Archives mensuelles : juin 2010

Une leçon d’économie (en chinois)

Peut-on être plus bête qu’un économiste ? Sans doute, car la limite, en ce domaine, n’existe pas réellement. Il n’empêche que si l’on faisait un concours – mais qui l’organiserait ? -, ce spécialiste-là serait assuré de monter sur le podium. Oui, l’économiste est massivement con, je suis désolé de froisser ainsi la sensibilité de mes lecteurs. L’économiste ordinaire se délectera de la prose du journal Le Figaro, ce qui est déjà un bien mauvais signe. J’ai trouvé et lu deux petits chefs-d’œuvre consacrés à la Chine, que je vous invite à lire (ici et). Comme je ne suis pas certain de votre patience, je vais vous en résumer l’essentiel.

Le premier papier annonce que la Chine va probablement devenir le plus grand importateur de charbon au monde au cours de cette année 2010. Ce n’est pas une petite nouvelle, au moins pour deux raisons. Un, la Chine est déjà le plus gros producteur mondial de charbon, et de très loin : en 2005, la Chine a produit 2 milliards et 430 millions de tonnes de charbon, tandis que le deuxième, les États-Unis, ne dépassait pas 1 milliard et 131 millions de tonnes. Deux, la combustion de charbon, dans les centrales ou pour des usages domestiques, est l’un des plus puissants contributeurs à l’effet de serre.

Au-delà, il faut bien s’interroger. Comment un tel phénomène est-il possible ? Comment diable la Chine peut-elle brûler autant de charbon ? J’en viens au deuxième article. La Chine ne se contente pas de cramer de la houille et du lignite. Elle est devenue un gigantesque aspirateur à matières premières. Une gueule insatiable qui avale le fer, le pétrole, le nickel, l’uranium, le manganèse, le cobalt, les « terres rares » si nécessaires dans de nombreux usages industriels, le bois, le caoutchouc, etc. La croissance chinoise serait sous-estimée par les bureaucrates au pouvoir à Pékin, pour ne pas effrayer le reste du monde. Elle pourrait avoisiner le pourcentage annuel de 15 %. Une démence, une pure démence.

L’économiste de service, qui n’a jamais entendu parler du rôle des écosystèmes, qui n’a jamais songé aux innombrables services « gratuits » que prodigue la nature aux hommes – leur « valeur » est bien plus grande que le PIB mondial -, ne voit pas où est le problème. Au mieux, il parlera alors de « surchauffe » de l’économie chinoise, et suggérera de prendre des mesures pour freiner ce qu’il croit être un nouveau cycle historique du développement des sociétés. Et c’est en ce sens, précisément, qu’il révèle l’étendue de son idiotie. Attention ! je ne veux pas dire qu’un économiste est fatalement une buse. Ce que je crois, c’est que l’économie interdit de penser la réalité du monde.

Car si l’on ajoute au tableau l’incroyable détérioration des équilibres naturels les plus élémentaires, il n’est qu’une seule conclusion possible : l’hypercroissance chinoise annonce un chaos intégral et planétaire. Le temps n’est plus de l’accumulation de capital d’antan, comme l’ont réussie, sur le dos des ouvriers et des colonies, les nations d’Occident, dont la nôtre. Pour la raison très simple que les limites physiques se sont rapprochées au point que nous les touchons désormais. Les espaces et les ressources engloutis dans la mise en orbite de l’Allemagne, de la France de l’Angleterre de ce côté-ci de l’Atlantique, et des États-Unis sur l’autre bord, n’existent plus. Il faut maintenant effacer et dissoudre, araser les forêts, assécher les fleuves, vider les océans, disloquer ce qui reste de l’ancien équilibre climatique.

Il n’y a plus aucun ailleurs, comme j’ai eu l’occasion de déjà l’écrire. Il n’y a plus que ce que nous voyons, qui disparaît à une vitesse accélérée. La marmite chinoise, qui nous fournit l’immonde tambouille que l’on sait, des tee-shirts aux ordinateurs, des chaussettes aux bières Tsingtao, fait bouillonner ensemble les forêts de Nouvelle-Guinée et le pétrole d’Angola, l’uranium du Niger et le caoutchouc du Cambodge. Il n’y aura bientôt plus rien. Ce bientôt peut signifier dix ans, ou cinquante. Ne sous-estimons pas l’inventivité technologique des humains, qui fera gagner du temps, en toute hypothèse.

Pour nous, cela peut faire une différence. Pour ce qui se meut, pour ce qui vit encore, guère. La Chine, comme métaphore. La Chine, comme parabole. La Chine, notre destin.

L’éternel principe de la marée noire (éclaboussures pour tout le monde)

Vous n’avez pas besoin de moi pour savoir que le cadeau de BP au monde et à la Louisiane est la plus grande catastrophe écologique moderne de l’histoire des États-Unis. Je dis moderne, car à la vérité, la plus folle de toute reste l’arrivée des colons du Mayflower, en 1620, dans ce qui n’était pas encore le Massachusetts. Le reste suivrait, dont la destruction radicale de la Grande prairie, l’un des plus beaux joyaux de la longue histoire de la vie sur terre.

Il demeure que la marée noire commencée le 20 avril, suite à l’explosion de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon, marquera cette année 2010. À la différence des promesses en cours de Barack Obama – une enquête, des sanctions ! -, qui n’engagent jamais que les couillons qui les croient encore. Cette pollution sera-t-elle seulement un immense désastre ? Se pourrait-il, les déversements se poursuivant pendant des mois, qu’elle se change en Apocalypse Now ? Je ne le sais évidemment pas. Mon rôle, celui en tout cas que je m’attribue, est de tenter d’aller au-delà des simples faits. Lesquels sont d’une rare violence, puisque deux représentants démocrates à la Chambre américaine, Henry Waxman et Bart Stupak, ont d’ores et déjà révélé que trois alertes précises, dans l’heure précédant l’explosion, auraient dû conduire à prendre des mesures d’urgence. Mieux. Pire. Une série de problèmes avaient été détectés 24 heures avant, sans qu’aucun bureaucrate de BP ne prenne la peine de s’y intéresser (lire ici). Ah ! les braves gens.

Ce qui se joue sous nos yeux est consubstantiel à la forme prise par nos sociétés. Voilà ce que je veux dire, et rien d’autre. Ce qui s’est produit s’est déjà produit et se reproduira, car nous sommes en face d’un principe. Un principe de base. Un principe de fonctionnement que nul ne saurait remettre en cause sans abattre l’édifice. Il est inutile de pleurnicher. Inutile même d’accabler BP, qui n’agit qu’avec notre complicité évidente, reliant nos besoins déments de pétrole et d’objets dérivés et son implacable activité. L’avidité, si évidente en la circonstance, est seconde. Ce qui est premier, c’est l’accord tacite entre eux et nous. Nous roulons, nous voulons malgré tout des colifichets, ils produisent, et détruisent.

Et j’en reviens à la question essentielle. La destruction. Le principe de notre monde est celui de la destruction. Je vois des milliers d’écologistes sincères, dans un pays comme la France, englués dans le pétrole lourd de leurs illusions. Ils pensent que nous pourrons chevaucher le monstre, puis le calmer, le dominer enfin. Ils ne font que lui donner davantage d’énergie. La seule priorité que j’entrevois n’est pas de ramasser le pétrole jusqu’au cœur des bayous. La seule priorité est de nommer enfin ce qui nous conduit aux insondables abîmes où nous nous perdrons tous. La seule priorité est de ne plus détourner le regard. La seule priorité, c’est la vérité.

Trop génial (pas de troisième piste à Heathrow)

Vous ne le savez peut-être pas, mais c’est fini. Fi-ni ! Il n’y aura pas de troisième piste pour l’aéroport londonien d’Heathrow (ici). Un combat de sept années s’achève, et quel ! En 2003 en effet, ce cornichon appelé Tony Blair et ses copains travaillistes décident que la compétitivité britannique exige une piste supplémentaire. Heathrow, mais ce n’est jamais que 67 millions de passagers et 471 000 mouvements d’avions par an. Une paille, pour ces grands amoureux du PIB. La troisième piste permettrait d’ajouter 220 000 passages d’avions chaque année et de créer 8 000 emplois. Disent-ils. Ah ! vivre le nez dans le kérosène.

Les seuls problèmes sont menus. Le village de Sipson serait, de fait, sacrifié au bruit des enfers. Tout l’ouest londonien serait contraint de s’acheter des bouchons pour les oreilles. Et la crise climatique serait une fois de plus traitée avec le grandiose mépris qu’elle mérite. Le grand malheur des aménageurs, c’est qu’une coalition hétéroclite se forme. Des aristos et des anarchistes. Des proprios et des écolos. Des adeptes du « pas de ça chez moi » – ce qu’on appelle le Nimby – et de fiers combattants internationalistes. Soutenus par Greenpeace, l’actrice Emma Thompson, le comédien Alistair Mc Gowan et le nouveau député conservateur Zac Goldsmith – longtemps éditeur de The Ecologist – achètent un petit terrain situé sur le tracé de la piste prévue. Et ils découpent le tout en une multitude de confetti, rendant copropriétaires 91 000 personnes. De quoi retarder notablement toute tentative d’expropriation.

Le stupéfiant, qui fera réfléchir, c’est que l’abandon de cette troisième piste est le résultat direct des dernières élections générales. Les travaillistes – cette chose molle qui conduisit à la guerre dure en Irak – voulaient l’expansion de l’aéroport. Les conservateurs – la droite – et les libéraux-démocrates – appelons cela le centre – réunis dans le même gouvernement, viennent donc de donner raison aux activistes du climat et des nuits étoilées. J’ajoute qu’emporté par son élan, le nouveau gouvernement a aussi renoncé à l’agrandissement des deux autres aéroports de Londres, Gatwick et Stansted. Champagne ? Ma foi, cela ne se refuse pas. Je bois exceptionnellement à la santé de la coalition tory-libdem, et vous invite à en faire autant. Comment, vous ne voulez pas ? Parce que la droite est au pouvoir ? Oh, soyez beau joueur, au moins le temps d’une coupe. Nick Clegg, le nouveau Vice-Premier ministre, fait partie des 91 000 propriétaires du terrain acheté par les zozos cités plus haut.

Ma morale du jour sera française (lire ici). Près de Nantes, le cheffaillon socialiste Jean-Marc Ayrault défends bec et ongles le lamentable projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Je ne crois pas que ce monsieur et ses amis puissent imaginer le rejet viscéral qu’ils m’inspirent. Dépourvus de toute vision, incapables de défendre la moindre idée d’un avenir seulement possible, ils ne songent qu’à poursuivre leur travail de destruction de tout ce qui bouge encore. À Notre-Dame-des-Landes, il reste par miracle un bocage d’environ 2 000 hectares, une rareté désormais, habitée par des gens vaillants – Marie, venceremos ! – et des oiseaux comme l’engoulevent ou le busard Saint-Martin, et des mammifères qui ne se doutent encore de rien, et des fleurs, et des arbres abritant lucanes et pique-prunes.

Cette saloperie d’aéroport ne doit pas se faire, est-ce assez clair ? Ayrault – et Fillon, qui le soutient – peut et doit être battu, et il le sera. Si nous sommes capables de seulement imiter ceux d’Heathrow. On attend quoi, au juste ?