Ce papier a paru dans Charlie-Hebdo le 30 janvier 2013
Porto-Vecchio, ses plages, ses promoteurs, ses truands. Et depuis peu, un projet de dragage du port pour faire plaisir aux caravanes du Tour de France. Seulement, que faire du mercure planqué dans les sédiments ?
On ne rit pas, c’est dangereux. Les gros bateaux du Tour de France pourront-ils entrer dans le port ? Le 29 juin 2013, la première étape doit en effet partir de Porto-Vecchio, et c’est tout un bordel. À Porto-Vecchio, comme dans le reste de la Corse, se méfier du putachjo, notre bonne vieille langue de pute. C’est fou ce qu’on raconte de choses sur l’immobilier local. Peut-être bien à cause de tous ces mecs qui choisissent la ville, son golfe ou ses belles plages pour se faire buter.
Par exemple Richard Casanova, abattu le 23 avril 2008 au beau milieu de la ville. Ce boss du gang de la Brise de Mer avait délicatement rangé dans sa voiture le projet de plan local d’urbanisme (PLU). Jusque-là, Porto-Vecchio -10 000 habitants l’hiver, 80 000 l’été – n’avait jamais connu de plan d’occupation des sols (POS). La faute aux Rocca Serra, cette merveilleuse dynastie qui contrôle tout le sud de l’île depuis des siècles ? Gaffe à la calomnie.
Le député actuel, Camille, est le fils de Jean-Paul, maire de Porto-Vecchio pendant 47 ans, et il est pote avec Sarkozy. Mais qui n’est pas pote avec ce dernier? Encore un mot pour l’ambiance, avant de passer au Tour : en janvier 2009, un communiqué du FLNC appelle « à combattre et à abattre » des élus défendant de « gras projets immobiliers ». Camille proteste et déclare (1) en humoriste accompli : « Voilà le résultat des calomnies propagées sur mon compte, alors que je ne fais que défendre un tourisme de qualité pour la Corse ».
Allons-y pour le Tour. Y a un problème. Le formidable coup de pub offert aux promoteurs par le départ de la Grande Boucle bute sur cette connerie de port, trop petit. Faire venir la caravane ici oblige à débarquer une (petite) ville et ses infrastructures. Et de lourds ferries remplis de journalistes enthousiastes. Or le port actuel ne permet pas l’entrée des gros-culs. Il faut donc le draguer. Pas un peu, beaucoup : au total, il faudrait extraire 220 000 tonnes de sédiments et vases, et 15 000 tonnes de roches et débris divers. Pour la destination finale, le coin est déjà trouvé : on balancera(it) le tout en mer, à trois kilomètres de la côte.
Et alors ? L’association corse U Levante a levé un lièvre qui ressemble foutrement à un sanglier du maquis (2). Car les sédiments dont il est question sont très pollués, et pas avec de la crotte de plaisancier ou du pipi de chat. Les vases sont en effet farcies au mercure et au TBT, ou tributylétain, une merde chimique qu’on passe sur la coque des bateaux.
La chose est donc entendue ? On va laisser en paix le golfe clair ? Pas le moins du monde. Car une enquête publique, terminée depuis quelques jours et menée au pas de charge, contient une fracassante nouvelle : selon l’étude d’impact, le mercure a disparu. Au secours, Jack Palmer ! Dans le détail, il faut avouer que cela sent l’énigme. En 1992, une première étude du Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) indique des concentrations de mercure dans les vases allant de 0,98 mg par kilo à 2,08. En 2009, d’autres analyses s’échelonnent de 0,33 mg par kilo à 1,88. Tout soudain, alors qu’il est question de draguer le port en profondeur, la nouvelle expertise fait retomber le mercure entre 0,03 mg et 0,17. Providentiel.
U Levante pointe quantité d’autres problèmes. Outre la remise en suspension de considérables polluants, une partie de la zone concernée appartient en théorie aux sites européens protégés Natura 2000. Et U Levante constate que, d’ores et déjà, « la dégradation du milieu est si généralisée et si importante que la grande nacre ou les posidonies sont absentes faute de condition de survie ». Le plus rigolo est probablement que les services de l’État ne sont pas loin de penser la même chose.
La direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (Dreal) a remis au préfet de Corse un document d’une belle prudence diplomatique, mais qui dit combien le dossier est pourri. Exemple entre cinquante : « L’autorité environnementale invite le maître d’ouvrage à justifier ses conclusions ». On peut toujours rêver. Dernière étape le 28 juin 2013.
(1) L’Express du 27 avril 2009
(2) http://www.ulevante.fr/portivechju-le-dragage-du-port-aux-depens-de-la-sante-humaine/