Borloo. La moquerie serait aisée. Le ministre de l’Écologie a en effet, il n’y a pas si longtemps, été un des avocats d’affaires les mieux payés au monde. Selon un classement, excusez du peu, réalisé par le magazine américain Forbes. Puis, ne l’oublions pas trop vite, il a été l’avocat d’un certain Bernard Tapie, dont la personnalité défie tout commentaire, fût-il extrémiste. Et son ami. Dans un monde aussi beau, aussi noble que celui des tribunaux du commerce, de la liquidation des entreprises et de leurs employés, on respire l’air des cimes, sûr. Borloo, de ce point de vue-là, fut un alpiniste des sommets du monde.
Mais passons. On le dit sympathique et rigolard. Et pourquoi ne le serait-il pas ? On dit son attachement pour la ville de Valenciennes, dont il fut le maire dès 1989, et l’on vante un bilan social et culturel bien meilleur que dans d’autres villes. Je suis certain que c’est vrai. On rappelle qu’il a fait partie de cette bande, autour de Lalonde, qui fonda Génération Écologie. Là, je tique davantage, car j’ai vu de près, en son temps, ce que fut cette entreprise. Et je vous en parlerai à l’occasion. Restons-en là pour l’heure. Borloo n’est pas si vache, quoique. Borloo n’est pas si bon, mais.
Et continuons. Il vient de donner au Figaro Magazine (1) un entretien qu’il me serait (assez) aisé de décrypter de la première à la dernière ligne. Mais le faut-il vraiment ? Borloo a été envoyé en mission commando au ministère de l’Écologie par Sarkozy, qui avait un trou à boucher après le départ précipité d’Alain Juppé le preux.
Borloo n’a strictement rien à voir ni à faire avec la crise écologique. Grave ? Même pas. Il pourrait, au fond, avoir décidé de tout miser là-dessus. Matignon, pour commencer. L’Élysée en 2012, ou 2017, ou 2022. Mais tel n’est pas le cas. Ce ministère l’emmerde prodigieusement, car en homme (relativement) intelligent, il a compris qu’au bout du compte, il n’avait aucun moyen d’utiliser le poste pour obtenir mieux encore. Et donc, je puis vous le dire en confidence, il enrage.
Bon. Dans son entretien au Fig’ mag, dirigé par un certain Mougeotte, de TF1, Borloo clame sur des pages son ignorance. ll n’est pas le seul, il est en plein concours. Mais il tient la corde, assurément. Et passées les envolées réthoriques qui ne mangent pas de pain – « La situation est grave. Tout se dégrade. Nous dilapidons le capital de la planète, quel que soit l’angle sous lequel on envisage le problème. Certaines choses sont peut-être déjà irréversibles, mais nous pouvons encore inverser la tendance » -, Borloo sèche.
C’est pitoyable. Dans une pièce ordinaire, on se pousserait du coude, et l’on hurlerait de rire. Car il sèche bel et bien. La planète se fracasse, mais je tiens la barre de mon petit poste ministériel, mais n’oublions pas mon avenir propre, qui pèse tout de même plus lourd. Je n’ai qu’une vie, les amis ! Or donc, annonce Borloo – et il le répète dans une déclaration à l’AFP -, nous allons vers un accord global au Grenelle de l’environnement. Oui, si, applaudissez tout de suite, comme à la télé, nous allons vers un accord global.
Merde alors, avec qui ? Et sur quoi ? Eh bien, à croire notre histrion, sur les OGM et sur la réduction des pesticides. Je sais depuis des semaines, de même que les initiés point trop éloignés de la scène, que le dossier des OGM est le grand machin du Sarkozy’s circus. On va faire une loi – j’ai cru un temps que, plus intelligents, ils pensaient organiser un référendum -, et donc gagner du temps. Et donc entourlouper le monde. Ma naïveté est parfois sans bornes : je pensais que dans un pays démocratique, on respectait l’opinion, même quand elle se trompe (éventuellement). L’opinion est contre les OGM, mais le vrai pouvoir est pour. Et donc, habillage. Borloo est une splendide costumière.
Quant aux pesticides, je trouve accablant ce qui se prépare. L’industrie, que j’ai le malheur de connaître de près pour cause de livre (Pesticides, révélations sur un scandale français), a compris depuis un moment qu’il fallait changer de présentation. Eh oui, 60 ans d’empoisonnement dans l’impunité ont fini par lasser. Incroyable, non ?
Et elle a anticipé, car elle sait, à notre différence, et travaillé sur des produits actifs à des doses bien plus réduites que ceux qui sont sur le marché. Autrement dit, lecteurs, l’industrie des pesticides est déjà D’ACCORD pour réduire les volumes à épandre. Mais elle demeure, mais nous demeurons tous incapables de décrire et d’apprécier l’empoisonnement universel dans lequel nous sommes plongés. Je veux dire que tout peut changer et changera, à la condition essentielle que rien ne change.
Et où est le procès ? Qui paiera pour le chlordécone aux Antilles ? Qui paiera pour le paraquat ? Qui paiera pour les nappes, les rivières, les sols pollués pour des décennies ? Pour les paysans malades ? Qui assumera la responsabilité des cancers ? Des maladies neurologiques ? De la stérilité ? Qui dira la justice ? Le Grenelle de l’environnement ? J’ai les lèvres gercées, je passe mon tour.
Allons, restons calme et poli. M. Borloo, roi des bulles, du champagne et des petits fours, nous attend pour nous serrer la main. Ah ! Jean-Louis, tu n’aurais pas changé de cravate, par hasard ?
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