Archives mensuelles : février 2013

Les Indiens du Canada ont chopé la rage (Idle no more)

Ce papier a été publié dans Charlie Hebdo le 6 février 2013

Au Canada, les Indiens en ont marre de la droite extrême au pouvoir. Dernière trouvaille du gouvernement : une loi qui livre les lacs et rivières au fric. Le mouvement Idle no more pourrait bien annoncer le printemps.

Au Canada, ça chie d’un bout à l’autre de ce pays bizarre. Le mouvement Idle no more (1), qui n’en est qu’à ses débuts, va peut-être changer la gueule des environs. On va voir. Avant cela, deux mots sur cette immensité de 10 millions de km2, presque 20 fois la France. Les descendants des anciens colons se partagent la mise, avec à l’Est un Québec parlant français; et vers l’Ouest, jusqu’au Pacifique, des provinces angliches. Au milieu, si on laisse de côté les ours, les loups et les caribous, on trouve ce qu’on appelle là-bas les Premières nations, c’est-à-dire les Indiens. Des Cris, des Micmacs, des Hurons, des Mohawks, entre autres. Auxquels on ajoute des Innus, des Inuits, et les métis. D’après le recensement de 2006, ils seraient 1 172 785, soit 3,8 % de la population totale (31, 6 millions).

Sont-ils bien traités chez eux ? Évidemment. Les abus sur les gosses indiens dans les pensionnats cathos ont été si nombreux, jusque dans les années 70, que le gouvernement fédéral a créé en 2007 un fond d’indemnisation des victimes de deux milliards de dollars. Appelé, car les politiques locaux ont gardé le sens de l’humour, « Paiement d’expérience commune ».

Les Indiens du Canada ont certes obtenu, il y a quarante ans, trois décisions judiciaires qui ont modifié en leur faveur la situation générale. Et une révolte des Mohawks, en 1990, a foutu une grande trouille aux Blancs d’Ottawa et de Montréal. Les Indiens protestaient contre l’élargissement d’un terrain de golf sur des terres sacrées. Depuis, ça va, ça vient. Jusqu’à cette foutue Loi « mammouth C-45 », présentée en octobre dernier devant le Parlement.

Précisons, pour comprendre la suite, que le parti conservateur au pouvoir ferait passer l’UMP pour une tendance extrémiste de Lutte Ouvrière. La loi C-45 dynamite des dizaines d’années de protection de la nature et bouleverse au total la bagatelle de 60 lois déjà en application. Pour se concentrer sur un exemple, le projet ruinerait la protection des lacs et rivières, qui se comptent en dizaines de milliers. Seuls 97 lacs et 62 rivières resteraient à l’abri du bétonnage et des barrages. Commentaire de la responsable du parti Vert canadien, Elizabeth May : « C’est un moment tragique ». Tu l’as dit, Babeth.

Ce que n’avaient pas prévu les bonnes âmes au pouvoir, c’est la révolte indienne, immédiate, bouillonnante, formidable. Au point de départ, en novembre, quatre femmes de la Saskatchewan, Nina Wilson, Sheelah Mclean, Sylvia McAdam et Jessica Gordon. En épluchant les 443 pages de la loi C-45, elles découvrent, au détour d’une phrase, que la vente des terres indiennes au privé sera simplifiée, pour « l’adapter au rythme de la vie moderne ». Et elles décident de lancer un mouvement sans chef ni frontières, Idle no more. Ce qui veut dire à peu près : Plus jamais d’inaction. Ou encore : Ras-le-bol de ne rien foutre. À leur suite, l’Indienne Theresa Spence, une Attawapiskat, mène une grève de la faim dure de 44 jours, arrêtée le 24 janvier.

Depuis l’automne, la mobilisation indienne ne cesse de prendre de l’ampleur. On ne compte plus les routes, lignes de chemin de fer et ponts – internationaux – bloqués, les manifs aux chutes du Niagara, le tout suractivé par ces si fameux réseaux sociaux à l’œuvre en Tunisie ou au Caire. La chose nouvelle, c’est que le mouvement Idle no more est désormais rejoint sur le terrain par des syndicats, des associations comme Greenpeace, ou encore des groupes aussi solides que Public Interest Alberta (2), dont l’origine remonte aux combats de l’Américain Ralph Nader, dans les années 70. Les altermondialistes de Vancouver, d’Ottawa, de Montréal, sont désormais de la partie, et bien malin celui qui pourrait dire ce qui va se passer.

La certitude, c’est que le pouvoir riche, le pouvoir blanc, le pouvoir fédéral d’Ottawa ne sait pas quoi faire pour calmer le jeu. Le Premier ministre Stephen Harper a rencontré une délégation indienne et a promis, dans l’inimitable langue de ces foutriquets, qu’il faudrait « se revoir ». Les filles et les garçons d’Idle no more ont organisé le 28 janvier une Journée mondiale d’action. On ne voudrait surtout pas porter la poisse aux salauds au pouvoir là-bas, mais ces satanés Indiens multiplient les cérémonies du Salut au soleil. On a beau ne pas être superstitieux, gaffe.

(1)    http://idlenomore.ca/
(2)    http://pialberta.org

Comment marche la communication de crise (sur la viande)

Franchement, ne vous emmerdez pas avec les détails du supposé scandale de la viande de cheval. Tous les grands acteurs du dossier – ministère de l’Agriculture, ministère de la Consommation, FNSEA, industriels de la bidoche – ne songent qu’à une chose : éteindre le feu. Ce qui menace encore, après tant d’autres crises majeures dont je vous épargne la liste, c’est la crise systémique, l’effondrement des marchés, la panique, la banqueroute de certains. Don, éteindre. Depuis le début, l’opinion est baladée par les pouvoirs, de concert avec des médias pressés, qui n’ont ni le temps ni l’énergie de comprendre quoi que ce soit.

Deux méthodes sont à l’œuvre. D’abord la très classique recherche d’un bouc émissaire crédible. Vous aurez remarqué qu’on a commencé par pointer du doigt ces vilains Roumains, qui ne pouvaient guère se défendre. Cela n’a pas suffi. On a donc attaqué un trader néerlandais, mais cela n’a pas marché. On s’en prend donc aujourd’hui à une entreprise « française », Spanghero. Notez qu’on est passé du lointain – la Roumanie – à l’Europe proche, mais encore étrangère, et aujourd’hui à notre beau pays. C’est qu’il y a le feu au lac.

On verra si la fable plaît, mais il faut ajouter un autre ingrédient à la mise au pilori du mauvais bouc. Et c’est l’annonce de contrôles renforcés. On est responsables, on tend ces petits muscles bleu blanc rouge, et face à une industrie de la bidoche mondialisée, financiarisée, délocalisée, en fait incontrôlable, on crie : halte là. À l’ancienne, façon gabelous suant sous le képi. La mise en scène est moyenne, mais elle reste goûteuse.

Seulement, que se passe-t-il derrière le rideau de scène ? Eh bien, des communicants d’agences spécialisées, spécialistes des situations de crise, viennent conseiller, briefer les ministres et leurs conseillers. Ces visiteurs du soir ou de l’après-midi sont aux commandes du spectacle en cours. Je vous mets en ligne ci-dessous un extrait de mon livre Bidoche, l’industrie de la viande menace le monde (éditions Les liens qui libèrent, et en édition de poche chez Babel). Est-ce de la pub ? Essentiellement, non. Mais j’ai quand même le droit de dire que c’est un bon livre. Vous allez voir.

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En février 2008, invité par le magazine Stratégies (n°1490) à commenter une campagne de publicité, ce grand communicateur émet une sentence qui fait trembler le monde : « Attention aux démarches un peu trop liées à une finalité commerciale. » Serge Michels sait de quoi il parle, car cet ingénieur de formation mène discrètement une carrière exemplaire. Entre 1991 et 1996, il a été l’un des cadres supérieurs de la grande association de consommateurs UFC-Que Choisir. Il y était chargé entre autres des fameux essais comparatifs, qui tétanisent régulièrement la grande industrie. « Et puis, un jour, raconte un ancien collègue, il a demandé un congé pour création d’entreprise, mais on ne l’a jamais revu. » Jamais ? Jamais.

Toutefois, Serge Michels n’a pas disparu dans le triangle des Bermudes. Peu de temps après avoir quitté l’UFC, il crée Entropy, une agence au service de l’industrie. Le saut de l’ange. Le début d’une vie totalement différente. Dès le mois de juin 2000, il peut répondre avec une grande assurance au journal Stratégies qui l’interroge sur la crise de la vache folle, alors en pleine acmé : « Pour le compte du Centre d’information des viandes, nous avons eu l’occasion d’analyser cette crise en nous plongeant dans les quelque 38 000 coupures de presse et les nombreuses vidéos qui ont couvert l’événement en 1996. Nous nous sommes aperçus que toute l’activité médiatique n’a pas porté sur les aspects scientifiques du dossier […] mais sur la chaîne des responsabilités […]. D’où l’importance d’avoir un outil de veille performant. »
Premier constat digne d’intérêt : Michels est un bon client du CIV, le grand lobby de la viande. Mais, dans le même entretien, il livre une autre information intéressante : « Nous avons ainsi conçu, avec le sociologue Claude Fischler, un modèle de prévision de l’acceptabilité des risques alimentaires. Ce modèle permet, pour chaque risque, de déterminer un score sur une échelle d’indignation afin d’apprécier la sensibilité du public et le risque de crise. » Ainsi donc, le sociologue Claude Fischler, très connu du public, travaillait dès avant 2000 pour le lobbyiste du lobby de la viande. Cela n’a rien de déshonorant ni de coupable, mais il faut considérer cela comme une information cachée. Une information d’importance. Nous y reviendrons.

En cette même année 2000, décidément fertile, Entropy devient la filiale « sécurité alimentaire » d’une vaste agence de lobbying, Protéines, née en 1989. Protéines ! Quel joli nom, et si bien trouvé ! L’agence pourvoit en effet à la bonne santé de l’industrie qui l’emploie. C’est un service, un grand service, une assurance contre les crises et les retournements de marché. Prenons l’exemple d’une affaire bien documentée qui commence le 9 janvier 2004. Ce jour-là, coup de tonnerre dans l’univers français de l’élevage de saumons. Voyons donc. La grande revue américaine Science publie un article intitulé « Global assessment of organic contaminants in farmed salmon ». Il y a de quoi couper l’appétit.

Les scientifiques ont retrouvé des concentrations inquiétantes de dioxines, PCB, dieldrine et toxaphène dans des saumons d’élevage européens. Davantage que dans le saumon sauvage. Davantage que dans les fermes d’élevage américaines. Mais ils ne s’arrêtent pas là et donnent des recommandations, ce qui change tout. « Consommer plus d’un repas mensuel à base de saumon d’élevage – soit 200 g environ – présente des risques cancérigènes », notent-ils, avant de réclamer un étiquetage clair du saumon vendu. La télé s’empare de l’affaire et, très vite, les ventes de saumon s’effondrent.

Il faut bien entendu réagir, ce que fait le lobby du saumon, en l’occurrence la Filière française poissons, coquillages (FFPC). Celle-ci organise dès le 15 janvier une conférence de presse où elle annonce un projet de plainte judiciaire contre les auteurs de l’étude américaine. Car il s’agirait de dénigrement à visée commerciale. L’affaire est on ne peut plus étrange, car nul ne conteste les résultats de Science. Pour cause : les chiffres sont vrais, comme on se doute. Le saumon d’élevage est bien truffé de résidus chimiques qui rendent sa consommation régulière très déconseillée. Mais le chiffre d’affaires, alors ?

Dans le saumon, tout est bon
Hasard heureux ou non, des organismes prestigieux volent en tout cas au secours des industriels du saumon. L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), la Commission européenne, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publient des communiqués qui se veulent rassurants. D’une manière ou d’une autre, tous évoquent une manipulation qui servirait la cause des Américains. Car, disent-ils, cette contamination du saumon est connue depuis longtemps. Du coup, où est, où serait le problème ? On n’insistera pas davantage sur ces étranges commentaires. D’évidence, l’affaire comporte sa part d’intoxication médiatique d’origine américaine. Mais nul à l’époque ne semble avoir remarqué une opération française d’une grande ampleur qui noie la presse nationale sous un déluge « argumentaire », clés en main et bien entendu favorable à l’élevage made in France. Qui est à la manoeuvre ? Serge Michels, qui connaît si bien les arcanes du contre-pouvoir consommateur.

Dès le lendemain de la diffusion du premier reportage télévisé, la FFPC a mandaté Protéines, l’agence pour laquelle travaille Michels, pour lancer une contre-attaque. Et une première réunion a lieu quelques heures plus tard qui rassemble pêcheurs, mareyeurs, poissonniers et représentants de la grande distribution. Michels présente ainsi son travail (Stratégies, n°1311) : « L’important était de mettre en place un discours unitaire. Nous avons récupéré l’étude, pour très vite nous rendre compte que les résultats étaient bons, et même conformes aux normes européennes, mais que l’interprétation était très orientée et le vocabulaire alarmiste. Les autorités sanitaires du monde entier se sont très vite ralliées à notre position, ce qui était rassurant.»

Le discours « unitaire » de Michels se déclinera ad nauseam dans d’innombrables journaux, tout heureux de se payer une « contre-enquête » à si bon compte. Quatre « arguments » frappants seront développés en boucle, parmi lesquels celui-ci : l’enquête américaine aurait été payée par « un trust américain lié aux intérêts de la pêche en Alaska ». Oui ? Non. Protéines a bien laissé fuiter quelque chose, dont aucun acteur ne se souvient clairement. Mais quoi, au juste ? L’un des financements de l’étude provient bien d’un trust, mais au sens juridique du terme, qui renvoie en la circonstance à la gestion en fidéicommis d’une fondation on ne peut plus transparente, The Pew Charitable Trusts.

Comme le dit Serge Michels, toujours dans Stratégies, « notre premier objectif était de communiquer avec les journalistes, de leur donner des éléments d’information par le biais de communiqués de presse, d’une conférence avec tous les représentants français et européens et d’un site Internet qui leur était exclusivement destiné ». On appréciera à sa juste valeur le mot « information » utilisé par Serge Michels. Et, quoi qu’il en soit, il faut bien parler d’un joli coup, qui sème dans les esprits une confusion telle qu’on la croirait voulue. L’alerte a été chaude, mais elle a été « gérée » de main de maître. Protéines aura en main d’autres questions très lourdes de crainte, dont l’épidémie de grippe aviaire. La grippe aviaire qui menace encore, à l’heure qu’il est, toutes les filières du poulet, de la dinde et du canard réunis !

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La suite est dans le livre.

Quand l’animal devient un « minerai de viande »

Une lectrice de ce blog, Luci (à moins qu’il ne s’agisse d’un lecteur), m’envoie le message suivant :

Bonjour,

Dans le Parisien de ce dimanche, un journaliste écrivait grosso modo ceci : « dans les plats surgelés, l’ingrédient utilisé est du “minerai de viande”, un mélange de muscle, d’os et de cartilage. » … à gerber.. mais peut-être ai-je mal lu ? Êtes-vous en mesure d’infirmer ou de confirmer/préciser ces dires ?

Merci d’avance

Et voici ma réponse :

Luci,

Oui, je confirme : on utilise massivement ce que ces salopards appellent du “minerai de viande”. C’est-à-dire un un mélange de déchets à base de muscles, d’os et de collagène. Voici ce qu’on trouve dans un document officiel et qui s’appelle Spécification technique n° B1-12-03 du 28 janvier 2003 applicable aux viandes hachées et aux préparations de viandes hachées d’animaux de boucherie :

“Le minerai ou minerai de chair utilisé pour la fabrication des viandes hachées correspond exclusivement à des ensembles de muscles striés et de leurs affranchis, y compris les tissus graisseux y attenant, provenant de viandes fraîches découpées et désossées, réfrigérées, congelées ou surgelées, répondant aux spécifications prévues par le Code des usages.”

On peut lire l’intégralité du texte à l’adresse http://www.economie.gouv.fr/files/directions_services/daj/marches_publics/oeap/gem/viandes/viandesh.pdf

Que vous dire de plus ? J’ai déjà dit 100 fois que la viande était devenue une industrie et que les animaux étaient tenus pour des objets échangeables et modifiables à l’envi. Ce monde peut encore tenir, mais il ne durera pas.

Les journalistes et l’éternel scandale de la viande

Je précise que je ne reste pas longtemps, car j’ai d’autres chats à fouetter. bien d’autres tâches à accomplir. Vous suivez peut-être le désopilant feuilleton de la bidoche de cheval astucieusement ajoutée à la bidoche bovine pour accroître les bénéfices de la chaîne industrielle. Vous noterez peut-être que j’ai écrit bovine au lieu que de bœuf. La raison en est simple, et il faut commencer par le commencement : la viande de bœuf est presque exclusivement de la viande de vache. Une vache épuisée par la gestation de veaux à tire-larigot, ou d’hectolitres de lait arrachés à ses pauvres tétines. Pour parler, encore faudrait-il dire le vrai, et le système de la viande industrielle, relayé par les journaux, ignorants, indifférents, insouciants, ment. Totalement.

Comme j’ai écrit le livre Bidoche (L’industrie de la viande menace le monde), plusieurs journalistes m’ont contacté pour que je parle, comme l’expert que je ne suis et ne serai jamais, de ce supposé scandale. Le Grand Journal de Canal Plus m’a invité ce soir, mais j’ai dû décliner. France 2 et Le Nouvel Obs m’ont joint,  et ma foi, que leur dire dans le format qui est le leur ? Rien. En deux mots, cette énième crise me fait rire, je l’avoue. On polarise, c’est-à-dire qu’on détourne, l’attention commune sur un  fait on ne peut plus ordinaire : on a fourgué de la viande cheval, moins chère, en lieu et place de viande de bœuf. La belle affaire !

Nul, sauf peut-être à la marge, ne posera les bonnes questions. Tout le système n’est que fraude et arnaque, pour la raison éclatante que la nourriture est devenue une industrie. Et que les animaux sont devenus des objets mondialisés qui doivent cracher de la chair au plus vite, et donc du profit. Le reste est ridicule. La vérité du dossier est limpide : nous avons concédé notre souveraineté alimentaire, partant notre liberté, à des structures abstraites, lointaines, incontrôlables, qui obéissent à d’autres règles que celles qui devraient nous intéresser : la qualité, la proximité, l’impact sur la nature et les êtres vivants, dont font partie, jusqu’à plus ample informé, les animaux massacrés dans l’élevage. J’ai dédié Bidoche à tous les animaux morts sans avoir vécu. Je récidive. Ces pauvres mots sont pour eux. Pas pour les tristes connards que nous sommes, qui avons accepté la financiarisation de la vie quotidienne des humains, alimentation comprise. C’est à vous, les bêtes, qui ne pouvez m’entendre, que je pense. Très fort.

Massacre au bois de Tronçay (un autre Notre-Dame-des-Landes)

Une putain d’affaire. Vraiment, on ne voit pas un pareil désastre tous les matins. Je résume, et prie les acteurs locaux d’excuser d’éventuelles erreurs. Comme souvent, les choses sont un peu compliquées. Je commence par le lieu, qui est une forêt de 110 hectares bordée par l’Yonne d’un côté, la rivière Sardy et le canal du Nivernais de l’autre. Nous sommes tout près du du parc naturel régional du Morvan, dans l’arrondissement de Clamecy et le département de la Nièvre. Un château fort connu des historiens, celui de Marcilly, domine les environs.

Pascal Jacob, président du Medef

Le coin est paumé, c’est-à-dire en réalité préservé comme bien peu. Les élus locaux, aussi malins qu’ailleurs, décident voici une poignée d’années de « créer de l’emploi » et achètent à prix d’or, dans des conditions d’ailleurs discutées, le bois de Tronçay, avant de le refiler à une scierie industrielle belge, Fruytier. Laquelle, après mûre réflexion, décide d’aller installer ailleurs en Bourgogne ses activités. Tête des élus, qui ont emprunté et se retrouvent lourdement endettés. Heureusement pour eux arrive Pascal Jacob, président du Medef en Bourgogne. Comme le gars a fait une école du Bois, il a de grandes idées sur le sujet, et depuis une bonne dizaine d’années, il est lobbyiste en chef de l’industrie du sciage. Il a fait le siège de tous les politiques possibles pour leur vendre son idée fixe, qui est de « réindustrialiser les campagnes » par l’installation de scieries. Bon, après le lâchage des Belges de Fruytier, les élus locaux tombent dans les bras de Jacob, dont on lira pour se marrer le blog, chef-d’œuvre on ne peut plus involontaire (ici).

Jacob se lance dans un nouveau projet, toutes voiles dehors (ici, la localisation sur Google Map). À la tête de l’entreprise Erscia, lancée tout spécialement, il entend créer ex nihilo un géant du bois : 300 000, puis 500 000 m3 de grumes sciés sur place chaque année. Sont également prévues une centrale électrothermique et une unité de pelletisation, c’est-à-dire de fabrication de granulés de bois. À quoi on ajoutera pour faire bon poids de la cogénération, cette tarte à la crème désormais dans tous les projets dégueulasses, et de la production d’électricité, ainsi que 120 emplois créés, et 148 millions d’euros d’investissement, etc. Notons ensemble qu’il ne s’agit là que de promesses, qui n’engagent jamais que ceux qui les croient. Mais passons, non sans avoir ajouté que Pascal Jacob est un as de la novlangue qui présente son beau projet comme « exemplaire en matière d’énergie verte »,  qui se substituera pour sûr « aux énergies fossiles et à l’énergie nucléaire ».

Au pays des pique-prunes

Or donc, un fier capitaine d’industrie veut s’emparer, pour le bien de la planète, d’un bois de 110 hectares. En août 2011, les pelleteuses et les bulls sont là. Suis-je bête ! J’avais oublié de préciser que le projet incluait la dévastation du lieu, par défrichement quasi-total. Jacob ayant oublié un détail – une telle destruction est tout de même soumise à autorisation -, les travaux sont stoppés. Je résume encore, bien obligé. Une enquête publique a lieu, et un premier avis du consultatif Conseil national de protection de la nature (CNPN) est donné. Il est défavorable pour la raison évidente que le bois de Tronçay est une merveille de biodiversité. On y trouve, au milieu de quantité d’autres beautés, des insectes très protégés, comme le Grand capricorne, la lucane cerf-volant, et ce pique-prune qui, jadis, stoppa à lui seul une autoroute (ici). En bref, les promoteurs de cette scierie sont des barbares, espèce qui semble ne jamais devoir être menacée.

Je survole à nouveau. La population locale se mobilise grandement (ici), le CNPN donne au total trois avis défavorables – ce doit être un record -, mais le projet avance à tous petits pas, sans réellement s’arrêter. C’est qu’il est soutenu d’une manière épouvantable par la préfète de la Nièvre, Michèle Kirry, qui doit tout à la gauche gouvernementale, et singulièrement au ministre de la police, Manuel Valls. Ancienne élève de l’Ena, elle a occupé diverses fonctions dans plusieurs ministères avant d’être nommée préfète en novembre 2012. Sitôt arrivée, elle marque le territoire, et de quelle manière ! Le 4 février 2013, madame Kirry pond un arrêté scélérat, qui malgré diverses décisions judiciaires et administratives, ouvre la voie au grand massacre. Une grosse heure après, les les machines sont là, et les arbres tombent.

Christian Paul et Arnaud Montebourg

Question de simple bon sens : pour quelle raison une préfète si récemment arrivée prend-elle une décision aussi grave ? Outre le fait que les élites, en totalité, se contrefoutent de la nature, il faut y ajouter le poids de Christian Paul. Comme on n’a pas le droit d’insulter un noble élu de la République, je m’en garderai bien. Paul est socialo, ancien élève de l’Ena bien sûr, insignifiant secrétaire d’État sous Jospin, entre 2000 et 2002, et il a occupé diverses fonctions locales, parmi lesquelles maire de Lormes, conseiller général, conseiller régional. Il est en ce moment député de la Nièvre. Et bien sûr, il défend de toutes ses forces d’apparatchik le projet de destruction du bois de Tronçay. Quand on n’a pas la moindre idée de l’avenir, pourquoi ne pas faire semblant ? Il a, au reste, rencontré hier notre si formidable ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, qui l’a assuré de son indéfectible soutien au projet Erscia. On comprend mieux l’engagement si intense de madame la préfète de la Nièvre.

Mais où en sommes-nous ce 7 février à 22 heures ? Sur place, de valeureux combattants, que je salue ici, occupent comme ils peuvent le bois. Sans pour l’instant parvenir à empêcher le passage des engins. Cela donne à peu près cela :

Seulement, la messe est loin d’être dite, et les défenseurs de la forêt appellent maintenant à la création sur place d’une Zone à défendre (ZAD), sur le modèle de Notre-Dame-des-Landes. Ils attendent de tous ceux qui peuvent un soutien, un coup de main, une visite, plus si c’est possible. J’en profite pour passer le message aux zadistes de Notre-Dame-des-Landes, et leur suggère d’envoyer sur place, au plus vite, une délégation. Ceux de Sardy ont un besoin immédiat de tam-tam, et de mobilisation. Je précise enfin que je n’aurai pas écrit ce texte sans la sollicitation de trois sources différentes :

1/ Mon ami Thierry Grosjean, de l’association Capen 71. Un mail : thierry.grosjean5@wanadoo.fr. Thierry est un véritable combattant de l’écologie.

2/ Une chère lectrice de ce blog, Sylvie Cardona, responsable de l’association Aves, http://www.aves.asso.fr/

3/ Enfin Anne Lhostis, de l’association Adret Morvan.

Un tout dernier mot. De nombreuses associations sont sur le pont, et elles m’excuseront de ne pas les citer toutes. Je me contenterai de donner ici le contact d’Adret Morvan. D’abord un site internet  : http://adretmorvan.org/. Ensuite une adresse électronique : contact@adretmorvant.org. Je (ne) suis (pas) payé pour le savoir, on ne peut se multiplier. Mais le combat pour le bois de Tronçais est un grand combat. Tous ceux qui iront là-bas pourront légitimement être fiers d’eux.