Archives mensuelles : octobre 2009

Le pic de Hubbert dès 2020 (quand le pétrole nous quitte)

Je vous présente rapidement le pic dit de Hubbert. À la fin des années 40 du siècle écoulé, Marion King Hubbert, géophysicien, émet une hypothèse sur la manière dont les matières premières sont exploitées par les sociétés humaines. Selon lui, cet usage peut se représenter sous la forme d’une cloche. Toute production monte jusqu’à un certain point, avant de redescendre fatalement lorsque plus de la moitié des réserves disponibles sur terre ont été utilisées.

En 1956, Hubbert fait une présentation publique de sa thèse devant l’American Petroleum Institute, appliquant son idée au pétrole-roi, sur lequel reposent nos sociétés industrielles. Hubbert prédit en cette année 1956 que le pic maximum de l’utilisation du pétrole aux États-Unis sera atteint en 1970. Après, pense-t-il, la production ne cessera de décliner, plus ou moins vite. Il a raison, le déclin commence en 1971.

Mais il y a bien des manières d’avoir raison tout en ayant tort. Car bien entendu, la parole du géophysicien, inaudible au beau milieu des Trente Glorieuses, est vite laissée de côté. Et l’on continue comme avant, sans se soucier le moins du monde du lendemain. Seuls quelques braves maintiennent, au fil des décennies, une réflexion sur ce que l’on appelle désormais le Peak Oil, le pic du pétrole. La question n’est plus : ce pic existe-t-il ? Non, la question est peu à peu devenue : quand se produira-t-il ?

Dans ce domaine stratégique, bien des estimations restent basées sur des chiffres fournis sans contrôle par les États producteurs. Je vous ennuierai en vous parlant de toutes les bizarreries comptables qui entourent la décisive question des réserves pétrolières mondiales. Pour ne prendre qu’un exemple, l’Arabie Saoudite, assise sur une poudrière sociale, politique, ethnique même, peut-elle raisonnablement dire la vérité sur l’état de ses ressources, qui commande son statut géopolitique ?

Bref. Vous me comprenez. Sans jeu de mots, un baril de pétrole est aussi une bouteille à l’encre. Or un rapport (en anglais, hélas) vient de remettre les pendules à l’heure d’une façon pour le moins inquiétante. Publié par l’UKERC (United Kingdom Energy Research Centre), organisme britannique public autant que sérieux, il estime que le Peak Oil mondial pourrait être atteint avant 2020 (ici). Mieux, pire, il met en garde le gouvernement de Londres, totalement incapable, pour l’heure en tout cas, de seulement considérer le problème. Inutile, je crois, d’évoquer le degré de préparation de notre propre pouvoir politique.

Est-ce fou ? Oui, je le pense. Car 2020, c’est dans dix ans, et seuls des choix faits immédiatement auraient quelque chance d’avoir un effet à cette date. Rappelons que, pour l’heure, le pétrole représente le tiers de l’énergie consommée dans le monde. Bien entendu, même si ce rapport dit vrai, il restera du pétrole à extraire bien après 2020. Mais son coût de production, mais son prix à la consommation seront toujours plus volatils, avec une tendance certaine à l’augmentation, qui ne cessera plus jamais. Il est donc certain, je dis bien certain, que l’heure de l’énergie bon marché est derrière nous.

Cette situation nouvelle recèle bien des menaces. Parmi lesquelles le risque croissant d’exploiter certains des gigantesques gisements de sable bitumineux, qui contiennent assez de pétrole pour être rentables à partir d’un certain niveau de prix du pétrole lui-même. L’essentiel de ces sables se concentrent en Alberta (Canada) et au Venezuela. Outre la destruction directe des écosystèmes locaux, l’extraction de sables enverrait dans l’atmosphère de grandes quantités de gaz à effet de serre, dont du méthane. Pour le climat, ce serait donc une (très) mauvaise nouvelle de plus.

On sait ce qu’il faudrait faire, dans les grandes lignes du moins. Investir tout de suite dans un habitat réduisant massivement les besoins de chauffage. Par exemple la maison passive. Rien à voir, on s’en doute, avec les pantomimes du Grenelle de l’Environnement. Je parle là d’une mobilisation nationale comparable aux temps extrêmes de la guerre, qui poserait au passage la question clé du rôle de l’automobile individuelle dans les sociétés de l’avenir.

Apercevez-vous quelque chose à l’horizon ? Notre Premier ministre en titre, amateur de conduite sportive, ne rêve que de courir les 24 Heures du Mans (vrai). Il ne faut pas espérer bien plus. Et notre président-bouffon ne songe qu’à placer son fils à la tête d’un établissement public gérant des centaines de millions d’euros et chargé de l’aménagement d’un immense quartier d’affaires. Un quartier où l’on construit, où l’on construira demain comme l’on faisait il y a vingt ans. C’est à pleurer.

Shanghaï, l’Expo universelle et le Pavillon français (Delon compris)

Je crains de ne pas beaucoup vous épater. Il y a le monde et sa réalité, la marche vraie des événements, le déploiement des machines, la mobilisation des capitaux et l’expansion des casinos, les voyages en jets privés, les fêtes au champagne et à la coke du côté de Miami ou Nice ou Paris ou Moscou, la destruction systématique des écosystèmes de la planète. Il y a donc cela, dont vous avez probablement entendu parler. Et puis le décorum.

J’aime beaucoup ce mot de décorum. Prenez l’un de ses sens, assez dépréciatif certes : le décorum est bien souvent le théâtre des apparences, dans les coulisses duquel se trament les vraies intrigues. Autre signification proche, tout autant digne d’intérêt : le flan. Le décorum n’est bien souvent que du flan pur et simple, une sorte de cérémonial auquel se livrent par force, ès qualités, des personnalités officielles. Bien que détestant Céline pour la raison que cet homme était fou de racisme, je vous citerai tout de même un court extrait de Mort à crédit. À l’époque où il publie ce livre, en 1936, Céline est encore célébré par la gauche, et n’a bien entendu pas écrit ses futurs pamphlets gorgés d’antisémitisme.

Cet extrait, le voici : « Tout ça c’est des chinoiseries! Que des formalités banales! C’est pour l’extérieur! Pour la forme! Faut pas vous frapper! Ils vont vous relâcher tout de suite! C’est un décorum! ». Je trouve cela marrant, d’autant plus qu’il réunit le mot décorum et celui de chinoiseries. Or, je vais vous parler de Chine, et de Shanghaï surtout. Encore un mot. Le décorum écologique, en France, aura rassemblé à l’automne 2007 de nombreuses dupes plus ou moins volontaires de Son Altesse Sérénissime Nicolas 1er, dit Sarkozy. Je veux parler, évidemment, du Grenelle de l’Environnement, auquel tant de gens, notamment tant d’écologistes officiels, ont intérêt à croire.

Et maintenant, Shanghaï. J’ai souvent parlé de cette ville, dès les débuts de Planète sans visa (ici). La mégapole représente le concentré planétaire de ce que la société industrielle produit et surtout détruit. Cette ville de 19 millions d’habitants offre à ses riches ce que nous connaissons ici, tandis que ses innombrables miséreux campent aux frontières lointaines, entre bidonvilles et cités perdues dans les brumes toxiques du chauffage au charbon. Et elle s’enfonce inexorablement dans le sol, à mesure que l’on surexploite la nappe phréatique polluée qui lui sert d’alimentation en eau domestique et industrielle.

Cauchemar ? Je ne vous le fais pas dire. C’est pourtant ici que commencera le 1er mai – j’imagine que les drapeaux rouges seront de sortie – la grande Exposition universelle que Shanghaï prépare avec frénésie. Coût direct : trois milliards d’euros. Un montant qu’il faut sans doute multiplier par dix pour intégrer tous les frais indirects. Entre 70 et 100 millions de visiteurs sont attendus. Et comme de coutume, de nombreux pays disposeront d’un pavillon national, vitrine de leur technologie, appât destiné à la signature de nombreux contrats d’équipement (ici).

Je vous rappelle, à toutes fins utiles, que la France sublime de Notre Seigneur a lancé en octobre 2007 une « révolution écologique » complète, qui fait de notre nation un champion mondial. Toutes les gazettes le confirment, cela doit donc être vrai. Il n’empêche que, parallèlement, nos nobles représentants auront tout fait pour que Shanghaï accueille cette Exposition. Laquelle se tiendra au centre de la ville, sur une surface égale à deux fois celle de Monaco. Monaco n’est pas très grand, mais tout de même. Pour parvenir au résultat voulu par les bureaucrates devenus businessmen, on a viré un nombre considérable de gens. Je n’ai pas le chiffre exact, mais il faut compter en dizaines de milliers de personnes. Dehors les gueux ! Dehors les prolos ! Le thème charmant retenu pour l’Expo – on en mangerait – est : « Meilleure ville, meilleure vie ».

L’objectif est noble, mais sera peut-être difficile à atteindre. En 2010, au moment de la grande Expo, la Chine sera probablement le plus grand marché automobile du monde. Ce pays, qui ne comptait pratiquement aucune autoroute il y a vingt ans, en a construit environ 55 000 km. En 2015, demain, le cap des 100 000 km aura été franchi. On comprend mieux, dans ces conditions, pourquoi l’État français investit en notre nom des dizaines de millions d’euros pour bâtir le Pavillon de la France, qui pourrait ne pas être démonté après le rendez-vous de mai, et devenir une affiche commerciale permanente pour notre grande industrie. Laquelle est très active là-bas, ce qui ne surprendra personne.

Lafarge, Sanofi Aventis, LVMH, EDF, Dassault Systèmes ont donné leur obole pour la construction de notre Pavillon, et en espèrent, comme de juste, un rapide retour sur investissements. Le bâtiment exprimera-t-il, selon vous, la « révolution écologique » dont nous sommes chaque jour les témoins ébahis ? Se contentera-t-il, plus prosaïquement, d’en mettre plein la vue à des décideurs chinois à Rayban, qui ne pensent qu’aux sacs Vuitton et aux Limousine longues comme des trains ? Je ne vous laisse pas même le temps de réfléchir, car je suis une peau de vache.

L’architecte du Pavillon, Jacques Ferrier, présente comme suit la « ville sensuelle » censée être représentée par le bâtiment français : « Nous mettons en sce?ne l’e?quilibre entre “technicite?” et “sensualite?”, entre “cre?ation” et “permanence”, entre “innovation” et “qualite?”, entre “action” et “pense?e” entre “ville” et “territoire”. Cet e?quilibre est a? la base du “message simple et dense” qui va donner une identité remarquable et me?morable a? la France dans le cadre de l’exposition universelle de 2010. Cette ide?e d’e?quilibre cre?atif et dynamique efface l’opposition ste?rile entre “la France traditionnelle et moderne” e?voque?e dans le programme ».

Je suis bien certain que vous adorez cette novlangue qui ferait pâlir d’envie George Orwell s’il était encore parmi nous. Moi, je donne d’emblée 20/20 à ce monsieur Ferrier. Impeccable. Superbe. Inoubliable. J’ajoute que parmi les trouvailles architecturales, nous aurons droit pour le même prix à un jardin. Un jardin ? L’occasion d’enfin clamer notre amour torride pour les relations écosystémiques entre espèces ? D’entonner en chœur une ode aux papillons, insectes et rouges-gorges ? Pas tout à fait. Celui de Ferrier sera vertical – ah, l’art ! l’art ! – et taillé scrupuleusement à la française. Évidemment. Je rappelle qu’un jardin à la française « porte à son apogée l’art de corriger la nature pour y imposer la symétrie ». Mais quel beau message, hein ?

Ultime cadeau : le parrain du Pavillon français sera…Alain Delon. On ne rit pas. Sur le site du bâtiment en construction (ici), la photo du comédien date d’environ trente ans. Il est loisible d’y voir, mais je peux me tromper, le triomphe du faux.

Faire la guerre à la Lune (une nouveauté)

Peut-être sommes-nous toqués. Quelque chose se sera peut-être détraqué au cours de notre aventure collective. Ou bien, autre hypothèse, cela a toujours existé en nous, sans pouvoir parvenir aux fins extrêmes que nous observons tous les jours. Le fait est que nous déconnons avec une inventivité qui réussit encore à me surprendre. Le dernier exemple en date, qu’il ne faut surtout pas sous-estimer, est la funeste opération menée sur la Lune par la Nasa, cet organisme américain en charge des activités spatiales.

Cela s’est passé le 9 octobre. Premier temps : Centaur, obus propulsé par la sonde LCROSS (Lunar Crater Observation and Sensing Satellite), s’écrase quelque part sur le pôle sud de la Lune. Ce quelque part porte le nom de Cabeus, cratère de 100 kilomètres de diamètre et d’une profondeur variant entre 2,5 et 4 kilomètres. Centaur a dû, selon les prévisions, produire un éclair géant et entraîner la formation d’un panache de débris montant à 10 km au-dessus de la Lune.

Deuxième temps : LCROSS enregistre les effets pendant quelques minutes, pour que nos savants soient comblés d’images, puis s’écrase à son tour. L’objectif de ce qui ressemble étrangement à une opération militaire était, officiellement au moins, d’analyser les nuages de poussière soulevés par l’explosion au sol, dans le but d’y rechercher des traces d’eau (ici). Coût direct : 79 millions de dollars. Par bonheur, Obama est, comme chacun sait, prix Nobel de la paix.

 Je ne résiste pas au plaisir de vous montrer la chose, qui m’évoque le pas d’un dinosaure sur notre si vieille et si belle terre. Celle qui suit montre les alentours du cratère visé, Cabeus, en couleur.

 Le grand cratère Cabeus est la nouvelle cible choisie pour le crash programmé de la sonde LCROSS.Et je me demande bien entendu si cela valait la peine. Et je me réponds, seul dans mon semblant d’espace personnel que, non, cela ne valait pas la peine. Ou plutôt qu’une force morale aurait dû nous arrêter avant cet acte désormais irréversible. Anthony Colaprete, responsable de ce bombardement extraterrestre, a déclaré sans apparemment comprendre le sens de ses paroles : « Tout s’est vraiment bien passé (…) et je peux annoncer que nous avons eu un impact, que nous l’avons observé, que nous avons vu le cratère et que nous avons obtenu de bonnes mesures, notamment spectroscopiques (…) Nous avons les données dont nous avons besoin pour répondre à la question ».

La question, que nous avions oubliée, est celle-ci : y a-t-il de l’eau, sous forme de traces, sur la Lune ? Si oui, bien. Si non, bien. Ces traces d’eau, en toute hypothèse, seront là dans mille ans. Mais les petits chefs actuels de la Nasa, non. Ils se précipitent donc, juste avant de mourir, et tous les spectateurs immédiatement derrière. Car eux aussi vont mourir, et il serait si bête de se priver d’un tel spectacle. Non ?

79 millions de dollars auraient été autrement utiles à comprendre pourquoi 1 milliard 500 millions d’hommes, au moins, n’ont pas accès à l’eau potable, alors que quelques mesures suffiraient à grandement améliorer les choses. Mais ce serait tellement moins drôle. Tellement moins fun. Bombarder la Lune signifie on ne peut plus clairement que les artilleurs tienen cojones. Qu’ils en ont. Et qu’ils sont aussi prêts à bombarder Mars, Saturne et Jupiter. Car ils n’ont pas peur. Car ils ne craignent rien.

Ces excellents scientifiques, j’en fais le pari, seraient prêts à zigouiller, de même, le premier extraterrestre qui pointerait son nez à proximité d’un autre Centaur. Je ne voudrais pas dire du mal des centaures, mais dans la mythologie grecque, ces créatures mi-hommes mi-chevaux sont des êtres assez lamentables. Des violeurs, des ivrognes, des imbéciles. La Nasa a bien choisi le nom de sa bombinette galactique. Ce n’est qu’un début, les obus continuent.

Dominique Guillet en remet une seconde couche

Dans un commentaire au papier précédent, Dominique Guillet rapporte quelques chiffres généraux sur les nécrocarburants. Je rappelle que Dominique a créé une association d’une qualité exceptionnelle, Kokopelli (ici) et qu’il sait de quoi il parle. J’ai souhaité (re)publier ce texte, que certains d’entre vous auraient fatalement manqué. Il dit tout. Il montre l’ampleur planétaire du drame en cours, que la (presque) totalité du mouvement écologiste de France ignore honteusement. Lisez donc, car pour l’heure, je ne sais plus quoi faire d’autre. Lisez.

LE TEXTE DE DOMINIQUE GUILLET, DE KOKOPELLI

Pour rebondir sur nécro-carburants et crise alimentaire, quelques chiffres :

En 2009, ce sont 104 millions de tonnes de céréales qui seront brûlées pour fabriquer de l’éthanol pour les véhicules des Occidentaux. Ces 104 millions de tonnes pourraient nourrir 100 millions de citoyens US qui consomment un peu plus d’une tonne de céréales par an. Les mêmes 104 millions de tonnes pourraient nourrir 700 millions de personnes en Inde ou en Afrique qui consomment 150 kg de céréales par an. Nous répétons : 700 millions de personnes en Inde ou en Afrique durant une année.

Au Brésil, en 2009, ce sont 7,7 millions d’hectares de canne à sucre qui vont être récoltés dont 55 % sont consacrés à la production d’éthanol. Ce sont donc, pour la seule canne à sucre au Brésil, 4,2 millions d’hectares de terres arables qui vont produire 27 milliards de litres d’éthanol.

En 2009, en sus de la surface utilisée pour récolter 104 millions de tonnes de céréales, combien de dizaines de millions d’hectares ont-ils été réquisitionnés pour cultiver de la canne à sucre, du soja, du tournesol, du palmier à huile, pour la fabrication d’éthanol et d’agro-diesel sur toute la planète ?

Nous l’avons affirmé à maintes reprises : nous pouvons, dans les régions chaudes du globe, avec de l’eau, nourrir 20 personnes par hectare, et par an, en régime végétarien avec des techniques agro-écologiques intensives. Chaque dizaine de millions d’hectares de nécro-carburants correspond donc à l’alimentation potentielle de 200 millions d’êtres humains.

Voilà la vérité toute nue.

À propos des nécrocarburants (une fois de plus)

Je pressens que vous ne lisez pas tous le quotidien économique Les Échos. Pardon aux fidèles lecteurs du titre, mais je vais faire comme si personne n’avait lu cela. Je résume pour ceux qui n’ont pas le temps. La France des lobbies – et croyez-moi, celui des biocarburants est sacrément puissant – a réussi à extorquer à l’État 100 millions d’euros pour des études sur les nécrocarburants de deuxième génération. Ceux qui existent, les seuls qui existent, dévastent les forêts tropicales, affament les peuples, aggravent la crise du climat. J’en ai fait un livre, La faim, la bagnole, le blé et nous (Fayard). Malgré le désastre global et planétaire en cours, les gros céréaliers français ont réussi à décrocher la timbale. Et nous paierons donc tous pour permettre à l’industrie de répondre aux critiques que les labos travaillent, sérieusement, sur une deuxième génération. Laquelle, par miracle, règlerait tous les problèmes.

Je n’ai ni le temps, ni le goût de détailler une fois de plus. Mais je vous glisse tout de même cette phrase impayable de Nathalie Kosciusko-Morizet au printemps 2008, alors qu’elle était secrétaire d’État à l’écologie : « Le problème [ des biocarburants de seconde génération ], c’est que ces techniques ne seront au point que dans dix à vingt ans ». Or donc, on entend faire passer l’horrible pilule des nécrocarburants actuels au nom de chimères qui ne verront peut-être jamais le jour. L’argent public ne coûte rien, saviez-vous ?

J’ajoute qu’un responsable national écologiste – que j’apprécie – m’a demandé aujourd’hui même ce que je pensais de l’article des Échos. Et du rôle attribué aux carburants végétaux dans cette crise alimentaire qui n’en finit pas. Ne disposant que de très peu de temps, je lui ai fait la réponse suivante :

XYZ,

Je ne vais pas être long, car aux dernières nouvelles, tout est abondamment contenu et référencé dans le livre que j’ai écrit sur le sujet.
On ne comprend rien, réellement rien, à la question des biocarburants si l’on oublie cette évidence qu’un puissant lobby industriel est à l’œuvre dans le monde entier, à l’appui d’une production en tous points désastreuse. Un, les biocarburants ont joué un rôle majeur dans l’explosion du prix des denrées alimentaires depuis deux ans. De très nombreuses études l’attestent. Je te glisse un échantillon rapide de citations des années 2007 et 2008.

*Pour le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, « les biocarburants sont sans aucun doute un facteur important dans l’accroissement de la demande en produits alimentaires », le prix du maïs ayant ainsi doublé en deux ans. 2008

 *John Lipsky, numéro deux du Fond monétaire international (FMI) a estimé jeudi 8 mai 2008 que le développement des biocarburants serait responsable à 70% de la hausse récente des prix du maïs et 40% de celle des graines de soja.

* La FAO, à l’automne 2008 : «  Les consommateurs urbains pauvres et les acheteurs nets de denrées alimentaires dans les zones rurales sont tout particulièrement menacés. Une grande partie des pauvres de la planète dépensent plus de la moitié de leurs revenus pour s’acheter de la nourriture.“Les décisions liées aux biocarburants devraient tenir compte de la situation de la sécurité alimentaire, mais aussi de la disponibilité de terres et d’eau”, selon M. Diouf. “Tous les efforts devraient être ciblés sur la conservation du but suprême consistant à libérer l’humanité du fléau de la faim”. »

 *Le Belge Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, en 2008 : « Les objectifs ambitieux en matière de production de biocarburants que se sont fixés les Etats-Unis et l’Union européenne sont irresponsables. La production de colza, l’huile de palme, qui détruit les forêts en Indonésie, l’utilisation d’un quart de la récolte de maïs aux Etats-Unis, c’est un scandale, qui sert uniquement les intérêts d’un petit lobby, avec l’argent du contribuable. J’appelle au gel de tout investissement dans ce secteur ».

 *Rapport de l’OCDE, septembre 2007 : « The current push to expand the use of biofuels is creating unsustainable tensions that will disrupt markets without generating significant environmental benefits »

*Stephen Corry, directeur de Survival, en 2008 : « Le boom du biocarburant n’a pas seulement de graves conséquences sur l’environnement, la hausse du prix des denrées alimentaires ou la survie des orang-outang – il a aussi un impact dévastateur sur les peuples indigènes. Les compagnies qui promeuvent cette industrie ont réellement la volonté de se débarrasser des peuples indigènes afin d’accaparer leurs terres ».

*Au cours d’un Forum pour la souveraineté alimentaire, en marge de la conférence de la FAO à Brasilia, le mouvement paysan international Via Campesina a condamné la production de biocarburants. « Le problème, c’est non seulement l’utilisation de produits agricoles à des fins autres que l’alimentation mais aussi la quantité d’eau que l’on utilise, les pesticides et la monoculture qui finit par tuer la terre », a ainsi déclaré Juana Ferrer, la représentante de la Confédération nationale des femmes paysannes de la République Dominicaine (2008).

Je te le répète, il ne s’agit que d’un maigre échantillon. J’aurais aisément pu montrer la même chose à propos des atteintes à la biodiversité par destruction de forêts tropicales ou de milieux aussi riches que le cerrado brésilien. J’aurais pu, de même, citer quantité de grands noms de la science – Paul Crutzen, prix Nobel de chimie – qui jugent le boom mondial en faveur des biocarburants responsable d’une hausse considérable des émissions de gaz à effet de serre. Notamment au travers du drainage des tourbières d’Asie.

Franchement, le dossier est clair, net et sans bavure. Il faut et il suffit de rassembler les informations disponibles. Pour ce qui concerne la France, le lobby est celui de l’agriculture industrielle et des grandes coopératives céréalières. Faut-il faire un dessin ? Quant aux biocarburants de seconde génération, ils servent essentiellement d’argument publicitaire en faveur de ceux réellement existants. Il s’agit essentiellement de propagande qui permet de faire passer le bilan dévastateur de ceux de première génération. En somme, demain, on rasera gratis.

Est-ce qu’il t’en faut davantage ? Bien à toi,
Fabrice