Plusieurs lecteurs, dans leurs derniers commentaires, font des allusions plus ou moins directes au dérèglement climatique en cours. Hacène, par exemple, pour qui j’ai l’amitié qu’il sait, est clairement sceptique sur le phénomène, et nous avons déjà eu, lui et moi, plusieurs échanges sur la question. Mais il n’est pas le seul, et loin de là. Depuis l’Amérique où il réside, Dominique Guillet m’a envoyé un texte qui pèse bon poids.
Dominique Guillet est le créateur de la merveilleuse association appelée Kokopelli (ici). Je crois pouvoir dire que nous nous aimons bien. N’est-ce pas, Dominique ? Il n’empêche que son long papier titré : Les Caniculs-bénis (une nouvelle hystérie religieuse au service de l’Ordre mondial, ici) m’a plongé dans une réflexion douloureuse, que vous pourrez lire – ou non – ci-dessous.
Dans l’affaire du climat, les choses sont à la fois terriblement simples et horriblement complexes. Ce qui est simple, c’est qu’une communauté mondiale de chercheurs est arrivée – une première dans l’histoire de la science en si peu de temps – à un consensus. Sur la base de séries climatiques de très longue durée – plusieurs centaines de milliers d’années « d’archives » cachées dans la glace de l’Antarctique -, ils ont constaté une corrélation très significative entre la concentration de CO2 dans l’atmosphère et la température moyenne. Ce qu’on appelle l’effet de serre.
Autre constat : il y a « forçage radiatif » depuis les débuts de la révolution industrielle. Les activités humaines ont fait brusquement augmenter la concentration en CO2. Enfin, fort logiquement, on peut constater une augmentation en cours de la température moyenne, nette depuis au moins un siècle. Si quelqu’un n’est pas d’accord avec ces trois points, qu’il veuille bien expliquer une bonne fois pour toutes en quoi. Et pourquoi. De manière simple, car je crois l’avoir été.
En tout cas, jusqu’à ce point de l’histoire, on y voit à peu près clair. C’est ensuite que tout s’emballe, car la question quitte le champ de la science pour entrer dans le domaine social, politique, et même psychologique. La science n’a rien de parfait. Elle se trompe, elle fait machine arrière, elle tâtonne. Et c’est pourquoi, bien que d’une manière brinquebalante et bien entendu discutable, elle obtient des résultats.
Dans le domaine du climat, les incertitudes et les erreurs sont FATALEMENT au rendez-vous. Et elles sont d’autant plus nombreuses que le sujet est d’une complexité qui dépasse l’esprit humain. Oui, qui le dépasse. Aucun cerveau, sur cette planète, ne sait ce qu’est le climat. Comment il évolue et évoluera. Quels rapports il entretient avec les autres éléments constitutifs de la biosphère. C’est ainsi.
Ce que le GIEC – un organisme scientifique international créé par l’ONU en 1988 – exprime au fond, c’est à la fois notre petitesse et notre grandeur, mêlées d’une façon indissoluble. La recherche, dans cet regroupement de cerveaux, est souvent peureuse, bureaucratisée, influencée sans l’ombre d’un doute par des considérations politiques et même économiques. Et alors ? Quel cénacle de cette taille et de cette importance réussirait à s’abstraire des rapports de forces sociaux ?
Il faut donc faire avec les défauts de cette institution. Parce que c’est une institution. Et considérer que le GIEC est l’instrument imparfait dont nous disposons pour faire face à une menace parfaitement inédite. Faut-il l’améliorer ? Oui. Faut-il le critiquer ? Sans cesse. Peut-on s’en passer ? Non. Dans l’hypothèse, qui court ces jours-ci, où nous entrerions dans une phase de refroidissement de quelques décennies, cela ne changerait rien à rien. À notre échelle, c’est considérable. À celle de la vie, qui se compte en milliards d’années, ce n’est pas même un souffle. La question qui restera posée demain est la même qu’aujourd’hui : peut-on laisser augmenter la concentration de CO2 – et autres gaz à effet de serre – sans courir le risque d’une déstabilisation du climat, ouvrant la voie au chaos ?
Je crois que ceux qui se poussent du coude d’un air entendu, prétendant à demi-mot qu’on les mène en bateau, expriment à leur insu une peur terrible, une terreur même de l’avenir. Je les comprends, notez-le bien, car en effet, les perspectives sont angoissantes. Mais ce n’est pas une raison pour nous ressortir les vieilles lunes d’une sorte de conspiration mondiale. Or c’est bien ce que font la plupart des « objecteurs du réchauffement climatique ». Profitant des nombreuses zones d’ombre d’un dossier extraordinaire, qui cache encore d’innombrables surprises, ils tentent de (se) rassurer en accusant les porteurs de mauvaises nouvelles. En l’occurrence, et prioritairement, le GIEC.
Je ne vais pas vous imposer un traité sur l’histoire du complot mondial tout au long du siècle dernier. Ce serait intéressant. Mais je ne veux pas, car ce serait au passage disqualifier ceux qui, de bonne foi, s’interrogent. Et ils sont nombreux. Moi, je leur dis d’homme à homme, d’homme à femme : quelle est donc votre explication ? Cessez un instant de tourner autour du pot et videz votre sac. Quelle explication ? La seule qui vaille ressortit à la théorie du complot, qu’on le veuille ou non. De mystérieux liens uniraient des centaines de scientifiques du monde entier, qui ne se sont jamais rencontrés pour la plupart. Tous se tromperaient, ou tous tromperaient, à l’exception de quelques valeureux, trimant dans leurs pauvres laboratoires délaissés, et qui seraient bien entendu ostracisés par leurs pairs.
Cette chansonnette est connue depuis des lustres. On veut nous rejouer l’affaire Galilée, et démontrer au passage que l’on a été plus clairvoyant que les petits copains. Mais merde, à la fin ! Dans le système en place, que je critique jusqu’à plus soif ici, un scientifique sérieux peut publier dans une revue sérieuse. Les intérêts d’État, les intérêts industriels, aussi puissants qu’ils soient quelquefois, ne sont pas en mesure d’empêcher les informations vérifiables de circuler. Si ?
On peut certes dérouter, mentir, gagner du temps. Mais le plus drôle, dans cette affaire de climat, c’est que les seules manœuvres de désinformation connues, établies, certaines, sont venues de la grande industrie, au travers de comités ad hoc, dès avant Kyoto. Encore ne s’est-il agi que d’actions de retardement, qui n’ont pu empêcher la connaissance – toute relative, toute provisoire – de se faire jour. Toute l’histoire des hommes est pleine de ceux qui jamais ne se résolurent à croire Cassandre. Je le rappelle pour ceux qui ont la mémoire courte, plus Cassandre disait vrai, moins on l’entendait. La vérité – la guerre de Troie, l’usage du fameux cheval pour entrer dans la ville et la ruiner – , trop affreuse pour être seulement considérée, se transformait à chaque fois en fatalité.
J’irai plus loin encore. Si même, et ce n’est assurément pas le cas, le réchauffement était un mythe, il faudrait alors parler de mythe fondateur. Car aucun problème, à ma connaissance, n’aura à ce point soudé la communauté humaine autour de sa destinée. Aucune affaire du passé n’aura permis de penser ensemble, de discuter ensemble, d’avancer ensemble, fût-ce de manière millimétrique. J’en reviens donc à mon interrogation. Que cherchent donc ceux qui mettent en doute le dérèglement climatique en cours ? Que veulent-ils réellement, et le savent-ils seulement ? Ce n’est pas au GIEC de s’expliquer. Ce n’est pas aux écologistes engagés dans la plus grande bataille de tous les temps. C’est à eux.