Archives mensuelles : octobre 2008

L’université d’Oxford perd le Nord

Tellement fou que je ne résiste pas. Oxford vient de perdre 30 millions de livres (38 millions d’euros) que la noble université avait placées dans trois banques islandaises, lesquelles, on le sait, sont en situation de faillite (lire ici, en anglais). Pour être totalement sincère, cette perte reste virtuelle, mais l’université a d’ores et déjà appelé au secours.

Quel symbole ! La plus ancienne université d’Angleterre – on trouve la trace d’un enseignement là-bas dès 1096 – a lamentablement spéculé en Islande. Et perdu. La culture la plus essentielle d’un des pays les plus civilisés de l’histoire humaine aux mains de la finance. Entre les mains de ruffians qui ne sont même pas sûrs de savoir qui est Shakespeare. Nous en sommes bien là, il n’y a aucun doute sur la question.

Agression sexuelle contre les mouches (à propos du Grenelle)

Je vous préviens que je commence aujourd’hui ce qui ressemblera fatalement à une série sur le Grenelle de l’Environnement. Ce n’est pas la première (série), cela risque de ne pas être la dernière (lire entre autres ceci et cela).

Je vais faire court, pour une fois, car tout arrive. Au cours de cette nuit de vendredi à samedi, nos vaillants députés ont fini d’examiner le projet de loi sur le Grenelle de l’Environnement, qui pourrait être voté mardi prochain (lire ici). Je n’en ferai pas le commentaire détaillé, car cela n’aurait pas de sens, à mes yeux du moins.

C’est un catalogue de mesurettes sans aucune importance. Il démontre ce qu’un enfant de cinq ans saurait décrypter. Les élus, droite sarkozyste en tête, ne peuvent plus nier en totalité la crise écologique. Elle est si puissante, si écrasante, que même eux sont obligés de faire semblant. Car ils font semblant, bien entendu.

Que changent toutes les apparences du discours pourvu que tout demeure dans la marche des affaires. On va donc donner quelques sous au rail et à l’isolation de certains logements. Au passage, un monsieur Ollier, député de son état, a réussi à glisser un amendement dont on reparlera – dans dix ans, au bas d’une page 17 d’un journal lorrain ? -, qui met le nucléaire en concurrence favorable avec d’autres énergies pour le chauffage domestique.

Tout continue, tout continuera. La prochaine fois, je vous dirai deux mots sur ceux qui ont accepté la supercherie et lui ont donné force et crédibilité. Je veux parler du mouvement écologiste estampillé, officiel et fourvoyé. Ce n’est pas très gai, j’en conviens.

Antonio Tabucchi, la beauté et la morale (tout se tient)

Vous connaissez Antonio Tabucchi ? Moi oui, un peu. C’est un écrivain italien, né en 1943, sous les bombes, dans un autre monde. J’ai lu de lui, je crois, La Tête perdue de Damasceno Monteiro, Piazza d’Italia, Requiem. Autant dire que je ne suis pas un spécialiste, seulement un admirateur occasionnel. J’aime chez lui sa langue simple mais profonde, aussi son immersion dans la culture portugaise, qui est son deuxième et même second pays, que je sache du moins. Il lui arrive d’écrire des livres directement dans cette autre langue de lui-même, comme Requiem. C’est dire. Ajoutons que Tabucchi connaît admirablement l’oeuvre de Fernando Pessoa, que je n’ai que peu fréquentée, mais qui envoûte ceux-là mêmes qui, comme moi, restent à ses marges.

Allons, Tabucchi. Cet homme déteste Berlusconi, et comment lui donner tort ? Moi qui vomis cet histrion, comment diable ne pas applaudir à tout rompre ?  Il y a quelques jours, le romancier a donné au journal Le Monde (ici) un entretien dans lequel il rappelle deux ou trois évidences. Évidences pour moi et quelques autres, de celles que l’on remâche en soi depuis des années, de celles qui finissent par énerver l’entourage à force d’être répétées. Parmi elles, ceci : « Depuis le début des années 1980, il y a eu sur les chaînes de télévision appartenant à Berlusconi un travail visant à abaisser le niveau esthétique…».

Et j’en suis bien d’accord. Des pays comme l’Italie ou la France ont vu la beauté reculer de manière spectaculaire. Je crois qu’il faut parler d’un affaissement. Pour ne rester qu’au seul domaine de la télévision, je rappelle sans insister – à quoi bon ? – que la défunte Cinq, télé de merde s’il en fut, a été créée en 1986 à Paris par Berlusconi, sur ordre de Mitterrand. Il est vrai que l’ami Silvio était alors proche du Président du Conseil italien Bettino Craxi, aussi socialiste que le fut Mitterrand. Craxi, cet immense corrompu qui dut achever sa vie en Tunisie pour échapper à la prison chez lui. La gauche française n’aime guère qu’on lui rappelle que c’est elle, ELLE, qui a organisé des années de propagande en faveur de la Bourse et du capitalisme financier. Et il faudrait l’oublier ? Macache, comme on dit chez moi.

Je me suis égaré, pardonnez. Mon propos se voulait simple. La beauté est au centre, au coeur, elle lie le monde à nous. Si la crise écologique est à ce point douloureuse, c’est qu’elle est aussi une affreuse déchéance de l’harmonie, une plongée vertigineuse dans la laideur des plus extrêmes profondeurs. Tabucchi insiste, dans son entretien, sur une autre dimension de cet abaissement de normes qu’on a pu croire universelles. Des philosophes comme Jankélévitch ou Ricœur «  insistent sur la portée ontologique du beau : l’esthétique doit être liée à l’éthique. L’importance du beau n’est pas seulement dépendante de l’objet lui-même, mais de sa portée morale et sociale ».

Comme c’est vrai ! Comme il est vrai que la beauté est aussi une éthique ! Et, je l’ajouterai, un engagement. Oui, voir le beau quand il est là, sentir la laideur où qu’elle soit, quel que soit son accoutrement, c’est un engagement majeur. Sortir de la crise écologique, chercher au moins une voie qui nous permette d’espérer en sortir un jour, commande de proclamer la beauté. Elle est première. Elle doit rester première.

Manger, c’est possible (bis repetita)

Préambule : Une campagne contre le crime des biocarburants est en cours. Il suffit d’un clic, ne prétendez pas que c’est trop, je ne le croirai pas : c’est ici.

Il y a trois jours, j’ai écrit ici un article qui parlait de la terra preta, que j’ai ensuite enlevé par choix. Je reviendrai plus tard sur ce sujet, mais comme j’ai loupé la journée mondiale de l’alimentation, qui se tenait hier, je vous livre à nouveau, ci-dessous, la fin de l’article supprimé par moi. En y ajoutant une grandiose information dont vous me direz des nouvelles. Si vous n’avez pas bien suivi l’embrouillamini qui précède, sachez que c’est normal.

Allonz’enfants. La Commission des finances de l’Assemblée nationale vient de confirmer la fin progressive des aides fiscales aux biocarburants (lire ici). Pour tous les ventres ballonnés du monde, dont le nombre s’accroît à mesure que l’industrie du carburant végétal s’étend, c’est simplement formidable. Je suis heureux, même si cela ne se voit pas. Je dois tenir du chien Droopy (ici).

Il faudra attendre 2012 pour que les aides disparaissent en totalité, mais dès 2009, 401 millions d’euros d’argent public n’iront plus dans la poche de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) et du Syndicat de producteurs d’alcool agricole (SNPAA). Comme c’est bon ! Comme me plaît la noble réaction de la CGB, dénonçant ainsi les vilains qui lui font des misères : « Revenir ainsi sur la fiscalité des biocarburants, c’est remettre en cause l’existence même d’outils industriels lancés au vu d’objectifs fixés par l’Etat ». Oh, si c’était un disque, je me le repasserais cent fois. Quelles que soient les raisons de cette décision – elles sont fatalement loin des miennes -, on peut à juste titre parler d’une grande victoire pour l’homme et la nature. Vous avez bien lu, et je ne suis pas, pas encore saoul : un victoire.

J’ajouterai aussitôt une deuxième victoire, qui date de plus d’un an, et dont nous n’avons hélas à peu près rien fait. En mai 2007, pour la première fois de son histoire productiviste, la FAO – agence de l’ONU pour l’agriculture et l’alimentation – a dit la vérité sur l’agriculture biologique (lire ici). Je rectifie : la vérité en laquelle je crois profondément. Quelle est-elle ? Cette première citation : « La principale caractéristique de l’agriculture biologique est qu’elle s’appuie sur des biens de production disponibles sur place et n’utilise pas de carburants fossiles; le recours à des procédés naturels améliore aussi bien le rapport efficience-coût que la résilience des écosystèmes agricoles au stress climatique ».

Deuxième citation : « En gérant la biodiversité dans le temps (rotation des cultures) et l’espace (cultures associées), les agriculteurs bio utilisent la main-d’oeuvre et les services environnementaux pour intensifier la production de manière durable. Autre avantage: l’agriculture biologique rompt le cercle vicieux de l’endettement pour l’achat d’intrants agricoles, endettement qui entraîne un taux alarmant de suicides dans le monde rural ».

Enfin cerise bio sur le gâteau itou, et je vous recommande de garder le tout en bouche deux ou trois minutes : « Ces modèles suggèrent que l’agriculture biologique a le potentiel de satisfaire la demande alimentaire mondiale, tout comme l’agriculture conventionnelle d’aujourd’hui, mais avec un impact mineur sur l’environnement ».

Disons-le tout net : ces phrases constituent un tournant historique, et nous devons tous – tous – nous en emparer. L’industrie de l’agriculture ne nourrit ni ne nourrira jamais tous les gueux de la planète. Elle continuera seulement à saloper le monde jusqu’à épuisement des nappes et des sols. Il y a réellement une autre voie. Y a plus qu’à trouver l’entrée.

Pour ceux qui croient au bon papa Noël

Préambule : Une campagne contre le crime des biocarburants est en cours. Il suffit d’un clic, ne prétendez pas que c’est trop, je ne le croirai pas : c’est ici.

Je me souviens que j’y ai beaucoup cru. Et que c’était un pur délice. Le Père Noël. Une année, j’ai même eu une idée que je juge, aujourd’hui encore – mes chevilles enflent à vue d’oeil –  flamboyante. J’ai demandé à ma mère, qui était le messager de ces cieux éternellement étoilés, un cadeau particulier. Je voulais une baguette magique. C’est assez évident, je pense. Avec la baguette, je comptais me transformer en Père Noël domestique et quotidien. Et comme mon âme était pure comme un cristal de neige, mon intention était d’en faire profiter le monde entier. Je le jure. J’avais six ans.

Sans transition, je vous annonce que le Grenelle de l’Environnement, dont il va bien falloir fêter le premier anniversaire – on la fait quand, la grande fête, les gars ? -, est une autre façon de croire au Père Noël, mais beaucoup moins agréable. Dès que j’aurai le temps, je décortiquerai une fois de plus l’infernal mécanisme – une sorte de piège à mâchoire, qui fait très mal quand il se ferme – que les écologistes ont déclenché.

Ce jour, une seule information : j’apprends que les patronats italien et allemand, profitant de la crise financière et des claquements dents qu’elle entraîne, ne jouent plus le jeu. Même pas pour rire (lire ici). Ils réclament désormais le renvoi aux calendes du plan Climat de l’Union européenne, ridiculement dérisoire pourtant. Et ajoutent pour qu’on comprenne bien leur propos, limpide en vérité : « La croissance et l’emploi seraient menacés si l’industrie européenne devait supporter de nouvelles réglementations concernant l’environnement ». Faudra-t-il vous l’envelopper, ou consommerez-vous cette merde sur place ?

Je n’ai pas encore entendu Laurence Parisot, notre chère patronne des patronnes sur le sujet, mais je ne doute pas qu’elle partage le sentiment de ses compagnons. Une nouvelle fraîche, en revanche, du baron Ernest-Antoine Seillière, qui dirigea avant elle le Medef. Je le croyais retiré des affaires avec les plantureuses plus-values qu’il avait légitimement empochées, mais pas du tout. Le vieux monsieur rugit depuis Bruxelles, où il dirige une organisation du patronat européen portant le nom de Business Europe.

Que veut notre grand homme miniature ? Qu’on lui foute la paix, bien sûr. Mais aussi qu’on exonère les patrons de toute charge concernant les permis dits de droit à polluer. Aujourd’hui, ces derniers sont gratuits, mais demain, il faudrait payer en cas de dépassement des émissions. Et cela, jamais ! Ernest-Antoine Seillière vivant, on ne verra jamais un patron payer quand il dépasse les généreux quotas de pollution que Sarkozy and co lui accorde (lire ici) pour attaquer au lance-flammes ce qui reste de la beauté du monde.

Je vous le dis en confidence, le Père Noël de mon enfance avait tout de même de plus jolies manières.