Si j’ai si peu évoqué ici la politique et les ambitions du Front National, c’est bien entendu parce que cela n’a le plus souvent aucun rapport avec la crise écologique. Mais cela pourrait changer, comme vous allez voir. Avant cela, deux mots personnels sur ce parti. Je suis né à la politique entre 1968 et 1970. J’avais alors de 12 ans et quelques cacahuètes à 14 puis 15 ans. Mon vieux était un communiste stalinien, un ouvrier à l’ancienne, qui se tapait ses 60 heures par semaine, dix heures par jour, samedi compris. J’ajoute un point qui est pour moi crucial. En décembre 1970 eut lieu en Espagne le « procès de Burgos », au cours duquel 16 Basques furent jugés par le vieux Franco. Ce même mois, les ouvriers polonais de la Baltique se soulevaient contre le régime stalinien de Gomulka. Moi, j’ai manifesté pour eux tous. Ceux de Burgos, ceux de Gdansk et de Gdynia. Contre les fascistes, contre les staliniens. Et je n’ai pas changé.
Je n’ai pas assez connu mon père, car j’avais huit ans à sa mort. Mais comme il était d’une singulière bonté, je lui dois assurément ma survie psychique, et peut-être bien physique. Je l’ai aimé et l’aime encore d’un amour inconditionnel, ce qui ne signifie nullement aveugle. Il avait ses faiblesses, mais aussi, mais surtout sa grandeur. J’ai appris de lui, sur le mode incandescent, le culte de la résistance antifasciste, celle des années noires des guerres – l’Espagne, l’Europe, le monde -, celle de la lutte armée. Quand cette pauvre crapule de Le Pen a émergé en 1972, je n’ai pas hésité une seconde. Je ne raconterai pas ici ce que j’ai fait, mais je l’ai fait. Je ne regrette rien, je ne regrette aucun des affrontements de ces années-là, car il arrive toujours un moment où la vérité s’impose. On ne saurait transiger avec des fascistes.
Le Front National l’est-il, fasciste ? Je crois que l’usage de ce mot répugnant empêche de comprendre qu’il s’agit d’autre chose. Je sais que ce mouvement compte de vrais fascistes, qui n’attendent qu’un moment favorable pour abattre la Gueuse, notre pauvre République à nous. Néanmoins, je n’imagine pas un remake. Plutôt une terrible habituation aux pires politiques. Déjà, la France glisse de jour en jour vers une droite qu’on espérait ne plus jamais voir chez nous. Tout le monde finira par trinquer, à commencer par les Noirs et les Arabes. Tout le monde. Et je suis convaincu de la nécessité de bâtir ensemble des digues, qui dureront ce qu’elles dureront. Contre le pire, contre la régression, avec des gens qui auraient pu passer jadis pour des adversaires. L’union est une action magnifique.
Pourquoi ce papier déjà bien long sur le Front National ? Parce que Marine Le Pen, ainsi qu’on sait, ratisse autant qu’il est possible, et s’empare de besaces qui étaient celles de ses ennemis. Au plan économique, je n’insiste pas sur ses invocations altermondialistes, qui convainquent tant d’esprits faibles. Mais voilà aujourd’hui qu’elle se lance dans « l’écologie patriote », ainsi que vous pourrez lire ci-dessous. Évidemment, c’est grotesque de bout en bout. Un M.Murer, venu des marges du Front de Gauche (ici), entend promouvoir une transition énergétique made in France avec le nucléaire et sans doute le gaz de schiste. Et pas question d’imposer quoi que ce soit aux entreprises, de manière par exemple à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
C’est pourtant sérieux. Les angoisses montent sans trêve, et aucune offre politique ne propose de s’attaquer aux vraies racines de la crise, celle de la vie sur Terre. Les stimuli fantasmagoriques ne peuvent donc que se multiplier. L’avenir est aux « solutions » magiques. Au rêve d’une France reconquérant ses risibles frontières, et montant à l’assaut des « pollutions ». Je l’ai dit ici de nombreuses fois : le froid s’étend, la glaciation nous guette. Il n’est qu’une parade possible : bouger. Et bouger ensemble, en se serrant les uns contre les autres, en direction du printemps. Car le printemps viendra, je n’ai pas de doute. La seule question, pour nous tous, est de savoir si nous tiendrons jusque là.
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Un article du Huffington Post
Le FN invente « l’écologie patriote »: la préférence nationale lave plus vert que vert
Le HuffPost | Par Geoffroy Clave
FRONT NATIONAL – C’est un des axes stratégiques empruntés par Marine Le Pen pour élargir sa base électorale et muscler son programme en vue de 2017. Depuis 2012 se sont créés dans le sillage du Rassemblement Bleu Marine plusieurs cercles de réflexion thématiques ouverts aux membres du FN et aux compagnons de route dits « patriotes ».
Il y eut le « collectif Racine » pour les enseignants, le « collectif Audace » pour les jeunes actifs ou encore le « collectif Marianne » dédié à la jeunesse. Autant de niches catégorielles (aux effectifs confidentiels) jadis délaissées par l’extrême droite par manque d’intérêt, de moyens ou d’opportunité.
Plus surprenant, ce mercredi 10 décembre, c’est un « collectif Ecologie » que Marine Le Pen entend introniser. Sa lettre de mission est double: d’une part, rassembler les « patriotes » en phase avec la ligne nationale-étatiste du FN et sensibles à la question du développement durable; de l’autre, plancher sur le programme environnemental de la future candidate à l’élection présidentielle.
L’invention de la nationale-écologie
A sa tête, l’économiste Philippe Murer, assistant parlementaire de Marine Le Pen et auteur d’un ouvrage publié chez Fayard intitulé « La transition énergétique: une énergie moins chère, un million d’emplois créés ». Cet ancien adhérent du Parti socialiste, hostile au référendum sur la Constitution européenne et passé depuis chez Debout la République de Nicolas Dupont-Aignan, a débarqué au Front avec armes et bagages en mai dernier en qualité de conseiller économique.
Proche de l’économiste Jacques Sapir, lui-même compagnon du Front de Gauche mais adulé par les souverainistes depuis qu’il a théorisé l’échec et la sortie de l’euro, Philippe Murer fait partie du groupe d’universitaires (avec Bruno Lemaire et Jean-Richard Sulzer) dont la présidente du FN s’est entourée afin de « densifier » son programme économique en vue d’une hypothétique sortie de l’euro. A ses côtés, Eric Richermoz, jeune adhérent FN et étudiant en master finances, assurera les fonctions de secrétaire général du collectif.
Tous deux ont théorisé les contours d’une nationale-écologie liant les fondamentaux du Front (indépendance monétaire, dévaluation massive et protectionnisme ciblé) et les bienfaits d’une transition énergétique synonyme à terme d’indépendance énergétique, d’économies pour les Français et de croissance verte.
Si les constats ne divergent pas dans les grandes lignes de ceux prônés par Europe-Ecologie Les Verts, l’Ecologie Bleue Marine récuse la nécessité d’agir à une échelle globale ou européenne sur les questions environnementales. « La France doit réaliser sa transition énergétique, ce qui entraînera d’autres pays par l’exemple », plaide Philippe Murer, convaincu que cette transition n’est possible qu’à la condition que la France retrouve son indépendance monétaire et la maîtrise de ses frontières douanières.
Un positionnement anti-mondialiste et anti-EELV
Les premières bases de cette « écologie patriote » sont encore balbutiantes. Elles se veulent avant tout un réquisitoire contre l’écologie politique incarnée par les Verts, accusés d’avoir « monopolisé » la défense de l’environnement et « détourné » ses principes au profit d’une idéologie « punitive et fiscaliste ».
« L’écologie ne doit pas être un totalitarisme qui impose sa loi sur tout, il faut qu’elle se conjugue avec le reste », plaide Philippe Murer. « EELV prône une politique mondialiste favorable aux marchés de quota et soumise aux lobbies des multinationales qui ont pignon sur rue à Bruxelles », renchérit Eric Richermoz. Tous deux récusent le principe d’une fiscalité verte et plaide sur une négociation « apaisée » avec les entreprises pour qu’elles réduisent leurs émissions de CO2.
Alors que les écolos d’EELV défendent des accords globaux sur le climat, le collectif Ecologie du FN mise sur la « nation » et le retour au nouveau franc pour mener un « protectionnisme ciblé » qui favoriserait la relocalisation de l’industrie verte sur le territoire national. La renationalisation complète d’EDF et des investissements publics massifs dans le renouvelable, financés par la Banque de France (et donc la planche à billets), permettraient selon eux d’achever la transition d’ici 20 ans.
Autres nuances de taille avec la ligne d’EELV: l’écologie bleu marine est favorable à l’industrie nucléaire comme énergie de transition à faible émission de CO2 et ne ferme pas définitivement la porte au gaz de schiste tout en excluant la fracturation hydraulique.
« Une vision hygiéniste et naturaliste de l’écologie »
Du côté d’Europe-Ecologie Les Verts, l’initiative fait sourire. « Marine Le Pen n’a rien d’une écologiste puisqu’elle reste une productiviste forcenée », tranche le porte-parole d’EELV Julien bayou. « L’écologie nationaliste du Front revient à dire: du moment que c’est français, on construit n’importe quoi. Si la France avait une industrie de pointe dans l’amiante, le FN continuerait de promouvoir l’amiante », raille le conseiller régional d’Ile-de-France.
Pour le Front national, « l’écologie est un instrument de plus au service des mêmes fantasmes », regrette l’eurodéputé Yannick Jadot, pour qui il est illusoire de « vouloir lutter contre le dérèglement climatique sans passer par une triple approche locale, nationale et globale ». Sous couvert de promouvoir le bien-être animal, le Front national « instrumentalise l’écologie pour conforter sa clientèle islamophobe et s’en prendre à l’abattage rituel », renchérit-il, pointant également l’exploitation d’un « ordre naturel » des civilisations pour justifier le refus de l’immigration.
Le député européen renvoie surtout le Front national à ses contradictions, comme le soutien du FN aux Bonnets rouges « qui défendent pourtant les élevages les plus intensifs ». « Le FN défend la qualité de l’air mais prône une politique farouchement automobiliste », ajoute-t-il avant de renvoyer aux votes de Marine Le Pen au Parlement européen. En décembre 2013, les trois eurodéputés FN avaient voté contre l’interdiction du chalutage en haute mer, pratique désastreuse pour les fonds marins.
Alors, le collectif Ecologie n’est-il qu’un nouvel avatar du greenwashing? « Pas du tout », assure Philippe Murer qui promet que Marine Le Pen est « sincère » lorsqu’elle veut « proposer des solutions sur l’écologie ». « Le FN défend depuis longtemps ces thématiques même s’il ne les mettait pas toujours en avant », assure Eric Richermoz.
Une longue histoire d’écolo-scepticisme
En 2010 pourtant, Jean-Marie Le Pen associait encore « l’écologisme » à une « nouvelle religion des populations urbaines aisées ‘bobos gogos’ de l’Occident » lors d’un colloque organisé par son parti, sobrement intitulé « Réchauffement climatique, mythe ou réalité ».
Dans son programme présidentiel de 2012, Marine Le Pen détaillait assez peu ses projets en matière de développement durable, plaçant la priorité sur la sécurité alimentaire, la préservation de la faune et de la flore ainsi que des paysages. Aucune référence au réchauffement global ou à la transition énergétique n’y figurait.
En matière d’énergie justement, le programme FN de 2012 semblait plus que sceptique sur l’intérêt immédiat des énergies renouvelables jugées « pas réalistes en l’état ». Le programme de Marine Le Pen ne citait l’énergie éolienne qu’une seule fois pour estimer qu’elle n’était pas une source crédible d’énergie de substitution. Quant au solaire, il n’était même pas évoqué.
« Toutes nos propositions n’engagent pas le Front national, même si j’ai bon espoir qu’elles inspireront Marine Le Pen », précise Philippe Murer. Il y a du travail.
Interrogés en marge du congrès du parti à Lyon, nombre d’élus FN accueillaient ce nouveau collectif. avec bonne humeur mais circonspection. « L’écologie c’est une nouveauté au FN. A Hénin-Beaumont, c’est une source d’économies comme pour l’éclairage public. Mais moi, je ne veux pas d’éoliennes dans ma ville », tranchait le vice-président Steeve Briois. « Il faut un peu de bon sens, y compris dans l’écologie. N’oublions pas de concilier respect de l’environnement et le respect des travailleurs », nuançait l’eurodéputée Sophie Montel, élue dans un bassin industriel du Doubs.
Pris de court par la question, un élu botte en touche: « ce qui est sûr, c’est que nous on est pas des Ayatollah ». Preuve que, même en matière d’écologie, les vieilles références du FN marchent encore.