J’espère que vous serez aussi soufflé que je l’ai été. Car je l’ai été. Je croyais plutôt bien connaître les mécanismes – certains demeurant cachés – du monde réel, dont si peu parlent. Mais j’ai néanmoins découvert que je demeurais loin de compte. Je veux parler de l’OpesC. Cet Observatoire politico-économique des structures du Capitalisme (OpesC) analyse pour nous l’organisation des grandes entreprises et leur influence sur la marche de la société (ici).
Je vous invite à regarder de près la structure des réseaux patronaux relevant du principal indice boursier, le fameux CAC 40 (ici). Il s’agit d’un écheveau tendu comme l’acier, dans lequel 500 administrateurs et 95 dirigeants exécutifs – au 31 décembre 2009 – font régner leur loi sans nul contrepouvoir (ici). Vu de près, il y a quelque chose de répugnant à considérer cette consanguinité générale. Si on laisse de côté quelques héritiers, comme Martin Bouygues ou Arnaud Lagardère, qui ne sont jamais que les fils de leurs pères, force est de constater que les sources de la domination économique sont étonnamment limitées. Pour aller à l’essentiel, il faut parler de Polytechnique et des spécialisations qui lui sont liées, à commencer par le corps des Ponts et Chaussées et celui des Mines, mais sans oublier les Télécoms ni même les Écoles normales supérieures; de l’École nationale d’administration (ENA) et de ses pseudopodes, comme l’Inspection générale des finances; à quoi il faut ajouter comme sésame, pour quantité de ceux précités, les cabinets ministériels.
En France, rien n’est mieux que d’avoir fait partie d’un cabinet de ministre. Voir le cas splendide de Jean-Marie Messier. Polytechnicien, énarque et inspecteur des finances – on ne se refuse rien-, cet excellent homme a d’abord été, en 1986, directeur de cabinet d’un ministre de droite oublié, Camille Cabana. Oui, mais Camille était en charge de la privatisation de ce qui avait été nationalisé par les socialistes, et je crois pouvoir dire que Messier ne perdit pas son temps. Il rejoignit juste après le cabinet de Sa Courtoise Suffisance Édouard Balladur, alors ministre de l’Économie, cette fois en qualité de simple conseiller technique. Mais en charge une fois encore de la privatisation des entreprises et des banques encore sous le contrôle de l’État. L’année suivant ces nobles occupations, en 1989, Messier devenait banquier d’affaires chez Lazard.
Ne croyez pas – mais vous ne le croyez pas – que Messier soit l’exception. Il est au contraire la règle. France Telecom, BNP, Air France, Renault, Saint-Gobain, Veolia, GDF-Suez, EDF sont pleins comme des œufs de ceux qu’on nous présentait jadis comme de grands serviteurs de l’État. Rire. Rire amer autant qu’impuissant. Voyez le cas banal de la BNP, qui est tout de même la première banque de la zone euros en termes de dépôts. Eh bien, trois de ses dirigeants, et un ancien de la maison, qui y garde des liens puissants, sont répartis dans le conseil d’administration de 12 des plus grosses entreprises françaises. Parmi lesquelles Total, Axa, EADS, Lafarge, Veolia, Suez Environnement, Carrefour (ici), etc.
Arrêtons-nous une seconde sur le cas Lafarge, ce cimentier accusé un peu partout de saloper le monde, des dunes de Gâvres (Morbihan) aux forêts résiduelles du Bangladesh. Un homme de BNP siège en son conseil. Or la BNP est l’une des banques principales du groupe. Question de demeuré : une telle proximité est-elle saine du point de vue de l’intérêt collectif et à long terme de la société des hommes ? Encore trois mots pour la route, tirés d’un article du journal Le Monde daté du 12 janvier 2010 : « Les nominations croisées témoignent de la consanguinité dénoncée. M. Pébereau siège chez Saint-Gobain, société dont le président, Jean-Louis Beffa, est au conseil de BNP Paribas. M. Beffa siège au conseil de GDF Suez, dont le PDG, Gérard Mestrallet, est au conseil de Saint-Gobain. Claude Bébéar, président d’Axa, est au conseil de BNP Paribas quand M. Pébereau siège à celui d’Axa – ces deux institutions financières ont aussi des participations croisées. Les exemples sont multiples ».
Ce que je peux ajouter ce jour provient d’un article écrit au début de Planète sans visa (ici). Je racontais une histoire d’eau, que vous lirez si cela vous intéresse. Je présentais en tout cas trois personnages qui nous ramènent – ô combien ! – au sujet du jour. Voici un extrait : « Parmi les responsables de l’époque, permettez-moi de citer trois noms. Le premier est celui de Thierry Chambolle, qui fut Directeur de l’Eau, de la Prévention des Pollutions et des Risques au ministère de l’Environnement de 1978 à 1988, avant de rejoindre, en cette même année 1988, le staff de (haute) direction de la Lyonnaise des eaux, dont il contrôlait pourtant une partie des activités. Il travaille aujourd’hui pour Suez, mais aussi pour l’État, puisqu’il préside le comité scientifique du BRGM, le Bureau des recherches géologiques et minières. C’est un ingénieur du corps des Mines.
Le deuxième personnage s’appelle Jean-Luc Laurent, et il a eu à connaître, dès la fin des années 70, de la stupéfiante affaire de la décharge de Montchanin (Saône-et-Loire). Laurent, ingénieur des Mines lui aussi, était le chef adjoint de l’autorité de surveillance des installations dites classées – en l’occurrence, la décharge – à la Drir, nom utilisé à l’époque par l’administration. C’est à ce titre qu’il a supervisé un terrifiant programme expérimental, sur lequel la lumière n’a jamais été faite. Retenez que 150 tonnes de déchets violemment toxiques ont été enterrés à proximité des habitations, dans des conditions indignes d’une démocratie. J’ai écrit voici vingt ans que des déchets provenant de l’explosion de Seveso en faisaient partie. Laurent le savait-il ? Je n’en sais rien. Mais il a été par la suite Directeur de l’eau au ministère de l’Environnement, poste stratégique s’il en est.
Mon troisième personnage est Philippe Vesseron. Ingénieur des Mines lui encore, il a été longtemps Directeur de la prévention des pollutions au ministère de l’Envrionnement, tout comme Chambolle. Puis directeur de l’IPSN (Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire). Il est l’actuel président du BRGM. Comme le monde est petit. Vesseron a été un acteur clé de l’affaire des déchets de Seveso en France, et il l’est l’un des meilleurs connaisseurs de l’incroyable dossier de Montchanin ».
Je ne peux que vous inviter, si cela vous chante, à lire un autre article qui présente une réforme radicale, mais dont tout le monde se contrefout, du ministère de l’Écologie (ici). Nous sommes dans le sujet ? Pardi ! je ne vous ferais pas un sale coup comme celui-là. Vous y verrez au passage qui dirige la France, et dans quelle direction nous allons. Tandis que Borloo amuse la galerie et tape sur l’épaule de ses nouveaux amis de l’écologie officielle. Tandis que Sarkozy se proclame écologiste planétaire. Tandis que la pantomime règne en tout lieu ou presque, le pouvoir réel poursuit son entreprise de concentration, prélude certain à un surcroît de destruction. Car ceux qui se coalisent dans les coulisses pour gagner plus d’argent et conquérir davantage de force, ceux-là n’ont jamais lu ni ne liront jamais une ligne sur la nature vraie, vivante, sauvage, qui pourtant nous accorde depuis les débuts de l’aventure humaine d’innombrables services gratuits. Chez eux, il est vrai, ce qui est gratuit n’existe pas.
Les gens qui dirigent en réalité ce pays ne seront arrêtés, s’ils le sont un jour, que par un mouvement dont nous n’avons pour l’heure aucune idée. S’il advient jamais, je le souhaite non-violent, mais ce que je veux ou pas est égal. En tout cas, l’une des premières tâches d’un mouvement écologiste qui se serait libéré des ors et honneurs, qui prendrait sa responsabilité historique au sérieux, consisterait à dresser le tableau précis des 1 000 personnes – pas davantage – qui tiennent les postes clés de la France. Et qui, par inculture et bêtise, ajoutent chaque jour qui passe une décision funeste à la liste sans fin de ce qu’il faut bien nommer des méfaits. Malgré leurs grandes écoles et leur arrogance, ils sont bel et bien des imbéciles. Peut-on être à la fois imbécile et criminel ? Oh oui ! Les deux. Debout ? Il faudrait.