraient avoir été réunies.
Voilà le résumé : des scientifiques du monde entier créent un laboratoire, installent des machines, et prétendent recréer la situation prévalant au moment de la création de l’Univers. Je ne commente pas même le postulat, qui sincèrement me fait ricaner en profondeur : nos petits cerveaux humains seraient capables de penser ce qui a pu se passer il y a 13,7 milliards d’années. Non, je ne commente pas cette fantasmagorie, car je me perdrais en route, et je veux vous dire autre chose.
L’Américain Walter Wagner et l’Espagnol Luis Sancho ont porté plainte contre le Cern, devant un tribunal d’Hawaï, pour tenter de faire interdire l’expérience. Laquelle, disent-ils, pourrait créer au passage un trou noir comme il en existe dans l’Univers, qui finirait par avaler toute la matière disponible autour de lui. Pas seulement le Cern et les quelques zozos assis devant leurs ordinateurs géants, mais la terre entière, et nous. En quelques minutes. End of the Game. Fin du monde. Tout le monde descend.
En somme, les deux hommes accusent les preux de Genève de prendre un risque colossal, sans être sûrs de rien. Bien entendu, les autorités du Cern – j’ai entendu le directeur à la radio renvoyer ces ploucs à leur ignorance – jurent qu’aucun scientifique vrai n’oserait avancer de telles absurdités. On se doute, comme on se doute ! Je ne vais pas me fatiguer à paraphraser les deux braves du tribunal de Hawaï, et vous renvoie plutôt à une citation saisissante d’un article de Sylvestre Huet dans Libération (ici) : « Le problème, c’est l’infini et les frontières de la connaissance. L’infini ? Si la probabilité de création d’un trou noir dans le LHC est proche de zéro, et seulement dans le cadre de théories spéculatives et non validées, elle n’est donc pas nulle. Or, le danger, lui, n’a pas de limite, puisque l’on parle de la disparition de la Terre. Multiplions quelque chose, même minuscule, par l’infini, et nous obtenons un risque… infini. Donc à ne pas prendre, selon le principe de précaution. L’argument est imparable ».
Je dirais même plus : imparable. Ces gens, intelligents dans le minuscule territoire qu’ils sont capables d’explorer – la physique des particules – sont dotés de pouvoirs théoriques qui les changent instantanément en bourriques, si vous me passez le mot. En bourriques démentes, en grotesques démiurges qui feraient honte au moindre scénario de science-fiction. Voilà ce qu’est devenue la science dans un monde incontrôlé, et peut-être incontrôlable. Des assemblées de fous, armés de sceptres divins, lancent des imprécations, organisent des libations géantes au cours desquelles pissent octets, pixels, courbes et graphiques, et fantasment sur des savoirs hors de portée humaine.
Le drame, qui n’est pas loin d’être absolu, c’est que chemin faisant, ces supertechniciens créent des outils et artefacts grâce auxquels la frontière de leur délire sera encore reculée. Car ce n’est pas une première. Souvenez-vous de l’atome, dont tous les hommes, y compris de science, croyaient il y a moins d’un siècle qu’il ne pouvait être coupé. Le mot lui-même vient du latin atomus, indivisible, et plus loin encore du grec atomos, qui signifie précisément incassable. Les grands-parents des grands-savants du Cern pensaient donc que l’atome était un, pour l’éternité. On a vu, depuis Hiroshima et Nagasaki que la fission de cette unité supposée pouvait donner des résultats. On a vu à Tchernobyl où menait gaiement l’atome, lorsqu’on se montre capable de le casser. Car tout est là : savoir casser ce qui semblait incassable. Mais bien sûr, le Cern est plus malin.
Autre événement plus récent, qui concerne les nanotechnologies. Il n’est pas exclu – qui pourrait assurer du contraire ? – que des nanorobots, se répliquant seuls et à l’infini, ne s’emparent de toute la vie disponible, changeant la terre en gray goo, en glu, en gelée répugnante. On a le droit d’en rire, on a le droit d’écrire que ces aberrations en chaîne auront tôt ou tard une fin. Mercredi 10 septembre ? Si tel est le cas, je ne serai pas là pour commenter, ni vous pour envoyer un commentaire. Alors j’en profite : le Cern est un organisme résolument idiot et nous sommes décidément de foutus crétins. Si.
En cas de désaccord, prière de me le faire savoir sous quarante-huit heures.